Droit international public
INTRODUCTION
§1. Première approche du droit international
A. L’omniprésence du droit international
La vente d’armes est un cas de droit international public. Plusieurs associations ont attaqué la France devant le juge administratif afin d’obtenir la suspension de la vente d’armes aux pays impliqués dans la guerre au Yémen. Plus grande guerre en cours, elle a fait plusieurs morts et placé 3 millions de personnes en malnutrition. Dans la même veine, le groupe d’éminents experts du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui a la charge de documenter les violations des droits de l’homme, a considéré qu’il fallait suspendre la vente d’armes à ces États. Il faut rappeler qu’en 2014 la France a ratifié le traité sur le commerce des armes. Par ailleurs, la position commune de l’UE sur la question est applicable.
Il est des domaines où les règles de droit international jouent un rôle déterminant. En effet, l’invocation de la CESDH est devenue un réflexe quasi immédiat chez les avocats. Le droit international intervient aussi dans des domaines où il n’est pas attendu notamment en droit du travail, en droit de l’urbanisme, en droit social, en droit de la santé ou encore en droit de l’environnement.
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Droit de travail : le contrat « nouvelles embauches », mécanisme du droit interne, permet à un employeur de rompre unilatéralement un contrat de travail par simple lettre recommandée sans entretien préalable et sans motivation pendant deux ans. Dans le cadre de ce mécanisme, une salariée a été licenciée. Devant la juridiction prud’homale, elle s’est prévalue de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiée par la France et invocable en droit interne. Cette convention stipule qu’un salarié ne peut être licencié sans motif valable et sans lui donner la faculté de se défendre. Le contrat « nouvelles embauches » a été jugé contraire au droit international.
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Droit de l’urbanisme : le plan d’occupation de sol sur la base duquel a été délivré le permis de construire du musée Louis Vuitton a été jugé irrégulier. Une loi intervient pour le valider. S’estimant lésée dans son droit à un procès équitable garanti par la CESDH, une association saisit le juge d’un contrôle de conventionnalité. Néanmoins, la cour d’appel de Paris considère que la procédure est conforme au droit international et rejette la requête.
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Droit social : En 2007, la loi DALO instaure le droit au logement opposable. Un décret exigeait une résidence de deux ans pour bénéficier du dispositif, excluant ainsi les étrangers titulaires de titre de séjour. Le CE considère que le décret est contraire à la Convention n°97 de l’OIT et que le droit au logement opposable doit être ouvert aux étrangers.
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Droit de la santé : le CE a annulé le refus des hôpitaux d’autoriser le transfert des gamètes, conforme au droit interne, mais contraire à l’art.8 du CESDH (CE, 31 mai 2016, Gomez).
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Droit de l’environnement : la vague de contentieux climatiques, qui s’est profilée derrière ce que l’on appelle l’affaire du siècle, et présente dans d’autres pays, s’est également manifestée en France. Il s’agit d’un ensemble d’actions judiciaires destinées à faire condamner les États pour leur inaction climatique ou certaines entreprises privées à raison des dommages climatiques qu’elles causent dans l’exercice de l’action économique. La première affaire liée au contentieux climatique a été portée devant le CE dans la décision Commune de Grande Synthe. Le requérant a obtenu la condamnation de la France pour violation des engagements internationaux qu’elle a souscrits en matière environnementale.
Le droit international s’invite aussi dans l’entreprise au travers de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).
Du XVIIe siècle jusqu’en 1930, le droit international intervient essentiellement sur des questions de guerre et de navigation maritime. Les ouvrages de Grotius posent les premières bases du droit international. En définitive, la spécificité du droit international ne réside pas dans son objet.
B. La nature du droit international public
La matière fait face à un certain scepticisme de l’opinion publique. La France est soucieuse de justifier sa position au regard du droit international. Par contraste, il existe des États qui ne reconnaissent le droit international que lorsqu’il sert leurs intérêts. Le droit international c’est aussi le droit de la sécurité, le droit de la paix et de la guerre. L’opération spéciale menée par la Russie en Ukraine, a été dénoncée par la France et d’autres pays, comme une violation du droit international. Notre droit international est en crise : annexion de la Crimée, guerre en Ukraine, mépris des résolutions par Israël, refus d’appliquer des décisions de justice qui leur sont défavorables, etc. Force est de constater que le droit international public n’a pas bonne réputation.
Pourtant, cela n’a pas lieu d’être. Pour ce faire, il faut déconstruire deux idées fausses.
1) Les fausses idées sur le droit international
Le première fausse idée est celle qui prétend que le droit international n’est pas du droit car il serait inefficace. L’article 2, §4 de la Charte de Nations Unies interdit le recours à la force armée mais il existe, malgré tout, des conflits partout dans le monde. Le droit international public contemporain contient un certain nombre de traités qui protègent les droits de l’homme. Pourtant, les droits de l’homme sont violés tous les jours. Cela ne saurait conduire à nier la consistance juridique du droit international. Il est faux de prétendre que l’efficacité est un critère de l’existence du droit. Pourrait-on contester l’existence du code de la route au motif qu’il est violé quotidiennement ?
La seconde fausse idée prétend que le droit international n’est pas du droit car il ne revêt pas les caractères de juridicité propres au droit interne. Cet argument est fallacieux mais le postulat est vrai. Il est vrai que le droit international public n’est pas du droit interne. Le droit international n’est pas énoncé par un organe centralisé et habilité à produire des normes juridiques comme le serait le Parlement en France. Il n’existe donc pas de législateur dans l’ordonnancement juridique international. Selon le principe de l’autonomie normative, il appartient à l’État lui-même d’énoncer les règles dont il sera le destinataire. Lorsqu’un différend intervient entre deux personnes en droit interne, il est porté devant un juge. L’exercice de la compétence du juge s’impose aux sujets.
Or, dans l’ordre juridique international, il n’y a pas de juridiction obligatoire et impérative, ni de juge habilité à appliquer les règles de droit international de façon objective. Un litige entre États ne peut être porté devant la Cour internationale de justice que d’un commun accord des parties. Il n’existe pas non plus de police contrairement à l’ordre interne où il existe des voies d’exécution permettant d’obtenir l’application du droit et la mise en œuvre de décisions de justice. Les logiques internes ne peuvent pas être transposées dans l’ordre juridique international. Dès lors, exiger du droit international qu’il soit la copie conforme du système juridique interne reviendrait à considérer que le droit interne est l’archétype du droit.
2) Les arguments en faveur du droit international comme un vrai droit
Le droit international est un vrai droit car il obéit aux canons de la définition du droit. En effet, le droit est défini comme un ensemble de règles régissant la conduite de sujets déterminés. Le droit international public répond parfaitement à cette définition car il régit les rapports entre États et permet ainsi la coexistence d’une pluralité d’États. Il sert de cadre à un statut international de l’État. L’article 2 de la Charte de l’ONU stipule que l’ONU est fondée sur le principe de l’égalité souveraine. Malgré ses imperfections, le droit international garantit une protection juridique à tous les États, même les plus faibles. En l’absence du droit international, n’existerait-t-il pas un vide dans le monde ? Comment les États pourraient-ils coopérer ? N’y aurait-il pas de l’anarchie ? Il suffit d’imaginer la disparition de l’ONU, de la CEDH ou de la CIJ. En définitive, un droit en crise n’en est pas moins du droit.
C. L’objet du droit international public
Qu’est-ce qui fait le caractère international et public de ce droit ? Pour y répondre, il faut s’intéresser aux deux types de rapports régis par le droit international.
1) Les rapports interétatiques
Historiquement, la raison pour laquelle les souverains ont commencé à se réunir au XVIIe siècle était d’édicter un ensemble des règles régissant les rapports entre les États qu’ils gouvernent. Autrement dit, le droit international est consubstantiel à une société interétatique. Des États disparaissent au profit de nouvelles formes d’organisations politiques prenant le contre-pied du modèle étatique. Entre deux États souverains donc égaux, il est inconcevable d’appliquer à l’un le droit national de l’autre et vice versa. Ce serait contrevenir à l’égalité souveraine des États. Lorsqu’un État est membre d’une organisation internationale, il n’en est pas le sujet.
Même si des règles peuvent être édictés par un organe extérieur et appliquées à plusieurs États, elles respecteraient l’égalité mais pas la souveraineté des États. Les traités européens auxquels sont soumis les États-membres de l’UE demeurent une branche du droit international car les États membres n’ont pas renoncé à ce qui les caractérisent. Ils se sont simplement contentés de déléguer l’exercice de certaines de leurs compétences. La preuve qu’ils n'ont pas abandonné leur souveraineté est qu’ils peuvent toujours reprendre à tout moment les compétences déléguées.
En revanche, si la délégation était définitive et que l’UE devenait une fédération, en sortir aurait été un acte de sécession et il en résulterait un abandon collectif de souveraineté. Les relations interétatiques ne peuvent être régis que par le droit international. Le droit interétatique c’est du droit international mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai.
2) Les relations transnationales
Ce sont des relations qui dépassent le cadre d’un État et sont susceptibles de concerner des ordres juridiques différents. Elles se caractérisent par l’élément d’extranéité qu’elles contiennent. Pour être qualifiée comme telle, la relation doit concerner un État et un individu qui lui est étranger. Ces relations sont de deux types : publiques lorsqu’elles mettent en rapport un État avec une personne étrangère, privées lorsqu’elles mettent en rapport deux personnes de nationalités différentes.
Dans l’hypothèse d’une relation transnationale publique, on applique le droit de l’État sur le territoire duquel l’étranger réside ou exerce son activité. Par exemple, lorsque le contribuable exerce son activité sur le territoire d’un État dont il n’est pas ressortissant, le bénéfice généré par l’activité peut parfaitement être imposé par l’État sur le territoire duquel l’activité est exercée. Tout étranger résidant sur un territoire dans lequel il n’a pas la nationalité sera régi par les engagements internationaux régulièrement ratifiés et relatif aux droits des étrangers et aux droits de l’homme.
À l’opposé, dans une relation transnationale privée qui implique deux individus de nationalité différente, on applique le droit international public. Ce droit désigne les règles de désignation du droit étatique applicable et a vocation à s’appliquer à des litiges qui opposent deux parties de même nationalité ou un individu à un État dont il a la nationalité. Il suffit de considérer l’affaire du Musée Louis Vuitton dans laquelle la CESDH a été invoquée. La CESDH a un effet horizontal et est applicable aussi bien aux rapports entre deux États ou entre un individu et un État qu’aux relations interindividuelles. Pour des crimes particuliers tels que les génocides, la compétence des juridictions pénales internes peut être évincée au profit de la Cour pénale internationale.
S’il n’est pas possible de définir le droit international par son objet, il faut recourir aux techniques qui font sa spécificité. En l’absence de législateur, les règles sont produites par le concours de deux ou plusieurs États et parfois même par un seul État à condition de respecter certaines procédures. À côté de cela, il existe aussi une panoplie de techniques d’application qui décentralisent l’application du droit international : ce sont les États qui en sont responsables. Le règlement juridictionnel est une des techniques. Les autres outils sont les réactions aux violations. Des techniques redoutables d’efficacité, destinées à garantir l’exécution du droit international, sont mises en œuvre lorsqu’il est violé. Ces techniques, qui sont entre les mains de chaque État, pallient l’absence de police internationale.
§2. Première étape de la formation universitaire en droit international
A. L’organisation de l’enseignement du droit international au sein de notre université
Il s’intéresse aux techniques de formation du droit international public. Ce cours vise à donner les grands principes aux étudiants qui ne poursuivraient pas leur formation dans cette matière. Il existe des masters en droit international dans notre université et un DU International Law dont les enseignements sont entièrement dispensés en anglais.
B. Quelques orientations bibliographiques
Jean COMBACAU et Serges SUR, Le droit international public, Montchrestien (à privilégier, bon pour améliorer notre vocabulaire juridique et bien réussir nos rédactions)
Alain PELLET, Mathias FORTEAU, MIRON, Le droit international public, LGDJ (style accessible)
Carlos SANTULLI, Introduction au droit international, Edition (lecture d’une traite possible)
Raphaële RIVIER, Droit international public (livre exhaustif mais le style d’écriture est exigeant et soutenu)
Denis ALLAND, Droit international public (manuel rédigé pour les étudiants avec des références en droit interne)
Olivier DE FROUVILLE, Droit international public (axé sur les droits de l’homme)
Cours de droit international de l’Académie de droit d’international de La Haye.
PARTIE I : LES PRODUCTEURS DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC
INTRODUCTION SUR LES PRINCIPES GOUVERNANT LA PRODUCTION DU DROIT INTERNATIONAL
§1. Partage du pouvoir normatif
En droit interne, il n’existe pas d’autorité habilitée à imposer des normes générales et impersonnelles aux États. Aux collectivités publiques est reconnu un pouvoir exorbitant de produire unilatéralement des règles de droit et de les rendre opposables à tous ceux qui se situent dans leur champ d’application indépendamment de leur volonté. Vis-à-vis des assujettis, ce droit a une existence objective incontestable. Ainsi dit-on que le droit public est erga omnes, il vaut pour tous dans les mêmes termes sans égard à l’acceptation de ses effets par ses destinataires. On parle de l’hétéronomie de la production normative.
S’agissant du droit privé, il régit les particuliers dans leurs rapports. La représentation de la production du droit est absente de l’ordre juridique international. Dans cet ordre, la distinction organique entre l’État et ses sujets n’existe pas. Il n’existe pas de distinction entre producteurs et destinataires du droit. Il s’agit d’une conséquence directe de la souveraineté de l’État. La souveraineté évince toute idée de super-État et interdit toute forme d’autorité extérieure et supérieure aux États. Dans le système interétatique, le pouvoir de création du droit n’est pas centralisé mais dispersé dans plusieurs États. Dans le contrat, producteurs et assujettis de la norme sont logés à la même enseigne car ils sont soumis au même droit.
