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Procédure civile

INTRODUCTION

 

            §1. L’objet de la procédure civile

Largo sensu, la procédure civile se définit comme la branche du droit qui régit le fonctionnement des activités judiciaires en matière civile. L’enjeu du cours est de savoir comment les juges rendent la justice dans les contentieux civils et commerciaux.  Ainsi définie, la procédure civile comprend 5 sous-branches. Tout d’abord, l’étude des procès devant les juridictions. L’activité judiciaire est tournée essentiellement vers la résolution du procès. En amont du procès, la procédure civile comprend l’étude des juridictions civiles. La procédure civile s’intéresse également à l’étude des professions judiciaires (magistrats, greffiers, commissaires de justice, etc.). Elle est très largement influencée par la pratique. En aval du procès, la procédure civile comprend l’étude des procédures qui permettent d’exécuter les décisions de justice. Ces procédures d’exécution ne sont pas propres à la procédure civile ; elles concernent tous les titres exécutoires. Enfin, en marge du procès, la procédure civile comprend également l’étude des modes alternatifs à la justice étatique de règlement des conflits. On parle parfois de droit judiciaire privé pour désigner la procédure civile au sens large. 

                        A. Le procès
                                    1) Définition

Le procès se définit comme le processus de résolution d’un litige devant un juge. Il renvoie à l’ensemble des démarches judiciaires qui mènent à la résolution du litige. Le procès suppose un litige qui est soumis à un juge et un processus de résolution.

                                                a) Un litige

Le procès suppose un conflit, un désaccord, une contestation entre deux ou plusieurs personnes. Deux personnes s’opposent sur un point de droit. La procédure civile est donc un droit du conflit, du désaccord, contrairement au contrat où il y a une convergence de volontés. Les parties à un litige sont appelés les litigants. Les deux parties au litige n’occupent pas la même place dans le procès. On distingue le demandeur (la partie qui est à l’origine du procès) et le défendeur (la partie qui subit le procès). Le demandeur est la personne qui est insatisfaite du statu quo et qui cherche à le modifier en soumettant des prétentions au juge. Les prétentions sont les avantages que le demandeur cherche à obtenir du juge. À l’inverse, le défendeur est la personne qui est satisfaite du statu quo et qui cherche à le maintenir. En principe, le défendeur ne formule pas de prétentions au juge. Il se contente de demander au juge de rejeter les prétentions du demandeur.

                                                b) Un juge

Le procès suppose l’intervention du juge. C’est une opération à 3 personnes (demandeur, défendeur et juge) d’où la notion de triangle processuel. Le rôle du juge est de trancher le litige en appliquant les règles de droit. D’un point de vue processuel, le juge n’a que deux options. Soit il accueille les prétentions totalement ou partiellement, soit il les rejette. Le recours au juge permet d’obtenir une solution pacifique en évitant le recours à la vengeance privée. En principe, le juge rend la justice au nom de l’État. Mais le juge n’est pas toujours un représentant de l’État. En effet, les parties peuvent confier leur litige à une personne privée qui exercera la fonction du juge, c’est l’arbitrage. Le juge est qualifié d’arbitre et la décision qu’il rend est une sentence (arbitrale).

                                                c) Un processus de résolution du litige

Ce processus implique certaines étapes qui impliquent une certaine procédure, d’où l’intérêt de la matière.

                                    2) Distinctions

                                                a) Procédure et fond du droit

Le procès fait intervenir les règles de procédure et les règles de fond dites aussi règles substantielles. Les règles de procédure régissent la procédure en fixant les droits et obligations des litigants. Le propre des règles de procédure est qu’elles ne permettent pas de résoudre le litige mais de structurer le processus d’organisation de résolution du procès. À l’inverse, les règles de fond régissent l’activité humaine en dehors du procès et fixent les droits et obligations qui incombent à tout sujet de droit. Ce sont des règles qui permettent au juge de donner une solution au litige.

Les interactions entre règles de procédure et règles de fond génèrent deux questions qui innervent la matière. La première question a trait à la légitimité des règles de procédure. Normalement, lorsqu’on intente un procès, on a raison ou tort sur le fond du droit, c’est ce qui nous fait gagner ou perdre le procès. Mais il existe d’autres raisons de perdre son procès. En effet, on peut perdre son procès pour des raisons de fond mais aussi de procédure. Est-il légitime de perdre son procès alors que l’on a raison sur le fond du droit ? Certes, les règles de fond font obstacle à la réalisation des droits des parties mais elles sont censées être motivées par l’intérêt général. Le but de ces règles est d’assurer le bon fonctionnement, la qualité et la célérité du service public de la justice en imposant une discipline aux parties. De plus, elles visent à limiter l’ingérence du magistrat dans le litige. Ihering, juriste allemand, disait que « la procédure civile est la sœur jumelle de la liberté ». Enfin, elles assurent une loyauté entre les parties et un respect de l’éthique du procès.

La seconde question a trait à l’influence des règles de fond sur les règles de procédure. En principe, il existe un principe d’indépendance ou d’autonomie des règles de procédure à l’égard des règles substantielles. Il en résulte que la mise en œuvre des règles de procédure ne dépend pas de la règle de droit en cause. Par exemple, l’obligation pour les parties de communiquer les pièces au juge ne dépend pas de l’objet du litige. De plus, l’exigence d’impartialité du magistrat ne dépend pas des règles substantielles applicables. Mais ce principe connait de nombreuses exceptions. On dit souvent que la procédure est un « droit servant » au service des règles substantielles. Le fond du droit détermine la nature de la procédure applicable. Mais au fond du droit, il peut exister des liens entre le fond du droit et la procédure. En procédure civile, la présence d’une règle d’ordre public peut justifier un régime procédural spécifique d’où l’obligation pour le juge de la relever d’office.

                                                b) Procédure contentieuse et procédure gracieuse

Les procédures contentieuses visent à résoudre un contentieux et naissent à l’occasion d’un litige. À l’inverse, les procédures gracieuses naissant en l’absence de litige. En ce cas de figure, les personnes à l’origine de la procédure ne sont pas des adversaires. Ce ne sont pas des litigants mais des requérants. Par exemple, les procédures de divorce judiciaire par consentement mutuel ou les procédures d’adoption. Les procédures gracieuses relèvent-elles de la procédure civile ?  La réponse dépend de la conception que l’on a de la procédure civile. Si la procédure civile est définie comme le droit du procès civil, il faudrait exclure la procédure gracieuse de son champ car il n’existe pas de litige. Mais si l’on définit la procédure civile plus largement comme le droit qui régit le fonctionnement des activités judiciaires, alors il faut les inclure. Le propre de l’activité judiciaire est de déboucher sur des décisions de justice (actes juridictionnels). Or, les procédures gracieuses débouchent également sur un tel acte.

                                                c) Procédure judiciaire et procédure amiable

Tout procès suppose un litige mais tout litige n’implique pas réciproquement un procès. Il y a des litiges qui sont résolus en dehors des tribunaux. Il faut distinguer deux modes. D’une part, les procédures judiciaires qui consistent à faire trancher le différend par un juge privé ou public, auquel cas il est résolu par un acte juridictionnel. D’autre part, les procédures amiables qui consistent pour les parties à se mettre d’accord sur la solution du litige, auquel cas il est résolu par une convention entre les parties. Quelle que soit la définition de la procédure civile, on devrait exclure les procédures amiables de la procédure civile. En effet, la définition stricte consiste en l’intervention d’un juge et la définition large suppose un acte juridictionnel. Mais en réalité, on intègre généralement les procédures amiables. En effet, les procédures amiables sont parfois un préalable obligatoire à certaines procédures judiciaires. De plus, il existe des passerelles entre procédure amiable et procédure judiciaire.

                        B. Le procès civil

La procédure civile est un droit spécial du procès car elle n’est pas une théorie générale et se distingue des autres droits spéciaux.

                                    1) Procédure civile et théorie générale du procès

La procédure civile s’intéresse au procès civil et se distingue du droit processuel général. Le droit processuel général est la discipline qui cherche à dégager un droit commun de la procédure. Il s’intéresse à des grands principes qui visent à assurer l’équité du procès (le principe du contradictoire, le délai raisonnable, etc.).

                                    2) Procédure civile et droits spéciaux du procès

La procédure civile se distingue des autres procédures (pénales, administratives et européennes). L’idée est qu’il existe une philosophie propre à chacune des procédures. On peut difficilement regrouper toutes ces matières parce qu’elles ne répondent pas aux mêmes besoins. D’abord, la procédure civile met en jeu des intérêts essentiellement privés et exceptionnellement des intérêts publics. Par exemple, la procédure pénale met davantage en jeu des intérêts publics. Ensuite, la procédure civile va être soumise à des règles particulières qui s’expliquent par cette différence de philosophie. Le parquet n’a pas le même rôle car les intérêts ne sont pas les mêmes au civil et au pénal. En outre, les règles d’instruction ne sont pas les mêmes. En matière civile, le procès est la chose des parties tandis qu’en matière pénale, le juge a la main sur le procès. Enfin, les règles probatoires ne sont pas les mêmes. En matière civile, la loyauté de la preuve est exigée de façon plus ferme qu’en matière pénale.

          La procédure civile est un droit spécial du procès mais elle regroupe elle-même différents droits spéciaux du procès. Il existe plusieurs procédures civiles notamment devant le tribunal judiciaire, le tribunal de commerce ou devant les prud’hommes. On s’intéressera à la procédure de droit commun (procédure écrite) devant la juridiction de droit commun.

            §2. Les enjeux de la procédure civile

                         A. Les enjeux traditionnels

D’un point de vue général, la procédure civile est tiraillée par deux enjeux importants. D’un côté, elle doit favoriser la bonne administration de la justice au sens juridique du terme en permettant au juge de rendre la justice en appliquant la règle de droit. Par exemple, si on impose des règles de procédure, c’est pour faciliter une bonne constitution du dossier, permettre au juge de voir les tenants et les aboutissants afin de prendre la bonne décision conformément aux règles de droit applicable. D’un autre côté, elle doit favoriser la bonne administration de la justice au sens matériel du terme. La justice est un idéal mais également une institution, un service public. Pour cela, la procédure doit tenir compte des moyens limités de ce service. Or, le service public ne peut souffrir une interruption en raison du principe de continuité. Il faut donc des règles supportables pour le service public de la justice. De nombreuses règles se justifient par un souci de faire fonctionner le service public plutôt que de permettre au juge de rendre la meilleure décision.

Ainsi, par exemple, on peut fermer l’accès au juge en demandant aux litigants de rassembler leurs arguments à un moment donné du procès sous peine d’irrecevabilité afin de désengorger les tribunaux.

 

                         B. Les enjeux contemporains

          En matière de procédure civile, l’enjeu contemporain est de répondre au défi du numérique. Le premier enjeu est la dématérialisation des actes de procédure. Dans l’ensemble, il est possible mais cela pose parfois un problème. Le deuxième enjeu lié au numérique est la numérisation de la justice elle-même. Il s’agit du recours aux algorithmes et à l’intelligence artificielle dans le cadre du procès judiciaire. On parle improprement de justice prédictive. Cette justice prédictive prendra de l’ampleur car elle sera alimentée par le phénomène de l’open data des décisions de justice. Actuellement, toutes les décisions de justice ne sont pas diffusées au grand public. On a accès aux décisions des grandes juridictions (Cour de cassation, Conseil d’État, Conseil constitutionnel) et depuis 2022 aux décisions des cours d’appel. Mais on n’a pas encore accès aux décisions de première instance. L’open data vise à diffuser l’intégralité des décisions de justice rendues en France (2 à 2,5 millions de décisions par an). À terme, l’open data favorisera le recours aux IA pour traiter toute cette quantité de données mises à la disposition du grand public.

            §3. L’organisation de la procédure civile

                        A. Les sources de la procédure civile
                                    1) Les sources internes de la procédure civile

                                                a) Quelles sont les sources de la procédure civile ?

          Les sources de la procédure civile sont les lois, les règlements et les usages du palais. La procédure civile ne relève pas du domaine réservé de la loi prévu à l’art.34 de la Constitution. En principe, la procédure civile relève de la matière règlementaire.

                                                b) Où trouver les dispositions sur la procédure civile ?

          La plupart des dispositions sont codifiées dans trois textes dont le Code de procédure civile et le Code civil. L’actuel code de procédure civile date de 1975. Il est l’héritier du Code Louis de 1667 issu de l’œuvre codificatrice de Colbert et du Code de procédure civile de 1806 issu de la codification napoléonienne. Le CPC actuel a été salué car il présentait la particularité de ne pas présenter la matière de façon technique mais s’essayait à une théorie générale de la procédure civile. Il est chapeauté par des principes directeurs. Ce code a été l’œuvre de trois auteurs que sont Henri Motulsky, Gérard Cornu et Gérard Foyer.

          En amont du procès, on trouve le Code de l’organisation judiciaire (COJ) de 2006 qui dispose de règles sur l’organisation et le fonctionnement des différentes juridictions ainsi que des principes généraux de la justice (gratuité, délai raisonnable, impartialité…). On trouve également le Code des procédures civiles d’exécution.  Néanmoins, tous les textes ne sont pas codifiés. Il en est ainsi de la loi 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle, l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

                                                c) Sont-elles stables ?

          Le problème de la procédure est son instabilité. Elle subit l’inflation législative, étant très souvent réformée. De plus, le législateur prend souvent des lois « fourre-tout » qui ne sont pas animées par des logiques d’ensemble. On peut citer deux lois pour illustrer ce constat. D’un côté, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle dite « Loi J-21 ». Elle est difficile à synthétiser car elle touche d’innombrables sujets. Son but était de déjudiciariser les tribunaux en allégeant l’office du juge par le recours à d’autres acteurs tels les notaires, les huissiers, les officiers de l’état civil (consécration du divorce sans juge) ;  favoriser les modes amiables de règlement des conflits (consécration de l’obligation de conciliation avant de recourir au juge) ; faciliter l’accès au juge en multipliant les possibilités de recourir à l’action de groupe et en créant un service d’accueil unique du justiciable chargé de lui donner des informations concernant les procédures qui le concernent. D’un autre côté, la loi du 23 mars 2019 dite « Loi Belloubet » est également une loi « fourre-tout » car elle traite de la justice en général et non de la procédure civile en particulier. Elle visait notamment à simplifier ou clarifier la procédure en réalisant la fusion des tribunaux d’instance et de tribunaux de grande instance au sein d’une nouvelle institution appelé tribunal judiciaire. Elle simplifie les modes de saisine du tribunal, cherche à fluidifier la procédure en donnant plus de pouvoir au juge de la mise en état, privilégie les modes amiables de résolution des conflits. Elle est complétée notamment par le décret d’application du 11 décembre 2019.

                                    2)Les sources européennes de la procédure civile

          La procédure civile subit l’influence de la CESDH précisément son article 6 relatif au droit au procès équitable qui vient perturber le fonctionnement du procès tel que prévu par le législateur national. L’art.6 CESDH relatif au procès équitable permet de refaçonner une organisation du procès. Sont ainsi protégés le droit d’accéder à un tribunal, le droit d’être jugé par une juridiction impartiale, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable (le délai ne doit ni être trop long ni trop court sinon risque de justice expéditive).

                        B. Les étapes du procès civil

Le procès se découpe en 3 étapes : un début, un développement et une fin. Pour que le procès débute, il faut qu’une personne exerce une action en justice en saisissant un tribunal. Entre les parties se nouent une relation juridique appelé l’instance. Le procès prend fin avec le prononcé de la décision de justice (jugement).

PARTIE I : LE DÉCLENCHEMENT DU PROCÈS

Le procès se déclenche lorsque le juge est saisi de l’affaire par un acte appelé la saisine du juge. Sauf rares exceptions, le juge ne peut s’autosaisir.

TITRE I : LA NOTION D’ACTION EN JUSTICE

 

CHAPITRE I : LA DÉFINITION DE L’ACTION

 

SECTION I : La définition du Code de procédure civile

L’action est doublement définie à l’art.30 CPC. D’une part, pour le demandeur, l’action est le droit d’être entendu par le juge sur le fond d’une prétention afin qu’il la dise bien ou mal fondée. D’autre part, pour le défendeur, l’action est le droit de discuter du bien-fondé de la prétention soulevée par le demandeur. Il ne faut pas s’attacher à cet aspect dual de la présentation qui apparait trompeuse.

D’un côté, en réalité, il est inutile d’opérer une telle distinction. Dans les deux cas, il s’agit pour les parties de s’adresser au juge dans la perspective d’obtenir une décision sur le fond. D’autre part, on peut douter que le défendeur dispose d’un droit d’action car l’article semble confondre le droit d’action du demandeur et le droit de défense du défendeur. Ce droit de défense n’est pas nécessairement un droit d’action. En pratique, seul le demandeur est sanctionné pour défaut de droit d’agir. Autrement dit, il convient de se concentrer sur la définition de l’action pour le demandeur.

Cette définition appelle deux remarques. Il est utile de parler de droit d’agir car celui qui dispose d’une action est le titulaire d’une action. Celui qui agit sans être titulaire du droit d’action est sanctionné pour défaut de droit d’agir. L’action est le droit d’être entendu par le juge sur le fond de la prétention. Elle est un élément du droit d’accès au juge car elle ne permet pas un accès matériel au juge. Celui qui n’a pas le droit d’agir peut matériellement s’adresser à un juge. L’action conditionne l’accès juridique au juge, avoir le droit d’agir est le droit d’exiger du juge une réponse sur le fond de l’affaire. À l’inverse, celui qui n’a pas le droit d’agir pourra se voir opposer un refus d’examiner par le juge au moyen d’une fin de non-recevoir. Lorsqu’un juge oppose une fin de non-recevoir, il signifie au demandeur qu’il n’avait pas le droit d’agir en justice. Le juge déclare les prétentions irrecevables. On dit que l’action en justice est le fondement de la recevabilité des prétentions.

Les règles qui limitent le droit d’agir sont contrôlées au titre de l’art. 6 CESDH puisqu’il protège le droit d’accès à un tribunal.

SECTION II : La distinction de l’action et de la demande en justice

          La demande en justice est l’acte juridique par lequel un individu soumet sa prétention au juge, un justiciable met en œuvre son droit d’agir. D’une part, l’action en justice et la demande en justice sont indépendantes l’une de l’autre. Concrètement, celui qui n’a pas le droit d’agir peut formuler des prétentions devant le juge. En principe, le juge devrait débouter le demandeur de sa prétention à moins que le défendeur ne soulève le défaut du droit d’agir du demandeur.

D’autre part, l’action et la demande ne sont pas sanctionnées de la même façon. La demande en justice est un acte juridique qui peut faire l’objet d’une annulation si elle ne répond pas aux conditions de validité (incapacité). Cette annulation n’est pas irrémédiable car le demandeur peut renouveler sa demande en justice purgée des vices de la demande précédente. L’action n’est pas un acte mais un droit. Le défaut de droit d’agir est sanctionné par l’irrecevabilité des prétentions. À l’inverse de la demande, si les prétentions sont déclarées irrecevables, l’action ne peut pas être intentée de nouveau, le procès est perdu.

 

SECTION III : La distinction de l’action et du droit substantiel

          Le droit d’agir est le fondement de la recevabilité des prétentions et le droit substantiel est le fondement du bien-fondé de la prétention. Le juge raisonne en deux temps en examinant d’abord la recevabilité des prétentions et puis le bien-fondé de la prétention en tranchant le litige au fond. La plupart du temps, le bien-fondé des prétentions dépend de l’existence d’un autre droit appelé le droit substantiel. Par exemple, l’exercice d’une action en revendication pour récupérer un bien implique que le demandeur établisse son droit de propriété (droit substantiel).

          On considère aujourd’hui que le droit d’action a une existence autonome par rapport au droit substantiel. Par le passé, on assimilait le droit d’action au droit substantiel en considérant que l’action était la mise en œuvre judiciaire du droit substantiel. Aujourd’hui deux types d’actions permettent de distinguer le droit d’action et le droit substantiel. Il peut exister des droits d’action sans droit substantiel et vice versa.

                1) Le droit d’action sans droit substantiel

D’une part, une personne peut être titulaire du droit d’action sans être titulaire du droit substantiel. Dans ce cas, le droit substantiel existe mais il est défendu par une autre personne que son titulaire. Par exemple, l’action du ministre de l’Économie dans le cadre de la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence. Lorsqu’un professionnel est victime de ces pratiques, il peut agir pour obtenir des dommages-intérêts ou l’annulation du contrat. Mais, le plus souvent, le professionnel n’agit pas car il est dépendant de son cocontractant. Pour lutter contre l’inaction du professionnel qui néglige de défendre ses droits, le législateur donne au ministre une action pour agir à sa place.

D’autre part, une personne peut être titulaire d’un droit d’action alors qu’il n’existe aucun droit substantiel. Par exemple, les actions possessoires permettaient de défendre le possesseur d’un bien contre la personne qui troublait sa possession y compris contre le véritable propriétaire du bien. Or, en l’espèce, le possesseur est celui qui a la maitrise matérielle du bien mais n’a aucun droit à faire valoir dessus. Autre exemple, les actions du ministère public en matière d’état civil pour s’opposer à une mauvaise retranscription à l’état civil. Le ministère public ne dispose d’aucun droit substantiel.

                2) Le droit substantiel sans droit d’action

Une personne peut être titulaire d’un droit substantiel sans pouvoir le défendre en justice parce qu’elle ne dispose pas du droit d’action associé. Par exemple, les obligations naturelles. L’obligation naturelle est un lien de droit entre un créancier et un débiteur qui oblige le débiteur sans pour autant permettre au créancier de recouvrer en justice le paiement de son obligation. Cette obligation naturelle emporte deux conséquences. Si le débiteur paie spontanément, il ne pourra pas réclamer la répétition de son paiement au créancier. En outre, si le débiteur ne paie pas spontanément, il ne pourra pas être contraint à le faire. Les dettes de jeu ou de boisson ainsi que les dettes prescrites sont des obligations naturelles.

Mais il existe une controverse au sujet des dettes prescrites. Selon une conception processualiste, la prescription touche le droit d’action en laissant intact le droit substantiel. Il en résulte que la dette prescrite dégénère en une obligation naturelle. À l’opposé, la conception substantialiste considère que la prescription touche à la fois le droit substantiel et le droit d’action. Par conséquent, il n’y a pas d’obligation naturelle et le créancier ne peut pas conserver le paiement effectué par le débiteur.

L’autonomie du droit substantiel et du droit d’action n’est que relative car le premier peut influencer le régime du second. Le droit d’action est l’accessoire du droit substantiel et, à ce titre, sera parfois impacté par le droit substantiel. Par exemple, le vendeur qui cède son droit de propriété sur un bien cède nécessairement les droits d’action. Selon la conception substantialiste, lorsque la prescription éteint le droit substantiel, le droit d’action s’éteint aussi.

CHAPITRE II : LES CLASSIFICATIONS DES ACTIONS

 

La classification désigne un ensemble de catégories. Le but d’une classification est d’assigner un régime juridique spécifique à chaque catégorie.

SECTION I : Les classifications tenant compte de l’objet du litige

           

                §1. Les classifications tenant compte de l’objet de la demande

Le droit distingue différentes catégories d’action en fonction de la nature du droit substantiel en cause. Ces catégories sont un exemple d’interaction entre le droit d’action et le droit substantiel. La nature du droit d’action suit la nature du droit substantiel.

                                A. La distinction des actions personnelles et des actions réelles

 

                                                1) Les catégories proprement dites : les actions personnelles et les actions réelles

                                                                a) Présentation de la distinction

          La nature de l’action suit la nature du droit substantiel litigieux. Sur le fond, on distingue les droits personnels qui relient deux personnes (droit de créance) et les droits réels qui relient une personne à une chose (droit de propriété). Autrement dit, l’action personnelle est l’action qui vise à la réalisation d’un droit personnel tandis que l’action réelle vise à la réalisation d’un droit réel. Par exemple, l’action qui vise à obtenir la réparation d’un préjudice est une action personnelle là où l’action en revendication d’un bien est une action réelle car elle vise à réaliser le droit de propriété.