En droit international, lorsque des États produisent des normes entre eux, ils le font sans prendre appui sur une base juridique externe. En droit interne, c’est la loi qui donne au contrat sa valeur juridique en posant le cadre particulier de production des normes contractuelles. En effet, l’article 1103 c.civ dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Le droit international a une dimension purement verticale. Contrairement au droit interne, le droit international obéit à une logique d’autonomie, une égalité entre les États, à la fois producteurs et assujettis. Qu’est ce qui fait que les États appliquent le droit international ? C’est le principe de l’autolimitation, spécifique au droit international. Il ne permet pas aux États de faire n’importe quoi notamment en agissant selon ses caprices. La souveraineté signifie que l’État est tenu à ce à quoi il a consenti. D’un côté, la souveraineté lui permet de s’engager juridiquement, de l’autre Qu’est ce qui
Les comportements de l’État sont placés sous l’empire du droit. D’un côté, le droit international confère à l’État un statut de souverain, et de l’autre, il doit respecter ses engagements en contrepartie. Cette liberté de l’État est originelle. Les compétences de l’État ne sont pas d’attribution. La liberté des États est inconditionnée par le droit. L’État peut tout faire sauf ce qu’il a voulu interdire lui-même.
Le droit international est constitué de règles permissives et non prohibitives. Mais cette logique n’est valable que pour les États, sujets originaires du droit international. Quant aux autres sujets dérivés de l’action primaire des États, ils ne peuvent agir que sur habilitation du droit international. Par exemple, l’ONU ne peut agir que sur le fondement et dans le cadre de la Charte des Nations. En résumé, la production du droit dépend originairement des États.
Dans l’ordre juridique international, il n’existe pas d’autorité habilitée à imposer des normes générales aux sujets. En droit interne, les sujets répondent à une organisation hiérarchique fondée sur une distinction fondamentale entre les collectivités publiques et les particuliers. Aux collectivités publiques, qui ont la charge de l’intérêt général, est reconnu un pouvoir exorbitant de produire unilatéralement des règles de droit et de les rendre opposables à tous ceux qui se situent dans leur champ d’application. Vis-à-vis d’eux, les assujettis, le droit de l’État a une existence objective, c’est-à-dire incontestable, d’où le fait de dire que le droit public est « erga omnes » en ce sens qu’il a vocation à s’appliquer sans égard à l’acceptation de ses destinataires. Par opposition à cette logique publiciste, le droit privé dans l’ordre juridique interne, quant à lui, régit les particuliers dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux mais toujours dans la mesure et à condition de leur conformité au droit objectif de l’État.
Cette représentation, construction du droit interne est totalement absente de l’ordre international dans lequel la distinction organique entre l’État et ses sujets n’existe pas : la souveraineté évince toute possibilité de « super-État ». Dans le système interétatique, au contraire, le pouvoir de création du droit n’est pas centralisé mais bien dispersé sur une base paritaire, à égalité entre tous les États.
Il est vrai que le droit international est plutôt de type privé, mais la différence avec les rapports contractuels du droit interne réside dans le fait qu’en droit international, lorsque les États produisent des normes entre eux, ils le font sans s’appuyer sur aucune base juridique extérieure à eux. En droit interne, la production des contrats est basée sur la loi qui atteste de leur existence (art.1103 c.civ). En droit international, il n’existe pas de normes objectives conférant à la production des normes internationales leur validité et leur cadre.
Le droit international se développe dans une construction purement verticale sans aucune dimension horizontale. Contrairement au droit étatique où le mécanisme de formation du droit obéit à une logique d’hétéronomie, en droit international, les producteurs obéissent à une logique d’autonomie. Concrètement, il existe une identité entre producteurs et assujettis. Ce sont les États qui produisent le droit auquel ils sont eux-mêmes assujettis.
Par quels moyens les États parviennent-il à respecter un droit qu’ils ont eux-mêmes produit ? Le principe d’autolimitation est celui qui garantit l’application du droit international.
§2. Autolimitation et liberté de l’État
L’autolimitation n’est pas un principe spécifique à l’ordre juridique international. L’autolimitation des États ne fait pas de la société internationale un état de nature dans lequel chaque État déterminerait sa conduite en fonction des circonstances, de ses intérêts et de ses besoins immédiats et ce, de façon complètement imprévisible. La souveraineté, qui sous-tend ledit principe, signifie, non pas que l’État peut faire ce qu’il veut mais qu’il est tenu par ce à quoi il a consenti.
D’un côté, la souveraineté garantit la liberté de l’État de s’engager juridiquement alors que rien ne l’y oblige. De l’autre, la souveraineté lui interdit, une fois engagé, de disposer de ses engagements en toute discrétion. Concrètement, l’État est tenu de respecter les engagements qu’il a souscrits. La souveraineté signifie donc que les comportements étatiques sont placés sous l’empire du droit.
Le droit international confère à l’État un statut de sujet souverain. Ainsi, la contrepartie de l’autolimitation est la liberté de l’État de s’engager ou de ne pas s’engager. Cette liberté est primitive en ce qu’elle est inhérente à l’État. Il en résulte que l’action de l’État n’est pas fondée sur des titres de compétence qui lui seraient expressément attribués par le droit international. La liberté des États est inconditionnée par le droit. En droit international, l’État peut tout faire sauf ce qu’il a voulu s’interdire lui-même.
En dehors des États, les autres sujets du droit international ne peuvent agir que sur habilitation i. e. dans le périmètre dessiné par leur traité constitutif. C’est ainsi par exemple que l’ONU ne peut agir qu’en vertu de sa charte. Les producteurs du droit international dépendent en premier lieu des chefs d’États.
TITRE I : LES ÉTATS
CHAPITRE I : L’ACCESSION À LA QUALITÉ D’ÉTAT
L’apparition d’un nouvel État se réalise dans des conditions particulières mais encore faut-il que ces conditions soient suffisantes. Qui peut attester de la réunion de toutes ces conditions ? Il revient à chacun des membres des clubs des États de reconnaître le nouveau venu comme le leur par le mécanisme de la reconnaissance.
SECTION I : L’État, du fait juridique à la personne juridique
§1. La doctrine des éléments constitutifs de l’État
Les personnes juridiques sont instituées par des actes juridiques. L’État, quant à lui, n’est pas institué par un acte juridique. Au commencement était l’État. COMBACAU dit que « l’État existe en droit pour autant que le pays existe en fait. À cet égard, tout État, quel qu’il soit, ressemble à un individu ». L’État acquiert la personnalité juridique du fait de l’existence du pays. La formation de l’État est un simple fait pris en compte par le droit international. La coutume internationale qualifie d’État l’entité qui remplit les conditions qu’elle définit.
L’art. 1er de la Convention de Montevideo du 26 décembre 1922 énonce que « l’État comme personne de droit international doit réunir les conditions suivantes : une population permanente, un territoire déterminé, un gouvernement et une capacité à entrer en contact avec les autres États ». La doctrine des éléments constitutifs de l’État est un grand classique du droit international public.
L’accession à la qualité résulte de la réunion de 3 éléments : un territoire, une population, une organisation politique indépendante.
A. Un territoire
On observe une grande souplesse de la pratique internationale vis-à-vis de la condition spatiale. En effet, aucune taille minimum n’est exigée ni une détermination claire et précise des frontières. Par exemple, la Pologne et la Belgique n’ont vu leurs frontières définitives déterminées que plusieurs années après leur création. En l’absence de définition explicite des contours de l’espace que les promoteurs palestiniens voient de leur territoire, aucun État n’est déclaré. Par exemple, le juge américain a considéré que le Mouvement pour la libération de la Palestine n’ayant pas de territoire défini, il ne peut y avoir de population permanente.
Le terme « territoire » est impropre car le territoire est déjà soumis au régime juridique d’un État. On peut parler d’assise spatiale. Ce n’est pas la taille qui détermine la condition d’un État puisqu’on a des micro-États tels que Monaco. Il n’existe pas d’exigence de continuité de l’espace (on a des archipels) ni de frontières. Il suffit que l’espace ne soit pas contesté. Il faut un espace terrestre soumis à un pouvoir. Le CE italien a jugé que l’État libre des roses est un navire ancré aux larges des côtes.
B. Une population
Le droit international n’a posé aucune exigence de stabilité ni même d’adhésion à un vouloir vivre ensemble. Dès lors, il peut s’agir d’une population nomade. Il suffit qu’il y ait des hommes sur l’espace où le futur État a mis son emprise pour que la condition de population soit satisfaite. La définition de l’entité humaine est assez inconsistante.
La règle « pas d’État sans population » conduit logiquement à admettre que l’État disparaît, cas de disparition ou d’émigration de l’ensemble de la population. La présence d’une population très faible ou trop mouvante (nomadisme) n’est pas un handicap rédhibitoire pour la constitution de l’État. En soi, le facteur démographique n’est en effet pas décisif. Quelles qu’aient été les critiques adressées à la multiplication des « micro-États » (dits « États lilliputiens » du temps de la SdN), ce n’est pas l’aptitude à être un État qui était niée, mais la participation égalitaire de collectivités très petites aux institution internationales. Quant au nomadisme, il pourrait faire douter de l’effectivité d’un contrôle gouvernemental, mais il n’autorise pas à contester la qualité d’État reconnue, le cas échéant, à l’entité composée de groupes nomades : conclure autrement serait porter atteinte au principe de l’autonomie politique de chaque État.
C. Une organisation politique indépendante
Aucune règle en droit international n’exige une structure déterminée pour acter l’existence d’un État à ses yeux. Peu importe la forme du gouvernement, peu importe l’existence d’une Constitution écrite ou coutumière, peu importe l’existence d’une séparation des pouvoirs, peu importe l’existence d’une fédération ou pas. Le droit international n’impose pas davantage que le gouvernement soit représentatif de la collectivité soumise à son autorité. Dire le contraire reviendrait à contrevenir au principe fondamental de la souveraineté de l’État et à sa liberté de choisir son système politique, social ou culturel. Seule importe l’existence d’une puissance publique s’exerçant sur le territoire. Au regard du droit international, cela a été très bien dit par la Commission d’arbitrage de la Moldavie que la forme et l’organisation politique interne et les dispositions constitutionnelles constituent de simples faits. Par conséquent, du point de vue du droit international, leur prise en considération est seulement utile afin de constater l’existence d’un État.
L’accession à la qualité étatique est affaire d’effectivité et non pas affaire de qualité. Cette effectivité se mesure, se manifeste et se constate à l’intérieur de l’État comme vis-à-vis de l’extérieur. Pour constater l’existence d’une organisation politique indépendante, on prend en considération 2 éléments : d’une part, un élément externe qui est l’indépendance, et d’autre part, un élément interne qui est la maîtrise de l’espace.
La maîtrise de l’espace où vit la population par l’organisation politique considérée est vue comme réelle si elle concerne une partie significative ou importante du territoire. Cette maîtrise de l’espace s’apprécie in concreto et doit être prouvée. Si le droit international exige de l’entité candidate à la qualité d’État une certaine maîtrise concrète de l’espace où vivent les gens, c’est d’abord pour s’assurer que cette organisation a bien la capacité d’assumer l’obligation que le droit international fait à tout État, de protéger à l’intérieur de son territoire les droits des autres États. Si du point de vue du droit international, cela est une condition d’accès au club des États que d’exercer une maîtrise réelle sur des gens se trouvant à un endroit déterminé, c’est pour offrir des garanties de respect à cette entité de l’obligation pesant sur tous les États consistant à protéger à l’intérieur de son territoire les droits que les autres États tirent du droit international et notamment l’inviolabilité de leur propre territoire en temps de paix et de guerre. Cette entité doit être en mesure de se comporter comme un État avant de se voir attribuer cette qualité.
Si l’ONP s’est vu dénier la qualité de gouvernement d’un État c’est parce qu’elle est dépourvue de la capacité de mettre en œuvre les obligations internationales accompagnant normalement la participation formelle à la société internationale en qualité d’État.
L’organisation politique indépendante se constate à l’intérieur, d’une part, par la maîtrise de l’espace, elle se manifeste, d’autre part, vis-à-vis de l’extérieur à travers sa capacité à ne plus être, en fait, soumise à l’ordre juridique d’un autre État. En d’autres termes, il s’agit d’être capable de témoigner de son indépendance qui s’apprécie concrètement en fait et non pas en droit. Par exemple, un État membre de l’UE pourra résister à une directive européenne (avec les conséquences liées), mais les autorités de l’UE ne pourront pas le forcer de respecter les décisions communautaires.
La disparition d’un des éléments constitutifs emporterait-elle disparition de l’État ? La réponse est négative. Un État existant peut être en proie à un désordre administratif à la suite d’une guerre, c’est-à-dire « défaillant » mais on ne considère point que cet État a disparu. Ils ne sont pas constitutifs mais permettent seulement de prétendre valablement à la qualité d’État. Voici la doctrine. Mais comment cela se passe-t-il en faits (hors doctrine) ?
§2. Les modalités d’apparition des États nouveaux
A.La non-pertinence de l’origine illicite de l’État
Est-ce qu’une entité remplissant toutes les conditions objectives énoncées plus haut, même si elle a émergé par la commission d’actes illégaux (crimes de guerre par exemple), peut être considérée comme un État ? Quid de l’acronyme EI (État islamique) revendiqué par Daesh ?