La catégorie des actions personnelles est la plus inclusive et la plus ouverte. Ainsi, si un droit ne rentre pas dans la distinction droit personnel et droit réel, l’action visant à défendre ce droit sera rangée dans les actions personnelles. Ainsi l’action qui vise à obtenir la réalisation d’un droit extrapatrimonial est une action personnelle.

                                                                b) Intérêt de la distinction

Cette distinction entre action personnelle et action réelle emporte 3 conséquences. D’abord, en matière d’action personnelle, s’agissant du juge territorialement compétent, le demandeur saisit en principe le juge du lieu où demeure le défendeur (art.42 CPC). En revanche, en matière d’action réelle, le juge compétent est celui du lieu de situation de la chose. En réalité, cette règle ne s’applique qu’aux actions réelles immobilières. Lorsque l’action réelle porte sur un meuble, on considère que le meuble suit la personne qui le détient de sorte qu’on appliquera la compétence de droit commun. Ensuite, s’agissant de la prescription, les actions personnelles sont soumises au droit commun prévu à l’art. 2244 c.civ, aux termes duquel les actions personnelles se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer l’action. À l’opposé, les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans. Enfin, s’agissant des parties au procès, l’action réelle peut être exercée par toute personne détentrice du droit sur la chose à l’encontre de toute personne qui porterait atteinte à ce droit (effet erga omnes des droits réels). À l’opposé, l’action personnelle ne peut être exercée que par le titulaire du droit contre son seul débiteur.

                                                2) La catégorie intermédiaire : les actions mixtes

          L’action mixte est l’action qui tend à la fois à réaliser un droit réel et un droit personnel nés d’une même opération juridique. Cette qualification se rencontre essentiellement en présence de contrats translatifs de propriété qui portent sur un bien immobilier. Dans cette hypothèse, le nouvel acquéreur du bien (cessionnaire) se trouve à la fois pourvu, par le contrat, d’un droit réel sur le bien et d’un droit personnel contre le cédant.

          La première hypothèse est celle dans laquelle l’action tend à obtenir l’exécution d’un acte translatif de propriété. Dans ce cas, le bénéficiaire revendique la propriété de son bien et contraint son cocontractant à s’exécuter. La seconde hypothèse consiste en l’anéantissement d’un acte juridique translatif de propriété. C’est par exemple le cas de l’action en nullité du contrat. Dans ce cas, le demandeur agit pour sanctionner le contrat et pour obtenir la restitution de son bien.

Le seul intérêt de la qualification mixte est d’ouvrir une option de compétence en faveur du demandeur lui permettant de saisir à son choix entre le for du défendeur ou le for du lieu de situation de l’immeuble. Cette catégorie n’exerce aucune influence sur la prescription ou la détermination des parties au procès.

                                B. La distinction des actions mobilières et des actions immobilières
                                                1) Présentation de la distinction

          Comme vu précédemment, la nature du droit d’action suit la nature du droit substantiel litigieux. De façon générale, sur le fond du droit, on distingue deux types de biens que sont les biens meubles (biens qui ne sont pas fixés au sol et peuvent être déplacés) et les biens immeubles (biens fixés au sol et qui ne peuvent être déplacés). L’action mobilière est l’action qui tend à la réalisation d’un droit portant sur un bien meuble (action en paiement d’une somme d’argent, action en revendication d’un bien meuble, etc.). La catégorie des biens mobiliers est la catégorie la plus ouverte et par suite la catégorie des actions mobilières est également la plus ouverte en procédure civile. Si une action porte sur un droit d’auteur (bien mobilier), l’action sera qualifiée de mobilière. On assimile aux actions mobilières, les actions qui sanctionnent les obligations de faire ou de ne pas faire même si elles se rapportent à un immeuble. À l’inverse, les actions immobilières sont les actions qui tendent à réalisation d’un droit immobilier (action en réalisation d’une servitude, d’un usufruit, etc.). Pendant longtemps, cette classification était elle-même divisée entre actions pétitoires qui protègent les droits réels immobiliers et les actions possessoires qui protègent la possession. Cette distinction est historique car les actions possessoires ont été supprimées par la loi du 16 février 2015, étant devenues inutiles. En effet, on leur préfère aujourd’hui l’action en référé. 

          Cette distinction entre action mobilière et action immobilière se combine avec la distinction entre action personnelle et action réelle. Les actions les plus nombreuses sont les actions personnelles mobilières. Par exemple, l’action en paiement d’une somme d’argent est de nature personnelle mobilière. Il peut exister des actions réelles mobilières même si elles sont très rares du fait de l’art.2276 c.civ. Par exemple, la revendication d’un meuble est une action réelle mobilière. Il peut également exister des actions réelles immobilières, comme la revendication d’un immeuble. Enfin, il existe des actions personnelles immobilières. Par exemple, les actions visant à parfaire un acte afin de devenir propriétaire d’un immeuble. Si l’une des parties ne veut pas réitérer son consentement, l’autre peut vouloir la forcer à le faire. Cette action n’est pas de nature réelle car le droit de propriété n’a pas été transféré.

                                                2) Intérêt de la distinction

Cette distinction présente 3 intérêts. Elle permet de déterminer la compétence juridictionnelle, le jeu de la prescription et le titulaire du pouvoir d’agir.

Le premier intérêt est celui du tribunal compétent. Il faut distinguer la compétence territoriale et matérielle. La compétence territoriale est la compétence géographique du tribunal. Les actions mobilières, personnelles ou réelles, relèvent de la compétence du tribunal du domicile du défendeur. Les biens meubles suivent en général la personne qui les détient. À l’inverse, les actions réelles immobilières relèvent du tribunal du lieu de situation de l’immeuble. La compétence matérielle est la compétence du tribunal sur le fond du droit. Cette distinction joue un rôle dans la compétence matérielle des tribunaux. Toutefois, cette distinction a évolué depuis la loi du 23 mars 2019. Avant, les actions immobilières relevaient en principe du TGI. En revanche, les actions mobilières étaient ventilées entre le TI et le TGI selon le montant du litige. Si le litige portait sur un montant supérieur à 10 000€, le TGI était compétent. En dessous, c’est le TI qui était compétent. La loi du 23 mars 2019 a fusionné les TI et TGI au sein du TJ. En apparence, cette fusion devrait faire perdre tout intérêt, en matière de compétence matérielle, à la distinction action mobilière et immobilière. En réalité, cette distinction demeure pertinente en la matière mais pour régler un conflit de compétence au sein du TJ.  En effet, le TJ comporte plusieurs formations en son sein et le législateur a fait le choix de conserver une formation détachée du TJ dans les localités où il n’y avait pas de TGI. Dans une localité qui disposait d’un TI et TGI, aujourd’hui il ne reste que le TJ, compétent pour toutes les actions mobilières et immobilières. Dans une localité qui disposait uniquement d’un TI, il existe une formation détachée appelée chambre/tribunal de proximité, qui a hérité des compétences des tribunaux d’instance (action mobilière inférieure à 10 000€). Ces tribunaux de proximité ne sont que des émanations du TJ, détachées dans d’autres villes.

          L’instauration des chambres de proximité a d’abord permis de conserver la carte judiciaire (maillage territorial), de conserver la proximité du tribunal avec les justiciables. Ensuite, depuis la loi du 23 mars 2019, les conflits de compétence au sein des TJ sont réglés par le tribunal lui-même (art.82-1 CPC). Les parties ne subissent plus le risque d’une incompétence dans ce domaine. 

S’agissant de la prescription, les actions réelles immobilières se prescrivent par 30 ans. À l’inverse, les actions mobilières, personnelles ou réelles, se prescrivent par 5 ans. S’agissant du pouvoir pour agir, en matière immobilière, le représentant du demandeur doit avoir été investi d’un pouvoir spécial. En matière mobilière, un simple pouvoir général suffit.

                §2. Les classifications tenant compte du contexte de la demande

          On s’intéressera aux procédures accélérées. En principe, l’administration de la justice prend un temps très long. L’âge moyen de stock de décisions est de 26 mois en instance et 17 mois en appel. Le contexte oblige parfois à accélérer les choses pour obtenir une réponse rapide. Ces procédures accélérées forment 10% des affaires traitées en matière civile et sont multipliées par le législateur. Il existe deux types de procédures accélérées que sont les actions en référé et les actions au fond.

                                 A. La distinction entre les actions en référé et les actions au fond
                                                1) Les notions d’action en référé et d’action au fond

L’action en référé présente 3 caractéristiques. D’abord, l’action en référé est portée devant un juge spécifique appelé juge des référés. Le juge des référés est une fonction spéciale exercée par un juge unique le plus souvent par le président d’une juridiction. Ensuite, l’action en référé est une procédure accélérée lorsque le contexte l’exige. Elle permet de gérer les situations d’urgence et les conflits qui ne posent pas de difficultés sérieuses. On dit que le juge des référés est le juge de l’urgence et de l’évidence. Enfin, l’action en référé débouche sur une décision qui n’est pas définitive. Le juge des référés est le juge du provisoire car il ne se prononce pas sur le principal (art.484 CPC). Cela signifie que le juge des référés n’a pas le pouvoir de fixer définitivement les droits des parties à l’instance. Il ne peut pas se prononcer définitivement sur l’existence des droits des parties. Par exemple, le juge des référés ne peut pas en principe résoudre un litige portant sur l’existence d’un contrat ou sur l’existence d’un droit à réparation ou trancher un conflit de propriété.

À l’inverse, le juge des référés peut prendre des mesures conservatoires qui ont pour but de conserver un droit. Par exemple, il peut prononcer la suspension d’un contrat qui risquerait de porter atteinte au secret d’affaires d’une entreprise tiers au contrat.  Le juge des référés peut aussi enjoindre les parties à poursuivre l’exécution d’un contrat pendant une durée déterminée. Par exemple, une ordonnance du juge des référés avait suspendu la résiliation d’une police d’assurance car cela causait un préjudice à l’autre partie qui n’avait pas eu le temps de souscrire une nouvelle police. Enfin, il peut ordonner la remise à l’état d’un local, la destruction de travaux, la consignation d’une somme d’argent ou prononcer la censure de passages d’un livre.

          Le juge des référés peut également prendre des mesures tendant à assurer l’exercice légitime d’un droit lorsque son existence n’est pas sérieusement contestable. Par exemple, il peut ordonner l’exécution d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable. Il peut aussi prendre des mesures visant à sanctionner un débiteur qui ne s’est pas exécuté, en prononçant, par exemple, la résolution du contrat. Enfin, le juge des référés peut ordonner des mesures d’expulsion d’un bien.

Si, en principe, les pouvoirs du juge des référés sont limités en contrepartie de sa célérité parce qu’il est le juge du provisoire, dans certains cas, on se demande s’il n’a pas plus de pouvoirs que le juge du fond. En effet, le juge des référés appréhende le litige dans un certain contexte (urgence, évidence), il prend des mesures par nature précaires. Tout cela invite, dans certains cas, à permettre au juge des référés de prendre des mesures que le juge du fond ne pourrait pas prendre. Par exemple, la mesure de poursuite de l’exécution du contrat. Le juge des référés peut autoriser le propriétaire à pénétrer sur le fonds voisin pour effectuer les réparations d’un ouvrage séparatif en cas de péril imminent (servitude de tour d’échelle). Or, sur le fond du droit, la Cour de cassation refuse de reconnaitre un tel droit de servitude.

L’action au fond n’est pas une mesure accélérée mais débouche sur une décision définitive. Il existe une catégorie intermédiaire entre ces deux actions que sont les procédures accélérées au fond qui permettent de trancher le fond du droit dans des délais réduits et qui ne peuvent être mises en œuvre que si la loi les a prévues.

                                                2) L’articulation des actions en référé et des actions au fond

                                                                a) Les cas d’ouverture de l’action en référé

          Le recours au juge des référés se justifie par un certain contexte et est plus limité. Il faut entrer dans une des hypothèses prévues par la loi pour agir en référé. On étudiera les cas généraux d’ouverture de l’action en référé.

 

Le premier cas d’ouverture repose à la fois sur l’urgence et sur l’évidence (art.834 CPC) en vertu duquel les justiciables peuvent saisir le juge des référés pour qu’il ordonne des mesures justifiées par l’urgence et qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse. L’urgence n’est pas définie par la loi et renvoie à ce qui ne peut pas attendre, c’est un standard juridique qui laisse une grande marge de manœuvre au juge. La Cour de cassation n’exerce pas son contrôle sur le caractère urgent ou non de l’action dont le juge est saisi de sorte que l’urgence relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. L’absence de contestation sérieuse est une condition cumulative avec l’urgence. Il y a contestation sérieuse dès lors que le défendeur en référé invoque un argument pertinent sur le fond du droit. Par exemple, la mise en œuvre d’une clause résolutoire peut être tenue en échec en invoquant la nullité de la clause ou un cas d’exonération.

          Le dommage imminent et le trouble manifestement illicite sont prévus à l’art.835 CPC, aux termes duquel le juge des référés peut prononcer toutes les mesures conservatoires.  Ce cas d’ouverture est double et renvoie à deux hypothèses distinctes. D’une part, le juge des référés peut prendre une mesure pour éviter la réalisation d’un dommage. Par exemple, une injonction d’assurer un service minimum à une clinique dont les salariés sont en grève. Par ailleurs, le juge peut prendre toute mesure pour faire cesser un trouble déjà existant et manifestement illicite. Le juge peut alors prononcer des mesures d’expulsion d’un occupant sans titre ou censurer certains passages d’un livre. Ce deuxième cas d’ouverture se rapproche du premier mais s’en distingue car il n’est pas soumis à la condition d’absence de contestation sérieuse. L’idée est que ce cas d’ouverture traite d’un cas d’urgence renforcée.

          Le référé-provision ou référé-injonction (art.835, al.2 CPC). Dans les deux cas, ce référé permet au juge des référés d’ordonner l’exécution d’une obligation lorsque son existence n’est pas sérieusement contestable. Lorsque l’obligation en cause est une obligation de payer une somme d’argent, on parle de référé-provision. Le juge peut accorder le montant total des sommes dues mais aussi une somme moindre. Lorsque l’obligation est une obligation de faire ou de ne pas faire, on parle de référé-injonction. Ce référé n’est pas fondé sur l’urgence mais sur l’évidence, d’où l’unique condition posée par le texte : l’existence de l’obligation ne doit pas être sérieusement contestable. L’intérêt est de permettre au créancier d’obtenir l’exécution de l’obligation par le débiteur. L’inconvénient de cette procédure est que le juge des référés ne peut pas trancher le litige au principal et ne peut pas trancher définitivement la question de l’existence du droit du créancier. Par exemple, dans le contexte du Covid, les bailleurs commerciaux ont saisi le juge des référés pour obtenir le paiement des loyers. Les locataires leur ont opposé la force majeure, l’exception d’inexécution, l’imprévision et les juges ont considéré ces arguments comme des contestations sérieuses.  Contrairement au critère de l’urgence, la Cour de cassation contrôle le caractère sérieux de la contestation.

Le référé probatoire (référé-expertise ou référé 145) est en pratique l’un des référés les plus importants. Environ 1/3 des actions sont des référés probatoires. L’art.145 CPC dispose que s’il existe un motif légitime de conserver et d’établir avant tout procès les preuves de fait dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à tout intéressé sur requête ou sur référé. Ce référé permet au demandeur d’obtenir une mesure d’instruction in futurum (en vue d’un procès futur). Le demandeur demande le plus souvent une expertise, qui viserait à obtenir l’origine d’un sinistre ou à évaluer la gestion d’une entreprise. Mais ce référé permet aussi d’obtenir un constat de la part d’un technicien du droit, d’un commissaire de justice.  On peut demander la production d’une pièce au défendeur dont on sait qu’il la détient (par exemple un SMS pour établir un adultère, des documents comptables pour établir une fraude).

Il résulte de l’art.145 CPC trois conditions à la mise en œuvre du référé probatoire. En premier lieu, le juge ne peut prononcer que des mesures d’instruction légalement admissibles pour conserver ou établir un fait. Les mesures doivent être légalement admissibles et doivent tenir compte des intérêts du défendeur ou du tiers qui fait l’objet de la mesure d’instruction. La JP exige notamment que la mesure d’instruction ait un objet précis, ce qui exclut toute mesure d’instruction générale. Cet article n’offre pas un droit d’inquisition sur la partie adverse. Il s’ensuit que l’article répond à un besoin particulier et précis. D’une part, le demandeur doit savoir la nature du procès qu’il envisage et, d’autre part, la nature des preuves ou des mesures d’instruction dont il a besoin. Si ces conditions sont remplies, l’art.145 CPC est un instrument particulièrement efficace pour obtenir une preuve. La Cour de cassation considère que l’éventuelle atteinte à la vie privée ou au secret d’affaires ne permet pas d’exclure automatiquement les mesures de l’art.145 CPC. Ensuite, les mesures doivent viser à conserver ou établir un fait. Elles ont une finalité exclusivement probatoire. Ainsi, l’article ne permet pas de demander au juge d’évaluer les chances de succès du futur procès. Pareillement, il ne peut pas servir à tenter d’obtenir une conciliation avec le défendeur. Enfin, l’article ne peut pas servir à reconstituer le patrimoine du débiteur pour savoir s’il est solvable.

En deuxième lieu, les mesures doivent être intentées avant tout procès. Dès lors qu’une procédure a été intentée au fond, on ne peut plus recourir à l’art. 145 CPC. Il faudra alors s’adresser à la juridiction de fond saisie.

En troisième lieu, le demandeur doit faire valoir un motif légitime. Cette condition a pour but de vérifier le degré de sérieux de la demande. D’une part, les faits allégués doivent être vraisemblables. En d’autres termes, la situation que présente le demandeur doit être plausible. Il est interdit au juge de suppléer la carence des parties au niveau de la preuve. Néanmoins, la Cour de cassation n’exige pas la démonstration d’un commencement de preuve. D’autre part, la mesure doit être pertinente par rapport au procès à venir. Cela signifie qu’elle doit permettre de résoudre le litige potentiel projeté par le demandeur. La preuve qu’on cherche à obtenir doit constituer un argument juridique pertinent dans la perspective du procès à venir. À l’inverse, le juge devra refuser d’ordonner la mesure d’instruction demandée. Par exemple, si le procès projeté est relatif au dol, il n’est pas pertinent de demander au juge de faire la preuve d’une faute involontaire car le dol repose nécessairement sur un élément intentionnel. Cette condition pose la question de savoir si la mesure peut être refusée lorsque le procès projeté n’a aucune chance d’aboutir. En principe, le référé probatoire ne doit pas conduire à une appréciation au fond de l’affaire. Néanmoins, dans certains cas, il peut paraitre inutile d’ordonner une mesure lorsque le procès n’a véritablement aucune chance d’aboutir. La Cour de cassation a pu admettre que le juge des référés refuse de faire droit à la mesure d’instruction lorsque les prétentions étaient manifestement irrecevables. Par exemple, lorsqu’elles étaient manifestement prescrites ou qu’elles ont fait l’objet d’une transaction. En revanche, s’agissant du bien-fondé des prétentions, la Cour de cassation interdit que le juge des référés refuse d’ordonner la mesure.

                                                                b) L’option entre l’action en référé et l’action au fond

Si le justiciable remplit les conditions pour agir à la fois au fond et en référé peut-il choisir l’action qu’il va intenter ? La conception libérale conduit à considérer que le procès est la chose des parties, ce dont il résulte qu’elles sont libres de choisir le mode de règlement de leur différend. Sur le fondement de cette approche libérale, il en résulte que les parties disposent d’une option entre le juge des référés et le juge du fond. D’abord, le recours au juge des référés est facultatif. La Cour de cassation casse les décisions des juges du fond qui obligent les parties à recourir au juge des référés. À l’inverse, le recours au juge du fond est également facultatif. Les parties peuvent se contenter de recourir au juge des référés. Il est possible qu’il n’y ait pas de litige au fond.

          Il faut distinguer la décision provisoire et la décision temporaire. La décision du juge des référés n’est pas limitée dans le temps et peut ne jamais être remise en cause. En d’autres termes, elle peut être définitive. Elle est dite « provisoire » en raison de sa précarité dans la mesure où elle peut être remise en cause par les juges du fond. Le caractère facultatif du recours au fond est un principe qui souffre quelques exceptions très spécifiques.

                                                                c) Le cumul entre l’action en référé et l’action au fond

          Comme vu précédemment, les parties peuvent cumuler les deux actions. En principe, le justiciable peut saisir à la fois le juge des référés ou le juge du fond pour obtenir une décision définitive. Par exception, il y a des hypothèses où ce cumul peut poser des problèmes notamment lorsque le juge du fond a été saisi en premier. En ce cas, il peut arriver que le justiciable ne soit plus autorisé à saisir le juge des référés. En effet, le juge du fond dispose des mêmes prérogatives que le juge des référés. C’est le cas lorsque la procédure au fond débouche sur la désignation d’un juge de la mise en état. Une autre exception est celle du référé probatoire qui ne peut être intenté qu’avant tout procès.

                                B. La distinction entre les actions en référé et les actions sur requête
                                                1) Présentation de la distinction

De façon générale, la requête désigne un mode de saisine du tribunal. C’est le seul mode de saisine possible en matière de procédure gracieuse. Elle peut être exercée conjointement par les deux parties (requête conjointe). La requête conjointe ne peut pas faire l’objet d’une procédure accélérée. À l’inverse, la requête unilatérale est exercée par le seul demandeur et peut donner lieu à une procédure accélérée.

          Sous l’angle des procédures accélérées, l’adversaire n’est pas appelé à la procédure. L’action sur requête permet d’agir dans le dos de l’adversaire. C’est notamment le cas pour les procédures de divorce ou les procédures de saisie. En effet, l’efficacité de la mesure est conditionnée à son caractère secret, d’où l’effet de surprise.

          L’action en référé se déroule en présence de l’adversaire tandis que l’action sur requête se déroule en l’absence de l’adversaire. Le référé débouche sur une décision provisoire et contradictoire alors que l’action sur requête débouche sur une décision provisoire non- contradictoire du fait de l’absence de l’adversaire. L’art.493 CPC précise que l’ordonnance est une décision provisoire. Le juge des référés rend une ordonnance de référé tandis que le juge saisi d’une requête rend une ordonnance sur requête. Excepté cette différence, les deux actions sont très proches.

                                                2) Enjeux de la distinction

          La notion d’action sur requête soulève deux enjeux théoriques. Le premier enjeu a trait à l’absence de caractère contradictoire de la procédure et déroge au principe cardinal du contradictoire qui vise à s’assurer que les parties ont pu faire valoir leurs arguments devant le juge. À cet égard, la procédure sur requête sera encadrée.

D’abord, le procédure sur requête est nécessairement exceptionnelle. L’art.845 CPC prévoit deux cas d’ouverture. Le premier cas a trait à l’urgence. En dehors de l’urgence, il faut nécessairement une disposition légale expresse. Par exemple, l’art.145 CPC prévoit la possibilité d’ordonner une mesure d’instruction en référé ou sur requête. L’art.1136-3 CPC ouvre un cas de requête pour ordonner des mesures de protection contre les violences conjugales.

Ensuite, le défendeur peut exercer un recours contre l’ordonnance sur requête. En effet, le législateur lui ouvre un recours spécifique pour rétablir le contradictoire (art.17 CPC). Ce recours ouvert au défendeur contre l’ordonnance sur requête est un référé sur requête ou référé-rétractation. Ce recours permet de légitimer la procédure sur requête. On parle parfois de contentieux inversé parce que la procédure normale implique de d’abord discuter les demandes avant que le juge ne prenne une décision. Or, dans cette procédure, le juge prend une décision puis les parties discutent du bien-fondé de sa décision. Par conséquent, ce référé- rétractation n’est ouvert qu’en faveur de l’adversaire ET seulement si la requête a été acceptée par le juge.

Enfin, il faut déterminer la nature de la procédure sur requête. Cette procédure est-elle contentieuse ou gracieuse ? Cette qualification a moins d’impact car cette procédure fait l’objet de règles spéciales. D’un côté, elle présente certains traits communs avec les procédures gracieuses. De façon générale, la requête est le seul acte qui permet d’introduire un recours gracieux. En l’absence de l’adversaire, on peut considérer qu’il n’y a pas de litige. Or, une procédure sans adversaire est une procédure gracieuse. Mais, même si l’adversaire n’est pas appelé à la procédure, il est vraisemblable qu’il s’oppose à la mesure demandée par le demandeur. En réalité, la procédure sur requête repose sur un litige latent.

SECTION II : Les classifications tenant compte des sujets du litige

                §1. La distinction entre l’action publique et l’action privée

L’action publique est une action initiée par une personne publique et vise à défendre l’intérêt général. En procédure civile, cela renvoie à l’action intentée par le ministère public au nom de la société. Néanmoins, on peut imaginer d’autres acteurs que le parquet. Par exemple, le ministre de l’Économie peut agir en matière de pratiques anticoncurrentielles. L’action privée désigne l’action initiée par une personne privée pour défendre son intérêt. Cette distinction n’a pas beaucoup d’intérêt en procédure civile. En effet, cette discipline met essentiellement en cause des intérêts privés. On restreint l’action du ministère public car l’État n’a pas à s’ingérer dans les affaires privées.

D’une part, le ministère public peut agir en tant que partie principale au procès. Dans ce cas, son action est véritablement encadrée. Il existe deux cas d’ouverture à l’action publique. En premier lieu, le ministère public peut agir dans les cas prévus par la loi (art.422 CPC). Par exemple, dans les actions qui intéressent la nationalité, pour certaines causes de nullité du mariage ou dans le contentieux de la filiation. Parfois, le parquet dispose de pouvoirs concurrents de personnes privées (par exemple en cas de contestation du mariage). D’autres fois, il est le seul à pouvoir agir, c’est le cas en matière de nationalité. En second lieu, en dehors des cas prévus par loi, le ministère public doit établir que son action vise à défendre l’ordre public. Le juge contrôlera que le parquet agit bien en ce sens.

D’autre part, le ministère public peut se contenter d’intervenir comme partie jointe pour donner son avis sur l’interprétation de la loi. Il peut alors intervenir plus librement que comme partie principale.

Le régime de l’action publique est calquée sur le régime de l’action privée pour respecter le principe d’égalité des armes.

 

                §2. La distinction entre l’action individuelle et l’action collective

          La distinction concerne le contentieux de masse. Normalement, un procès se déploie à « taille humaine », il ne concerne que quelques individus. Mais de plus en plus, certaines pratiques peuvent frapper un plus grand nombre d’individus. Lorsqu’un litige concerne un grand nombre de personnes, les procédures ordinaires ne sont pas nécessairement adaptées pour gérer ce contentieux de masse.  D’où la création de procédures spécifiques qui visent à appréhender les spécificités de ce contentieux de masse, appelées recours collectifs.

                                A. Définition des recours collectifs

          Il faut distinguer les recours collectifs et les recours qui visent à défendre un intérêt collectif. Le recours collectif est celui qui vise à appréhender le contentieux de masse, à défendre une multitude d’intérêts individuels. L’action de groupe est un exemple de recours collectif par excellence. À l’inverse, le recours qui vise à défendre un intérêt collectif n’a rien à voir avec le contentieux de masse. Ces recours ne visent pas à défendre une multitude d’intérêts individuels mais visent à défendre un intérêt collectif qui ne s’incarne pas dans des intérêts individuels. Par exemple, certaines actions visent à défendre des droits environnementaux. Autre exemple, en droit de la consommation, les associations de défense de consommateurs disposent d’un arsenal d’actions pour défendre les consommateurs. Certaines actions sont soumises à la preuve que l’intérêt collectif des consommateurs a été atteint. Mais d’autres actions notamment l’action de groupe ne sont pas soumises à cette exigence de preuve.

                                B. Enjeux des recours collectifs

          Bien souvent, les justiciables n’agissent pas. On souhaite alors les inciter à agir. C’est particulièrement le cas en droit de la consommation. D’un côté, les consommateurs ne subiront souvent qu’un faible préjudice et leur intérêt à agir est faible pour supporter la pénibilité du procès de sorte qu’ils y renoncent. Mais d’un autre côté, le professionnel est encouragé à continuer sa pratique, il a intérêt à violer la loi. Le premier enjeu de ces recours collectifs est de trouver un moyen pour contourner l’inertie des justiciables. Il y a un risque de dénaturer le procès civil, qui n’est pas censé servir de sanction. Ensuite, les juridictions ne sont pas forcément adaptées pour traiter des recours collectifs. On craint l’engorgement des tribunaux qui risquerait d’être facilité par le fait que les professionnels du droit sont financièrement très intéressés par ces recours. On craint les dérives qu’a connu le système américain, dans lequel les procès ont été multipliés.

Enfin, on craint que ces mesures ne soient néfastes pour le développement des entreprises. Dans les pays qui disposent de recours collectifs efficaces, il y a un risque que ce recours constitue un moyen de chantage pour les forcer à transiger même si elles ont raison sur le fond.

                                C. Régimes des recours collectifs

          En droit français, le législateur a tâtonné et tâtonne encore pour trouver le régime satisfaisant pour traiter ce recours collectif. Les premiers mécanismes proposés sont la technique du mandat. C’est l’action en représentation conjointe qui existe toujours dans notre droit mais qui n’a pas fonctionné. En effet, elle obligeait les associations d’obtenir un mandat exprès auprès des victimes pour pouvoir agir en justice en leur nom. Cet échec a conduit le législateur à rechercher d’autres mécanismes plus performants à l’étranger notamment les class actions. S’inspirant de ce modèle dans une nouvelle tentative de résoudre le contentieux de masse, le législateur a consacré en 2014 une nouvelle voie judiciaire appelée action de groupe. La loi Hamon s’est contentée d’introduire une action de groupe en droit de la consommation. Cependant, la loi J21 du 18 novembre 2016 a étendu l’action de groupe au-delà du droit de la consommation.  Par ailleurs, une directive visant à harmoniser les recours collectifs en Europe a été élaborée en 2020 mais n’a pas encore été transposée en France alors même que le délai de transposition est dépassé depuis décembre 2022.

                                                1) L’action de groupe en droit de la consommation

                                                                a) Le fonctionnement de l’action de groupe

De façon générale, il existe plusieurs modèles d’action de groupe. On distingue le modèle de l’opt-in (faculté d’entrer dans le groupe) et le système de l’opt-out (faculté de sortir du groupe). Dans l’opt-in, le groupe ne sera constitué que des seules personnes qui ont explicitement adhéré au groupe. Si l’action aboutit, le professionnel ne réparera que le préjudice des personnes qui se sont manifestées. Ce premier modèle ne lutte pas assez efficacement contre l’inertie des justiciables. Dans l’opt-out, les victimes sont incluses par défaut dans le groupe et peuvent en sortir en manifestant leur volonté. Dans ce système, le professionnel peut être amené à réparer des préjudices pour des victimes qui ne se sont pas manifestées, ce qui pose la question des sommes qui n’ont pas été réclamées par les victimes. Généralement, ces sommes sont affectées à un but d’intérêt général. Ce

système lutte contre l’inertie des justiciables mais fait craindre un engorgement des tribunaux et un risque trop grand sur les entreprises. 

Le législateur français a essayé d’hybrider les deux modèles. La première étape vise à obtenir un jugement sur le principe de la responsabilité de l’entreprise. Dans cette première phase, l’action de groupe ressemble davantage à un système d’opt-out. Au cours de cette phase, l’association peut se contenter de présenter plusieurs cas individuels, sans avoir besoin de présenter tous les cas pertinents. Le juge se prononcera sur la responsabilité de l’entreprise, le groupe de consommateurs concerné (achat de tel produit de telle date à date) et fixe les préjudices susceptibles d’être réparés. S’ensuit une seconde phase de liquidation dans laquelle le professionnel doit mettre en œuvre le jugement. Dans cette seconde phase, les consommateurs doivent se manifester pour obtenir l’indemnisation. Cette phase peut générer des difficultés et le juge sera amené à trancher les contestations qui peuvent naître de la mise en œuvre du juge jugement.

Quand tous les consommateurs sont identifiables et qu’on peut penser qu’ils ont subi un préjudice semblable, il existe une procédure simplifiée qui permet de se passer de la phase de liquidation.

         

                                                                b) Le domaine de l’action de groupe

Par peur de consacrer trop largement l’action de groupe, pour éviter de pénaliser trop fortement les entreprises, le domaine est limité à plusieurs niveaux.

S’agissant des personnes concernées, seules des associations de défense des consommateurs agréées et représentatives au niveau national peuvent exercer l’action de groupe. En limitant les titulaires de l’action, on espère limiter le nombre d’actions de groupe. De plus, on cherche à éviter les dérives à l’américaine. Aux États-Unis, les avocats sont les seuls titulaires de la class action. S’agissant des victimes, seuls les consommateurs sont protégés à l’exclusion des professionnels concurrents.

S’agissant du préjudice réparable, les associations ne peuvent demander que la réparation des préjudices patrimoniaux résultant de dommages matériels. Cela exclut toute demande autre que la réparation d’un préjudice comme l’annulation d’un contrat, la cessation d’une pratique illicite…Cela exclut également les préjudices moraux (anxiété, réputation, etc.). Enfin, cela exclut les dommages corporels, qui nécessitent des actions individuelles ou une autre action de groupe.

S’agissant des pratiques incriminées, l’action de groupe vise à réparer le préjudice résultant de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service d’un professionnel au consommateur. On ajoute en 2018 la location immobilière qui avait fait l’objet d’une exclusion par la JP. L’action de groupe permet aussi de réparer les préjudices issus de pratiques anticoncurrentielles qui sont des pratiques très précises.

                                                2) Les autres actions de groupe

          La loi J21 a étendu le domaine des actions de groupe aux dommages corporels liés à des produits de santé, aux dommages environnementaux, à la protection des données personnelles et à la lutte contre les discriminations sur les lieux de travail. Ces actions peuvent avoir pour objet d’obtenir la cessation de pratiques illicites contrairement à l’action de groupe en droit de la consommation.

          Le bilan des actions de groupe à la française est un peu décevant. Le rapport du Sénat a recensé de 2014 à 2022 seulement 21 actions de groupe sans qu’aucune entreprise ne voit sa responsabilité engagée. Sur le plan amiable, on ne trouve qu’un seul accord ayant conduit à indemniser les consommateurs.

TITRE II : LE RÉGIME DE L’ACTION EN JUSTICE

          Il s’agit de traiter des règles qui régissent l’action en justice en général. Jusqu’à présent, nous avons vu des règles spéciales notamment en matière de référé, d’action de groupe. Dans ce titre, il sera questions des règles générales.  

La première étape concerne les règles qui visent à déterminer les conditions d’existence du droit d’agir. Dans un second temps, on étudiera les règles qui déterminent les modalités d’exercice du droit d’agir.

CHAPITRE I : L’EXISTENCE DE L’ACTION

          L’action est le fondement de la recevabilité des prétentions. La titularité du droit d’agir emporte recevabilité des prétentions tandis que le défaut du droit d’agir emporte irrecevabilité des prétentions. Les règles relatives à l’exercice de l’action régissent l’existence du droit d’agir et permettent de déterminer si les prétentions sont recevables ou non. Dans l’idéal, le juge devrait examiner toutes les prétentions que les plaideurs lui soumettent. Mais cette vision est idéalisée car en réalité il n’en est rien. En effet, le juge devra faire un tri car, d’une part, toutes les prétentions ne sont pas légitimes en ce sens qu’elles ne méritent pas d’être examinées pour défaut de sérieux ou pour mauvaise formulation, et, d’autre part, il n’a pas le temps d’examiner toutes les prétentions (le service public est limité) pour ne pas engorger les tribunaux. Il en résulte qu’il faudra faire le tri parmi les prétentions recevables et irrecevables en fonction du droit d’agir.

          Pour examiner la recevabilité des prétentions, l’on pourrait recourir à des cas d’ouverture et les justiciables doivent rentrer dans ces cas. Historiquement, en droit romain, la procédure des actions de la loi reposait sur la méthode des cas d’ouverture. On pourrait utiliser des critères généraux permettant dans tous les cas de savoir si le demandeur dispose d’un droit d’agir ou non. Ce sont ces critères qui seront retenus.

          A priori, le seul critère pour que les prétentions soient recevables est celui de l’intérêt à agir. L’art.31 CPC dispose que « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Mais en réalité, il n’en est pas ainsi car l’intérêt à agir dépendra de plusieurs critères. En particulier, l’intérêt à agir comportera trois facettes. D’abord, l’intérêt à agir dépend des parties (ratione personae) au procès en ce qu’il doit être direct et personnel. Ensuite, il dépend du contenu des prétentions (ratione materiae) en ce qu’il doit être sérieux et légitime. Enfin, il dépend de la date à laquelle il est exercé (ratione temporis) en ce qu’il doit être né et actuel.

SECTION I : L’intérêt direct et personnel (intérêt à agir ratione personae)

Cette première condition qui tient à l’intérêt direct et personnel concerne les parties au procès. Il s’agit de déterminer qui sont les parties légitimes au procès. Le demandeur est le titulaire légitime de l’action tandis que le défendeur est le destinataire légitime de l’action. Si la prétention n’est pas soulevée par la bonne personne ou est dirigée contre la mauvaise personne, elle sera irrecevable. Le procès vise à résoudre les conflits dans la société et, à ce titre, il doit mettre en cause les bonnes personnes de sorte que le juge puisse s’adresser aux bonnes personnes.

                §1. Le demandeur légitime (auteur de la prétention)

                                A. Les principes

          Le principe qui gouverne la procédure civile en la matière est que chacun doit se mêler de ses affaires et qu’inversement il ne faut pas se mêler des affaires d’autrui. La procédure civile prône un égoïsme processuel car seules les actions du demandeur intentées dans son intérêt personnel seront examinées par le juge. C’est la raison pour laquelle l’intérêt à agir doit être direct et personnel. Concrètement, le demandeur doit agir pour lui-même pour défendre un intérêt individuel.

                                                1) L’intérêt à agir pour soi-même

          En procédure civile, on ne peut agir que pour soi-même. Seules les prétentions faites par le demandeur dans son intérêt personnel sont recevables. D’où l’adage « nul ne plaide par procureur ». Concrètement, il est interdit de s’ériger unilatéralement comme le défenseur des intérêts d’autrui. Comment déterminer si le demandeur défend ses intérêts ou ceux d’autrui ? Pour le savoir, il faut identifier le bénéficiaire de l’action. Si le demandeur tire un avantage de l’action, il dispose d’un intérêt direct et personnel à agir. À l’inverse, s’il ne bénéficie aucunement de l’action, il est réputé agir pour autrui, auquel cas ses prétentions seront déclarées irrecevables.

          Le demandeur bénéficie personnellement de l’action lorsqu’il en tire un bénéfice patrimonial. Chaque personne est légitime à défendre son patrimoine. Si le demandeur agit pour revendiquer un bien dont il est propriétaire, il bénéficie de l’action et à ce titre il dispose du droit d’agir. S’il est créancier, il aura intérêt à agir pour recouvrer sa créance. Le demandeur peut également tirer un bénéfice extrapatrimonial de l’action lorsque cela touche à son statut personnel. Celui qui cherche à établir un lien de filiation entre lui-même et une autre personne a un enjeu extrapatrimonial et aurait intérêt à agir. De plus, les époux sont légitimes pour agir et demander le divorce, contester la validité du mariage parce que cela touche à leur statut personnel. Autre exemple, celui qui cherche à défendre en justice son état civil (contestation du refus de retranscription) a un intérêt à agir car il défend son statut personnel. Ce critère de l’intérêt à agir s’apprécie à la fois pour les personnes physiques et les personnes morales (association, entreprise).

          Le demandeur ne tire aucun bénéfice patrimonial ni extrapatrimonial lorsqu’il défend le patrimoine ou le statut personnel d’autrui. Une société mère n’a pas intérêt à agir pour obtenir le paiement d’une obligation dont l’une de ses filiales serait créancière. Une telle action est irrecevable car les deux entités sont distinctes. Un associé ne peut pas en principe agir pour défendre le patrimoine de la société dont il est membre car il y a deux entités juridiques distinctes avec des patrimoines distincts. En principe, une telle action sera déclarée irrecevable. Un locataire ne peut agir pour revendiquer un bien pour le compte de son propriétaire. A fortiori, il ne pourra pas agir pour défendre le statut personnel d’autrui.

          Néanmoins, ce qui est interdit par l’adage est le fait de s’ériger unilatéralement comme le défenseur d’autrui. À l’inverse, il est possible d’être investi conventionnellement ou légalement du pouvoir d’agir pour autrui. La représentation existe en procédure civile car il est possible de donner mandat à quelqu’un. De plus, ce qui est interdit c’est le fait de se mêler des affaires d’autrui pour défendre les affaires d’autrui mais on peut se mêler des affaires d’autrui pour défendre ses propres intérêts. Le demandeur d’une action en contestation de filiation peut défendre son statut personnel en s’immisçant dans des affaires d’autrui. De même, un héritier peut contester une filiation pour avoir la plus grosse part dans l’héritage.

                                                2) L’intérêt individuel à agir

          L’intérêt individuel à agir légitime le droit d’agir pour un intérêt individuel et non un intérêt collectif. En principe, l’intérêt à agir s’incarne dans des individus (personnes juridiques) identifiables et dont les intérêts en cause sont déterminables et individualisables. Le but est d’interdire les actions popularistes en ce qu’elles visent à défendre l’intérêt général et les intérêts catégoriels (consommateurs, malades…). Ces actions sont en principe rejetées pour cause d’irrecevabilité car la procédure civile se méfie des personnes qui s’érigent en défenseurs de nobles causes. À titre d’illustration, la Cour de cassation a jugé qu’une personne ne pouvait, au nom de l’intérêt général de la surveillance et du bon usage des deniers publics, agir en justice contre une vente réalisée par l’État de sorte que ses prétentions étaient irrecevables. Autre exemple, une personne qui agit contre une clinique pour défendre l’intérêt catégoriel des malades en général ne dispose pas d’un intérêt à agir de sorte que le juge rejettera sa demande.

                                B. Les exceptions

Normalement, le critère de l’intérêt à agir devrait être un critère nécessaire et suffisant. Par exemple, le législateur ajoute un deuxième critère qui se substitue à celui de l’intérêt à agir : la qualité pour agir. La qualité pour agir est un titre juridique donné par la loi ou la jurisprudence qui permet à son bénéficiaire d’agir en justice. La question n’est plus de savoir si le demandeur a intérêt pour agir mais s’il est investi par le législateur ou la jurisprudence d’un droit d’agir. La qualité pour agir est une manière de désigner, expressément et indépendamment de leurs intérêts, ceux qui peuvent agir en justice. C’est le résultat d’un interventionnisme législatif ou jurisprudentiel sur les titulaires du droit d’agir. Certaines exceptions permettent de restreindre le droit d’agir, auquel cas seules les personnes désignées peuvent agir à l’exclusion des autres. Inversement, la qualité pour agir peut étendre le droit d’agir.

                                                1) Les restrictions au droit d’agir

La qualité pour agir permet de limiter l’accès aux tribunaux même à ceux qui disposent d’un intérêt pour agir. Elle a pour effet de réserver l’action à certaines personnes qui paraissent plus légitimes que d’autres en leur conférant un monopole. Il faut distinguer les actions banales et les actions attitrées.

Les actions banales désignent les actions ouvertes à toute personne intéressée. À l’inverse, les actions attitrées désignent les actions réservées aux personnes qui ont un titre juridique pour agir. La distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues permet d’illustrer ce propos.  La nullité relative a pour objet la sauvegarde des intérêts particuliers (vices du consentement) tandis que la nullité absolue a pour but de sauvegarder l’intérêt général. Les causes pour illicéité de l’objet (indice illicite) intéressent davantage l’intérêt général et sont sanctionnées par la nullité absolue. À l’inverse, l’action en nullité relative, en ce qu’elle vise à protéger des intérêts particuliers, sera réservée aux personnes protégées par la loi. Seule la personne qui a subi le vice du consentement peut agir sur le fondement de la nullité relative. La nullité relative est une action attitrée. S’agissant de la nullité absolue, la loi ne vise pas la protection particulière de certains individus de sorte qu’elle est ouverte à toute personne intéressée. La nullité absolue est une action banale. La nullité relative est une action attitrée tandis que la nullité absolue est une action banale.

Les actions en matière de filiation permettent d’illustrer cette distinction. Les actions en recherche de paternité sont réservées à l’enfant. Ces sont des actions attitrées. De même, lorsque la possession d’état est conforme au titre, l’action en contestation de la filiation ne peut être intentée que par l’enfant, l’un des père et mère ou celui qui se prétend parent de l’enfant.  Lorsque la possession d’état n’est pas conforme au titre, l’action en contestation de la filiation peut être engagée par toute personne intéressée et devient une action banale.

          L’introduction de ces critères de restriction s’explique pour deux raisons. D’une part, elles permettent de limiter l’engorgement des tribunaux (donc moins d’actions). D’autre part, ces restrictions permettent de tenir compte, dans certains cas, des liens étroits entre les personnes et les droits dont elles sont titulaires. Les droits qui relèvent de l’intuitus personae sont éminemment personnels. Par exemple, l’action en divorce ne peut être exercée par un tiers.

Le régime de l’action attitrée suppose trois remarques. En principe, d’abord, elles doivent être consacrées par la loi mais la JP pallie les lacunes de la loi. Ensuite, elles concernent tant le demandeur que le défendeur. Enfin, elles jouent à tous les stades de la procédure.

                                                2) Les extensions du droit d’agir

                                                                a) La notion d’habilitation à agir

          La notion d’habilitation à agir n’est pas facile car elle soulève la question de la représentation. La représentation est un mécanisme juridique qui permet à une personne (le représentant) d’agir pour le compte d’une autre personne (le représenté). En effet, il existe différents types de représentation. L’habilitation à agir n’est qu’un type de représentation parmi d’autres. Il faut distinguer la représentation à l’action (représentation ad agendum) de la représentation à l’instance (représentation ad litem).

          La représentation ad agendum désigne le mécanisme par lequel une personne exerce le droit d’agir pour le compte d’autrui. Le représentant à l’action est celui qui met en œuvre le droit d’action à la place du représenté. Par exemple, le cas de l’enfant mineur qui est représenté par ses parents dans le cadre d’une action en justice.

La représentation ad litem désigne le mécanisme par lequel une personne réalise des actes de procédure pour le compte d’autrui.  En règle générale, c’est l’avocat qui rédige les actes de procédure. L’habilitation à agir concerne davantage la représentation à l’instance que la représentation à l’action.

Il faut distinguer l’habilitation à agir du pouvoir pour agir. L’habilité à agir est celui qui dispose d’une habilitation à agir et agit pour le compte d’autrui mais en exerçant un droit d’action qui lui est propre. Celui qui exerce une telle action devient une partie à part entière au procès et les conditions de recevabilité de son action seront examinées à l’aune de son action. Par exemple, l’action du ministre de l’Économie en vue défendre les professionnels qui ont subi des pratiques restrictives de concurrence. Le ministre de l’Économie dispose d’un droit qui lui est propre. La conséquence est que le droit d’action du ministre n’est pas affecté par les vices qui toucheraient l’action du professionnel. Ce droit est propre à la personne habilitée.

          À l’inverse, celui qui est investi d’un pouvoir pour agir agit pour le compte d’autrui pour défendre des droits substantiels mais exerce un droit d’action qui ne lui est pas propre. Seul le représenté est titulaire du droit d’action. Celui qui dispose d’un pouvoir d’agir ne devient jamais partie au procès. Seul le représenté est partie au procès. Il s’en suit que les conditions de recevabilité de l’action seront appréciées à l’aune de l’action du représenté et non du représentant.