On peut considérer que Daesh remplit toutes les conditions de fait et notamment celle de l’effectivité, de sa maîtrise des espaces sur lesquels elle exerce son emprise, pour être considéré comme un État selon le droit international. Sur cette base, certains auteurs ne voient qu’une explication plausible au refus du Conseil de sécurité des Nations unies et des États de le qualifier d’État. Selon eux, cela signifie que la doctrine des éléments constitutifs de l’État est insuffisante. Encore faut-il que l’entité n’ait pas émergée dans des conditions illicites du point de vue du droit international. Ici, la seule raison expliquant le refus de la reconnaissance de l’État comme les autres États serait son implantation par la force. L’État islamique ne doit pas être un État.
Voir article d’Anne-Laure Chomette, « Daesh, un État islamique » paru dans Annuaire français de DI n°60 de l’année 2014.
De prime abord, l’organisation politique de Daesh peut s’accorder avec l’absence de règles de droit international exigeant que l’État ait une structure de droit déterminée, mais on peut aussi se dire que c’est une erreur de considérer que Daesh satisfait à cette exigence, celle d’un gouvernement, d’une organisation politique indépendante. S’agit-il vraiment d’une organisation politique indépendante ? Est-ce que cette organisation vise vraiment à la maîtrise des espaces et des populations sur lesquels elle exerce son emprise ? Il semblerait que ces territoires aient été arrachés par la violence à des États préexistants, non pas pour en assurer la maîtrise mais pour servir de point d’ancrage sur la base de laquelle exercer un rayonnement universel international s’adressant non pas à une population déterminée mais à une communauté universelle de croyants et non pas à une population à laquelle il serait attribué une nationalité particulière. Il n’y a pas d’horizon de constituer un État pour Daesh puisque ses ennemis sont aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’État désiré. La population de Dieu ne serait pas la collectivité humaine implantée sur le territoire maîtrisé mais une communauté indéterminée de tous ceux qui, partout dans le monde, ont prêté allégeance au Califat et s’engagerait dans un combat organisé en réseau sans implantation spatiale. Il semblerait que cette organisation politique ait pris le contre-pied du modèle étatique. À l’aube de la théorie de l’État, Daesh est une figure inclassable tenant à sa prétention à dominer la communauté universelle des croyants sur le modèle des rapports vassaliques.
Aujourd’hui, la question se pose toujours s’agissant d’autres entités qui remplissent les conditions factuelles d’accession à la qualité d’État. La déclaration d’indépendance du Transkei en 1976 fut considérée comme nulle et non avenue par le Conseil de sécurité des Nations unies pour motif d’apartheid. C’est le cas d’autres entités également. Ici la seule raison était l’existence d'un régime d’apartheid. De même, fut déclarée juridiquement nulle la déclaration d’indépendance de la République turque de Chypre Nord dont la création s’est faite par des actes de sécession.
La CIJ a fait référence à cela dans son avis consultatif rendu sur la conformité au droit international de la déclaration d’indépendance du Kosovo. Dans cet avis, l’illicéité de certaines déclarations d'indépendance découle du fait qu’elles vont de pair avec un recours illicite à la force. La qualification d’État est impossible, d’une part, eu égard à l’absence du critère du respect du droit international et, d’autre part, au fait que les autres États, déjà sujets du droit international, ont l’obligation coutumière de ne pas reconnaître les situations qui ne respectent pas les règles de droit international.
B.L’absence de réglementation des modalités d’apparition de l’État
Aujourd’hui, les candidats aspirant à devenir des États sont assez nombreux. Pour un mouvement révolutionnaire, c’est la réalisation d’une vocation. L’État est le mouvement politique qui a réussi, qui est parvenu à rentrer dans le club select des États. Au XXe siècle, c’est la prolifération des États. On compte à peu près 200 États (le quadruple par rapport à 1945). Alors comment cette prolifération de l’État s’est-elle réalisée dans les faits ?
Aujourd’hui, tout nouvel État provient d’un ancien et se forme avec son accord ou contre lui. Il y a 2 grandes séries d’hypothèses/cas de figure :
1)Les modalités d’apparition d’États nouveaux
a) Lorsque l’État ancien disparait (scission, fusion)
La debellatio désigne la situation d’un État vaincu qui a totalement disparu. La scission est la disparition d’un État au profit de plusieurs États. C’est le cas de l’URSS qui s’est démembrée. Il y a fusion lorsque plusieurs États disparaissent au profit d’un État nouveau. Ils se réunissent pour ne former désormais qu’une seule entité souveraine. C’est le cas des États-Unis d’Amérique.
b) Lorsque l’État ancien subsiste
Il y a deux cas de figure lorsque l’État ancien subsiste : l’absorption ou la sécession. En cas d’absorption, une entité existante en absorbe une autre qui perd sa personnalité juridique. Par exemple, lors de la réunification allemande la RFA a absorbé la RDA. En cas de sécession, l’État ancien survit mais est partiellement démembré pour qu’un nouveau territoire se forme à partir du territoire et de la population. Les tentatives de sécession sont rarement réussies, les États étant peu enclins à revendiquer une telle action de peur qu’un autre État tente de les amputer de leur assise spatiale.
2)Le problème de la succession
Est-ce que l’État nouveau continue la personnalité juridique de l’État qui existait avant lui ou y a-t-il une rupture juridique ? En principe, l’État nouveau doit être libéré de tout engagement pris par l’ancien et doit être libre de réorganiser son droit interne et ses rapports internationaux. Parfois, certains droits et obligations nationaux sont inhérents au statut même d’État. Outre ces considérations, il peut arriver que l’État nouveau revendique la succession de l’État disparu. Lorsqu’il y a continuité, donc « succession », l’État successeur demeure lié par les engagements internationaux souscrits par l’État originaire.
La définition issue de la Convention de Vienne de 1978 a défini la succession de l’État en considérant que « la substitution d’un État à un autre dans la responsabilité des RI d’un territoire » (art. 1).
SECTION II : La reconnaissance de l’existence de l’État
La collectivité qui remplit toutes les conditions d’émergence d’un État est-elle pour autant un État si personne ne la reconnait ? Dans l’ordre juridique international, la réalisation du fait juridique suffit à la constitution de l’État mais encore faut-il quelqu’un pour opérer ce constant. En droit interne, la naissance d’une personne physique constitue un fait objectif. De même, la réunion des conditions requises emporte qualification d’État. Qui est compétent, dans l’ordre juridique internationale, pour attester de l’existence d’un État ? Si l’ONU admet un nouvel État, cette reconnaissance s’impose-t-elle à tous les États ? En effet, cette admission n’engage que l’organisation internationale elle-même. En droit international, il n’existe pas d’autorité habilitée à constater objectivement que les conditions d’accession à la qualité d’État sont remplies.
Lorsqu’une entité remplit les conditions d’accession à la qualité d’État, peut-elle déclarer elle-même son indépendance ? L’examen rapide de la pratique internationale en matière de déclaration d’indépendance montre que le référendum d’indépendance est devenu central dans la promotion et dans la gestion des demandes tendant à la création de nouveaux États. En droit international, les déclarations ne sont que des opérations de communication. Il ne s’agit que de purs faits. Ce ne sont pas des actes constitutifs d’États car l’État n’est pas institué par un acte juridique. En outre, au moment de l’émission de la déclaration, son auteur n’est pas encore un État aux yeux du droit international. L’entité n’est pas encore une personne juridique. Or, pour valablement édicter un acte juridique, il faut avoir la personnalité juridique. Dès lors, les déclarations d’indépendance n’ont aucune valeur juridique. Elles ont seulement une valeur symbolique. Ce sont simplement des appels au soutien qui sont adressés aux États déjà existants et aux organisations internationales pour leur demander de reconnaitre l’entité comme État. En effet, les seules entités habilitées à attester de l’existence de l’État i.e. à qualifier le fait juridique sont les États déjà existants et les organisations internationales. Il s’agit simplement d’appel à la communauté de les aider à accéder à la qualité d’État. Seuls les États existants et les organisations internationales sont habilités qualifier juridiquement un État. Chaque État reconnait un nouvel État pour lui-même.
§1. Nature de la reconnaissance
La reconnaissance d’un nouvel État est un acte unilatéral mais aussi un acte discrétionnaire qui doit être juridiquement justifié au regard du droit international. Discrétionnaire signifie ce qui est laissé à la discrétion, qui confère à quelqu’un le pouvoir de décider. Toutefois, discrétionnaire n’est pas synonyme d’anarchique mais que celui qui reconnait est libre de le faire. Même s’il ne reconnait pas, il peut ressentir le besoin de justifier son refus de reconnaissance. Pourquoi la reconnaissance ne peut qu’être un acte discrétionnaire ? Les conditions d’émergence de la collectivité étatique peuvent être très difficiles à objectiver. En effet, l’appréciation de la réalisation des critères peut être variable selon chaque État et confère une grande marge de manœuvre à ceux qui l’opèrent.
Comment évaluer l’indépendance d’une organisation politique, la maîtrise du territoire ? Il n’y a pas de réponse unique mais des réponses contradictoires d’égale valeur juridique car elles sont données par des États habilités à le faire. La reconnaissance en tant qu’acte unilatéral n’engage que l’État qui en a l’initiative. Elle ne peut être imposée à un autre État sauf à méconnaître le principe de l’égalité souveraine caractéristique des États. En matière de reconnaissance, les États et les organisations internationales sont livrées à leurs propres appréciations subjectives de l’existence des conditions objectives posées par le droit international. Les conditions posées sont objectives mais l’appréciation de leur réalisation est une opération subjective. Par conséquent, reconnaitre qu’une entité satisfait les 3 conditions d’émergence d’un État est un acte libre, autrement dit un acte discrétionnaire.
Il résulte, au regard des relations internationales, que les raisons qui poussent les États à reconnaitre ou à ne pas reconnaitre un nouvel État ne sont pas uniquement d’ordre juridique mais aussi politiques. Quand une entité répond à toutes les conditions, des obstacles politiques peuvent entraver sa reconnaissance.
Par exemple, Israël est une entité qui remplit les 3 conditions pour recevoir la qualification juridique d’État. Néanmoins, pour des motifs d’ordre politique, certains États arabes refusent de le reconnaitre. De même, aux dires de certains experts de droit international, l’Organisation de l’État islamique remplit objectivement les conditions juridiques de l’existence d’un État. Pourtant, il n’est reconnu par aucun État. Les motivations politiques qui rentrent en ligne de compte dans l’acte de reconnaissance ne changent rien à la nature juridique de la reconnaissance.
En droit interne, les motivations d’un couple qui se marie par amour ou par intérêt ne changent rien à la valeur juridique du contrat de mariage. Elles relèvent du domaine du fait et sont indifférentes en droit. Il en est de même pour l’acte de reconnaissance en droit international. Dire que la reconnaissance est un acte discrétionnaire revient à dire que les critères d’appréciation des conditions objectives posées par le droit sont subjectifs. Chaque État qui reconnait ou ne reconnait pas est libre de son appréciation.
La reconnaissance d’un gouvernement est également un acte discrétionnaire. Mais contrairement à la formation d’un nouveau gouvernement, la formation d’un nouvel État est un évènement rare. La plupart du temps, le nouveau gouvernement est reconnu par les autres gouvernements par des lettres officielles de félicitations. La reconnaissance de gouvernement n’est pas seulement un acte diplomatique mais un également un acte juridique. Or, lorsque le gouvernement est issu d’une guerre civile, la reconnaissance devient compliquée. La reconnaissance de gouvernement ne répond pas aux mêmes critères que la reconnaissance d’État. Cette reconnaissance se justifie par un principe d’effectivité i.e. que le gouvernement doit exister factuellement. En droit international, le gouvernement est celui qui exerce effectivement l’autorité, quel que soit son mode d’accession au pouvoir (coup d’État, révolution, élections truquées, élections démocratiques) et sa manière d’exercer le pouvoir (démocratie, respect des droits de l’homme, dictature, tyrannie). La reconnaissance de gouvernement ou de la qualité de chef de gouvernement dépend également de simples considérations de fait : la maitrise du territoire et l’emprise sur une population.
Crim., 13 mars 2001, Kadhafi : À titre d’exemple, on peut parler de la JP Kadhafi. Le colonel Kadhafi fait l’objet d’une plainte déposée par des associations à la suite du crash d’un avion de la compagnie UTA dans le désert du Niger entraînant la mort de 170 personnes dont plusieurs Français. Il s’agit d’un jugement inédit en France car, pour la première fois, un tribunal démocratique était saisi d’une action en responsabilité pénale contre un chef d’État en exercice. Au même moment, le gouvernement avait décidé de renouer les liens avec la Lybie. Le colonel Kadhafi pouvait-il être l’objet d’une action judiciaire pénale ou bien le défendeur bénéficie-t-il de l’immunité juridictionnelle ? Au fond, il fallait savoir si le colonel était un chef d’État étranger ou non. En droit constitutionnel libyen, Kadhafi n’avait aucun mandat officiel ni une autorité constituée. Il était simplement perçu comme le leader libyen, n’ayant pas de fonctions constitutionnelles. En l’absence de mandat officiel, la Cour de cassation pouvait-elle considérer qu’elle avait affaire à un chef d’État étranger ? La Cour a dû interpréter le droit international avec le concours actif du MAE pour considérer que le colonel doit être regardé comme le chef de l’État libyen dès lorsqu’il exerce effectivement le pouvoir. Par voie de conséquence, il doit bénéficier de l’immunité juridictionnelle reconnue par le droit international aux chefs d’États étrangers. L’action en responsabilité pénale intentée à son encontre doit être déclarée irrecevable.