          S’agissant du régime juridique, le défaut ou le dépassement d’habilitation à agir et le défaut de pouvoir d’agir ne sont pas sanctionnés de la même façon. Le défaut d’habilitation à agir est sanctionné par l’irrecevabilité des prétentions pour absence de droit d’agir tandis que le défaut de pouvoir d’agir est sanctionné, non pas par l’irrecevabilité de l’action, mais par la nullité des actes de procédure.

                                                                b) L’habilitation à agir pour autrui

           Le législateur, dans certains cas, estime qu’il est préférable d’étendre le droit d’agir. Cette extension vise à éviter l’inertie des titulaires normaux de l’action qui n’agissent pas pour recouvrer leurs droits. La Cour de cassation précise que le droit d’agir dans l’intérêt d’autrui revêtait un caractère exceptionnel et ne pouvait résulter que de la loi (Cass., 23 janvier 2020). En l’espèce, un membre de l’association cherchait à agir au nom de l’association. Or, il s’agit de deux personnes différentes (personne physique et personne morale). Les statuts de l’association prévoyaient la possibilité pour les membres d’agir au nom de l’association. Est-ce que les statuts de l’association pouvaient conférer la qualité pour agir à l’un des membres pour agir en son nom ? La Cour de cassation rejette cette interprétation et considère que les habilitations à agir ne peuvent être que légales.

          On peut citer 3 exemples d’habilitation à agir pour autrui. D’abord, l’action du ministre l’économie. Ensuite, l’action oblique qui est l’action intentée par un créancier pour le compte de son débiteur pour recouvrer les droits de son débiteur. Le but est de permettre au créancier de passer outre la négligence du débiteur dans l’exercice de ses droits mettant en péril le recouvrement de sa créance. Cette action oblique ne produit pas ses effets dans le patrimoine du créancier mais dans le patrimoine du débiteur. Normalement, cette action devrait être irrecevable mais le législateur a habilité le créancier à agir de la sorte pour éviter que le débiteur organise son insolvabilité.

Enfin, l’action sociale ut singuli prévue à l’art1843-5 c.civ. Normalement, un associé ne peut pas défendre la société car ce sont deux personnes juridiques distinctes. Or, l’absence de droit d’agir peut poser un problème lorsque le représentant cause du tort à la société. Le législateur permet aux associés de demander réparation du préjudice subi du fait du représentant. L’associé agit en vertu d’un droit qui lui est propre mais dans l’intérêt de la société. Il ne peut agir que contre les fautes commises par le représentant et seulement pour réclamer des dommages-intérêts. Cette action est limitée à certaines personnes morales. Cette exception est d’interprétation stricte.

                                                                c) L’habilitation à agir pour un intérêt collectif

          En principe, pour avoir intérêt à agir, il faut défendre un intérêt individuel. À défaut, la demande serait irrecevable. Par exception, le législateur et la jurisprudence autorisent parfois la défense d’un intérêt collectif. Cette extension du droit d’agir se justifie par un souci d’efficacité du droit pour faire en sorte que certains droits soient mieux défendus. Certains droits pourraient être peu défendus ou simplement parce que leurs titulaires négligent d’agir.

          Le contexte est aujourd’hui favorable à ces actions notamment à raison de l’émergence d’associations comme nouvel acteur politique et judiciaire. Les associations apparaissent comme des acteurs efficaces pour la défense en justice des droits individuels et collectifs. L’une des questions qui se pose est celle de la légitimité des actions. Ces associations ne représentent normalement personne et ne seraient pas légitimes à agir pour l’intérêt général. La défense d’intérêts catégoriels peut conduire à un éclatement de la société.

          Contrairement l’habilitation à agir pour autrui, les habilitations à agir pour un intérêt collectif ne résultent pas seulement de la loi mais également de la jurisprudence.

                                                                                i. Les exceptions légales

Ces exceptions sont foisonnantes dans le droit de la consommation.  Trois actions sont ouvertes aux associations de défense des consommateurs. D’abord, l’action civile qui permet à une association de demander réparation pour l’atteinte causée à l’intérêt collectif des consommateurs. Ensuite, l’action en cessation d’agissements illicites qui vise à faire cesser les clauses illicites dans les contrats de consommation. Enfin, l’action conjointe qui permet à l’association de s’associer à une action individuelle pour demander réparation d’une atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs. En droit du travail, le législateur prévoit des habilitations au bénéfice des syndicats des travailleurs pour représenter la catégorie qu’ils défendent. Sont admises les actions civiles qui visent à réparer les conséquences des actions pénales. Les associations peuvent exercer des actions pour défendre les intérêts collectifs qu’elles poursuivent.

                                                                                ii. Les exceptions jurisprudentielles

          La jurisprudence consacre une habilitation générale à agir pour la défense d’un intérêt collectif en dehors de tout cadre prévu par la loi. Cette consécration est le résultat d’une évolution jurisprudentielle de la notion. À l’origine, la JP retenait une définition plutôt stricte de l’intérêt collectif. La Cour de cassation autorisait les associations à défendre les droits de leurs membres.

Cass., 15 novembre 1929, Ligue de défense : dans cet arrêt, la Cour pose 4 conditions strictes de recevabilité de l’action d’une association pour la défense d’un intérêt collectif de ses membres. En premier lieu, l’association ne peut défendre que des droits dont les membres étaient titulaires. En deuxième lieu, les titulaires de ces droits doivent rester membres de l’association tout le temps de la procédure. En troisième lieu, l’action envisagée doit entrer dans l’objet social de l’association et son statut doit prévoir la possibilité d’agir en justice. En quatrième lieu, l’action ne devait pas être attitrée. Cette jurisprudence ne consacrait pas vraiment une habilitation à agir pour un intérêt collectif. En effet, cette action visait à défendre les droits individuels des membres de l’association et non l’intérêt général. Néanmoins, la jurisprudence continue à faire usage de cette notion d’intérêt collectif même si cette approche parait erronée.

          La jurisprudence a ouvert progressivement les possibilités d’agir pour les associations. Au fur et à mesure, elle assouplit les conditions posées pour la défense des intérêts collectifs. Les 4 conditions posées ne demeurent quasiment plus. Plus qu’un assouplissement, la JP a profondément changé la nature de l’action.  On passe d’une action pour la défense d’un intérêt collectif concret à l’action pour la défense d’un intérêt collectif abstrait.

          La Cour de cassation se contente d’affirmer que « même hors habilitation à agir et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social ». La définition de l’objet social semble être le seul critère pris en compte par la Cour de cassation pour déterminer si une association peut agir pour la défense d’un intérêt collectif. Désormais, l’action de l’association ne se cantonne plus à la défense des droits des membres. La référence à l’objet social est conservée mais l’exigence de la prévision statutaire pour l’action des membres en justice est supprimée. L’association agit pour des intérêts collectifs et non plus pour des intérêts de ses membres.

3e Civ., 8 novembre 2018 :  en l’espèce, un couple avait prélevé des grenouilles dans leur milieu naturel dans le perfide but de les commercialiser. Une association dont le but est de les protéger découvre la pratique et décide d’agir contre le couple pour obtenir l’indemnisation d’un préjudice moral. L’association reprochait au couple d’avoir mis en danger les grenouilles qui étaient des espèces protégées. Les juges du fond donnent raison à l’association. Le couple forme un pourvoi en cassation. L’association avait-elle bel et bien un intérêt à agir ? La Cour répond par l’affirmative et reconnait à l’association son intérêt à agir. Elle considère que l’association qui a agi avait pour objet social la protection du milieu aquatique et que le comportement des époux avait porté à atteinte à cet objet défendu par l’association. La Cour considère que l’association était légitime à demander la réparation du préjudice que le couple lui avait causé et qu’elle n’avait pas à justifier d’une action particulière visant à réparer le tort causé à l’espèce en question.

          Plusieurs remarques méritent d’être faites. Tout d’abord, l’intérêt défendu en l’espèce n’est pas l’intérêt de l’association (patrimoine, membres) mais l’intérêt collectif qui s’incarne dans la protection de l’environnement. Certes, l’association défend un intérêt collectif mais demande réparation de son préjudice moral.  Ce préjudice moral de l’association est un peu artificiel. De plus, on peut s’interroger sur l’honnêteté des associations qui défendent ces intérêts collectifs. On dénature l’action en question car elle profite à quelques-uns.

          Dans cet arrêt, la Cour pose une seule limite qui tient à l’objet de l’association qui vise à protéger le milieu aquatique. Est-ce une limite suffisante ? Il est facile de constituer une association et lui assigner un objet social.

                §2. Le défendeur légitime (contradicteur de la prétention)

                                A. Les principes

          On ne peut pas agir contre n’importe qui, il faut agir contre le bon défendeur sinon les prétentions seront irrecevables. Le défendeur légitime est celui qui est légitime à discuter du bien-fondé de la prétention. Le bon défendeur est celui qui est mis en cause par le demandeur et qui est en mesure de se défendre dans le cadre du procès. Par exemple, si l’action consiste à demander l’exécution d’une obligation, le défendeur doit être l’un des débiteurs de cette obligation. Si l’action consiste à revendiquer un bien, le défendeur doit être possesseur du bien. À l’inverse, est irrecevable la prétention exercée contre une société mère alors que sa filiale est débitrice car les deux sont des personnes juridiques différentes. Est irrecevable l’action exercée contre un époux pour une dette qui est due exclusivement par l’autre époux.

D’un point de vue processuel, même s’il s’agit d’une condition tenant au défendeur à l’action, c’est le droit d’action du demandeur qui est en jeu. Si l’action n’est pas dirigée contre le bon défendeur, le demandeur sera sanctionné pour défaut du droit d’agir par l’irrecevabilité de sa prétention. D’un point de vue substantiel, pour identifier le bon défendeur, il faut avoir une bonne maitrise du fond du droit. Certains mécanismes peuvent justifier qu’on s’adresse à certaines personnes alors même que le comportement repréhensible provient d’une autre personne. Par exemple, les mécanismes de responsabilité du fait d’autrui. Par exemple, depuis 2017, les sociétés mères ont un devoir de vigilance vis-à-vis de leurs filiales. Autre exemple, les époux sont tenus solidairement des dettes ménagères de sorte que le créancier peut demander le paiement de la totalité de la dette à chacun des époux.

                                B. Les exceptions

En ce domaine, les exceptions sont comparables à celles envisagées pour le demandeur. Les restrictions au droit d’agir s’appliquent également au défendeur avec la distinction entre action banale et action attitrée. Par exemple, le procureur est le défendeur nécessaire à toute action déclaratoire de nationalité.

Les extensions au droit d’agir permettent d’agir contre un autre défendeur que celui qui devrait être normalement mis en cause. Par exemple, l’action directe est l’action par laquelle un créancier peut agir contre le débiteur de son débiteur. En matière d’action directe, le créancier agit sur le fondement d’un droit qui lui est propre. Par conséquent, l’effet de l’action directe se produira dans le patrimoine du créancier. Par exemple, l’action directe du bailleur contre le sous-locataire.

 

SECTION II : L’intérêt sérieux et légitime (intérêt à agir ratione materiae)

L’intérêt sérieux et légitime conduit à s’intéresser au contenu des prétentions. En interprétant largement cette condition, on peut y rattacher 3 types de problèmes. D’abord, les prétentions peuvent être illégitimes car elles sont illégitimes en elles-mêmes indépendamment du contexte. Ensuite, les prétentions peuvent ne pas être illégitimes en elles-mêmes mais deviennent illégitimes en raison de précédentes prétentions formulées au sein d’un même procès. Enfin, les prétentions peuvent ne pas être en elles-mêmes illégitimes ni incompatibles avec ces prétentions antérieures mais le deviennent car elles se heurtent à des obstacles juridiques existant en dehors du procès.

 

                §1. Les prétentions illégitimes en elles-mêmes

Les prétentions illégitimes en elles-mêmes sont les prétentions que le juge doit refuser d’examiner quel que soit le contexte. Ce sont des restrictions radicales mais en pratique elles concernent plutôt des cas marginaux. Ce sont des prétentions non juridiques, dérisoires, illicites ou immorales.

                                A. Les prétentions non juridiques

Le juge ne peut trancher que des litiges qui reposent sur des questions de droit car il a pour mission de dire le droit (juris dictio, dire le droit). La mission du juge se résume à résoudre des conflits sur des points de droit à l’exclusion de toute autre contestation qui pourrait naitre. Le juge ne traite que des conflits qui sont juridiquement relevant. Par exemple, le juge ne peut trancher ce qui relève des controverses scientifiques. Si une prétention ne repose pas sur un point de droit, le juge doit refuser de l’examiner.

                                B. Les prétentions dérisoires

Ce deuxième critère conduit à s’interroger sur le caractère sérieux de la prétention. D’une part, pour rationaliser l’administration de la justice, il vaudrait mieux traiter les prétentions pour garder les plus graves. D’autre part, l’on pourrait penser que les prétentions dérisoires seront rarement présentées devant le juge. On peut penser que si les justiciables ont eu l’énergie nécessaire pour se présenter devant le juge, leurs prétentions ne doivent pas être dérisoires. 

Normalement, l’adage de minimis non curat praetor est invoqué pour faire obstacle aux prétentions dérisoires. Il signifie que le juge n’a cure des bagatelles, de petits litiges. Il s’agit d’un vieil adage qui remonte au droit romain et possède une résonnance dans les traditions juridiques anglo-saxonnes qui, par capillarité, influencent la CEDH et la CJUE. Par exemple, l’art.35 §3 b) CESDH prévoit que les prétentions sont déclarées irrecevables devant la CEDH lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice important. La CJUE considère qu’une pratique anticoncurrentielle peut échapper aux interdictions posées par les traités lorsque la pratique n’affecte le marché que de manière insignifiante. En droit français, l’adage n’a pas une très grande portée. Il n’est d’ailleurs prévu par aucun texte dans le CPC et la JP ne fait pas grand cas de ce principe. En France, c’est le coût et la pénibilité du procès qui prémunissent le juge contre les petits litiges. Par conséquent, les juges français se montrent accueillants vis-à-vis des prétentions dérisoires. Ainsi, le juge accepte d’examiner des demandes qui n’engagent que des sommes symboliques. A fortiori, le juge accepte d’examiner les demandes lorsque l’atteinte causée au demandeur est minime. Par exemple, en matière d’empiètement, même les empiètements minimes de quelques millimètres sont sanctionnés. De même, la Cour de cassation a admis que la perte de chance, même minime, est un préjudice invocable et réparable devant le juge. Enfin, le juge accepte d’examiner des demandes qui ne portent que sur des objets n’ayant qu’une valeur affective, notamment la garde d’un animal ou les souvenirs de famille.

Par exception, le droit français écarte certains petits litiges pour des raisons pratiques.  Le premier exemple d’application exceptionnelle de l’adage concerne la procédure d’appel. Le droit de faire appel est soumis à un seuil appelé taux de ressort, en deçà duquel l’appel est irrecevable. Le deuxième exemple concerne la responsabilité environnementale. Le législateur a introduit un régime spécifique (art.1246 c.civ) qui se traduit par la réparation du préjudice écologique pur en cas d’atteintes non négligeables à l’environnement (art.1247 c.civ). Enfin, en matière bancaire, le coût du crédit est limité par le droit (taux effectif global) et l’erreur dans le calcul du coût est sanctionnable. Par exception, la Cour de cassation tolère les erreurs inférieures à la décimale.

                                C. Les prétentions illicites ou immorales

Sont normalement exclues des tribunaux les prétentions illicites ou immorales. Les prétentions illicites désignent les prétentions interdites par la loi. Ainsi, un trafiquant ne peut demander en justice le paiement d’une marchandise qu’il aurait fournie. Une personne qui exerce illégalement la médecine ne peut demander paiement de la prestation de service qu’il a fournie. Le juge tranche les litiges conformément au droit de sorte qu’il ne peut examiner des prestations qui ne respectent pas le droit. Le critère de l’illicéité relève-t-il de la procédure ou du fond du droit ? Cette interrogation explique que ce critère n’est pas souvent utilisé d’un point de vue processuel ni par la doctrine ni par la jurisprudence. La jurisprudence n’applique pas ce critère de l’illicéité au stade de la recevabilité des prétentions. Bien qu’il ait son siège à l’art.31 CPC, la jurisprudence ne traite pas ce critère sous l’angle de la procédure. Dans un arrêt de 2005, la Cour de cassation sanctionne les juges du fond pour s’être placés sur le terrain de la recevabilité. En l’espèce, une personne accuse une autre de plagiat. Or, la thèse avait un caractère révisionniste, donc illicite. Les juges du fond estiment que le demandeur n’avait pas intérêt à agir. L’arrêt est toutefois cassé parce que, selon la Cour de cassation, l’intérêt légitime à agir n’est pas subordonné à la démonstration du bien-fondé de l’action. Les juges du fond ont apprécié des questions de procédure à l’aune des questions de fond.

Les prétentions immorales sont des prétentions contraires aux bonnes mœurs mais pas nécessairement interdites par la loi. Dans cette optique, en théorie, les prétentions immorales doivent être déclarées irrecevables. Par exemple, les dettes relatives aux jeux de hasard ou à la vente à crédit de boissons alcoolisées sont des obligations naturelles qui, en tant que telles, sont dépourvues d’action en justice.  L’exemple type de l’immoralité en procédure est le droit à réparation de la concubine. Avant l’arrêt Dangereux de 1970, la Cour de cassation refusait d’indemniser le préjudice de la concubine en cas de décès de son concubin au motif qu’elle n’était pas mariée avec le défunt. L’éviction des prétentions immorales relève-t-elle plutôt du fond ? Cette critique avait été soulevée.

Lorsque l’immoralité de la prétention débouche sur une obligation naturelle, il n’y pas de confusion entre fond et procédure puisqu’on reconnait l’existence du droit substantiel sans reconnaitre le droit d’action. En pratique, l’exception d’immoralité n’est pas une cause très fréquente d’irrecevabilité des actions. Ce déclin s’explique par la libéralisation des mœurs qui s’oppose aux bonnes mœurs. En droit des contrats, l’arrêt Galopin autorise la libéralité faite à une concubine adultère. En procédure civile, l’exception d’immoralité s’incarnait dans la jurisprudence de 1870 qui a été renversée par l’arrêt Dangereux de 1970 lequel consacre le droit à réparation de la concubine en cas de décès du concubin.

                §2. Les prétentions incompatibles entre elles

Le but est de préserver une cohérence au sein du procès. L’incompatibilité entre les prétentions renvoie à deux problèmes différents. D’une part, les juges doivent écarter les prétentions irrationnelles. D’autre part, l’unité du procès commande d’écarter les prétentions qui sont hors-sujet ou trop éloignés de l’objet du procès.

                                A. Les prétentions contradictoires

Il est demandé aux plaideurs un minimum de cohérence. Ils ne peuvent demander une chose et son contraire. Cette règle se justifie par une raison de cohérence et une question de moralité. Exiger des plaideurs qu’ils demeurent cohérents dans le procès permet d’instaurer un minimum de loyauté entre les parties. Ce rejet s’incarne dans le principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui (estoppel). Le principe de l’estoppel a été consacré en droit français par la jurisprudence en deux temps.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a semblé admettre l’estoppel mais seulement a contrario. Ass.Plén.,27 février 2009 : la Cour de cassation énonce que la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir. A contrario, dans certains cas, le fait de se contredire au détriment d’autrui pourrait donner lieu à une fin de non-recevoir. Dans un second temps, la Cour de cassation consacre expressément le principe d’estoppel. Com., 20 septembre 2011 : en l’espèce, la Cour de cassation sanctionne une société qui avait formé un pourvoi devant elle. Lors du procès devant la cour d’appel consécutif au renvoi après cassation, la société avait invoqué son absence de personnalité morale. Or, il est nécessaire d’avoir la personnalité morale pour pouvoir former un pourvoi en cassation. Pour s’être contredite elle-même, la Cour de cassation a considéré que la prétention de la société était irrecevable.

Si la consécration du principe de l’estoppel ne fait plus de doute, en revanche, les domaines et les modalités d’application du principe restent très incertains. La doctrine majoritaire tend à minimiser le domaine de l’estoppel. En particulier, les auteurs distinguent d’un côté, les prétentions et, de l’autre, les allégations. L’allégation renvoie davantage à l’argumentation des plaideurs, les arguments qu’ils invoquent au soutien de leurs prétentions. Ces auteurs considèrent que l’estoppel ne devrait jouer qu’au stade de la recevabilité des prétentions. Pour eux, on devrait admettre un droit à l’erreur dans l’argumentation. La jurisprudence, quant à elle, n’est pas claire. Dans l’arrêt de 2011, il semble que la Cour de cassation n’ait pas pris en compte cette distinction.

Par la suite, la Cour de cassation a semblé donné raison à la doctrine. Com.,10 février 2015 : la Cour de cassation casse un arrêt d’appel qui avait entendu appliquer l’estoppel au niveau de l’argumentation des parties. En première instance, le demandeur avait fondé sa prétention sur la qualification d’agent commercial. Mais en appel, il conteste cette qualification. L’autre partie se plaint et considère que le changement d’argumentation lui cause grief. Les juges d’appel sont convaincus par l’argumentation du défendeur. Néanmoins, la Cour de cassation considère que les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et que les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux en appel. L’estoppel ne s’applique pas aux débats judiciaires.

Les arrêts ultérieurs ne sont pas assez clairs. Dans un arrêt du 15 mars 2018, la Cour de cassation définit l'estoppel comme « l’attitude procédurale consistant pour une partie au cours d’une même instance à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions ». On ne sait pas si l’estoppel se cantonne aux prétentions ou si elle s’étend aux argumentations.

Les conditions de mise en œuvre du principe ne sont pas bien fixées. Deux points posent question. En premier lieu, on se demande si le principe de l’estoppel suppose que la contradiction ait eu lieu au cours d’une même instance.  Très souvent, la contradiction aura lieu entre plusieurs instances. Dans une affaire de divorce international, l’épouse avait agi en divorce dans un pays étranger. Le mari essaie de faire reconnaitre ce divorce en France et devant le juge français, l’épouse invoquait l’inopposabilité du jugement. Sa prétention a été rejetée par le juge en application de l’estoppel. En second lieu, on se demande aussi les critères à prendre en compte pour savoir si la contradiction a nui à l’adversaire.

                                B. Les prétentions hors-sujet

          L’idée est d’écarter du prétoire les prétentions qui n’ont rien à voir avec l’objet du litige. Si le vendeur demande l’exécution d’un contrat de vente, il ne peut pas demander à établir sa filiation dans le même procès. Les prétentions faites au début du procès sont appelées prétentions originaires ou initiales. Les prétentions originaires sont contenues dans la première demande du demandeur, appelée demande initiale et dans les premières conclusions du défendeur (art.4 CPC). Les prétentions faites en cours de procès sont des prétentions incidentes du défendeur. Elles doivent être appréciées à l’aune des prétentions initiales qui ont fixé l’objet du litige (art.4 CPC). La recevabilité des prétentions incidentes est subordonnée à l’existence d’un lien avec les prétentions originaires. Elles sont contenues dans des demandes incidentes.

Le rejet des prétentions incidentes règle un problème de bonne administration de la justice. On veut éviter que le juge s’éparpille et tranche des problématiques trop différentes. On cherche également à éviter que le défendeur recoure à des pratiques dilatoires en multipliant des demandes incidentes.

Le régime des prétentions incidentes fait l’objet d’un régime spécial plus sévère en appel pour éviter de passer outre le principe du double degré de juridiction. Cette règle qui figure à l’art.564 CPC est le principe d’irrecevabilité des prétentions nouvelles. Ce principe est néanmoins assorti d’exceptions. D’abord, il est toujours possible de demander la compensation en appel. Ensuite, l’irrecevabilité est toujours écartée lorsqu’une prétention nouvelle a pour objet d’écarter une prétention adverse. Or, c’est le rôle d’un moyen de défense, pas de prétention. Enfin, la prétention nouvelle est recevable lorsqu’un évènement nouveau survient dans le cours du procès.

                §3. Les prétentions se heurtant à une autorité juridique

Il est des prétentions, qui ne sont pas illégitimes en elles-mêmes mais qui seront malgré tout déclarées irrecevables dans la mesure où elles se heurtent à une autorité juridique interdisant l’accès aux tribunaux. Il existe deux types de normes qui font obstacle à la recevabilité des prétentions que sont d’un côté, les précédentes décisions de justice et, d’un autre côté, les contrats.

                                A. Les prétentions se heurtant à une décision de justice (autorité judiciaire)

          Il s’agit ici de savoir si un plaideur peut demander qu’une affaire puisse être rejugée alors même qu’elle a été déjà jugée. Cette nouvelle prétention est-elle recevable ? En principe, les prétentions qui ont fait l’objet d’une décision définitive de justice sont déclarées irrecevables en vertu de l’autorité de la chose jugée/ force de chose jugée. Cette autorité fait obstacle à ce qu’un plaideur puisse faire rejuger une prétention.

                                                1) La raison d’être de l’autorité de la chose jugée

L’exception d’autorité de la chose jugée est tirée de la nécessité de mettre fin, à un moment, au litige et arrêter le procès de façon autoritaire en empêchant que l’affaire soit rejugée indéfiniment. En effet, le but du procès est précisément de mettre un terme au conflit. La notion de présomption irréfragable de vérité légale permet de justifier cette solution.

                                                2) Les conditions de mise en œuvre

Pour que la force de chose jugée rende une prétention irrecevable, deux conditions doivent être réunies. D’une part, il faut que la décision de justice soit définitive, c’est-à-dire insusceptible de voies de recours. D’autre part, il faut que les prétentions soumises au juge soient identiques aux prétentions déjà jugées dans la décision de justice antérieure. Pour caractériser cette identité, les prétentions nouvelles doivent passer le filtre de la triple identité (identité de parties, d’objet et de cause). La cause renvoie au fondement de la prétention, c’est-à-dire l’ensemble des éléments de fait et de droit qui soutiennent la prétention. Par exemple, la cause de la nullité d’un contrat est le dol. Les éléments de faits et de droit sont les documents produits par le demandeur au soutien de son action.  

 

                                B. Les prétentions se heurtant à un contrat (autorité extrajudiciaire)
                                                1) Les transactions

Il ressort de l’art. 2044 c.civ que « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ».  La transaction se caractérise par sa finalité (résoudre ou prévenir un litige) et par les moyens qu’elle met en œuvre (concessions réciproques entre les parties en renonçant à une partie de leurs exigences). Une fois que les parties ont transigé, elles ne peuvent plus revenir sur leur parole ni introduire une nouvelle action portant sur le même objet que la transaction. Les prétentions qu’elles essaieront de soumettre au juge portant sur l’objet de la transaction seront déclarées irrecevables car elles se heurteront à l’autorité de la chose transigée (art. 2052 c.civ).

                                                2) Les clauses de non-recours

La clause de non-recours est une clause qui interdit à l’une des parties d’agir en justice. Elle vise à empêcher en amont la possibilité d’un contentieux judiciaire. Si la clause de non-recours est valable, les prétentions soumises au juge en violation d’une telle clause seront déclarées irrecevables. La clause de non-recours se distingue de la transaction en ce qu’elle n’a pas pour objet de mettre fin au litige par des concessions réciproques mais vise à tuer ab ovo le litige.

Dans quelles conditions une clause de non-recours est-elle valable ? D’un côté, la procédure civile est un droit libéral car elle régit des intérêts essentiellement privés et exceptionnellement publics et de ce fait, les parties ont une certaine latitude pour organiser leur contentieux et peuvent même aller jusqu’à interdire le recours au juge. Envisagée ainsi, elle serait valable. D’un autre côté, le droit d’accès à la justice est un droit fondamental. En interdisant de s’adresser au juge, la clause de non-recours porte atteinte à ce droit.

Pour être valables, les clauses de non-recours ne doivent pas heurter les règles d’ordre public.  Cass., 13 mai 2020 : la Cour de cassation écarte une clause qui interdisait d’agir en justice en matière de contribution aux charges du mariage. En effet, si l’un des époux ne contribue pas, l’autre peut agir pour recouvrer les charges non payées par l’autre. En l’espèce, les époux avaient signé une clause à la fois de présomption et de non-recours. L’épouse avait demandé à la fois la contribution des charges passées et la liquidation des contributions à venir. Elle est déboutée en appel au motif que la clause de non-recours était valable. En cassation, l’arrêt qui avait donné son plein effet à la clause est toutefois cassé.  La Cour de cassation considère que la clause de non-recours ne peut heurter l’obligation d’ordre public de contribution aux charges de mariage.

SECTION III : L’intérêt né et actuel (intérêt à agir ratione temporis)

Pour agir, il faut respecter un cadre temporel. Les prétentions nées et actuelles sont recevables et les prétentions nées et non actuelles sont irrecevables.

                §1. Les prétentions actuelles

Une prétention est actuelle lorsque l’intérêt à agir du demandeur existe au jour du procès. Pour apprécier ce caractère actuel ou non de la prétention, il faut en principe se placer au jour de la demande car c’est ce jour que le demandeur exerce son droit d’agir. En ce sens, la Cour de cassation rappelle aux juges qu’ils doivent se placer au jour de la demande pour apprécier la recevabilité du référé probatoire. Néanmoins, la JP n’est pas très rigoureuse en la matière car le juge peut retenir exceptionnellement la date du jugement pour apprécier l’intérêt à agir.

1re Civ., 4 mai 2011 : il arrive que le juge déclare recevables des prétentions alors que l’intérêt à agir est né postérieurement à la demande en retenant la date du jugement. En l’espèce, une personne placée sous sauvegarde de justice s’est mariée et ses frères et sœurs doutaient de la réalité de son consentement au mariage. Ils agissent en nullité du mariage pour défaut de consentement. Cette action en nullité est soumise à l’art.187 c.civ qui prévoit que les parents collatéraux ne peuvent agir du vivant des époux. Or, au jour de l’introduction de la demande, les deux époux étaient vivants et en principe la demande aurait dû être déclarée irrecevable. Le frère marié est décédé en cours de procédure et l’épouse soutenait que l’intérêt à agir devait s’apprécier au jour de la demande. La cour d’appel, approuvé par la Cour de cassation, déclare la demande recevable en se plaçant au jour du jugement.

3e Civ.,18 octobre 2018 (contra): il arrive que le juge déclare irrecevables des prétentions alors que le demandeur avait intérêt à agir au jour de la demande. En l’espèce, les propriétaires ont vendu un bien alors qu’ils étaient en litige avec des constructeurs mais avaient pris le soin de stipuler qu’ils resteraient parties à la procédure. Les juges du fond déclarent les prétentions des vendeurs (propriétaires) irrecevables. La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère qu’il faut se placer au jour du jugement pour apprécier l’intérêt à agir et non au jour de la demande.

La JP n’est pas très précise et ne dégage pas un principe clair sur cette question.

                §2. Les prétentions anticipées (prématurées)

Le demandeur peut agir tôt en ce sens qu’il agit avant que le litige ne soit constitué (actions préventives) ou ne respecte pas les différentes procédures préalables imposées avant la saisine du juge (actions précipitées).

 

                                A. Les actions préventives

Les actions préventives sont les actions intentées avant que le litige ne soit constitué.  En principe, le juge n’a pas à examiner des actions en l’absence de litige. Par exemple, si un créancier intente une action avant l’arrivée du terme par crainte de la défaillance de son débiteur, sa prétention devrait être irrecevable. La recevabilité de telles actions préventives risque d’altérer le rôle du juge dans le procès qui vise à pacifier les litiges déjà constitués. Néanmoins, ces actions préventives peuvent avoir l’intérêt de prévenir un éventuel litige en pacifiant en amont la société. C’est la raison pour laquelle le législateur prévoit 4 actions préventives qui permettent de juguler le mal à la racine.

                                                1) Les actions déclaratoires

Les actions déclaratoires sont des actions qui ont pour objet de faire reconnaitre l’existence, l’inexistence et l’étendue d’un droit en dehors de toute contestation. Par exemple, une personne qui craint que son titre de propriété soit remis en cause dans le futur exerce une action déclaratoire pour tenter de consolider son droit. En principe irrecevables, le législateur tolère exceptionnellement les actions déclaratoires. Par exemple, l’art.29-3 c.civ autorise les actions déclaratoires en matière de nationalité.

En dehors de la loi, la jurisprudence a pu admettre la recevabilité des actions déclaratoires. 1re Civ., 9 juin 2011 : une épouse avait contracté avec son mari un prêt à la banque. L’un des époux décède après la conclusion du prêt et l’épouse, héritière, aimerait que le juge reconnaisse que la prescription de la créance (inexistence de la créance de la banque) est acquise. Or, la banque n’avait pas encore demandé le paiement et l’épouse n’avait pas non plus refusé de payer. Aucun litige n’était né. La cour d’appel déclare l’action de la femme recevable et la banque se pourvoit en cassation au motif que l’intérêt à agir de l’épouse n’était pas né et actuel. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que même en dehors de tout litige, l’épouse avait intérêt à faire constater la prescription de la créance. La Cour de cassation crée de toutes pièces une action déclaratoire.

                                                2) Les actions provocatoires

Les actions provocatoires sont les actions qui visent à provoquer des tiers qui se prétendent titulaires de droit. Le but est de pousser les tiers à prouver l’existence de leurs droits ou alors à y renoncer. Ces actions provocatoires sont préventives car elles ne requièrent pas de litige et devraient en principe être déclarées irrecevables. Leur inconvénient est de porter le tiers à exercer son droit limitant ainsi sa liberté d’agir.

                                                3) Les actions interrogatoires

Les actions interrogatoires sont des actions qui visent à forcer un tiers à prendre position/une décision quant à l’exercice futur d’un droit dont il est titulaire. Elles sont proches des actions provocatoires car dans les deux cas elles interrogent des tiers mais elles s’en distinguent. En effet, l’action interrogatoire ne porte pas sur l’existence du droit mais sur l’exercice par le tiers de son droit. En général, elles sont classées au sein des actions préventives mais cela parait douteux. En réalité, cette action est une forme d’interpellation du tiers (faculté d’interpellation ou mise en demeure) et se fait en dehors de tout cadre judiciaire de sorte qu’on ne peut considérer qu’elles soient de véritables actions. Par ailleurs, elles réduisent la liberté d’action du tiers. Par exception, le législateur consacre des actions interrogatoires. D’abord, en matière de faux en écriture privée, toute personne peut en dénoncer la fausseté. L’art.300 CPC précise que l’assignation vaut sommation du défendeur s’il entend faire usage du faux ou non. L’action interrogatoire emporte interrogation du défendeur pour savoir s’il entend faire usage ou non de l’acte contesté.

Ensuite, en matière de propriété industrielle, un industriel peut avoir un intérêt à interroger le titulaire d’un brevet pour savoir si le produit qu’il entend lancer ne heurte pas le droit de celui-ci. À ce titre, par la voie d’une interpellation, il peut interroger le titulaire du brevet pour savoir s’il entend faire usage ou non de son droit. Dans l’affirmative ou en l’absence de réponse, l’industriel peut faire déclarer qu’il n’y a pas d’atteinte au droit du titulaire du brevet.

Enfin, la réforme de 2016 a consacré plusieurs facultés d’interpellation. En matière de nullité, le contractant peut forcer son cocontractant à se prononcer sur l’exercice d’une éventuelle nullité. En matière de représentation, le représenté peut être forcé à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs du représentant. En matière de pacte de préférence, le bénéficiaire peut être forcé de se prononcer s’il a l’intention ou non de se prévaloir de son pacte. Ce sont plutôt des interpellations et non d’actions à proprement parler.

                                                4) Les actions conservatoires

Les actions conservatoires visent à prendre des mesures préventives pour conserver un bien ou un droit. Il s’agit de préserver une situation juridique. En principe, elles devraient être irrecevables mais le droit est assez bienveillant à leur égard. Il existe deux grands types d’actions conservatoires. Le premier type d’action vise à conserver un droit d’un créancier à l’égard du débiteur en lui permettant de prendre des mesures sur un bien du débiteur pour conserver son droit de gage général (art.511-1 CPCE). Le second type d’action (référé probatoire) vise à conserver une preuve dans la perspective d’un procès futur (art.145 CPC).

 

                                B. Les actions précipitées

Les actions précipitées renvoient aux situations dans lesquelles le demandeur aurait agi sans respecter des formalités préalables. À ce titre, les prétentions seront déclarées irrecevables. Le non-respect de ces formalités préalables ne pose-t-il pas une question d’exercice du droit d’agir et non d’existence du droit d’agir ? La JP sanctionne le non-respect d’une formalité préalable par l’irrecevabilité des actions.

La principale formalité préalable est le respect des procédures amiables de règlement des conflits. Dans certains cas, la saisine du juge est parfois précédée d’une obligation de recourir à un mode amiable. Les procédures amiables visent à résoudre le litige sans contentieux, sans recourir au juge. Elles sont favorisées par le législateur car elles présentent deux avantages. En premier lieu, elles permettent d’alléger la charge du juge. En second lieu, elles favorisent l’acceptation par les parties des solutions qui en résultent car les parties y auront participé. Mais bien souvent, les procédures peuvent échouer et, dans ce cas, il faudra faire appel au juge.

Dans la conciliation et la médiation, les parties font intervenir un tiers pour les aider à parvenir à un accord. Elles se distinguent l’une de l’autre par le statut du tiers. Le conciliateur est un tiers non rémunéré tandis que le médiateur est un tiers rémunéré. Les parties peuvent aussi recourir à une procédure participative.

Il arrive que les textes imposent aux parties de tenter de trouver un accord avant de saisir le juge. En matière prud’homale, le salarié et l’employeur doivent passer par le bureau de conciliation pour essayer de trouver un accord avant que leur litige soit jugé. La loi du 23 mars 2019 avait voulu élargir cette obligation de saisir préalablement le juge. Le CE a annulé l’art. 750-1 CPC aux motifs que les exceptions n’étaient pas précises et portaient atteinte au droit à un recours effectif. La Cour de cassation juge que les parties peuvent valablement stipuler dans le contrat des clauses de conciliation ou de médiation obligatoires (Ch. mixte,14 février 2003).

                §3. Les prétentions tardives

L’action en justice est encadrée dans des délais. Les prétentions formulées hors délai seront déclarées irrecevables. Au bout d’un certain temps, l’inaction du justiciable peut être une marque de négligence qu’il faut sanctionner en le déchéant de son droit d’agir. De plus, on considère que l’écoulement du temps favorise la paix sociale. En troisième lieu, on craint que la demande soit intentée trop tardivement et que cela ne crée des problèmes de preuve insolubles car au fur et à mesure que le temps passe, elles seront détruites.

On distingue deux types de délais pour agir que sont le délai de prescription et le délai de forclusion (délai préfix). Ces délais ont pour effet d’éteindre le droit d’action mais ne sont pas soumis au même régime. Les délais de prescription sont plus souples car ils peuvent être aménagés dans le temps (suspendus ou interrompus) tandis que les délais de forclusion/délai préfix ne peuvent ni être suspendus ni interrompus.

Néanmoins, il existe des actions qui sont imprescriptibles pour des raisons morales et pour des raisons techniques. Pour des raisons morales, l’action en revendication est imprescriptible car le droit de propriété est un droit fondamental qui ne saurait se perdre par le non-usage. Pour des raisons techniques, l’action en constatation du réputé non-écrit qui vise à sanctionner partiellemment un contrat est imprescriptible car elle est automatique. Il n’existe donc pas de limite temporelle pour faire un tel constat.

 

CHAPITRE II : L’EXERCICE DE L’ACTION

SECTION I : Les principes directeurs

Ces principes directeurs sont emprunts de liberté. L’action en justice est un droit bilatéral qui implique le droit d’agir en justice et le droit de ne pas agir en justice.

                §1. La liberté d’agir

                                A. L’effectivité du droit d’agir
                                                1) L’obstacle territorial au droit d’agir

Le premier obstacle auquel le justiciable va être confronté est d’ordre territorial car il se peut que le tribunal soit trop éloigné de chez lui. Il est donc important que la justice soit proche des justiciables. Dans certains cas, il faut se rendre au tribunal. Or, il existe un risque que justiciable soit dissuadé d’agir en raison de l’éloignement du tribunal de son domicile. C’est la raison pour laquelle le législateur a choisi de conserver les chambres de proximité pour rapprocher la justice des justiciables. Les réformes judicaires risquent d’entraver le droit d’agir si le législateur ne concilie pas la nécessité de la proximité et la volonté d’allouer efficacement les ressources publiques.

                                                2) L’obstacle temporel au droit d’agir

Le justiciable peut se heurter à un obstacle temporel notamment en cas de fermeture du tribunal. Pour éviter ce problème, on prévoit des règles pour assurer la continuité du service public de la justice (COJ). Il en résulte qu’en cas d’urgence, le justiciable doit pouvoir saisir le juge à tout moment. Ainsi, le juge des référés peut être saisi même pendant les jours de vacances, les jours fériés et les week-ends. Ce principe de continuité a pour effet d’interdire aux magistrats d’exercer une quelconque entrave au service public de la justice.

                                                3) L’obstacle financier au droit d’agir

Le justiciable peut ne pas saisir le juge car il n’en a pas les moyens. En cette matière, l’effectivité du droit à agir implique deux conséquences. En premier lieu, le principe de gratuité du service public en vertu duquel l’État rémunère les magistrats. Néanmoins, les frais de fonctionnement et de procédure sont payés en partie par les parties.  En second lieu, l’effectivité du droit à agir implique la mise en place d’un mécanisme de solidarité financière qui réside en l’aide juridictionnelle. Cette aide juridictionnelle, instituée par une loi spéciale du 10 juillet 1991, permet de prendre en charge les autres charges qui ne sont pas couvertes par le service public de la justice.

                                B. Le droit d’agir à tort

On a le droit de perdre librement son procès. Celui qui agit à tort n’a pas à être sanctionné du seul fait qu’il n’a pas gagné son procès. Si le principe n’était pas consacré, le justiciable risquerait de ne pas saisir le juge. Pour garantir la liberté d’agir, il faut protéger le droit d’agir.

Le droit consacre une immunité au bénéfice de celui qui agit à tort. Il s’ensuit que celui qui perd son procès n’engage pas sa responsabilité civile envers son adversaire, lequel ne peut prendre des mesures de représailles. De plus, celui qui perd son procès n’engage pas non plus sa responsabilité pénale. Néanmoins, l’art.32-1 CPC prévoit deux exceptions qui visent à sanctionner le justiciable qui serait de mauvaise foi. D’une part, celui qui agit à tort peut être sanctionné s’il agit de manière dilatoire, c’est-à-dire en essayant du gagner du temps pour conserver un droit qu’il a indûment acquis. D’autre part, celui qui agit à tort peut être sanctionné s’il agit de manière abusive. En effet, le droit a une fonction sociale et on ne peut en faire un usage anti-social. Concrètement, on ne peut pas user d’un droit dans le but de nuire à autrui. Cet abus de droit est apprécié librement par les juges du fond mais il est très peu retenu pour ne pas entraver le droit d’agir. Par exemple, le juge peut caractériser un abus du droit d’agir lorsqu’un justiciable harcèle un autre en intentant des procès en permanence sur des prétextes inutiles.

Le demandeur qui agit de manière dilatoire encourt 3 types de sanctions. D’abord, il peut être condamné au versement d’une amende civile (somme forfaitaire) prononcée par le juge civil (et non pénal) pouvant aller jusqu’à 10 000 €. Ensuite, il peut engager sa responsabilité envers l’adversaire. Enfin, si le demandeur bénéficie de l’aide juridictionnelle, il devra la reverser en totalité. Néanmoins, celui perd son procès peut être amené à payer des frais à l’adversaire.

                §2. La liberté de ne pas agir

La liberté de ne pas agir découle du fait que l’action est un droit et non une obligation.  En principe, nul n’est contraint d’agir en justice en vertu de l’approche libérale de la procédure civile. En réalité, cette liberté de ne pas agir pose un problème car renoncer à agir en justice revient à renoncer à faire appliquer le droit ou renoncer à revendiquer l’application du droit. Certains auteurs, tel Ihering, considèrent qu’il devrait y avoir un devoir d’agir en justice. Cette liberté de ne pas agir ne devrait-elle pas être limitée en présence de certaines règles notamment d’ordre public ou portant sur des droits indisponibles ? En principe, les règles d’ordre public sont des règles que les parties ne peuvent écarter par contrat. Les droits indisponibles sont des droits dont leurs titulaires ne peuvent disposer librement (état des personnes, situation familiale, etc.).

Malgré cette approche théorique, le devoir d’agir en justice est très difficile à mettre en place, à surveiller et à contrôler même en présence de règles d’ordre public ou de droits indisponibles.    

Il existe néanmoins des tempéraments à la liberté de ne pas agir qui consistent à pallier l’inaction du justiciable. Le premier tempérament concerne les habilitations à agir qui consistent à permettre à une personne d’agir pour autrui ou pour un intérêt collectif. Par exemple, le ministre de l’Économie en matière de pratiques anticoncurrentielles ou le ministère public en matière d’ordre public. Le législateur peut octroyer la faculté ou l’obligation de relever d’office certaines règles de droit. Ce n’est pas un vrai tempérament car il touche à l’argumentation des parties.

 

SECTION II : Les conditions de mise en œuvre de l’exercice du droit d’agir

L’exercice du droit d’agir passe par la demande en justice. Pour que cette demande en justice soit efficace, il faut qu’elle respecte les conditions de sa validité et qu’elle soit adressée au bon juge.

                §1. Les conditions de validité de la demande en justice

                                A.    Les conditions relatives à l’auteur de la demande

S’il exerce un droit qui lui est propre, l’auteur de la demande doit avoir la capacité d’agir en justice. S’il s’agit d’un droit d’une autre personne, il doit disposer d’un pouvoir pour agir.

                                                1) La capacité

                                                                a) La notion de capacité à agir

La capacité juridique désigne l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits. Positivement, il faut disposer de la personnalité juridique. Négativement, il ne faut pas être frappé par une mesure d’incapacité. Il s’ensuit qu’il y a deux types de situations dans lesquelles une personne n’a pas la capacité d’agir. D’une part, les entités dépourvues de la personnalité juridique qui sont des individus qui n’existent pas ou n’existent plus dans le monde du droit. Ainsi, les personnes physiques qui ne sont pas encore nées et qui sont décédées (sauf à être prolongées par leurs héritiers) ne peuvent pas agir en justice. Les personnes morales posent des difficultés. En effet, il n’est pas rare que des personnes agissent pour le compte d’une entité qui n’a pas la personnalité morale (société en participation) ou encore qu’une personne morale agisse contre une société absorbée (absence de personnalité morale) ou contre une ambassade (absence de personnalité morale).

La Cour de cassation considère que le défaut de personnalité juridique se rattache à la capacité à agir et pose un problème d’exercice du droit à agir et non d’existence du droit à agir. Dès lors, les individus frappés par une incapacité juridique ne peuvent agir que par l’intermédiaire de représentants.

                                                                b) La sanction de l’incapacité à agir

S’agissant d’un problème d’exercice du droit d’agir, la sanction, qui ne frappe que les actes de procédure, réside dans la nullité. En effet, le défaut de capacité à agir est sanctionné par la nullité de la demande en justice. Ce n’est pas un défaut d’existence du droit d’agir qui, dès lors, ne peut être sanctionné par l’irrecevabilité des prétentions. La Cour de cassation précise que la nullité qui atteint les actes de procédure est une nullité pour vice de fond et non de forme.

                                                2) Le pouvoir pour agir

Le pouvoir est une notion qui désigne généralement l’aptitude d’une personne à représenter autrui dans l’exercice d’un droit. Le pouvoir pour agir désigne l’aptitude d’une personne à représenter autrui dans l’exercice de son droit d’action. En rappel, celui qui exerce un pouvoir pour agir exerce le droit d’agir du représenté et non un droit qui lui est propre.