À l’heure des printemps arabes, on a pu penser que le critère purement factuel avait évolué en faveur de la prise en compte d’éléments politiques. Des États européens ont apporté un soutien surprenant aux forces rebelles qui n’exerçaient pas effectivement le pouvoir en les reconnaissant comme les gouvernements légitimes de l’État. Certains auteurs ont considéré que la reconnaissance de gouvernement évoluait vers une appréciation plus matérielle. Néanmoins, d’autres auteurs ne s’accordent avec ce point de vue car cela se justifie tout simplement par le fait que la reconnaissance de gouvernement est un acte discrétionnaire.
Lire l’article d’Olivia Danic, « L’évolution de la pratique française en matière de reconnaissance de de gouvernement », Annuaire français de droit international, 2013
Comme la plupart des actes unilatéraux en droit international, la reconnaissance est un acte peu formaliste, sans procédures particulières pour le déploiement des effets juridiques. Il existe de types de reconnaissances : la reconnaissance expresse et la reconnaissance implicite.
La reconnaissance expresse prend la forme d’un communiqué officiel lorsque politiquement il a été jugé opportun de donner à la reconnaissance un aspect solennel. Mais cette formalité n’est pas exigée par le droit international. La reconnaissance implicite ne prend pas la forme d’une déclaration, même orale, qui aurait pour objet la reconnaissance. Mais elle est déduite du comportement de l’État à l’égard de cette autre entité et qui montre que l’État existant reconnait ou a l’intention de reconnaitre la nouvelle entité comme son égal. L’établissement des relations diplomatiques, la conclusion de traités sont des exemples de reconnaissance implicites.
§2. Les effets de la reconnaissance
A.Du point de vue de celui qui est reconnu
L’État n’est pas le produit d’un acte juridique mais la conséquence d’un fait juridique. Il en découle que la reconnaissance (acte juridique) ne saurait avoir pour effet de constituer l’État nouveau. Par exemple, la non-reconnaissance d’Israël par un nombre d’États ne le prive pas pour autant du statut d’État dans les relations internationales au sens large. En pratique, pourtant, on ne peut nier l’importance des déclarations. Juridiquement, les reconnaissances ne sont pas constitutives mais déclaratives.
Néanmoins, elles ont une importance déterminante voire décisive sur la vie du nouvel État dans les relations internationales. Une entité qui remplit toutes les conditions d’émergence de l’État mais qui n’est reconnue par personne sera condamnée à l’autarcie dans les relations internationales. Reconnue seulement par l’Afrique du Sud, la Rhodésie du Sud n’a pas survécu. De même, depuis une guerre civile sanglante datant du début des années 90 l’Abkhazie est indépendante de facto de la Géorgie. Pourtant, l’Abkhazie n’est officiellement reconnue en tant qu’État que par la Russie, le Nicaragua, le Venezuela, la Syrie et l’île de Nauru.
A contrario, des entités qui ne rempliraient pas les conditions objectives d’émergence d’un État sont boostées par des reconnaissances précoces réalisées par des États existants. Ce faisant, les autres États leur apportent un soutien. Par exemple, la Palestine est reconnue comme un État par une minorité d’États (75) alors qu’on peut douter de son indépendance à l’égard d’Israël et de la condition d’assise spatiale. Ces reconnaissances anticipées ont des visées politiques car elles cherchent à favoriser la situation qu’elles constatent. Elles en vont de la viabilité des nouveaux États.
B.Du point du vue de celui qui reconnait
Le statut d’État de la collectivité reconnue est désormais opposable. Dans ses relations internationales, celui qui reconnait est juridiquement obligé de traiter l’entité comme un État. Il est obligé de tirer toutes les conséquences attachées au statut international d’État de cette entité en la traitant comme un souverain égal (relations internationales) et en lui faisant bénéficier de l’immunité (droit international).
C.Du point de vue de celui qui n’a pas reconnu
Le tiers à la reconnaissance n’a pas obligation de traiter avec l’État qu’il n’a pas reconnu. Mais pourrait-il y être obligé ? L’existence du nouvel État peut-elle lui être opposable alors même qu’il ne l’aurait pas reconnu ?
La réponse de principe apportée par la jurisprudence internationale est claire. Le nouvel État ne peut pas saisir une juridiction internationale pour obliger les autres États ou un État en particulier à le reconnaitre. En effet, une juridiction internationale est constituée par les États qui vont l’utiliser pour régler leurs différends sur un mode juridictionnel. Par conséquent, elle n’a pas de pouvoir juridictionnel d’accueillir des demandes émanant d’un État qui n’aurait pas été reconnu par l’autre partie à la procédure.
Néanmoins, il est déjà arrivé qu’une juridiction internationale soit saisie de la question de savoir si une entité non reconnue par un certain nombre d’États devait se voir appliquer les règles attachées au statut international de l’État. La Cour internationale de justice est une organisation onusienne dotée d’une compétence généraliste. Sa compétence matérielle n’est pas limitée. Elle a une fonction contentieuse et consultative.
CIJ, Avis, 2004 : la CIJ est sollicitée pour rendre un avis sur les conséquences de l’édification d’un mur en Palestine. Dans cet avis dépourvu de force obligatoire pour les États, elle a émis des doutes sur la qualité étatique de la Palestine. Par conséquent, l’avis n’invalide en rien les différentes reconnaissances internationales à l’égard de la Palestine.
CEDH, 1995, Loisidou c. Turquie : Loisidou a formé une requête contre la Turquie devant la CEDH. La Cour refuse de faire droit à l’argument de la Turquie qui prétend que les comportements qui lui étaient reprochés par le requérant étaient imputables à la République turque de Chypre du Nord, partie nord de l’île de Chypre autoproclamée État indépendant avec le soutien armé de la Turquie. Seule la Turquie la reconnait mais le juge n’a pas, en l’espèce, reconnu l’entité comme nouvel État.
S’agissant de la jurisprudence interne, le juge interne cherche moins la réunion objective des conditions d’existence de l’État que l’alignement sur la position subjective de l’État dont il est l’organe. Concrètement, il se rapproche du ministère des Affaires étrangères lorsqu’il est saisi de ce type de demande.
Cour d’appel de Paris, 2008 : Taiwan assigne la République populaire de Chine en justice. La cour devait d’abord déterminer s’il s’agit d’un ou de deux États. Elle s’est référée à la position du gouvernement français.
En conclusion, quoique déclarative, la reconnaissance reste le moyen le plus sûr de rendre le statut d’État opposable aux États déjà existants.
En résumé, l’État est issu d’une situation factuelle (territoire, une population, organisation politique indépendante). Cette situation, qui implique la réunion de 3 conditions objectives suffit en droit à la constitution d’une collectivité étatique. Le droit international saisit ces éléments factuels en leur attachant des effets juridiques. Il les érige en faits juridiques et partant, en fait une personne juridique.
Contrairement au droit interne dont l’application est confiée à des organes centralisés habilités à le faire (officier d’état civil, agent administratif ou juge), l’application des règles et des critères d’émergence, qui est décentralisée, est réalisée par chaque sujet de droit international pour ce qui le concerne. La reconnaissance n’est autre chose que l’acte d’application décentralisée de règles de droit international établissant les conditions d’émergence d’un État. Par conséquent, la reconnaissance n’est pas un acte constitutif de l’État mais un acte déclaratif, un pur acte d’application du droit. L’État reconnu existe indépendamment de cet acte déclaratif. L’État qui reconnait un autre souscrit un engagement international notamment l’obligation de traiter le nouvel État comme un État.
CHAPITRE II : LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ÉTAT
Le statut international de l’État s’apparente à un joyau juridique. Les entités qui candidatent à la qualité étatique désirent accéder à ce statut. Elles n’aspirent plus à prendre le contre-pied du modèle étatique car l’État jouit d’un statut privilégié en droit international. Le droit international a été créé par l’État et pour l’État. François SUR : « L’État est le roi du droit international », le nec plus ultra des sujets de droit international.
SECTION I : La situation statutaire de l’État (Que signifie « être un état » en droit international)
L’État est une personne capable, souveraine et pleinement compétente.
§1. Une personne capable
Stricto sensu, la capacité désigne l’aptitude et les moyens d’action. La capacité stricto sensu, aptitude d’agir, est celle de n’importe quel autre être corporatif. Cour permanente de justice, avis 1923 relatif à des colons d’origine allemande : « Dans l’ordre du droit, l’État ne peut agir qu’aux moyens et par l’entremise de la personne de ses représentants et ses agents ». Décrire l’État comme un être corporatif revient à l’instituer comme un être doté de la personnalité juridique distincte de celle de ses représentants. Il en résulte que certains comportements de ses représentants (la signature d’un traité, déclaration publique, commission d’un génocide) sont attribués à l’État.
Lato sensu, au sens matériel, la capacité désigne la somme des pouvoirs qui peuvent être mesurés et quantifié. La capacité lato sensu désigne le pouvoir d’agir dans l’ordre du droit. Il n’est plus question seulement des moyens d’actions par l’intermédiaire d’organes ou de représentants mais d’une modalité active du pouvoir d’agir dans l’ordre du droit. L’État peut tout faire. Avant d’envisager la capacité substantielle et processuelle, la première qualité de la capacité de l’État est qu’elle est illimitée.
L’État sujet originaire du droit international, ne peut procéder d’un acte juridique. Il nait d’une situation de fait. Étant une personne originaire et non dérivée, il en découle une personnalité juridique de plein droit. Dès sa naissance, l’État est doté d’un pouvoir illimité de participation à l’activité juridique. À l’opposé, à la capacité organisations internationales est limitée dans la mesure où elles ont une personnalité juridique dérivée d’un acte juridique fondateur. Elles ne peuvent agir que sur les attributions de leurs actes constitutifs.
La capacité substantielle est, d’une part, le pouvoir de s’engager par ses actes juridiques (capacité normative), et, d’autre part, le pouvoir de produire du droit par ses comportements (capacité délictuelle).
La singularité de la situation de l’État parait mieux lorsqu’on la compare avec la situation des autres sujets de droit international. Par exemple, les sujets internes ont une capacité extrêmement limitée sur le plan international. Ils n’ont normalement aucun pouvoir de s’engager internationalement ni par leurs actes juridiques (conclure de traités ou des actes unilatéraux) ni par leurs comportements. Néanmoins, la CESDH confère aux sujets internes une capacité d’action en justice contre certains États dans certaines conditions. S’agissant des organisations internationales, elles ont une capacité plus étendue que celle des sujets internes mais moins bridée que celle des sujets internes. Mais leur productivité légale est réduite par ce qu’elle est circonscrite par leurs actes fondateurs.
S’agissant de la capacité normative de l’État, rien ne vient limiter son pouvoir de s’engager par des actes juridiques. Il en résulte que tout État a le pouvoir d’exercer son autorité sur son territoire et sur toutes les personnes qui s’y trouvent ainsi que sur ses nationaux localisés à l’étranger.
S’agissant de la capacité processuelle, elle constitue pour l’État le pouvoir d’utiliser toutes les voies de procédure qui lui sont ouvertes pour poursuivre la réalisation de ses droits et de ses engagements internationaux. Cette capacité peut s’opérer par le canal diplomatique avec le recours à des réclamations non contentieuses à l’égard de ses partenaires. Sur le plan contentieux, l’État est titulaire de plein droit d’un pouvoir d’agir en justice en qualité de défendeur ou de demandeur. La situation de l’État est singulière par rapport aux autres sujets.
Par exemple, les sujets internes sont par principe privés d’action international notamment pour faire valoir leurs droits substantiels à l’encontre d’États qui les auraient violés sauf exceptions aménagées par des conventions spéciales telles que la CESDH.
De même les organisations internationales, disposant d’une capacité processuelle, elles se voient rarement ouvrir des voies contentieuses pour trancher les litiges qui les opposent aux États.
§2. Une personne souveraine
Compléter le cours avec les articles de Jean Combacau :
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« Pas une puissance mais une liberté : la souveraineté internationale de l’État », Revue Pouvoirs n°67 1993
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« La souveraineté internationale l’État dans la jurisprudentielle du Conseil constitutionnel français », Cahiers du Conseil constitutionnel n°9, février 2001
A.La notion de souveraineté
On distingue la souveraineté interne de la souveraineté externe. La souveraineté de l’État dans l’ordre interne désigne l’absence de soumission de l’État à quelle qu’autre autorité que ce soit. L’État souverain exerce une puissance supérieure à toutes les autres collectivités internes. Il exerce sa puissance totale et générale sur les sujets de l’ordre interne, ceux qui sont assujettis à l’emprise étatique.
La souveraineté en droit international ne saurait être la puissance supérieure à toute autre dans la mesure où il existe autant de souverains que d’États. Néanmoins, elle reste une insoumission à une autorité supérieure. Être souverain sur le plan international, c’est le fait de n’être assujetti à personne. Max Huber, arbitre unique dans l’affaire Ile de Palmas écrit que « la souveraineté dans les relations entre États signifie l’indépendance ». Cette formule pose un problème car l’indépendance a une notion factuelle alors que la souveraineté est une notion juridique. L’État souverain ne peut recevoir d’ordre de personne, ni des autres États ni des organisations internationales.
Il faut également distinguer la souveraineté formelle (la puissance supérieure à toute autre) de la souveraineté matérielle (prérogatives relevant par nature du souverain). En droit international, seule la définition formelle de la souveraineté est utilisée i.e. le fait de n’être assujetti à personne. Néanmoins, il n’existe pas de souveraineté matérielle au sens de la théorie du noyau dur. Lorsqu’un État transfère à une organisation internationale l’exercice de certains pouvoirs jusque-là exercés souverainement par lui (battre monnaie, lever l’impôt), la question de savoir si l’État reste toujours souverain ne se pose pas. Ce faisant, au contraire, il ne fait qu’exercer sa souveraineté.
B.La liberté et l’égalité comme corollaires de la souveraineté
Pour une vision moins doctrinale, lire l’article d’Alain PELLET sur son site personnel : « Lotus que de sottises on profère en ton nom : remarques sur le concept de souveraineté dans la cour mondiale »
1) Liberté d’agir
Dans un premier temps, la souveraineté internationale a pour corollaire la liberté d’agir en dehors de toute règlementation internationale. Dire que l’État est souverain, c’est dire qu’il est libre de faire tout ce qui n’est pas interdit. En tant que souverain, la liberté de l’État ne lui est attribué par aucune autorité supérieure. Il tire sa liberté de son statut d’État et de souverain.
Dans un second temps, il appartient librement à chaque État de limiter le champ de sa liberté en prenant des engagements internationaux par la technique de l’autolimitation. Le droit international est la somme de toutes les restrictions consenties à sa liberté originelle. Par voie conséquence, l’État jouit d’une présomption de liberté qui ne peut être renversée que par la preuve d’une limitation juridique qu’il s’est lui-même imposée dans l’ordre du droit et qui lui est alors opposable.
CPJI, 1927, Lotus : Le Lotus, navire français, entre en collision avec un navire turc à la suite d’une erreur de navigation du commandant français entrainant la disparition du navire turc avec ses membres d’équipage. Le navire français récupère et conduit les survivants à un port turc. L’officier français est mis aux arrêts, jugé et condamné à une peine de prison et une amende par les juridictions turques. La France proteste au motif que la Turquie aurait agi sans titre de compétence. La Turquie considère qu’elle n’a pas besoin de titre pour agir dès lors qu’il n’existe aucune règle qui lui interdisait de procéder de la sorte. En l’absence de règles dans un domaine donné, l’État est-il autorisé agir comme bon lui semble ? La CJPI répond que « le droit international régit les rapports entre des États indépendants. Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci. Les limitations à l’indépendance des États ne se présument donc pas ». Concrètement, en l’absence de règlementation dans un domaine donné (par exemple, la navigation en haute mer), prévaut la présomption de liberté qui autorise les États à agir sans restriction en ce sens que leur liberté originaire ne se heurte à aucune règle prohibitive contraire.
2) Liberté de s’engager
La souveraineté de l’État, c’est aussi l’insoumission aux règles édictées par d’autres États. Cela implique que les États n’obéissent qu’aux règles qui émanent de leur propre volonté. Sur ce terrain, la souveraineté se confond avec l’autolimitation. Il en découle un principe en droit international selon lequel les États n’obéissent qu’à des règles qu’elles ont-elles-mêmes consenties. En droit international, il existe une recherche en permanence sur le consentement de l’État (sa forme et son contenu).
CPJI, 1923, Wimbledon : l’Allemagne refuse l’ouverture du canal de Kiel à tout État étranger en arguant la neutralité comme un attribut essentiel de sa souveraineté. Le moyen est inopérant car la cour retient la conception formelle de la souveraineté : « La cour se refuse à voir dans la conclusion d’un traité quelconque, par lequel un État s’engage à faire ou à ne pas quelque chose, un abandon de souveraineté. Sans doute, toute convention engendrant une obligation apporte une restriction à l’exercice des droits souverains de l’État. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l’État ». L’étendue de la liberté de s’engager n’est pas limitée en droit international.
Pour autant, être souverain ne signifie être apte à faire ce qu’on veut au mépris du reste. La société internationale n’est pas un état de nature. Être souverain dans état de droit c’est être libre de choisir ce à quoi on s’engage en contrepartie. En conséquence de cette liberté légale, c’est d’être tenu par ses engagements.
3)L’égalité juridique
La souveraineté implique nécessairement l’égalité des États. Si tous sont souverains aucun ne peut être l’assujetti de l’autre. Ils sont donc juridiquement égaux.
§3. Une personne compétente
Les compétences de l’État sont plus étendues que celles des autres personnes de l’ordre juridique international. D’un point de vue formel, la détermination de la compétence internationale de l’État repose sur des actes de droit interne. Par exemple, il appartient au droit constitutionnel de déterminer l’organe pouvant engager l’État et la procédure à suivre pour y parvenir. À l’époque contemporaine, les États admettent ne pas être en mesure de déterminer le champ de leurs pouvoirs sur la scène internationale sans prendre en considération les choix retenus par les autres États dans un souci de favoriser la coexistence avec les autres États. D’où l’intervention du droit international.
Le droit international général intervient pour restreindre l’usage de leurs pouvoirs par les États aux situations avec lesquelles ils ont un lien. Par conséquent, le droit international ne se borne pas à prendre acte des pouvoirs étatiques, enregistrement des actes édictés par les États mais les répartit par l’énonciation de rattachements qui constituent la cause de la compétence. Le droit international détermine les liens qui justifient l’exercice de la compétence internationale : la compétence territoriale et la compétence personnelle.
A. Le rattachement territorial de la compétence étatique
Dans les manuels, on parle de compétence territoriale mais il est plus approprié de parler de compétence ratione loci. La compétence territoriale est le principe par lequel le droit international dessine pour l’État une aire d’exercice de sa souveraineté. Cette aire désigne un espace qualifié de territoire dès lors qu’il tombe sous l’emprise étatique. Cette compétence s’exerce à raison du territoire.
Dans certains cas, le mot territoire peut être descriptif (condition d’accès à la qualité d’État) mais peut également être une qualification juridique. La compétence territoriale est d’abord une assise spatiale sur laquelle l’État exerce son emprise.
Juridiquement, le territoire va au-delà d’un espace avec des frontières. Par exemple, un État qui légifère pour régir la conduite des personnes situées sur son territoire géographique. Autre exemple, le même État adopte une loi pénale régissant les activités des personnes résidant sur son territoire mais à raison d’actes commis à l’étranger. Dans ce deuxième exemple, le lien est plus diffus. Il en résulte que la compétence territoriale est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait.
Lorsque le lien territorial est établi, la compétence qui s’exerce à raison du territoire est pleine et entière. La compétence territoriale se décline sur toutes les manifestations possibles du pouvoir étatique. La première manifestation est l’édiction des actes juridiques, autrement appelée la compétence normative i.e. le pouvoir de régir la conduite des personnes. La seconde manifestation réside dans la compétence opérationnelle dans la mesure où l’État dispose du pouvoir de faire exécuter les actes qu’il édicte (mener des surveillances, des saisies, arrestations, emprisonnements, des perquisitions…)
Enfin sur le territoire, la compétence est exclusive dans la mesure où aucun autre État ne peut exercer une compétence sur son territoire. Max Huber, dans sa sentence arbitrale rendue à propos d’un différend entre les États-Unis et les Pays-Bas sur l’Île de Palmas, s’y exprime ainsi : « La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l’indépendance. L’indépendance relativement à une partie du globe est le droit d’y exercer, à l’exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques. Le développement de l’organisation nationale de l’État et comme corollaire le développement du droit international, ont établi le principe de la compétence exclusive de l’État en ce qui concerne son territoire de manière à en faire le point de départ du règlement des questions qui touchent aux rapports internationaux ».
De ces quelques lignes se détachent les deux caractères fondamentaux de la compétence territoriale : la plénitude de son contenu et l’exclusivité de son exercice. L’une et l’autre sont consubstantielles à la définition de l’État. Autrement dit, l’État bénéficie de la plénitude des pouvoirs et dispose de l’exclusivité de la compétence territoriale. Le territoire constitue le rattachement le plus fort du pouvoir étatique mais pas le seul.
Toutefois, la plénitude et l’exclusivité s’accompagnent d’une obligation générale de tenir compte des droits autres États. Ce corollaire est indispensable pour préserver l’égalité souveraine : « la souveraineté territoriale implique le droit exclusif d’exercer les activités étatiques. Ce droit a pour corollaire un devoir : l’obligation de protéger à l’intérieur du territoire, les droits des autres États, en particulier leur droit à l’intégrité et à l’inviolabilité en temps de paix et en temps de guerre, ainsi que les droits que chaque État peut réclamer pour ses nationaux en territoire étranger » (Ile de Palmas).
B. Le rattachement personnel de la compétence étatique
La compétence personnelle s’exerce à raison d’un lien juridique entre l’État et un être déterminé (personne physique, morale ou un navire, aéronef, sous-marin que l’on appelle un ensemble organisé). La caractéristique de ce lien est qu’il existe indépendamment de toute considération territoriale, peu importe le lieu dans lequel se trouve la chose. La nationalité fonde la compétence personnelle qu’un État exerce sur une personne. Par exemple, la haute mer est ouverte à tous et aucun État ne peut y exercer une compétence exclusive. Si un navire se trouve en haute mer, on applique la compétence personnelle. Le navire étant panaméen, le juge panaméen était compétent pour connaitre du crime commis à son bord.
Dans l’affaire du Lotus, la France soutient que l’État du pavillon était seul compétent pour connaitre du litige. Or, la Turquie considère qu’on est en présence d’une compétence concurrente et qu’en l’absence d’interdiction, elle était compétence pour connaitre du litige. Mais ultérieurement, l’art. 97 Convention de Montego Bay, 1982 a consacré le principe selon lequel est compétent l’État dont le pavillon a la nationalité. Ce rattachement personnel est de nature à fonder la compétence personnelle de l’État.
Le droit international n’édicte aucune règle d’attribution de la nationalité. Il se contente à faire un renvoi au droit national car la nationalité, par définition, est un lien déterminé par le droit interne, l’idée étant que chaque État a sa propre conception de la nationalité.
CIJ, Nottebohm, 1955 : un Allemand pendant la 2e GM avait fui au Panama. Pour échapper à la législation du Panama confisquant les biens, il refuse de se réclamer allemand et parvient à obtenir la nationalité du Liechtenstein. Néanmoins, le Panama saisit ses biens. Le Liechtenstein saisit la CJI. La CJI juge que « le droit international laisse à chaque État le soin de déterminer l’attribution de sa propre nationalité ». Le droit de la nationalité est une compétence exclusivement réservée aux États. Chaque État a sa propre conception de la nationalité et partant ses propres règles d’attribution.
Toutefois, en cas de conflit entre deux États sur la nationalité d’une personne, le droit international retient la nationalité de l’État avec lequel la personne a le lien le plus effectif. Le juge apprécie concrètement les éléments qui sont à sa disposition.
C.Autres rattachements à la compétence étatique
En l’absence de lien territorial ni personnel, rien en théorie ni en principe ne justifie l’exercice d’un pouvoir extraterritorial de l’État, simplement normatif, sur des étrangers dans la mesure où aucun critère ne fonde sa compétence. Pourtant, les États ne se privent pas d’exercer un tel pouvoir, quoique subsidiairement. Ces compétences répondent à des besoins de trois sortes : la gestion des services de l’État à l’étranger, la protection des intérêts étatiques et la doctrine des effets.
1)La gestion des services de l’État à l’étranger
Le titre territorial correspond à un élément constitutif de l’État. Mais l’État est aussi un ensemble organisé de services publics. Le droit international coutumier ne pourrait-il pas admettre un autre titre de compétence fondé sur le 3e critère de la qualification étatique ? Jules Basdevant met en valeur ce 3e titre de compétence étatique. Il constate que, dans la pratique, la France exerçait effectivement sa compétence au titre de ses services publics même ceux déployés à l’étranger. Par exemple, une mission diplomatique à l’étranger d’un État nécessite le recrutement d’agents techniques n’ayant pas nécessairement sa nationalité. Autre exemple, les missions militaires installées à l’étranger. La légion étrangère, dotée de missions à l’étranger, est composée aussi bien de ressortissants français que d’étrangers.
Lorsque l’État A a des services sur le territoire de l’État B, le principe applicable est celui de la compétence territoriale (État B). Néanmoins, exceptionnellement le droit de l’État A s’applique et ce, en dehors de tout titre territorial et de tout lien personnel notamment sur le fondement d’un traité conclu entre les deux États. En l’absence de traité ou à l’égard des tiers, l’application du droit de l’État A ne peut s’expliquer que par l’existence d’une règle coutumière, soit établissant un 3e titre de compétence, distinct de la compétence territoriale et personnelle mais fondé sur les services publics à l’étranger. On peut considérer qu’il s’agit de l’extension d’un titre déjà existant : la compétence personnelle. On peut aussi considérer que les services publics constituent une autre catégorie d’ensemble organisé. La mission diplomatique constituerait un ensemble organisé dans lequel la nationalité de l’ensemble prime en cas de besoin sur la nationalité des individus qui le constitue.
Dans l’affaire des Déserteurs de Casablanca, l’arbitre juge que le consulat allemand n’avait pas de titre de compétence pour accorder sa protection à ses personnes. L’État peut ressentir la nécessité de régir ses propres services opérant à l’étranger.
2)La protection d’intérêts étatiques
Les États ne se privent pas de la possibilité d’exercer leur pouvoir sans rattachement territorial et personnel lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts étatiques (ceux de l’État lui-même ou ceux partagés avec d’autres États). On parle d’intérêts de la communauté internationale (compétence universelle).