Ce pouvoir pour agir peut avoir une source légale (les parents représentant leur enfant mineur) ou une source conventionnelle (mandat). Pendant longtemps, la représentation était interdite en vertu de l’adage nul ne plaide par procureur. Les parties au litige étaient tenues de comparaitre personnellement devant le juge. Aujourd’hui, il est possible de se faire représenter dans l’exercice de son droit d’agir même s’il existe quelques réticences de la procédure vis-vis de la représentation.

Lorsque le pouvoir d’agir est donné de façon conventionnelle, il faut respecter certaines règles. En premier lieu, le pouvoir doit être donné par écrit. En deuxième lieu, le pouvoir doit être spécial. En effet, les parties doivent préciser la nature du litige et l’identité des défendeurs. En troisième lieu, les actes de procédure doivent mentionner les noms du représenté à peine de nullité de l’acte. En matière d’habilitation d’agir, la règle nul ne plaide par procureur continue de s’appliquer.

Contrairement à l’habilitation à agir, le pouvoir d’agir concerne l’exercice du droit d’action. Dès lors, la sanction du défaut du pouvoir ne réside pas dans l’irrecevabilité des prétentions mais dans la nullité des demandes pour vice de forme.

                               B.    Les conditions relatives à la demande elle-même

La demande en justice doit respecter un certain nombre de conditions pour être valable. C’est un droit formaliste. Deux types conditions de forme à respecter.

                                                1) Les mentions obligatoires

                                                                a) L’intérêt des mentions obligatoires

En premier lieu, le but des mentions obligatoires est d’assurer la qualité du procès car elles obligent les parties à communiquer des informations qui sont importantes pour que le juge prenne la bonne décision. En second lieu, elles permettent favoriser la rapidité du procès, notamment les mentions prévues pour les demandes en justice. En effet, la demande est le premier acte de procédure.

                                                                b) Le contenu des mentions obligatoires

Les mentions exigées des parties sont nombreuses. Il y a plusieurs niveaux de formalités à respecter. Le premier niveau est que ces mentions obligatoires dépendent de la nature de l’acte réalisé par les parties. En outre, elles peuvent dépendre du type de procédure intenté ou du tribunal devant lequel la procédure a été intentée.

                                                                                i. Les mentions selon le type de demande concernée

S’agissant des mentions obligatoires qui dépendent de la nature de l’acte réalisé, il faut distinguer la demande initiale et les demandes incidentes (faites en cours de procès). La demande initiale contient beaucoup de mentions obligatoires en tant que premier acte de la procédure. La demande initiale est soumise à un formalisme général quel que soit le mode de saisine retenue. L’art.54 CPC liste les mentions obligatoires parmi lesquelles, la demande doit contenir l’indication de la juridiction qui aura à traiter de l’affaire, l’objet de la demande, les éléments d’identification des demandeurs (personne physique ou personne morale), les éléments d’identification du bien immobilier si le litige porte sur un bien immobilier. En cas de procédure amiable obligatoire, il faut préciser les diligences entreprises pour respecter ces exigences.

Outre ce formalisme général, les demandes initiales sont soumises à un formalisme spécifique qui dépend du mode de saisine du tribunal. La demande en justice est un terme générique car il y a plusieurs espèces de demandes en justice. Depuis la loi du 23 mars 2019, il n’y a plus que deux demandes en justice que sont l’assignation et la requête (simple ou conjointe).

L’assignation est nécessairement un acte d’huissier (commissaire de justice) par lequel le demandeur cite le défendeur à comparaitre devant le juge. Elle est soumise à des mentions spéciales du fait qu’elle est un acte d’huissier (art.648 CPC) et des mentions obligatoires spécifiques pour l’assignation qui doit préciser le lieu, l’heure et le jour de l’audience (art.56 CPC). L’assignation doit contenir les moyens de fait et de droit, la liste des pièces sur lesquelles la demande est fondée, les modalités de comparution devant la juridiction et doit mettre en garde le défendeur que faute de comparution, la décision sera rendue contre lui sur le fondement des seuls éléments fournis par le demandeur.

La requête est soumise à un formalisme qui relève de l’art.57 CPC. Elle doit indiquer les pièces sur laquelle la demande est fondée et doit être datée et signée. Si la requête est formée par une seule partie, elle doit contenir des éléments d’identification des défendeurs absents. Si la requête est formée conjointement, elle doit contenir l’objet du litige.

S’agissant des demandes incidentes, il est prévu à l’art.67 CPC qu’elles doivent contenir les prétentions du demandeur, les moyens de la partie qui a formé la demande et les pièces justificatives au soutien de la demande.

                                                                                ii. Les mentions selon la procédure ou le tribunal concerné

Les art.752 et 753 CPC prévoient des mentions obligatoires qui tiennent à la représentation et le délai. Lorsque la représentation par avocat est obligatoire, outre les mentions prescrites aux arts. 54 et 56 CPC, l'assignation contient à peine de nullité, la constitution de l'avocat du demandeur et le délai dans lequel le défendeur est tenu de constituer avocat.

                                                                c) La sanction des mentions obligatoires

          Ces conditions sont imposées à titre de validité. La sanction de l’omission d’une de ces mentions réside dans la nullité de la demande pour vice de forme et non de fond. Les nullités pour vice de forme ne sont pas automatiques, elles ne sont mises en œuvre que si elles causent un grief à l’adversaire dont l’une des mentions l’a empêché de préparer sa défense en temps utile.

                                                2) La notification obligatoire

          Pour être valable, la demande doit être communiquée à l’adversaire. Cette notification doit respecter l’une des voies prévues par le CPC qui prévoit 3 procédures que sont la notification par acte d’huissier (signification), la notification en la forme ordinaire (lettre RAR) et la notification entre avocats (lorsque la procédure exige le ministère d’avocat). La sanction de l’absence de notification réside dans la nullité de la demande en justice pour vice de forme.

                §2. La compétence du tribunal saisi

                                A. La notion de compétence

Il faut distinguer la notion de compétence et la notion de pouvoir de juger. Au sens très large, la compétence désigne l’aptitude d’un tribunal à connaitre d’un litige. En effet, les tribunaux ne peuvent connaitre que des litiges qui relèvent de leur compétence. D’une part, cela répond à une exigence de spécialisation des juges pour qu’ils soient compétents dans leur domaine. D’autre part, cela répond à une exigence de proximité aussi bien à l’égard du justiciable et que du litige. Stricto sensu, la notion de compétence désigne l’aptitude d’une juridiction à connaitre d’un litige par rapport à une autre juridiction qui appartient au même système juridique. La compétence renvoie au conflit entre deux juridictions étatiques françaises. En cas de conflit entre le TJ de Lyon ou de Paris, il y a un problème de compétence.

La compétence s’oppose au pouvoir de juger. En effet, le pouvoir de juger désigne l’aptitude de l’ensemble des juridictions étatiques françaises à connaitre d’un litige. Il s’agit de savoir si les tribunaux français dans leur ensemble peuvent connaitre du litige. En présence d’un défaut du pouvoir de juger, toutes les juridictions étatiques françaises sont incompétentes.

           Les exceptions de compétence au sens strict appartiennent aux exceptions de procédure au sein desquelles elles sont soumises à un régime spécifique. Le défaut du pouvoir de juger s’analyse en une fin de non-recevoir.

                                B. La désignation du tribunal compétent
                                                1) La désignation légale

                                                                a) La compétence matérielle

La compétence matérielle ou d’attribution vise à répartir les litiges au sein d’un système juridique en fonction de la matière du litige. On ne s’intéressera qu’à la première demande.

                                                                                i. La juridiction de droit commun

Au sein de l’ordre judiciaire, juridiction de droit commun est le tribunal judiciaire qui résulte de la fusion des anciens TI et TGI. La juridiction de droit commun est composée de magistrats professionnels exclusivement et statue en principe de manière collégiale. Il faut distinguer deux types de compétence. Le TJ possède une compétence de principe et des compétences spécifiques dites exclusives du TJ.

S’agissant de la compétence de principe, le TJ a vocation à connaitre de tous litiges civils et commerciaux que la loi n’aurait pas réservé à un autre tribunal. Outre cette compétence résiduelle, le TJ dispose de compétences exclusives pour connaitre des litiges en matière civile et commerciale. Le TJ est exclusivement compétent en matière d’état des personnes (mariage, filiation, déclaration d’absence, etc.), en matière successorale et en matière immobilière.

Le TJ peut se spécialiser. D’abord, s’agissant de l’organisation interne, le TJ connait des formations spécifiques en son sein dotées de compétences spécifiques.  Par exemple, la chambre de proximité, formation spécifique du TJ dans les localités où il n’y a pas de TI. Ces chambres de proximité sont dotées des mêmes compétences que les TI. Elles peuvent connaitre des actions personnelles ou mobilières dont le montant est inférieur à 10 000 € et disposent d’une compétence exclusive dans le contentieux de la protection. On trouve le juge du contentieux de la protection dans les localités qui ne sont pas gérées par une chambre de proximité, le juge de l’exécution chargé de juger du contentieux relatif à l’exécution des titres exécutoires ou encore le juge aux affaires familiales (JAF).

S’agissant de l’organisation territoriale, en principe, la compétence est censée être commune à tous les TJ. Néanmoins, de plus en plus, le législateur va spécialiser certains TJ sur certains sujets techniques. Par exemple, en matière de propriété intellectuelle, seuls certains tribunaux territorialement désignés sont compétents (Paris, Bordeaux, Lille).

                                                                                ii. Les juridictions d’exception

La spécificité de ces juridictions d’exception est de ne pas être composées exclusivement de magistrats professionnels mais également de personnes de la société civile. Tout d’abord, le tribunal de commerce qui est une juridiction consulaire composée exclusivement de commerçants et de dirigeants d’entreprise élus par leurs pairs. Il est exclusivement compétent pour les litiges entre commerçants ou les litiges relatifs aux sociétés commerciales. On parle souvent de sa disparition et on propose régulièrement de l’incorporer dans un tribunal qui traiterait de toutes les affaires économiques qui seraient compétent pour tous les litiges entre professionnels (libéraux et commerciaux, artisans).

Ensuite, les conseil de prud’hommes qui sont compétents pour connaitre des litiges qui naissent de l’exécution d’un contrat de travail individuel. Ils sont composées de conseillers prud’hommaux qui représentent les employeurs et les salariés. Ils sont aujourd’hui désignés, auparavant ils étaient élus.

Enfin, les tribunaux paritaires des baux ruraux connaissent des litiges qui naissent de l’exécution d’un bail rural. C’est une juridiction échevinale c’est-à-dire mélangée de magistrats professionnels et non professionnels qui représentent les propriétaires et les locataires. Il est présidé par un magistrat professionnel assisté par des assesseurs.

                                                                b) La compétence territoriale

Il s’agit de répartir le litige en fonction de sa localisation géographique. On raisonne par ressort géographique.

                                                                                i. Principe

En principe, la juridiction compétente est le for du défendeur (art.42 CPC) ; actor sequitur forum rei. Le défendeur est celui qui est dérangé par le litige et on impose au demandeur de se déplacer dans la localité de celui-ci. Si le défendeur est une personne physique, on retient son domicile ou sa résidence. Si le défendeur n’a pas de résidence ou de domicile, le demandeur peut saisir la juridiction du demandeur et s’il réside à l’étranger, il pourra saisir la juridiction française de son choix. Si le défendeur est une personne morale, on retient le lieu d’établissement.

En application de la théorie des gares principales, le demandeur peut saisir le tribunal du lieu où est établi le siège social statutaire de la personne morale mais également la juridiction d’un établissement secondaire de la personne morale qui est en lien avec le litige, lien dans lequel il a un centre de gestion de la personne morale.

                                                                                ii. Les tempéraments et exceptions

          Les tempéraments consistent à consacrer une option de compétence au profit du demandeur qui n’écartent pas la compétence de principe. Le demandeur aura le choix entre la saisine de la juridiction du lieu du défendeur ou une autre juridiction. Les exceptions consistent à mettre à l’écart la compétence de principe.

Les options de compétence sont listées à l’art.46 CPC et sont au nombre de 4. En matière contractuelle, le demandeur peut saisir soit la juridiction de droit commun ou la juridiction du lieu d’exécution du contrat. Pour les contrats translatifs de propriété, il faut retenir le lieu de livraison du bien et pour les prestations de service, on retient le lieu d’exécution de la prestation du service. En matière délictuelle, le demandeur peut saisir le tribunal du lieu du délit qui peut être le lieu du fait générateur et le lieu où le préjudice a été subi. En matière alimentaire et de contribution aux charges du mariage, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où demeure le défendeur ou le créancier de l’obligation alimentaire.  En matière mixte, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu de situation de l’immeuble.

Les compétences exclusives sont des exceptions. En matière réelle immobilière, la juridiction compétente est le lieu de situation de l’immeuble à l’exclusion du lieu où demeure le défendeur. En matière successorale, le demandeur doit saisir la juridiction dans le ressort de laquelle la succession est ouverte. La succession s’ouvre en principe au lieu du dernier domicile du défunt.

                                                2) La désignation conventionnelle

                                                                a) La clause attributive de juridiction

Les clauses attributives de juridiction se caractérisent par le fait qu’elles ont pour effet d’attribuer compétence à une autre juridiction étatique que celle désignée par la loi. Ce sont des clauses de prorogation de compétence car elles ont pour conséquence d’élargir la compétence du tribunal saisi. On parle aussi de clause d’élection de for (electio fori). A priori, elles sont illégitimes car elles ont pour effet de modifier la façon dont l’État a organisé le système judiciaire. En principe, elles ne sont pas valables en droit interne. Par exception, l’art.41 CPC (compétence matérielle) permet de déroger à une règle légale lorsque la compétence dépend du montant du litige (chambre de proximité) En outre, l'art.48 CPC permet aux commerçants de stipuler des clauses attributives de juridiction à condition que la clause ait été spécifiée de façon très apparente.

                                                                b) Les conventions d’arbitrage

Les conventions d’arbitrage visent à déroger aux règles de compétence légale et attribue compétence à une juridiction arbitrale (non étatique). Il existe deux types de conventions d’arbitrage que sont la clause compromissoire et le compromis. La clause compromissoire est la clause qui anticipe le litige tandis que le compromis intervient après la naissance du litige. En principe, en droit interne les conventions d’arbitrage sont valables à moins qu’elles portent sur une matière qui touche à l’ordre public (état des personnes, droit de la famille, droit des faillites, etc.). Elles sont plus largement admises que les CAJ car elles s’immiscent moins dans l’organisation du système judiciaire. En effet, en écartant la compétence de toutes les juridictions étatiques, elles soulèveraient en principe un problème de pouvoir de juger. Cependant, la Cour de cassation considère la convention d’attribution pose un problème de compétence de sorte que le moyen soulevé sera traité comme une exception d’incompétence et non sous l’angle du pouvoir de juger.

                                C. La résolution des incidents de compétence

L’incident de compétence est la situation dans laquelle un tribunal est saisi et que le défendeur soulève une exception de compétence.

                                                1) Les enjeux du contentieux de la compétence du tribunal

C’est l’un des problèmes les plus délicats de la procédure qualifiés par le passé de plaie de la justice. En effet, ce contentieux de la compétence pose un problème d’impartialité du tribunal saisi car en principe, il appartient au tribunal saisi de juger de sa propre compétence. Ce magistrat est en fait juge et partie. On cherche à garantir l’indépendance du tribunal. Ensuite, le contentieux de la compétence met très régulièrement en jeu des questions de fond, ce qui peut avoir une conséquence sur la solution du litige.  Il faut déterminer des qualités, qualifier des actes juridiques.

Enfin, cela pose un problème de rapidité de la procédure. On craint que ce contentieux ne ralentisse trop la procédure. Soit on accorde toute son importance au contenu de la compétence mais on prendrait le risque de retarder le règlement du procès, soit on cherche à privilégier l’efficacité de la procédure, et on accorde moins d’importance au contenu de la compétence. L’ancien CPC accordait une grande importance au contentieux de la compétence. En effet, les praticiens se plaignent des lenteurs de la justice causées par le contentieux de la compétence. C’est la raison pour laquelle le nouveau CPC de 1975 a fait le choix de rééquilibrer le droit français en faveur de plus d’efficacité procédurale au détriment du contentieux de la compétence.

Le régime des exceptions de compétence est prévu aux art.75 à 91 CPC. En premier lieu, les exceptions de compétence doivent être soulevées in limine litis (au début du litige), soit avant tout autre moyen de défense. Par souci d’efficacité de la procédure, si une exception d’incompétence est soulevée tardivement, elle ne sera pas examinée par le juge. Le risque est qu’un tribunal incompétent tranche l’affaire. En deuxième lieu, le demandeur doit spécialement motiver son moyen (déclinatoire de compétence) lorsqu’il soulève une exception de compétence. Il doit indiquer quel est, selon lui, le tribunal compétent. En troisième lieu, le jugement qui statue sur la compétence peut faire l’objet d’un appel spécifique. Néanmoins, la procédure d’appel contre ce jugement sera une procédure accélérée dans le souci de traiter rapidement le contentieux. En quatrième lieu, le tribunal qui constate son incompétence doit nécessairement désigner le tribunal qu’il estime compétent à tout le moins s’il est un tribunal civil de l’ordre judiciaire. S’il s’agit d’un tribunal administratif ou pénal, le juge renvoie les parties à mieux se pourvoir. Le tribunal ainsi désigné ne peut pas décliner sa compétence. En cinquième lieu, le juge a toujours le pouvoir de soulever son exception d’incompétence mais ce n’est pas toujours une obligation.

 

                                                2) La résolution en faveur de la compétence du tribunal saisi

Le tribunal peut rejeter le moyen soulevé par le défendeur si l’exception est mal fondée. Il se peut que l’incident de compétence soulevé ne soit pas totalement infondé mais que le tribunal saisi demeure incompétent. Dans certains cas, le tribunal saisi aura le droit d’élargir sa compétence. On parle de prorogation légale ou judiciaire de compétence. Cela renvoie à 4 hypothèses.

La première hypothèse est celle où le demandeur veut saisir le tribunal mais il veut agir contre plusieurs défendeurs. Or, l’art.42 CPC l’oblige à saisir la juridiction du lieu où demeure le défendeur. Dès lors, le demandeur peut attraire l’intégralité des défendeurs devant la juridiction où demeure l’un d’eux. L’on évite ainsi le morcellement du procès. Cependant, le demandeur pourrait essayer d’élargir la compétence du tribunal de façon artificielle en attaquant un défendeur factice. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation exige que le défendeur soit réel et sérieux.

La deuxième hypothèse est celle où le demandeur saisit un tribunal compétent alors que le défendeur aussi a saisi un tribunal compétent. En effet, il peut exister une pluralité de saisines par application de l’art.42 CPC. Dans un contrat de vente, il peut arriver que le vendeur demande le paiement du prix alors que l’acheteur demande une garantie. Ce phénomène est amplifié en présence d’une option de compétence. En cas de pluralité de saisines, on essaie de réunir les mêmes affaires au sein d’une même juridiction. La litispendance consiste à réunir deux affaires qui sont identiques en appliquant le critère de la triple identité (parties, objet et cause). La juridiction saisie en second lieu se déclare incompétente au profit de la première. L’exception de connexité se rencontre lorsque deux affaires ne sont pas totalement identiques mais disposent d’un lien de connexité.

La troisième hypothèse est celle où le demandeur a saisi un tribunal compétent et le défendeur soulève un moyen de défense qui relève d’une autre juridiction. La loi admet que le tribunal saisi puisse connaitre du moyen de défense. On dit que le juge de l’action est le juge de l’exception. Encore une fois, on cherche l’unité du procès. Cependant, lorsque la résolution de l’instance soulève une question d’interprétation qui relève de la compétence exclusive d’un tribunal, le tribunal saisi doit poser une question préjudicielle au tribunal compétent.  C’est par exemple le cas lorsque la CJUE est saisie d’une question d’interprétation des textes de l’UE.

La quatrième hypothèse est celle où le demandeur saisi un tribunal compétent mais après il soulève de nouvelles demandes qui relèvent de la compétence d’un autre tribunal. Dans ce cas, il faut distinguer selon qu’il a saisi un tribunal de droit commun ou d’exception. En principe, la juridiction de droit commun a la plénitude de juridiction de sorte qu’il peut connaitre des demandes incidentes relevant d’une autre juridiction. Par exception, la juridiction de droit commun ne peut connaitre de demandes relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction. Si le tribunal saisi est une juridiction d’exception, il ne pourra pas connaitre de toutes les demandes incidentes.

                                                3) L’incompétence du tribunal

Le tribunal qui se déclare incompétent doit désigner le tribunal qu’il estime compétent. La déclaration d’incompétence est parfois une faculté mais parfois il s’agit d’une obligation et doit être relevée d’office.

PARTIE II : LE DÉROULEMENT DU PROCÈS

          Il s’agira d’appréhender toutes les étapes qui mènent de la mise en œuvre de l’action et le prononcé du jugement. Elles se concentrent sur le cœur du procès. Le procès n’est qu’une phase préparatoire en ce sens qu’elle vise à préparer un dossier qui permettra au juge de rendre sa décision sur le litige qui lui est soumis. Il s’agit de mettre l’affaire en état d’être jugée.

          Pour les parties, il s’agit de convaincre le juge, de tout donner, d’apporter tous éléments de fait et de droit pour emporter la décision du juge et obtenir une décision favorable. D’un point de vue juridique, cette phase préparatoire repose sur la notion particulière que l’on appelle l’instance.

TITRE I : LA NOTION D’INSTANCE

 

CHAPITRE I : LA NATURE DE L’INSTANCE

SECTION I : La définition de l’instance

L’instance se définit comme un lien de droit processuel entre deux personnes. D’une part, l’instance est un lien de droit entre plusieurs personnes. Ce lien de droit processuel est immatériel et abstrait de sorte qu’il n’est pas possible de se représenter une instance. D’autre part, l’instance est un lien de droit de nature processuelle qui permet d’organiser le processus judiciaire qui va mener à la résolution du litige par le juge. L’instance permet de régir les raisons entre les acteurs du procès. Surtout, le lien d’instance conditionne l’efficacité des actes de procédure. Si le lien est rompu, alors les actes de procédure ne seront plus efficaces.

SECTION II : L’origine de l’instance

L’instance résulte-elle de la volonté des parties ou s’impose-t-elle à la volonté des parties ? Si l’instance est un lien de nature légale, elle doit être conçue comme un lien indépendant des parties au litige. Elle s’imposerait aux parties au litige et s’imposerait par le seul fait que le demandeur a saisi le juge. L’instance ne résulte pas d’une convention mais d’une manifestation de volonté unilatérale du demandeur. Et pourtant, l’instance est considérée comme un lien de droit de nature contractuelle ou conventionnelle. Même si c’est le demandeur qui introduit l’instance, le défendeur accepte en réalité cette instance en comparaissant devant le juge.  Ce lien permettait de justifier la validité d’un certain nombre de contrats qui touchaient à la procédure.

Aujourd’hui, la doctrine majoritaire considère que le lien d’instance possède une nature légale pour 3 raisons. En premier lieu, les droits et les devoirs découlant de l’instance sont pour l’essentiel d’origine légale. Par exemple, l’obligation de communiquer les pièces de la procédure est prévue par loi. En deuxième lieu, l’instance peut exister en l’absence de défendeur.  En troisième lieu, il est estimé que la nature légale du lien de l’instance ne fait pas obstacle à certains aménagements conventionnels de la part des parties.

 

CHAPITRE II : LES SUJETS DE L’INSTANCE

L’instance est un lien de droit entre plusieurs personnes et la question est de savoir quelles sont les personnes reliées par ce lien. En effet, la décision de justice ne produit d’effet qu’envers les parties au lien d’instance à l’exclusion des tiers.