En matière pénale, on invoque le principe d’universalité qui fonderait des cas de compétence universelle. Suivant cette vision, tous les États pourraient se déclarer compétents pour incriminer des actes considérés comme préjudiciables à l’ensemble des États, quel que soit le lieu de commission de l’infraction ou la nationalité de l’auteur et de la victime. En matière de piraterie, nombre d’États prétendent avoir un titre de compétence universelle. Néanmoins, l’extension de cette compétence universelle à d’autres domaines est contestée. En effet, certains exercent cette compétence à l’égard des guerres et des crimes contre l’humanité. Une contestation est née de la revendication de cette compétence universelle par un État pour juger un crime international commis hors de son territoire par une personne étrangère sur une personne étrangère. Eu égard à l’incertitude entourant la coutume internationale, on constate la conclusion d’un certain nombre de traités entre des États qui décident d’exercer ensemble leurs compétences pour lutter contre le crime de génocide par exemple. Ces cas de compétence restent exceptionnels.
La protection des intérêts étatiques se manifeste par la compétence « réelle » et la compétence « universelle ». En premier lieu, la compétence « réelle » a trait aux intérêts fondamentaux de l’État normateur. L’État peut incriminer certains actes commis à l’étranger par des étrangers et ce, en considération du grave préjudice que causent ces actes à ses intérêts fondamentaux. Ce principe de protection est à la base de la compétence réelle justifiée par la nature de l’infraction. Les cas les plus fréquents sont l’atteinte à la sûreté de l’État, falsification de la monnaie, la falsification de ses marques officielles.
En second lieu, la compétence « universelle » a trait aux intérêts de la communauté internationale. L’État peut éprouver le besoin de protéger ses intérêts étatiques ainsi que ceux partagés avec autres États en quelque lieu qu’ils soient.
3)La doctrine des effets : défense des intérêts nationaux non étatiques
Il n’est pas rare que les États se servent de leur compétence normative pour défendre les intérêts de leurs nationaux sans tenir compte du critère de rattachement territorial et personnel. La tendance se développe beaucoup aujourd’hui surtout aux États-Unis et aussi en Europe mais elle se heurte à une résistance vive conduisant à douter qu’elle soit véritablement consacrée par le droit international. Selon cette doctrine, l’État peut défendre des intérêts non étatiques mais vus comme des intérêts nationaux.
Sur le fondement de cette doctrine, des États légifèrent en cherchant à statuer sur des comportements dont les conséquences sont ressenties sur le territoire national. Aux Etats-Unis, au début du XXe siècle, la Trading with the Enemy Act est approuvée. Elle interdit aux américains d’avoir des relations avec des nations en guerre contre les États-Unis. L’interdiction est applicable à toute personne présente sur le territoire américain même non-résidente. En 1996, les lois d’Helms-Burton et Amato- Kennedy vont plus loin. La première sanctionne toute personne qui utilise les biens de Cuba ayant appartenu aux États-Unis et la seconde sanctionne toute personne ayant investi en Libye, y compris les citoyens non-Américains.
La Cloud Act de 2018 permet aux agences de renseignement américaines, sur décision préalable d’un juge américain, d’obtenir des informations stockées sur les serveurs détenus par les opérateurs de télécom et tous fournisseurs de Cloud computing, même basés à l’étranger.
Aux États-Unis, la doctrine des effets constitue du droit international et est consacrée par la jurisprudence américaine. Cette doctrine a influencé la législation européenne. En Europe, le régime des sanctions économiques s’applique aux ressortissants de l’UE même s’ils se trouvent hors du territoire de l’UE. En 2010, le Parlement britannique a adopté le UK Bribery Act qui couvre toutes les entités en relation d’affaires avec le Royaume-Uni. En France, la loi Sapin II 2016 dispose également d’éléments d’extraterritorialité.
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d'Amérique c. Iran), affaire pendante : l’affaire a été portée devant la Cour par une requête des Etats-Unis, à la suite de l’invasion de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran par un groupe de militants iraniens le 4 novembre 1979, ainsi qu’à la prise et la détention en otages de membres du personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis en Iran. Saisie d’une demande en indication de mesures conservatoires par les Etats-Unis, la Cour a considéré que, dans les relations entre États, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades, et elle a indiqué des mesures conservatoires demandant la restitution immédiate de l’ambassade et la libération des otages. Statuant ensuite au fond, à un moment où les faits incriminés se poursuivaient encore, la Cour a dit, dans un arrêt du 24 mai 1980, que l’Iran avait violé et continuait de violer les obligations dont il était tenu envers les Etats-Unis en vertu de conventions en vigueur entre les deux pays et de règles du droit international général, que ces violations engageaient sa responsabilité, que le Gouvernement iranien devait assurer la libération immédiate des otages et restituer les locaux de l’ambassade et qu’il était tenu de réparer le préjudice causé aux Etats-Unis. Elle a réaffirmé l’importance des principes du droit international régissant les relations diplomatiques et consulaires. Elle a indiqué que si, lors des événements du 4 novembre 1979, le comportement des militants ne pouvait, faute d’éléments d’information suffisants, être directement imputable à l’État iranien, ce dernier n’avait cependant rien fait pour prévenir l’attaque ou l’empêcher d’aboutir, ni pour contraindre les militants à évacuer les locaux et à libérer les otages. La Cour a constaté qu’après le 4 novembre 1979 des organes de l’État iranien avaient approuvé les faits incriminés et décidé de les laisser durer, ces faits prenant le caractère d’actes de l’État iranien. La Cour s’est prononcée malgré l’absence du Gouvernement iranien et après avoir écarté les motifs que celui-ci avançait dans deux communications écrites adressées à la Cour pour soutenir qu’elle ne pouvait et ne devait pas se saisir de l’affaire. La Cour n’a pas eu à statuer sur la réparation du préjudice causé au Gouvernement des Etats-Unis car, par ordonnance du 12 mai 1981, l’affaire a été rayée du rôle à la suite d’un désistement.
D.Concurrence de compétences
1)Hiérarchie des compétences
Le titre territorial prime les autres titres de compétence qui ne peuvent être invoqués que subsidiairement. Par exemple, l’État C édicte des règles réprimant les auteurs d’actes terroristes commis même à l’étranger. Dans ce cas, il peut se fonder sur d’autres critères autres que le rattachement territorial. La primauté du titre territorial se justifie par une question de pragmatisme. En effet, l’État jouit d’une plénitude de compétence lui permettant de mettre en œuvre ses propres réglementations aussi bien à l’égard de ses ressortissants que de tous ceux qui se trouvent son territoire. Il jouit de l’exclusivité de la compétence opérationnelle. Si l’État A ne donne pas son accord pour que l’État C exerce sa compétence opérationnelle sur son territoire, l’État C ne peut rien faire en vertu de l’interdiction d’exécution en territoire étranger. La compétence opérationnelle s’entend comme le pouvoir d’accomplir des actes matériels. Le refus par un État A de permettre à un État C d’exercer une compétence opérationnelle sur son territoire peut être vu comme une contestation de la légitimité du titre invoqué par l’État C à l’appui de sa compétence. La seule compétence plénière est la compétence territoriale.
2) Principes limitant les compétences
Cour permanente d’arbitrage, 22 mai 1909, sentence sur l’affaire des déserteurs de Casablanca (France c. Allemagne) : la Cour considère que le Consulat allemand n'avait pas, dans les conditions de l'espèce, le droit d’accorder sa protection aux déserteurs de nationalité allemande mais que son agissement n’est pas constitutif d’une faute.
En cas de concurrence, la compétence basée sur les services publics l’emporte sur la compétence personnelle. C’est la solution retenue dans l’affaire des Déserteurs de Casablanca. La législation de l’État peut avoir vocation à régir des situations ou des personnes qui se trouvent hors de son territoire. Les actes édictés sont opposables à tous les ressortissants en cause ainsi qu’aux résidants (soumis au droit de l’État de leur résidence et l’État dont ils ont la nationalité).
L’exercice de la compétence normative territoriale n’est pas discrétionnaire en vertu du principe du standard minimum de traitement. En cas de violation de ce principe, les États s’exposent à des conséquences sur le terrain de la responsabilité internationale. La compétence peut être réduite en vertu du principe de l’utilisation non dommageable du territoire. Lorsque des groupes armés organisent des raids dans d’autres États, l’État qui a toléré les activités sur son territoire viole le principe et engage sa responsabilité et peut être tenu au versement de dommages-intérêts.
La compétence normative territoriale ne saurait heurter son propre droit interne. Par exemple, elle ne doit pas porter atteinte à la souveraineté des autres États notamment à ses représentants qui se trouvent sur son territoire. La circonstance qu’un État ait des avoirs bancaires sur le territoire d’un autre État peut être la source d’un conflit de souveraineté. En ce cas, les compétences normative et opérationnelle doivent être aménagées.
Cour permanente d’arbitrage, 22 mai 1909, sentence sur l’affaire des déserteurs de Casablanca (France c. Allemagne) : Cet arbitrage eut pour origine un conflit de juridiction entre les autorités militaires françaises occupant Casablanca (Maroc) et le consul d'Allemagne, agissant suivant la juridiction exterritoriale de son Gouvernement au Maroc. Pendant l'automne de l'année 1908, six soldats appartenant à la Légion étrangère française stationnée à Casablanca, dont trois furent plus tard reconnus comme étant de nationalité allemande, désertèrent et réclamèrent la protection du consul allemand, qui leur accorda un sauf-conduit pour leur rapatriement. Toutefois, avant leur embarquement, ils furent arrêtés par des soldats français, et enlevés de la protection du consul. La France déclara que l'Allemagne n'avait aucun droit à accorder protection au Maroc aux personnes ne ressortissant pas à la nationalité allemande ; que le territoire occupé par ses forces militaires au Maroc était placé sous sa juridiction exclusive, et que par conséquent, l'Allemagne n'avait pas le droit de tenter de protéger les trois déserteurs de nationalité allemande. L'Allemagne fit valoir que les déserteurs de nationalité allemande étaient, en vertu de la juridiction exterritoriale de l'Allemagne au Maroc, soumis exclusivement à la juridiction du consul d'Allemagne à Casablanca, et avaient droit à sa protection ; que l'arrestation forcée des déserteurs constituait une atteinte à l'inviolabilité de ses agents consulaires, et elle demanda que les trois allemands lui fussent rendus.
SECTION II : Les droits statutaires de l’État (Que signifie être traité comme un « État » ?)
L’État face à un autre doit s’abstenir de comportements qui portent atteinte à l’indépendance de l’autre État.
§1. Le droit au respect du territoire
A.L’inviolabilité du territoire
Sur ton territoire, l’État jouit d’une exclusivité. Est exclue toute intervention d’un État étranger. L’inviolabilité du territoire joue comme un moyen de prohibition absolue en matière de compétence opérationnelle. La conséquence est la prohibition de toute intervention extérieure.
CPJI, 1927, Lotus : « la limitation primordiale qu’impose le droit international à l’État est celle d’exclure (sauf l’existence d’une règle permissive contraire) tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre État ». Parmi les interventions interdites, on peut citer l’usage de la force mais aussi toutes les opérations de contrainte relevant de l’autorité publique, même sur les ressortissants de l’État à l’étranger.
D’abord, sont interdites les exécutions forcées visant à contraire l’État à faire quelque chose. Par exemple, les États-Unis ont violé le territoire iranien en envoyant des agents des services secrets de la CIA pour libérer le personnel diplomatique américain pris en otage à Téhéran. Ensuite, sont interdites les exécutions d’office visant à se substituer aux autorités défaillantes. La carence ou l’inaction de l’État territorial ne justifie pas l’intervention d’un autre État. Dans le détroit de Corfu, le Royaume-Uni a fait des dragages pour rechercher des preuves contre l’Albanie. Enfin, sont interdites les interventions d’humanité, mises en place pour protéger les droits de l’homme. Le devoir d’ingérence ne semble pas convaincant.
Ce principe de l’inviolabilité ne connait aucune exception sauf accord de l’État en question.
B.L’intégrité du territoire
L’intégrité du territoire désigne le maintien de l’espace et des frontières qui constituent l’État. Il implique une interdiction de tout recours à la force contre le territoire lui-même mais aussi l’interdiction de toute modification du territoire par tout moyen non pacifique. Par extension, l’intégrité du territoire peut servir de base juridique à une obligation pour chaque État de veiller à ce que les activités menées sur son propre territoire ne portent pas atteinte au territoire ni aux intérêts de ses voisins. Par exemple, le barrage de la Renaissance sur le Nil est l’objet d’un litige entre l’Éthiopie et le Soudan. Il est érigé par l’Éthiopie sur son propre territoire dans la poursuite de ses intérêts mais il empiète sur les intérêts du Soudan voire de l’Égypte.
§2. Le droit à l’indépendance des autorités
L’art.2 § 7 de la Charte des Nations Unies prohibe l’ingérence dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale. Il s’agit des matières dans lesquelles les États n’ont pris aucun engagement international. On parle de domaine réservé sur lequel les autres États n’ont aucun droit de regard. Pour les autres matières, les autres États ont un droit de regard dans la mesure où ils sont créanciers des obligations souscrites par ledit État.
L’ingérence peut prendre la forme d’une intervention mais aussi la forme verbale. Toute forme de pression exercée à l’encontre de la liberté et de l’indépendance de l’État est constitutive d’une ingérence. Néanmoins, toutes les formes d’ingérence ne sont pas illicites, sauf si elles portent atteinte à l’indépendance de l’État. Par exemple, si l’ingérence prend la forme d’une critique verbale, elle n’est pas illicite car elle ne porte pas atteinte à l’indépendance de l’État.
En premier lieu, l’État qui apporte son concours à des rebelles en vue de renverser un gouvernement se rend coupable d’une ingérence illicite. Par exemple, lorsque de Gaulle déclare « vive le Québec libre », il était à la limite de l’ingérence. Autre exemple, les États Unis ont apporté de l’aide à des rebelles pour renverser un gouvernement au Nicaragua.
En second lieu, l’ingérence est illicite si elle vise à priver l’État d’un droit. L’État qui conditionne l’octroi d’une aide financière à une certaine orientation politique ou économique du bénéficiaire peut se rendre coupable d’une ingérence illicite. La conditionnalité des avantages financiers représente une immixtion dans les affaires internes du bénéficiaire dans la mesure où il a pour but d’orienter les décisions qui relèvent de son indépendance et de sa liberté. La licéité de l’ingérence reposera sur une appréciation casuistique selon que l’aide apportée constitue un véritable droit ou est à la discrétion de celui propose l’aide. On rencontre des clauses démocratie dans des accords conclus entre État donateur et bénéficiaire qui conditionnent l’aide au bénéficiaire au respect des principes démocratiques. Ici, il n’y pas d’ingérence illicite.
§3. Droit à l’indépendance dans l’exercice des fonctions souveraines : les exemptions et les immunités
Sur le plan interne, l’État dispose d’une compétence exclusive mais il est amené à rencontrer des chefs d’État étrangers ainsi que les représentants permanentes des missions diplomatiques. Si l’État d’accueil pouvait exercer une compétence sans limite sur ces personnes, il se rendrait coupable d’une violation de l’égalité souveraine entre les États. Soumettre ces personnes au droit du pays d’accueil nuirait à l’indépendance dont l’État d’envoi a besoin pour pouvoir agir souverainement. Deux types de privilèges constituent une dérogation au principe de souveraineté territoriale et à l’inviolabilité du territoire : les exemptions et les immunités.
A.Les exemptions
Les exemptions visent à soustraire l’État d’envoi au droit de l’État d’accueil. Elles concernent les organes et les locaux étatiques (locaux diplomatiques, navires de guerre assimilés au territoire de l’État d’envoi) sur lesquels le principe d’inviolabilité s’étend. Cette protection s’étend également à la valise diplomatique. Pas de saisie, de préemption ni d’expropriation de la part de l’État d’accueil. Toute personne qui s’y réfugie est protégée au titre de l'asile diplomatique. Elles touchent les organes de l’État (tous les membres du personnel diplomatique et leurs familles). En cette qualité, ils bénéficient d’une protection pendant toute la durée de leur mission dans la mesure où la protection est attachée à leur fonction. La protection consiste en une interdiction faite à l’État d’accueil d’’arrêter, de détenir ces personnes ou de confisquer des biens qui leur appartiennent.
B.Les immunités
Elles mettent en cause des opérations matérielles qui entament spectaculairement la souveraineté. L’immunité de juridiction et l’immunité d’exécution sont les deux formes d’immunités.
En premier lieu, l’immunité de juridiction est le moyen de rendre irrecevable toute action juridictionnelle engagée à l’encontre d’une personne protégée et ce, quelle que soit la gravité du crime. Crim., 11 mars 2011, Association Sos Attentat : la Cour de cassation juge qu’en l’état actuel du droit national, le crime dénoncé, quelle que soit sa gravité ne relève pas des exceptions au principe d’immunité des chefs d’État en exercice. La Cour considère que l’immunité ne peut être levée même en cas de soupçon d’attentat.
En second lieu, l’immunité d’exécution protège celui qui en bénéficie contre toute voie d’exécution ouverte à un détenteur d’un titre exécutoire. CIJ, 2012, Allemagne c. Italie : dans cette affaire, saisie par l’Allemagne, la CIJ reproche à l’Italie d’avoir accepté de connaitre d’une action engagée par des civils en réparation de dommages subis pendant la 2e G-M. CIJ, 2020, Affaire des biens mal acquis : l’immeuble situé Avenue Foch objet du litige n’avait pas le statut de local étatique et pouvait donc faire l’objet d’une saisie.
L’État, étant donné son statut, bénéficie de vastes compétences et de nombreux privilèges. Serges Sur dit de lui qu’il est « le roi des relations internationales ».
CHAPITRE II : LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES (SUJETS DÉRIVÉS)
Il existe un très grand nombre d’organisations techniques aussi modestes que utiles dont la participation aux relations internationales est primordiale. Elles sont d’autant plus importantes dans l’ère de la globalisation. Ces organisations reposent sur l’État et jouent aussi un rôle opérationnel. Les organisations internationales ne sont pas des opposants aux États dans la mesure où elles sont des outils institués par les États eux-mêmes.
Pour les États les moins puissants, l’existence d’une organisation internationale leur donne accès à des forums importants leur permettant de prendre part à des débats et à l’adoption de règlements. Très souvent, ces petits États ne parviennent pas à développer assez de relations bilatérales.
Pour les grandes puissances, les organisations constituent un cadre indispensable pour légitimer voire relayer leurs politiques juridiques et leurs politiques extérieures. Par leur existence même, les organisations internationales peuvent canaliser l’intention des États à faire cavalier seul. Par exemple, la résolution des Nations unies, adoptée dès février 2022, a qualifié d’agression l’intervention militaire russe en Ukraine.
Les organisations internationales se créent au fur et à mesure des besoins. Elles remontent au XIXe siècle à un moment où la révolution industrielle bat son plein et les États cherchent des outils juridiques plus efficaces que les traités pour organiser leurs relations. Les toutes premières organisations internationales étaient des commissions fluviales qui permettaient aux États originaires, sur le long cours, l’utilisation du fleuve ou de sa source pour le développement de leur économie.
Avec la création de la Société des Nations, on assiste à une floraison exponentielle des organisations internationales. Mario BETTATTI définit l’organisation internationale comme « l’organisme institutionnel international ayant une individualité propre doté de services affectés à une tâche ». Il souligne le caractère technique et instrumental de l’organisation internationale. Eu égard à la diversité des organisations internationales et de leurs fonctions, il est difficile de trouver une définition précise, d’où une définition volontairement imprécise et large. Néanmoins, on peut dégager des caractéristiques communes.
SECTION I : Fluidité de la notion juridique
Franck Petiteville, « Les organisations internationales sont-elles utiles ? » Questions internationales, n°73, 2018
§1. La composition interétatique
Pour une partie de la doctrine, la nature exclusivement étatique de l’organisation internationale serait le critère de reconnaissance d’une organisation. D’autres tiennent pour synonymes organisations d’État et organisations publiques. Cela permet de les distinguer des organisations non gouvernementales qui sont composées de personnes privées dépourvues de la personnalité juridique dans l’ordre juridique international.
Néanmoins, il est difficile de se servir de ce critère pour ériger une définition absolue car il existe des exceptions. Premier exemple, le gouvernement de la France libre, autorité non-étatique (le gouvernement étatique était celui de Vichy) a pu participer à la création de l’UNRA, administration de l’ONU pour l’aide à la reconstruction. Autre exemple, la Nouvelle-Calédonie, autorité non-étatique, est membre de l’OIT, de l’UNESCO…Enfin, à l’origine, Interpol était une organisation non gouvernementale qui est devenue une organisation internationale par le biais d’un traité. L’organisation internationale admet des services de police comme membres alors qu’ils ne sont pas des autorités étatiques.
§2. L’origine purement et exclusivement conventionnelle
L’organisation internationale est toujours fondée par un acte juridique. C’est un être institué. Cet acte juridique fondateur permet de dessiner les contours de l’organisation internationale. Il en découle un principe de spécialité i.e. que l’organisation n’existe que par son acte fondateur et pour en réaliser le programme. Ce principe correspond au caractère instrumental des organisations internationales chargées d’accomplir des tâches spécifiques. En tant que sujet de droit international, l’organisation internationale est soumise dans son action au droit international et au droit des traités qui gouverne l’application de son traité constitutif.
A.La structure organique distincte de celle de ses États membres
Les organisations sont dotées de structures organiques permanentes et peuvent exprimer une volonté distincte de celle de ses États membres.
B.Personnalité juridique internationale
La question de la personnalité juridique internationale de l’organisation internationale ne fait plus débat car la plupart du temps leur acte fondateur le mentionne. Mais à l’époque, la question se posait en l’absence de clause expresse dans l’acte fondateur. Or, leur attribuer la personnalité juridique aurait pour conséquence d’accroitre leur indépendance vis-à-vis des États membres. Il est revenu à la jurisprudence de considérer que la création d’une organisation internationale emporte implicitement attribution de la personnalité juridique.
L’ONU a-t-elle la capacité juridique de former des réclamations internationales pour obtenir la réparation de préjudices subis par son personnel ?
CIJ, Avis consultatif, 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies : À la suite de l’assassinat en septembre 1948 à Jérusalem du médiateur envoyé par les Nations Unies, le comte Folke Bernadotte, et d’autres membres de la mission des Nations Unies en Palestine, l’Assemblée générale a demandé à la Cour si les Nations Unies avaient capacité pour intenter contre l’État responsable une action internationale en réparation du dommage causé à l’Organisation et à la victime. En cas de réponse affirmative, il s’agissait en outre de savoir de quelle manière l’action entreprise par les Nations Unies pourrait se concilier avec les droits dont pouvait être titulaire l’État dont la victime était le ressortissant. Dans son avis du 11 avril 1949, la Cour a estimé que l’Organisation a été conçue comme devant exercer des fonctions et des droits qui ne s’expliquent que par la possession des attributs de la personnalité internationale et de la capacité d’agir sur le plan international. En conséquence l’Organisation a la capacité d’intenter une action et de lui donner le caractère d’une action internationale en réparation du dommage qui lui a été causé. En outre la Cour a déclaré que l’Organisation peut demander réparation non seulement du dommage qu’elle a elle-même subi, mais encore de celui qui a été causé à la victime ou à ses ayants droit. Bien que selon la règle traditionnelle la protection diplomatique ne doive être exercée que par l’État national, l’Organisation doit être considérée en droit international comme possédant les pouvoirs qui, si la Charte ne les énonce pas expressément, sont conférés à l’Organisation parce qu’ils sont essentiels à l’accomplissement de ses fonctions. Elle peut avoir à confier à ses agents des missions importantes dans des régions troublées du monde. Dans ces cas, il faut que ses agents disposent d’un appui et d’une protection appropriés. La Cour a donc estimé que l’Organisation a capacité pour demander une réparation adéquate visant également les dommages subis par la victime ou ses ayants droit. Le risque d’une éventuelle action concurrente de la part de l’Organisation et de l’État national de la victime peut être écarté par la conclusion d’une convention générale ou d’accords relatifs à chaque cas particulier.
La Cour se sert de l’interprétation téléologique. Même si la Charte est muette sur cette question, les membres de l’ONU en assignant un État considèrent que l’organisation est dotée de la personnalité juridique.
À l’égard des tiers, il faut une reconnaissance expresse ou tacite pour que la personnalité juridique de l’État leur soit opposable. On parle de personnalité juridique subjective.
La personnalité juridique peut être objective lorsqu’elle est consacrée par le droit positif ou le droit jurisprudentiel. Elle est opposable à tous les États, même s’ils ne l’ont pas reconnue. Néanmoins, la solution proposée par l’avis ne saurait être généralisée. Certains États n’admettent pas que l’UE puisse se substituer aux États membres dans leurs relations en matière commerciale et préfèrent négocier directement par le canal interétatique avec ces derniers.
Les attributs conférés à l’organisation internationale par son acte fondateur, notamment sa personnalité juridique internationale, doivent s’articuler avec les autres traités internationaux. L’art.104 Charte de l’ONU dispose que « l'Organisation jouit, sur le territoire de chacun de ses Membres, de la capacité juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et atteindre ses buts ».
La diversité des traités constitutifs et les organisations elles-mêmes ne permet pas de dégager une définition unanime.
SECTION II : Diversité de statut international
§1. Une capacité limitée
Statutairement, les organisations internationales sont dotées d’une capacité internationale de laquelle découlent une capacité substantielle et une capacité processuelle. Contrairement aux États, la personnalité juridique des organisations internationales est dérivée d’un acte juridique. Il en résulte que leur capacité est limitée par leur traité constitutif. Leurs engagements comme leurs faits leur sont directement imputables. Mais leur capacité est limitée par leur traité constitutif. Par exemple, l’UE ne peut pas conclure des traités visant à limiter l’armement parce que ses traités fondateurs ne l’y autorisent pas.
Sur le plan processuel, l’organisation internationale engage sa responsabilité délictuelle. Par exemple, lorsque des casques bleus se rendent coupables d’agissements, leurs comportements sont imputables à l’organisation qui les envoient i.e. l’ONU. Cette capacité processuelle découle de la personnalité juridique. L’organisation internationale peut formuler des réclamations pour défendre ses intérêts sur le plan contentieux. Les organisations internationales n’ont généralement pas accès aux juges mais certaines qui sont dotées d’organes juridictionnels notamment la CJUE pour l’UE et la CEDH pour le Conseil de l’Europe.
§2. Compétences limitées par le principe de spécialité
En rappel, l’organisation internationale ne peut agir que conformément à ce qui est prévu par son acte constitutif. Les compétences des organisations internationales reposent sur une logique d’habilitation. Très souvent, les compétences attribuées dans le traité constitutif sont très vagues de sorte à laisser une marge d’interprétation au moment de l’application des traités. Il en résulte une opposition entre interprétation stricte ou interprétation large des compétences, un curseur qui varie en fonction de la force de persuasion.
A. Les facteurs de restriction
L’interprétation stricte du principe de spécialité conduit à considérer que l’organisation internationale n’a de compétences que celles énoncées dans son traité. En tant qu’instrument crée spécialement pour atteindre des objectifs, l’organisation internationale voit ses compétences réduites à ce pour quoi elle a été créée (aviation civile, commerce, santé…).