SECTION I : Les parties au litige

Qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, les parties au litige sont des sujets du lien d’instance. Cependant, les parties au litige n’occupent pas la même place. D’un côté, le demandeur, qui a l’initiative du procès, bénéficie de certains avantages notamment le choix du tribunal en cas d’option de compétence mais il lui incombe aussi la charge de déplacement et de preuve. De l’autre, le défendeur joue un rôle simple qui consiste à se défendre, à s’opposer aux prétentions du demandeur mais il devra accomplir certains actes de procédure. Il est possible d’avoir une pluralité de demandeurs ou de défendeurs défendant le même intérêt. Par exemple, deux époux demandent le paiement d’une même dette unique.

          Les litigants ayant le même intérêt sont qualifiés de colitigants ou de litisconsorts. En principe, ils doivent être traités séparément dans la procédure. En effet, il existe en principe autant de liens d’instance que de colitigants. Il est fait application du principe de divisibilité entre les colitigants au lien d’instance, ce dont il résulte que chacun des colitigants doit accomplir des actes de procédure à l’égard des adversaires et que, de même, chacun des adversaires doit accomplir des actes à l’égard de chacun des colitigants. Par exception, il est parfois possible de traiter les colitigants comme une seule partie au procès en évitant le phénomène de division. Ainsi, lorsque le litige est indivisible, il n’y a pas lieu de séparer les colitigants. Les codébiteurs solidaires sont tenus d’une dette unique.

          Il arrive que les parties soient représentées dans la procédure. En principe, les représentants ne sont pas des parties au litige, ce dont il résulte qu’ils ne sont pas parties au lien d’instance, sauf en cas d’habilitation à agir.

SECTION II :  Les tiers au litige

À l’inverse, les tiers ne sont pas sujets du lien d’instance et la décision de justice ne produira en principe pas d’effet à leur égard. Le tiers est la personne qui n’est ni l’auteur ni le destinataire d’une prétention. Pour autant, un certain nombre de tiers peuvent exercer une influence dans le cadre du procès. Par exemple, les témoins ou les experts. Par exception, il est possible d’attraire un tiers dans la procédure et d’en faire une véritable partie au litige. Une personne initialement tierce peut devenir en cours de route partie au litige et par suite sujet du lien d’instance. L’acte par lequel le tiers est intégré à l’instance s’appelle l’intervention. L’intervention peut être spontanée si le tiers intervient volontairement ou forcée s’il est attrait à la procédure par l’une des parties initiales. Par exemple, si une victime agit contre un responsable, elle peut attraire l’assureur. On parle également de mise en cause. La question est de savoir si le tiers sera lié avec les parties initiales par un lien d’instance unique ou le lien d’instance sera divisé entre les parties au procès. En principe, le tiers mis en cause est lié par le même lien d’instance qu’avec les parties. Mais il existe des exceptions notamment en cas d’appel en garantie.

SECTION III : Le juge

Le juge est-il lié par le lien d’instance ? De façon générale, le juge est un acteur majeur de l’instance mais également un acteur atypique de l’instance. Si le juge est partie au lien de l’instance, il n’est pas partie au litige. Il n’a pas d’intérêt dans le litige puisqu’il est chargé de le trancher. Néanmoins, l’instance est un lien judiciaire.

CHAPITRE III : L’OBJET DE L’INSTANCE

L’objet de la demande désigne ce que le demandeur demande au juge (dommages-intérêts, annulation d’un contrat, etc.). La cause des demandes désigne le fondement des prétentions. La cause de la demande peut faire l’objet de deux appréciations différentes. Entendu largement, le fondement des prétentions renvoie aux éléments de fait et de droit qui soutiennent la prétention. Entendu strictement, la cause désigne l’ensemble des éléments factuels qui viennent au soutien de la prétention à l’exclusion des éléments de droit. La cause sert à l’application de certaines règles telle la triple identité applicable en matière de litispendance.

TITRE II : LE RÉGIME DE L’INSTANCE

 

SOUS-TITRE I : LE COURS NORMAL DE L’INSTANCE

 

CHAPITRE I : LES PRINCIPES DIRECTEURS DE L’INSTANCE

S’agissant des principes directeurs, il existe un certain flou qui règne en doctrine.

 

SECTION I : Le principe accusatoire

Ce principe accusatoire permet de répondre à la question de savoir qui, des parties ou du juge, dirige l’instance. La procédure est accusatoire lorsque ce sont les parties qui dirigent le procès. C’est le devoir entre les parties de permettre d’instruire le procès. La procédure accusatoire est un processus d’instruction du procès par la confrontation des différents points de vue des parties. L’idée est que la bonne décision est censée apparaitre par la confrontation entre les parties.

Dans ce type de procédure, le juge laisse les parties instruire le procès. Puisqu’elle s’appuie sur le débat entre les parties, la procédure accusatoire est souvent orale et censée être publique. En principe, la procédure civile française est accusatoire. C’est la raison pour laquelle il est dit que le procès est la chose des parties, lesquelles doivent défendre leurs intérêts. C’est le type de procédure qui apparait moins coûteux pour l’État puisque le juge joue un rôle passif. Les procédures accusatoires s’opposent aux procédures inquisitoires.

Dans les procédures inquisitoires, c’est le juge qui dirige l’instance et non les parties. Elles sont dites inquisitoires (inquisitio, enquêter) car c’est le juge qui instruit le dossier lui-même sans nécessairement se reposer sur les parties. L’idée est que la vérité n’est pas censée émerger de la seule confrontation des parties mais par une enquête objective menée par un tiers indépendant et impartial. L’enquête est écrite et secrète puisque le juge ne révèlera les résultats de son enquête qu’à la fin. En principe, la procédure civile française est accusatoire mais parfois le juge joue un rôle de plus en important au fur et à mesure des réformes et sera amené à accompagner les parties dans la conduite de l’instance. Aussi, certains auteurs préfèrent parler d’un principe de coopération, c’est-à-dire une coopération entre le juge et les parties visant à préparer convenablement le dossier qui permettra au juge de prendre sa décision.

 

SECTION II : Le principe dispositif

Le principe dispositif concerne l’objet de l’instance et donne aux parties un monopole pour déterminer certains éléments de l’objet de l’instance. En particulier, ce principe contient deux règles. En premier lieu, les parties sont les seules à pouvoir déterminer l’objet des prétentions. Elles ont le monopole des prétentions. A contrario, le juge ne peut soulever lui-même de nouvelles prétentions ni modifier les prétentions des parties. Le principe dispositif implique, à l’égard du juge, un principe d’immutabilité de l’objet du litige. Par les demandes incidentes, les parties peuvent modifier l’objet du litige à condition qu’elles aient un lien avec les demandes initiales. En second lieu, les parties déterminent les faits qu’elles font entrer dans les débats, les faits sur lequel le juge s’appuie pour fonder sa décision. A contrario, le juge ne peut pas ajouter de nouveaux éléments de fait pour fonder sa décision. En principe, le principe dispositif ne concerne que les faits et non des éléments de droit. A contrario, le juge peut soulever d’office des règles de droit. Ceci parce que le droit est le domaine d’expertise du juge qui doit trancher le litige conformément aux règles de droit applicables.

 

SECTION III : Le principe du contradictoire

Énoncé à l’art.16 CPC, le principe du contradictoire est à la fois un principe directeur et un principe cardinal de la procédure civile. Ce principe possède une valeur supra législative car il est protégé par l’art.6 CEDSH et est élevé au rang de PFRLR par le Conseil constitutionnel. Il pose que chacune des parties au litige doit avoir le possibilité d’exprimer son point de vue dans le cadre de la procédure sur tous les éléments du dossier. C’est pour éviter que le juge ne prenne une décision partiale et biaisée qui ne soit pas adaptée à la situation.

                §1. La mise en œuvre du principe

 

D’emblée, ce principe du contradictoire s’applique tout autant au juge qu’aux parties. En ce qui concerne le juge, le principe du contradictoire pose essentiellement une question d’impartialité et oblige le juge à écouter toutes les parties. D’abord, il a une obligation de surveillance en ce sens qu’il doit veiller à ce que les parties appliquent elles-mêmes ce principe. Ensuite, le juge doit s’appliquer à lui-même le principe du contradictoire. Il ne doit pas empêcher une partie de s’exprimer mais surtout, lorsqu’il est amené à prendre des initiatives, le respect du contradictoire lui impose d’alerter les parties pour qu’elles puissent présenter leurs observations.

          En ce qui concerne les parties, le principe du contradictoire pose une question de loyauté. Il est exigé des parties une conduite loyale. Ce respect du principe conduit à mettre à la charge des parties une obligation de communiquer à l’adversaire tous les documents versés à la procédure. Le domaine de l’obligation de communication est large puisque son application ne souffre quasiment d’aucune exception. Il concerne tous les éléments du dossier. Premièrement, les éléments doivent être communiqués à l’adversaire alors même qu’il aurait déjà connaissance des documents. Deuxièmement, les pièces doivent être communiquées, même s’ils sont soumis à un secret professionnel. Troisièmement, la communication doit être spontanée. Il n’est pas nécessaire d’attendre que l’adversaire nous demande les documents avant de les lui communiquer. Quatrièmement, les pièces doivent être communiquées suffisamment tôt (en temps utile) pour que l’adversaire puisse préparer sa défense. Le défaut de communication sera sanctionné par la non prise en compte. Le document qui n’a pas été communiqué à la partie adverse sera écarté des débats et le juge n’en tiendra pas compte.

                §2. Les limites du principe

En ce que l’efficacité de la procédure sur requête suppose d’agir sur le dos du défendeur, par principe, elle ne sera pas soumise au principe du contradictoire. Ce principe temporairement écarté sera rétabli le plus vite possible par la voie du référé-rétractation. Le défendeur pourra intervenir à l’instance pour exiger du juge qu’il rétracte sa décision.

Le principe du contradictoire trouve une limite lorsque le défendeur ne comparait pas devant le juge. Avec une seule partie à l’instance, il est difficile de mettre en œuvre le principe du contradictoire. Dans ce cas, le juge doit, en tout état de cause, prendre une décision mais il risque de prendre une décision biaisée, compte tenu de l’affaire qui lui est soumise. Pour résoudre ce problème, deux règles trouvent à s’appliquer.  En premier lieu, quoiqu’il arrive, le juge doit rendre sa décision. En effet, le défaut de comparution du défendeur ne fait pas obstacle à la prise de décision du juge. La décision prise par le juge est un jugement rendu par défaut selon un régime spécifique qui tient compte de l’absence de comparution du défendeur à la procédure. Le défendeur qui n’a pas comparu peut exercer le recours en opposition lui permettant de rétablir le principe du contradictoire.

Pour que le recours en opposition soit ouvert, il faut, d’une part, que la décision ne soit pas susceptible d’appel car le défendeur pourra se défendre en appel et, d’autre part, que la citation à comparaitre n’ait pas été remise en personne au défendeur sinon il sera sanctionné pour sa négligence. Lorsque l’une des conditions fait défaut, on dit que le jugement est un jugement réputé contradictoire et non un jugement rendu par défaut.

Le juge n’est pas obligé d’accepter les demandes du demandeur. Il peut refuser d’accueillir la prétention du demandeur, étant précisé que le défaut de comparution du défendeur ne vaut pas acceptation de la prétention du demandeur.

Du point de vue des parties, le principe du contradictoire ne serait-elle pas l’application du principe plus général qui sera le principe de loyauté ? En étudiant la procédure, on s’aperçoit que certaines règles se justifient par l’idée que les parties doivent avoir une conduite loyale dans le cadre de la procédure comme le principe de l’estoppel et la loyauté de la preuve. Ne faudrait-il pas consacrer un principe général de loyauté en procédure civile ? La doctrine est partagée quant à la consécration d’un tel principe. Pour les opposants, ce principe de loyauté présenterait des dangers au motif, d’une part, qu’il est inutile car les règles sont déjà prévues par la procédure civile, et, d’autre part, qu’il parait dangereux car il risquerait de perturber l’organisation du procès.  La question n’a pas été tranchée définitivement mais souvent les décisions de justice se prononcent en faveur du principe de loyauté dans les débats judiciaires.

 

CHAPITRE II : LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE L’INSTANCE

 

SECTION I :  La naissance de l’instance

La naissance de l’instance résulte du premier acte de procédure que constitue l’acte introductif d’instance. C’est la demande initiale. Néanmoins, cet acte introductif d’instance est insuffisant pour faire naître l’instance car encore faut-il que le demandeur saisisse une juridiction.

                §1. La notion de saisine

La saisine désigne l’acte par lequel le juge est formellement sollicité pour connaitre du procès. Cette saisine, à la fois une formalité, contient la mission qui est donnée au juge pour trancher le litige qui existe entre les parties. Le juge sera tenu d’exécuter sa mission, ce qui implique qu’il ne peut pas aller au-delà. S’il va au-delà, il dépasse le champ de sa saisine/étendue de sa saisine. Le juge saisi peut statuer de différentes manières.

Le juge statue ultra petita lorsqu’il accorde au demandeur plus que ce qu’il lui a demandé.  En revanche, il statue extra petita lorsqu’il accorde autre chose que ce que le demandeur lui a demandé. Le justiciable victime de ce dépassement du champ de sa saisine peut agir dans un délai d’un an pour que le juge retranche les éléments de sa décision qui excèdent sa saisine. Il peut former un pourvoi pour obtenir la cassation de la décision.

La mission du juge implique qu’il ne doit pas oublier certains éléments. Le juge statue infra petita lorsqu’il n’a pas tranché toutes les prétentions qui lui ont été soumises. Si le juge n’octroie pas l’intégralité des dommages-intérêts, il accueille partiellement la prétention et la rejette partiellement. Lorsque le juge statue infra petita, le justiciable lésé par la décision dispose d’une option. D’une part, il peut introduire une demande dans un délai d’un an pour que le juge complète son jugement. D’autre part, il peut aussi engager une nouvelle procédure pour obtenir un nouveau jugement, le premier étant réputé n’être pas revêtu de l’autorité de la chose jugée.

En revanche, le justiciable ne peut obtenir la cassation de la décision pour omission d’un chef de saisine. L’instance prend fin lorsque le juge a rempli tous les chefs de sa saisine. Il en résulte que le juge ne pourra plus intervenir à l’instance en raison de la rupture du lien d’instance. Si le juge doit trancher une prétention qu’il déclare irrecevable, il ne saurait formuler une question préjudicielle à l’endroit d’une autre juridiction en vue de trancher un point de droit au fond.

                §2. Les modalités de la saisine

Lorsqu’il rédige sa demande en justice, le demandeur doit non seulement l’envoyer au défendeur mais devra aussi l’enregistrer auprès de la juridiction. Cette formalité s’appelle la formalité d’enrôlement. On met la demande au rôle de la juridiction. En pratique, l’enrôlement (remise au greffe) consiste à remettre la demande en double exemplaire au greffe de la juridiction.

Lorsque le procès est introduit par une assignation, l’art 754 CPC pose deux règles. D’une part, la remise au greffe doit intervenir au moins 15 jours avant la date d’audience. D’autre part, lorsque la date d’audience est communiquée par voie électronique, l’assignation doit être placée au greffe dans les 2 mois à compter de l’assignation. Elle fait intervenir un greffier. En premier lieu, le greffier assure le secrétariat de la juridiction. Les greffiers sont l’infrastructure administrative qui permet de faire fonctionner la juridiction. En deuxième lieu, il tient les registres de la juridiction, en particulier le registre de l’audience et le rôle (registre dans lequel sont répertoriés l’ensemble des affaires de la juridiction). En troisième lieu, il reçoit les actes et les pièces de la procédure. En quatrième lieu, il authentifie les actes de la juridiction. En cinquième lieu, il participe au bon déroulement des audiences en les retranscrivant. Dès lors que le greffier reçoit la demande, il la place au rôle de la juridiction. Une fois cette formalité accomplie, l’instance est ouverte.

 

SECTION II : La conduite de l’instance

Toutes les instances ne se déroulent pas de la même façon car elles dépendent du type de procédure qui sera mise en œuvre et du cas d’espèce.

SOUS-SECTION I : Les acteurs de l’instance

                §1.  Le rôle des parties

Le rôle des parties est important car elles ont l’initiative dans la procédure. Le but des parties est d’assurer leur défense, convaincre le juge du bien-fondé de leur cause. Pour ce faire, les parties sont amenées à se choisir un défenseur.

                                A.  La défense de la cause

Pour défendre leur cause, les parties réalisent des actes de procédure.

                                                1) Le fond des actes de procédure

Les plaideurs peuvent soumettre des prétentions au juge, alléguer des faits, les prouver et enfin pouvoir soulever des moyens.

                                                                a)  Les prétentions

Les actes de procédure peuvent contenir des prétentions. Il faut distinguer, d’une part, les prétentions principales, les prétentions subsidiaires et les prétentions accessoires et d’autre part, les prétentions initiales et les prétentions incidentes.

 

                                                                                i. La distinction entre les prétentions principales, les prétentions subsidiaires et les                                                                                 prétentions accessoires

          D’abord, la prétention principale désigne une prétention inconditionnelle, celle à laquelle le juge doit nécessairement répondre. Elle n’est pas conditionnée au rejet ou à l’accueil d’une autre prétention. Ensuite, inversement, la prétention subsidiaire est une prétention conditionnée au rejet ou à l’accueil d’une autre prétention. Elle est conditionnée au rejet d’une prétention principale. Le juge ne doit l’examiner qu’à la condition d’avoir rejeté la demande principale. A contrario, si le juge accueille la demande principale, il n’est pas tenu d’accueillir la demande subsidiaire. Il faut faire attention car si les parties présentent une prétention comme étant subsidiaire, elles ne peuvent pas obtenir gain de cause sur la prétention principale et subsidiaire. À l’inverse, si les parties articulent bien leurs prétentions, elles pourront demander des choses contradictoires qui ne le seront pas vraiment car une des prétentions sera principale et l’autre subsidiaire. Si le demandeur demande la nullité du contrat, il peut paraitre peu cohérent de demander la réduction du prix, à moins que l’une soit la demande principale et l’autre la demande subsidiaire. Enfin, les demandes accessoires sont accolées à une demande principale en ce sens que le juge n’aura à les examiner qu’à la condition que la demande principale soit accueillie. Par exemple, le demandeur demande la nullité du contrat et dans le même temps demande la restitution des prestations déjà exécutées. Si le juge rejette la demande de nullité, il devra rejeter aussi la demande en restitution. Les demandes liées à la répartition des frais du procès sont des demandes accessoires qui découlent de l’obtention d’une demande principale.

                                                                                ii. La distinction entre les prétentions initiales et les prétentions incidentes

          Les prétentions initiales sont celles formulées au début de la demande alors que les prétentions incidentes sont formulées en cours de procédure à condition d’avoir un lien suffisant avec la demande initiale. Il existe 3 sortes de demandes (prétentions) incidentes en fonction de leur auteur et leur objet. D’abord, les demandes additionnelles qui émanent du demandeur et viennent s’ajouter aux demandes initiales du demandeur. Ensuite, les demandes reconventionnelles qui sont des demandes qui émanent du défendeur. En principe, le défendeur n’occupe qu’un rôle passif ne consistant qu’à demander le rejet des prétentions du demandeur. Mais il peut décider d’être plus offensif et soumettre des prétentions au juge. Enfin, les demandes en intervention permettent de faire intervenir un tiers dans le procès. Elles sont moins facilement accueillies en appel pour éviter que les parties ne contournent le double degré de juridiction.

                                                                b)  Les faits

Les parties doivent alléguer des faits au soutien de leurs prétentions. Il faut distinguer l’allégation des faits qui consiste à soutenir qu’un fait existe et la preuve des faits qui consiste à apporter des éléments pour convaincre de l’existence des faits en question. En matière de lutte contre les discriminations, le salarié n’a que la charge de l’allégation des faits de nature à justifier d’une discrimination, à charge pour l’employeur d’établir qu’il n’en a pas commis. Le lanceur d’alerte qui craint d’avoir subi des mesures en guise de représailles a la charge d’alléguer des faits de nature à constituer des mesures de représailles, à charge pour l’employeur d’établir qu’il n’en est rien.

Le demandeur doit alléguer des faits pertinents. Si le demandeur n’allègue pas des faits pertinents au soutien de sa prétention, sa prétention sera rejetée car il n’apporte pas des faits de nature à fonder sa prétention. Les faits, même nouveaux, peuvent être soulevés en première instance et en appel mais pas en cassation.

                                                                c) Les preuves

La preuve consiste à essayer d’apporter des éléments de nature à convaincre le juge de l’existence des faits allégués. Si le plaideur prouve les faits qu’il allègue, il a toutes les chances de gagner son procès. À défaut, il a toutes les chances de le perdre.

                                                                                i. La charge de la preuve

La charge de la preuve invite à se demander qui doit prouver. Elle détermine le plaideur qui succombera au procès en l’absence de preuve. C’est celui qui a la charge de la preuve qui perd son procès si rien n’est prouvé. En principe, la charge de la preuve incombe au demandeur. Si ni le demandeur ni le défendeur ne parviennent à prouver, le demandeur succombera. La charge de la preuve peut être inversée par le jeu de présomptions.

                                                                                ii. L’objet de la preuve

 L’objet de la preuve renvoie à ce qu’il faut prouver et, en fonction, on n’appliquera pas le même régime. Tous les faits allégués doivent-ils être prouvés ou bien l’exigence de preuve est cantonnée aux seuls faits litigieux ? En l’absence de contestation de l’autre partie, peut-on considérer que la preuve est rapportée ? La théorie qui limite l’exigence de preuve aux seuls faits litigieux est la théorie du fait constant. La JP n’a pas encore définitivement tranché et fait de la casuistique.

Les faits juridiques se prouvent par tous moyens, ce dont il résulte que la preuve est libre. À l’inverse, les actes juridiques se prouvent en principe par la preuve parfaite à l’exclusion des autres.

                                                                                iii. Les modes de preuve

  • L’admissibilité des modes de preuve

Tous les modes de preuve ne sont pas nécessairement admis dans le cadre de la procédure. Il existe des règles générales venant restreindre l’admissibilité des preuves et aussi des règles spécifiques. S’agissant des règles générales, les preuves ne sont admises que si elles sont licites et loyales. Inversement, les preuves illicites et déloyales ne sont pas recevables. La preuve est illicite lorsqu’elle l’est en elle-même ou par son mode d’obtention. Par exemple, la preuve obtenue à l’occasion d’un vol. Ce principe de licéité a été tempéré par la JP pour tenir compte des intérêts des parties au procès, notamment celui qui cherche à prouver des éléments de fait. Lorsque la preuve obtenue est indispensable à la preuve des faits allégués, la Cour de cassation, à certaines conditions, admet la recevabilité d’une telle preuve. La Cour de cassation opère un contrôle de proportionnalité entre les intérêts des parties en présence. Cette JP est essaimée lorsque le mode de preuve a été obtenu en violation de la vie privée de l’autre partie.

La loyauté de la preuve se distingue de la licéité de la preuve en ce sens qu’elle vise à faire obstacle à ce que l’un des plaideurs obtienne une preuve au moyen d’un stratagème visant à tromper l’adversaire. Par exemple, la Cour de cassation avait refusé un mode de preuve pour déloyauté. En l’espèce, il s’agissait pour la poste d’insérer des pièges dans les courriers à délivrer. Ces courriers étaient piégés de sorte à laisser une marque indélébile sur celui qui les ouvrait. La preuve ainsi obtenue était irrecevable. De façon générale, sont considérées comme déloyales les preuves récoltées à l’insu du défendeur. Le fait de filmer son employé sur son lieu de travail à son insu est un mode déloyal. Cependant, dès lors que le défendeur s’attend à ce que le mode de preuve puisse être utilisé contre lui, alors le mode n’est pas déloyal. Ainsi, la production d’un SMS n’est pas déloyal car le défendeur a bien conscience que le SMS qu’il envoie pourra être utilisé contre lui. 

Les actes juridiques ne se prouvent que par une preuve littérale (parfaite) par application de l’adage nul ne peut se constituer de titre à soi-même. Il n’est pas possible d’opposer à l’adversaire des écrits qui émanent de soi-même.

  • La force probante des modes de preuve

Il s’agit de s’intéresser aux marges de manœuvre du juge. Est-il lié par les éléments apportés par les parties ou bien dispose-t-il d’une marge d’appréciation ? Les preuves parfaites lient le juge et ne lui laissent aucune marge de manœuvre tandis que les preuves imparfaites ne lient pas le juge, lequel disposera d’une marge de manœuvre. L’adversaire peut contester les modes de preuve. S’il ne le fait pas, ces modes lieront le juge. En droit français, les preuves parfaites sont la preuve littérale, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

D’abord, la preuve littérale est une preuve écrite mais toute preuve écrite n’est pas nécessairement une preuve littérale. La preuve écrite présente simplement certaines qualités pouvant constituer une preuve littérale. En premier lieu, l’acte sous seing privé est un écrit qui répond à deux conditions particulières. La première condition est qu’il doit être signé par l’adversaire et à défaut, il servira de preuve mais ne sera pas une preuve parfaite. La seconde condition est alternative et dépend de l’acte à prouver. Pour prouver un contrat synallagmatique, l’écrit doit être rédigé en autant d’originaux qu’il n’y a de parties. À l’inverse, pour prouver un contrat unilatéral, l’écrit doit mentionner le montant de la somme portée au contrat. En second lieu, l’acte authentique est un acte qui se fait sous seing public et qui porte la signature d’un officier public (notaire, juridiction, commissaire de justice). L’acte sera soumis à un régime spécifique car non seulement il est soumis à un régime probatoire dérogatoire (modes de contestation différents) mais aussi possède la force exécutoire. En effet, le détenteur d’un acte authentique n’a pas à demander l’autorisation au juge pour obtenir l’exécution forcée de sa prestation. Le législateur a créé l’acte sous seing privé contresigné par avocat. Cet acte est également soumis à un régime particulier et est intermédiaire entre les deux.

Ensuite, l’aveu est le fait pour une personne de reconnaitre l’existence d’un fait et fait foi pour celui qui l’a fait. Il est opposable à celui l’a fait. L’aveu judiciaire est fait devant le juge dans le cadre de la procédure et est hors de tout soupçon.

Enfin, le serment consiste pour une partie à jurer de l’existence d’un fait pour opposer ce fait à l’autre partie. Le serment décisoire est le serment qui est déféré par l’une des parties à son adversaire. L’adversaire n’a qu’à jurer de l’existence du fait pour que le fait soit établi. S’il refuse de prêter serment, le fait sera considéré comme non établi. Le serment décisoire lie le juge.

          Les preuves imparfaites donnent au juge une marge de manœuvre et concernent les preuves écrites non constitutives de preuves littérales, l’aveu extrajudiciaire, le serment supplétoire (serment déféré par le juge à l’une des parties), les témoignages, etc.   

                                                                d) Les moyens

Les moyens sont les arguments des parties au procès au soutien de leur demande ou de leur défense.

                                                                                i. Les moyens de fait et les moyens de droit

          Les moyens de fait sont les arguments qui reposent sur des constatations factuelles. Par exemple, pour montrer qu’une partie du contrat a été exécuté, une partie peut apporter des documents venant prouver cela. Les moyens de fait ne sont pas seulement des allégations mais renvoient aussi à des raisonnements qui s’appuient sur des constatations de fait. Les moyens de droit reposent sur l’invocation d’une règle de droit.

                                                                                ii. Les moyens de défense

          Les moyens de défense tendent au rejet de la prétention adverse. Le défendeur peut soulever un argument de fond mais aussi un argument de procédure. Au fil du temps, il est apparu qu’on ne pouvait pas traiter les défenses procédurales de la même façon.

Aujourd’hui, en droit français, on distingue les fins de non-recevoir et les exceptions de procédure.  En premier lieu, la défense au fond est définie par l’art.71 CPC comme un moyen tendant à faire rejeter la prétention de l’adversaire comme non justifiée après l’examen du fond du droit. Elle ne se confond pas avec les demandes reconventionnelles car elle vise à rejeter la demande. Dans certains cas, des mécanismes peuvent tantôt être des défenses au fond, tantôt des demandes reconventionnelles. Par exemple, la nullité peut être invoquée par voie d’action auquel cas, elle est une demande mais peut être utilisée comme exception auquel cas elle sera une défense au fond. La demande en nullité est soumise à prescription alors que l’exception de nullité est perpétuelle. Ces défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et en appel.

En deuxième lieu, les fins de non-recevoir sont définies à l’art.122 CPC et désignent les moyens de défense tendant à faire déclarer l’irrecevabilité de la demande pour défaut du droit d’agir. Cela renvoie à tous les moyens de défense tirés d’un défaut d’existence du droit d’agir. Elles sont à mi-chemin entre les défenses au fond et les autres exceptions de procédure. S’agissant des conditions de fond, les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause comme les défenses au fond. L’efficacité des fins de non-recevoir n’est pas conditionnée à l’existence d’un grief contrairement à certaines exceptions de procédure. Elles restent des défenses procédurales et peuvent être tranchées par le juge de la mise en état, lequel est seul compétent pour trancher les questions relatives aux fins de non-recevoir.

En troisième lieu, les exceptions de procédure désignent tous les moyens qui reposent sur le défaut de procédure mais elles ne sont pas traitées de la même façon. Les exceptions de procédure sont les exceptions de compétence, les exceptions dilatoires visant à suspendre le cours de la procédure et les exceptions de nullité touchant les actes de la procédure. Les exceptions de procédure visent à éviter qu’elles ne retardent la résolution du procès. Pour cela, elles sont soumises à un régime spécifique permettant de les traiter rapidement. Contrairement aux fins de non-recevoir, les exceptions de procédure doivent être soulevées in limine litis (avant toute défense au fond). S’agissant des effets, les exceptions de procédure produisent soit un effet suspensif, auquel cas la procédure est suspendue jusqu’à la survenue d’un certain évènement, soit un effet extinctif soit sur l’instance en tant que telle ou sur l’un des actes de la procédure.

                                                                                                iii. Les moyens nouveaux

          Il s’agit de savoir à quel moment les parties peuvent invoquer un moyen nouveau au cours de la procédure. Pour les moyens de défense au fond, ils peuvent être invoqués en tout état de cause et en appel. Les exceptions de procédure doivent être en principe invoquées in limine litis. Le régime des moyens nouveaux devant la Cour de cassation est beaucoup plus stricte parce que l’art.619 CPC pose un principe d’irrecevabilité des moyens nouveaux devant elle. Par exception, il est possible pour les parties d’invoquer un moyen né de la décision attaquée et les moyens de pur droit (la Cour de cassation est le juge du droit). Inversement, les moyens de faits ou les moyens mélangés de faits et de droit ne peuvent être soulevés pour la première fois devant la Cour de cassation.

                                                                                                iv. Les moyens oubliés

Le procès débouche sur une décision devenue définitive. Or, une des parties peut se rendre compte avoir oublié d’invoquer un moyen lors du premier procès. Peut-elle invoquer ce moyen oublié ? Cela pose un problème de l’autorité de la chose jugée. Dans ce cas, il faut appliquer la règle de triple identité (entre les même parties, le même objet, mais la cause n’est pas nécessairement caractérisée). La cause peut renvoyer à l’ensemble de moyens de droit et de fait ou l’ensemble des fondements factuels. Lato sensu, si la cause renvoie à l’ensemble des fondements factuels et juridiques, le plaideur devra intenter un nouveau procès pour pouvoir invoquer un nouveau moyen de droit. Stricto sensu, si la cause se cantonne aux éléments factuels, il suffit que l’affaire repose sur les mêmes faits pour caractériser l’identité de cause. Dès lors, le plaideur se heurtera à l’autorité de la chose jugée.

Ass., Plén., 7 juillet 2006, Cesaréo : la Cour de cassation pose le principe de concentration de moyens qui oblige les parties à concentrer tous leurs arguments lors du premier procès au sens large du terme jusqu’à ce qu’une décision de justice soit devenue définitive. Le but est de mettre, le plus vite possible, un terme à la contestation et éviter qu’une partie puisse intenter un nouveau procès en invoquant une nouvelle règle de droit. Cet arrêt, à l’origine, n’imposait qu’au demandeur cette obligation de concentration mais celle-ci a été étendue au défendeur. Certains moyens de défense pouvaient, dans certaines circonstances, être utilisées comme une demande ou une exception. Se pose la question de savoir si l’obligation de concentration des demandes qui incombe au demandeur fait obstacle à ce qu’il puisse introduire de nouvelles demandes.  La Cour de cassation consacre un principe de concentration des moyens et non un principe de concentration des demandes. Dès lors, le demandeur devrait pouvoir soulever une nouvelle demande. Néanmoins, la Cour de cassation a tendance à ne pas être de cet avis car elle étend son principe de concentration de moyens en un principe de concentration des demandes lorsque la demande aurait pu être invoquée comme un moyen de défense. Par exemple, l’action en nullité intentée par une personne peut être déclarée irrecevable lorsqu’elle pouvait être invoquée au moment d’un procès précédant.

                                B. La forme des actes de procédure
 

                                                a) Les délais pour accomplir les actes de procédure

                                                                i. La nature des délais de procédure

          S’agissant de la nature des délais de procédure, la question est de savoir s’ils sont plus proches des délais de prescription ou des délais de forclusion. Les délais de prescription peuvent être suspendus alors que les délais de forclusion ne peuvent pas être suspendus. Les délais de procédure sont plus proches des délais de forclusion que des délais de prescription puisqu’elles ne peuvent ni être suspendus ni interrompus. Par exception, il est tenu compte des questions de distance. Lorsque l’une des parties est domiciliée au DOM-TOM, le délai est prolongé de deux mois et si le procès met en cause une personne étrangère, le délai est prorogé de deux mois.

                                                                ii. La computation des délais de procédure

Ces règles spécifiques de computation des délais dépendent du type de délais auxquels on a affaire et elles diffèrent selon que le délai est exprimé en jour, en mois ou année. Ces différences concernent tant le point de départ du délai (dies a quo) que le point d’arrivée du délai (dies ad quem). Lorsque le délai est fixé en mois ou en année, le point de départ est la date à laquelle l’évènement déclencheur du délai a eu lieu. Lorsque le délai est exprimé en jour et en heure, le dies a quo (premier jour) n’est pas compté. Le risque est que la partie puisse être privée d’un jour pour agir. S’agissant du point d’arrivée du délai, les délais expirent le jour de l’échéance (23h59). S’il est exprimé en mois ou en années, le délai est le jour qui contient le même tantième que le dies a quo (20 avril au 20 mai). À défaut de tantième (31 mars), le délai expire le dernier jour correspondant. Lorsque le délai est exprimé en jours, le délai s’écoule normalement sans compter le dies a quo. Dans l’écoulement des délais, il peut arriver que s’intercalent des week-ends, jours fériés ou jours chômés. S’ils interviennent au milieu de la procédure, ils sont comptés normalement. En revanche, si le dies ad quem tombe sur l’un de ces jours chômés, le délai est prorogé jusqu’au prochain jour ouvrable.

                                                2) La sanction de la violation des règles de forme

                                                                a) La sanction des irrégularités dans la rédaction ou la notification de l’acte de procédure

          La sanction des irrégularités dans la rédaction ou la notification de l’acte de procédure réside dans la nullité pour vice de forme. Toutes les irrégularités non prévues par le CPC seront qualifiées de vices de forme. Les nullités pour vice de fond sont prévues par l’art.117 CPC (incapacité et défaut de pouvoir) et sont limitatives selon la JP.  Les nullités pour vice de fond et forme ne sont pas soumises au même régime.

Les nullités pour vice de fond sanctionnent des irrégularités assez graves. Ainsi, les parties peuvent soulever ces nullités en tout état de cause et le juge sera tenu de sanctionner les actes par la nullité indépendamment de l’existence d’un grief pour l’adversaire. À l’inverse, les nullités pour vice de forme doivent être soulevées in limine litis avant toute défense de fond (sinon fin de non-recevoir) et supposent l’établissement d’un grief causé à l’adversaire. Le juge examine dans quelle mesure l’omission empêche l’adversaire de préparer sa défense.

                                                                b) La sanction de l’inobservation des délais

          Tous les délais de procédure ne sont pas nécessairement assortis de sanction. L’art.753 CPC oblige l’adversaire à constituer avocat dans les 15 jours après l’assignation réalisée par le demandeur. Ce délai n’est sanctionné par aucune nullité mais l’adversaire ne pourra pas faire valoir sa défense. Le code prévoit des sanctions lorsque les parties ne respectent pas les délais prévus. En effet, l’inobservation va conduire le juge à refuser de faire produire effet à un acte, auquel cas elle est sanctionnée par une irrecevabilité ou une forclusion ou à faire cesser de faire produire effet à un acte, auquel cas elle est sanctionnée par la caducité. C’est la cas de l’assignation qui une fois notifiée produit ses effets mais si elle n’est pas remise par acte d’huissier à l’adversaire sera frappée de caducité.

                                B. Le choix du défenseur
                                                1) Le défenseur professionnel

                                                                a) Le rôle de l’avocat

          L’avocat joue un double rôle dans le procès. D’une part, il exerce une fonction de représentation et, d’autre part, une fonction d’assistance de son client. La fonction de représentation consiste à rédiger les actes de procédure au nom et pour le compte de son client. Lorsque la représentation par avocat est obligatoire, on parle de postulation. La fonction d’assistance de l’avocat consiste à assister son client en dehors du procès et dans le cadre du procès en particulier au moment des plaidoiries.

          Pour sa fonction de représentation (rédaction des actes de procédure), l’avocat a droit à une rémunération qui est tarifée, réglementée et proportionnelle au montant du litige que l’on appelle les émoluments de l’avocat. Pour son rôle d’assistance, l’avocat peut percevoir des honoraires, lesquels ne sont pas réglementés mais sont en principe fixés par la convention d’honoraires entre l’avocat et son client. Cette convention d’honoraires doit tenir compte des usages de la profession. Si les montants sont excessifs au regard du litige, le client peut saisir le juge pour voir réviser la convention. La rémunération de l’avocat peut dépendre du gain du procès. En revanche, il est interdit de faire dépendre la rémunération intégralement sur les gains du procès. On parle pacte de quota litis.

                                                                b) L’obligation de constituer avocat

Dans certaines procédures, la représentation par l’avocat est obligatoire. Cela permet de s’assurer de la bonne rédaction des actes. Mais cela alourdit les coûts du procès et peut éloigner le justiciable des tribunaux. Devant le TJ, la représentation d’un avocat est en principe obligatoire mais ne l’est pas exceptionnellement dans certaines procédures. Par exemple, la représentation n’est pas obligatoire devant le juge pour un litige inférieur à 10 000 € et qui ne relève pas de la compétence exclusive du TJ.

                                                                d) Les conclusions de l’avocat

Les actes de procédure sont les actes que l’avocat rédige. Ce sont les conclusions. Les conclusions doivent être qualitatives (exprimer

expressément les moyens des parties) et récapitulatives (rappeler l’ensemble des prétentions des parties). Le juge ne tiendra compte que des prétentions qui seront contenues dans les dernières conclusions des avocats. Si une prétention ne figure pas dans les dernières conclusions, le juge présume que la partie l’a abandonnée.

                                                2) Le défenseur non professionnel

Si la représentation n’est pas obligatoire, la personne peut se défendre elle-même ou faire intervenir une autre personne. Mais la personne ne peut pas choisir n’importe quelle personne. Elles peuvent se faire représenter par les membres de leur famille soit des personnes attachées exclusivement à leur service personnel (tuteur, dirigeant).

                §2. Le rôle du juge

Le rôle du juge devrait être limité en vertu du principe accusatoire. Mais les réformes récentes ont tendance à accroitre la compétence du juge dans la procédure civile.

                                A. L’accompagnement des parties par le juge

Cet accompagnement se fait par le juge de la mise en état, lequel est chargé d’accompagner les parties. Il n’est désigné que lorsque l’affaire est suffisamment complexe. Ce juge dispose essentiellement d’un pouvoir de conciliation, d’un pouvoir de surveillance et d’un pouvoir juridictionnel.

                                                1) Le pouvoir de conciliation du juge de la mise en état

En amont, le juge de la mise en état peut nommer un médiateur ou un conciliateur pour essayer de faire en sorte de trouver une médiation ou une conciliation entre les parties. En aval, il peut avoir pour rôle de constater de l’accord trouvé entre les parties.

                                                2) Le pouvoir de surveillance du juge de la mise en état

Le juge de la mise en état veille au bon déroulement de l’instruction et fait en sorte que la préparation du dossier avance. Pour ce faire, il dispose de deux outils. Il peut faire des injonctions ou procéder à des invitations.

                                                                a) Les injonctions

Les injonctions sont obligatoires, ce dont il résulte que la partie concernée doit s’exécuter. À défaut, elle peut subir une sanction. Le juge peut assortir sa sanction d’une astreinte. Dans ce cas, la partie qui ne s’exécute pas devra verser un montant pour chaque jour de retard. Il peut rendre à tout moment une ordonnance de clôture de la mise en état. Cette ordonnance vise à clôturer l’instruction et les parties ne pourront plus intervenir dans le procès. Cela peut faire perdre le procès à une partie. Cependant, le juge n’est pas obligé d’imposer des injonctions, il peut préférer faire des invitations.

                                                                b) Les invitations

          À la différence des injonctions, les invitations ne sont pas obligatoires. Elles ne sont pas sanctionnées en principe. Il est possible de se demander à quoi peuvent servir les invitations en ce qu’elles ne sont pas obligatoires. Mais en général, les parties s’exécutent.

                                                3)  Le pouvoir juridictionnel du juge de la mise en état

Dans certains cas, le juge de la mise ne état peut trancher des petits contentieux qui surgissent dans le cadre de la procédure. Les pouvoirs juridictionnels du juge de la mise en état sont prévus à l’art.789 CPC. En premier lieu, il joue le même rôle qu’un juge des référés car il peut prendre toutes les mesures provisoires qu’impliquent le bon déroulement du procès, telle que l’allocation d’une provision. En second lieu, le juge de la mise en état est également le juge de la procédure. Lorsqu’il est désigné, il est le seul juge compétent pour trancher les questions qui touchent aux moyens de procédure (exceptions de compétence ou fins de non-recevoir). Il est compétent pour statuer sur les incidents d’instance ou pour prendre une ordonnance de clôture.

                                B. La suppléance des parties par le juge
                                                1) Le rôle du juge vis-à-vis des faits

En vertu du principe dispositif, les parties ont la maitrise du procès de sorte que le juge ne peut introduire de nouveaux faits dans les débats. En revanche, il peut s’appuyer sur des faits que les parties n’ont pas spécialement invoqués. Enfin, il peut demander des explications de faits aux parties et les forcer à s’expliquer sur certains éléments.

                                                2) Le rôle du juge vis-à-vis du droit

                                                                a) La notion de relevé d’office

Normalement, le rôle du juge devrait être très important car les parties font appel à lui pour trancher leur litige. En effet, l’art.12 CPC prévoit que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit applicables. Cependant, en pratique, il n’est pas si facile de le faire. En effet, les parties risquent d’oublier d’invoquer une règle de droit, de même que le juge risque d’oublier de la soulever, ce qui fragilise les décisions de justice. Ainsi, les parties pourront reprocher au juge de n’avoir pas relevé d’office la règle de droit.

                                                                b) Le régime du relevé d’office

                                                                                i. Le principe : la faculté de relever d’office les moyens de droit

Ass.Plén., 21 décembre 2007, Dauvin : la Cour de cassation pose un principe et des exceptions. En principe, malgré l’art.12 CPC, la JP considère que le juge a une faculté de relever d’office les règles de droit. S’il oublie de relever une règle, il ne sera pas possible de le lui reprocher. Par exception, le juge peut avoir l’obligation ou l’interdiction de relever d’office une règle de droit. 

                                                                                ii. Les exceptions : obligations et interdictions de relever d’office les moyens de droit

Certaines règles particulières édictent une obligation mise à la charge du juge de relever d’office la règle de droit. Il existe des règles pour lesquelles le législateur a prévu expressément que le juge devrait les relever. En matière de qualification, le juge a l’obligation de restituer leur exacte qualification aux faits. Certains moyens de procédure doivent être relevés par le juge. L’art.125 CPC prévoit que les fins de non-recevoir qui ont un caractère d’ordre public doivent être relevés d’office.

Les règles d’ordre public interdisent aux parties d’y déroger. La Cour de cassation refuse d’imposer au juge de relever d’office des règles d’ordre public. Néanmoins, la Cour consacre une obligation de relever d’office les règles issues du droit de l’UE. En cas d’interdiction de relever d’office une règle de droit, le juge ne peut pas les relever. À défaut, sa décision sera cassée. Il faut distinguer les règles d’ordre public de direction et les règles d’ordre public de protection. La Cour de cassation pose qu’il est interdit au juge de relever une règle d’ordre public de protection, la partie devant assurer elle-même sa protection. 

SOUS-SECTION II :  L’organisation de l’instance

                §1. La distinction des procédures écrites et orales

 

L’oral et l’écrit n’ont pas la même valeur dans la procédure. Les procédures écrites sont plus structurées que les procédures orales. Les procédures écrites se déroulent en deux phases distinctes, séparées par une frontière hermétique appelée césure de l’instance (l’instance est coupée en deux). La phase écrite est exclusivement consacrée à la mise en état de l’affaire. Une fois la mise en état terminée, le juge prononce une ordonnance de clôture de la mise en état. On passe à une phase orale. Il n’y pas de césure de l’instance entre la mise en état, d’un côté, et l’audience des plaidoiries de l’autre.  La mise en état continue de se produire pendant l’audience des plaidoiries et il est possible de soulever de nouveaux moyens.

                §2. Les procédures écrites

                                A. La phase écrite : la mise en état
                                                1) Le circuit court et le circuit long

La procédure commence par une audience devant le président d’une chambre de la juridiction appelée la conférence de président. Elle vise à faire un point sur l’état de dossier. Si le dossier est en état d’être jugé, le président peut rendre dès la première audience une ordonnance de clôture de la mise en état et renvoie l’affaire devant la formation de jugement. C’est le circuit court. À l’inverse, lorsque l’affaire est complexe, le président désigne un juge de la mise en état chargé d’accompagner les parties dans l’instruction du procès.

                                                2) La mise en état conventionnelle

Il se peut que les parties préfèrent s’organiser elles-mêmes pour instruire le procès. Elles peuvent signer une convention de mise en état qui se dénomme la convention de procédure participative.  Cette convention est régie par des règles de formes prévues dans le Code civil et dans le CPC. Elle emportait pour les parties renonciation de toutes les procédures déjà nées. Les parties n’avaient pas conscience de la portée de leurs engagements. Désormais, la convention de procédure participative ne fait pas obstacle aux fins de non-recevoir et aux exceptions de procédure.

                                B. La phase orale : l’audience des plaidoiries

La phase orale consiste pour les parties et leurs avocats à présenter leurs arguments devant le juge. Elle est importante car elle permet à la justice de se montrer dans ses formes les plus solennelles. Par ailleurs, elle permet de faire de la pédagogie et d’alerter le juge sur certains points du dossier. Cette audience de plaidoirie se conclut par une ordonnance de clôture. L’affaire est alors mise en délibéré, laquelle désigne la phase de réflexion du juge qui lui permet de prendre sa décision. Les parties ne peuvent plus interagir avec le juge dès la mise en délibéré. La pratique des notes en délibéré est interdite.

                §3. Les procédures orales

En principe, les écrits ont une moindre valeur par rapport à l’oral. Tout ce qui n’a pas été repris par l’avocat n’a aucune valeur. Même lorsque la représentation n’est pas obligatoire, les parties recourent aux avocats qui préfèrent procéder par écrit. De ce fait, l’écrit acquiert de plus en plus une valeur au sein des procédures orales. Dans certains cas, il est admis qu’un écrit ait une valeur autonome indépendamment de sa réitération au cours de la phase orale du procès

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