B. Les facteurs d’extension
Les facteurs d’extension permettent d’élargir ou d’écarter le curseur. Selon cette interprétation, s’il est stipulé dans le traité qu’elle a une fonction, elle doit être dotée des moyens pour accomplir cette fonction. En l’absence de limites textuelles, l’organisation internationale est réputée être investie de tous les moyens nécessaires à la réalisation de sa mission. La notion est particulièrement utilisée dans la jurisprudence notamment de la CJUE. On parle de la théorie des droits implicites.
CPJI, Avis, 23 juillet 1926 : la Cour considère que l’Organisation internationale du travail a le pouvoir de réglementer accessoirement le pouvoir du patron. La validité des actes édictés par cette organisation dépend du respect de l’acte qui l’institue.
§3. Immunités
L’organisation internationale a besoin du droit international pour pouvoir exercer ses activités avec une certaine indépendance même lorsqu’elle agit dans l’État qui l’a constituée. Elle est protégée par des dispositifs qui s’appliquent également à l’État notamment les immunités et les exemptions. L’organisation internationale jouit largement des mêmes immunités que l’État.
§3. Le cas exemplaire de l’ONU
Chronologiquement, l’ONU est héritière de la SdN. La création de l’ONU en 1945 constitue la base de la société internationale contemporaine. D’autres organisations spécialisées (15) sont arrimées à l’ONU et on les appelle la famille des NU : l’OIT (travail), l’UNESCO (Science et éducation), l’OMS (santé), la FAO (agriculture)… Parmi la famille des NU, certaines organisations techniques (FMI, Banque mondiale, GAT devenu OMC en 1994), considérées comme occidentales pendant la Guerre froide, sont aujourd’hui pleinement universelles. L’Organisation internationale pour les migrations a rejoint la famille des NU. Ces organisations techniques sont aussi importantes que les vraies organisations internationales. L’ONU a beaucoup évolué depuis 1945. En 75 ans d’existence, elle offre un cadre irremplaçable à la dimension multiétatique des relations. La Charte est signée le 24 juin 1945 à l’instigation des grands vainqueurs.
De nouveaux phénomènes tels la décolonisation, l’accession à la qualité d’État, et l’altermondialité ont fait perdre aux États Unis leur majorité au sein des Nations-Unies. Les N-U ne sont plus le forum des États-Unis mais celui des États du tiers monde.
Après une période d’hibernation, l’ONU connait un renouveau avec la chute des murs de Berlin et la première guerre du Golfe car elle pourra utiliser les outils prévus la Charte. Au nom d’une doctrine américaine de la guerre préventive, les États-Unis lancent une opération en Irak sans l’aval des Nations-Unies. La nécessité d’une sortie de crise s’est vite imposée aux États-Unis car l’unilatéralisme les conduisait à l’isolement. Ils se rapprochent du Conseil de sécurité. De même, la crise de 2008 a révélé la nécessité de mettre en place des solutions concertées. Pour autant, ces crises n’ont pas conduit à des réformes au sein des Nations Unies.
Les organisations de l’ONU ne sont pas inactives. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une violation du droit international. Dès le 24 mars 2022, une résolution demande la fin de l’invasion. Par ailleurs, la Cour pénale internationale est saisie. Des fonds ont été levés.
L’ONU ne saurait intervenir militairement dans la guerre en Ukraine car aucune opération militaire ne peut être ordonnée sans l’accord de tous les membres du Conseil de sécurité. En l’état, elle ne peut pas le faire mais elle n’a pas non plus intérêt à le faire. Elle peut tout au plus intervenir pour le maintien de la paix. Les opérations de maintien de paix sont inadaptées à la guerre en Ukraine.
En tant que membre permanent, la Russie peut bloquer les résolutions qui lui sont défavorables. Cette faculté constitue un obstacle. L’architecture juridique du Conseil de sécurité est basée sur l’idée selon laquelle seule l’unité des 5 membres serait gage de stabilité. L’opération de maintien de la paix ne peut avoir lieu que lorsqu’est en cause un des membres permanents. Il faut maintenir le statu quo. Dans le contexte de la crise ukrainienne, le Conseil de sécurité résiste comme agent de pression sur la Russie pour faire cesser les atteintes qu’elle porte au droit international.
A. Nature juridique de l’ONU
1) Personnalité juridique « objective »
Sir Gerald Fitz Morris définit classiquement l’ONU comme « une association d’États constituée par traité et possédant une personnalité juridique distincte de celle des États membres ». L’ONU déborde du cadre de cette définition.
CIJ, Avis, 11 avril 1949, Comte Folke Bernadotte (page 179) : la CIJ considère que « l’organisation était destinée à exercer des fonctions et à jouir de droits - et elle l'a fait - qui ne peuvent s'expliquer que si l'Organisation possède une large mesure de personnalité internationale et la capacité d'agir sur le plan international. Elle est actuellement le type le plus élevé d'organisation internationale, et elle ne pourrait répondre aux intentions de ses fondateurs si elle était dépourvue de la personnalité internationale. On doit admettre que ses Membres, en lui assignant certaines fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompagnent, l'ont revêtue de la compétence nécessaire pour lui permettre de s'acquitter effectivement de ces fonctions ».
La Cour prolonge la personnalité juridique subjective de l’ONU en la dotant d’une personnalité juridique « objective » qui s’impose erga omnes. Aujourd’hui, l’universalité de l’ONU est désormais acceptée par tous. Pour la première fois, une organisation parvient à remplir sa vocation.
2) Droit de l’ONU
L’ONU a développé un droit propre régissant ses rapports internes et externes.
a) Accords de siège
Les organisations internationales, sans territoire, doivent négocier leur siège dans des États au moyen d’une convention bilatérale (accord de siège conclue entre l’organisation et l’État hôte) ou multilatérale (tous les État membres de l’organisation pour préciser les privilèges et immunités dont bénéficie l’organisation).
Un accord de siège a été conclu en 1947 entre les États-Unis et l’ONU. Ce district administratif est extraterritorial. Les privilèges et immunités accordés sont transposés car ils ont la même finalité fonctionnelle que ceux des États et des représentations diplomatiques.
Lorsque le gouvernement américain a décidé de fermer les missions de représentation de l’OIP dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il a refusé une visite de Yasser Arafat conduisant l’ONU à le recevoir dans un autre siège à Genève. Cette cohabitation n’est pas sans incident. En 1995, le maire de New York a fait chasser Fidel Castro. En 2014, les États-Unis ont refusé de délivrer un visa au nouvel ambassadeur de l’Iran à l’ONU au motif qu’il aurait participé à la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran.
b) Fonction publique internationale
Art.100 de la Charte : « Dans l'accomplissement de leurs devoirs, le Secrétaire général et le personnel ne solliciteront ni n'accepteront d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucune autorité extérieure à l'Organisation. Ils s'abstiendront de tout acte incompatible avec leur situation de fonctionnaires internationaux et ne sont responsables qu'envers l'Organisation.
Chaque Membre de l'Organisation s'engage à respecter le caractère exclusivement international des fonctions du Secrétaire général et du personnel et à ne pas chercher à les influencer dans l'exécution de leur tâche ».
Tout un droit de la fonction a été mis en place pour détailler les relations contractuelles et fonctionnelles. Les litiges sont soumis au tribunal administratif des Nations-Unies (TANU). La protection fonctionnelle de l’ONU peut se substituer à la protection diplomatique car il n’existe pas de règle de droit qui interdit à l’ONU de présenter une réclamation internationale. L’ONU s’est inspirée de la fonction publique française et du civil service britannique.
B. Structure organique de l’ONU
La structure organique de l’ONU permet de comprendre comment se joue la tension entre l’indépendance de la créature et l’influence des créateurs. C’est par l’analyse de la structure que l’on peut appréhender les rouages de cette tension.
Art.7 de la Charte dispose qu’« il est créé comme organes principaux de l'Organisation des Nations Unies : une Assemblée générale, un Conseil de sécurité, un Conseil économique et social, un Conseil de tutelle, une Cour internationale de Justice et un Secrétariat.
Les organes subsidiaires qui se révéleraient nécessaires pourront être créés conformément à la présente Charte. »
L’art.7 distingue les organes principaux (Assemblée, Conseil de sécurité, etc.) des organes subsidiaires. Les organes subsidiaires jouissent d’une indépendance statutaire par rapport aux organes principaux. C’est le gage de leur fonctionnement et de leur efficacité. On peut citer le tribunal pénal international.
1) Organes interétatiques
Art. 4 de la Charte : « 1. Peuvent devenir Membres des Nations Unies tous autres États pacifiques qui acceptent les obligations de la présente Charte et, au jugement de l'Organisation, sont capables de les remplir et disposés à le faire.
2. L'admission comme Membres des Nations Unies de tout État remplissant ces conditions se fait par décision de l'Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité."
Pendant la guerre froide, le critère de l’État pacifique était utilisé pour entraver l’entrée de certains États à l’ONU. Aujourd’hui, ce critère n’est plus opérant.
a) Assemblée générale
C’est l’organe politique et « démocratique » de l’ONU dans la mesure où tous les États ont 1 voix et 1 siège à l’Assemblée générale des Nations Unies. There is a gap between the will and the bill. L’explosion des États membres entraîne leur répartition en 5 groupes : Asie, Afrique, Europe de l’Est, Europe de l’Ouest et autres. Cette répartition sert de base à la rotation annuelle de la présidence de l’assemblée et rationnalise la procédure. Aujourd’hui, elle ne correspond plus à la réalité 75 ans après. Cette fiction est considérée comme un moindre mal par rapport à la montée de l’organisation inter-islamiste qui elle a deux groupes.
L’AG tient sa session annuelle à partir de septembre. Elle est à sa 77e session plénière. En outre, l’AG tient des sessions restreintes au sein de six commissions notamment la commission juridique. La 6e commission prépare le texte et l’AG le vote à la majorité des deux tiers (2/3) pour les questions importantes.
Art.18 de la Charte : « Chaque membre de l'Assemblée générale dispose d'une voix.
Les décisions de l'Assemblée générale sur les questions importantes sont prises à la majorité des deux tiers des membres présents et votants. Sont considérées comme questions importantes : les recommandations relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'élection des membres non permanents du Conseil de sécurité, l'élection des membres du Conseil économique et social, l'élection des membres du Conseil de tutelle conformément au paragraphe 1, c, de l'Article 86, l'admission de nouveaux Membres dans l'Organisation, la suspension des droits et privilèges de Membres, l'exclusion de Membres, les questions relatives au fonctionnement du régime de tutelle et les questions budgétaires.
Les décisions sur d'autres questions, y compris la détermination de nouvelles catégories de questions à trancher à la majorité des deux tiers, sont prises à la majorité des membres présents et votants. »
En pratique, les décisions sont adoptées par consensus i.e. sans vote. Le consensus est un accord général sur un texte qui se traduit par son adoption sans vote. Ce sont surtout les questions de vote qui donnent lieu à des votes mais généralement les sujets suscitent rarement des divisions. Mais sur les questions politiques, notamment après l’annexion de la Crimée, il n’y a pas de consensus (résolution n°69-262du 27 mars 2014 adoptée par 100/11 dont 58 abstentions et 24 refus de participer au vote ou encore la résolution du 18 décembre 2019 sur la diffamation des religions).
Art.20 de la Charte : « L'Assemblée générale tient une session annuelle régulière et, lorsque les circonstances l'exigent, des sessions extraordinaires. Celles-ci sont convoquées par le Secrétaire général sur la demande du Conseil de sécurité ou de la majorité des Membres des Nations Unies. »
Outre les sessions ordinaires, l’AG peut se réunir dans des situations particulières (cas de la Palestine) ou dans des crises ponctuelles ou pour définir de nouvelles priorités pour les Nations Unies (par exemple, relance des efforts dans le désarmement).
Boutros-Boutros a lancé des conférences mondiales qui impliquent des organisations internationales (Sommet de la Terre de Rio en 1992, Sommet de Copenhague en 2009, Conférence sur le racisme à Durban en 2011, etc.). Ces conférences n’ont pas véritablement rencontré un succès.
La résolution Union pour la paix de 1950 est la base juridique des sessions extraordinaires d’urgence. Sur convocation, les membres se réunissent dans les 24h.
b) Conseil de sécurité
Art.24 de la Charte : « Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.
Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité pour lui permettre d'accomplir lesdits devoirs sont définis aux Chapitres VI, VII, VIII et XII.
Le Conseil de sécurité soumet pour examen des rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux à l'Assemblée générale. »
Le Conseil de sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Depuis les années 90, le Conseil de sécurité est devenu très actif et intervient sur tous les fronts. Loin de se cantonner aux conflits interétatiques, le Conseil de sécurité se rend aux chevets de pays confrontés à des conflits internes. Il est tantôt pompier, tantôt policier mais aussi législateur (pouvoir d’imposer des obligations à portée générale).
Le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir d’édicter des décisions obligatoires pour les membres de l’ONU conformément à l’art.25 de la Charte. Le Conseil de sécurité s’exprime par voie de résolutions qui sont obligatoires lorsqu’elles sont prises dans le cadre du chapitre 7 ou par voie de déclarations de président (préparées avec les membres du Conseil de sécurité mais lues par le président au nom de tous les membres) qui n’ont pas de valeur contraignante.
La composition du Conseil de sécurité est définie par l’art.23 de la Charte.
Art.23 de la Charte : « Le Conseil de sécurité se compose de quinze Membres de l'Organisation. La République de Chine, la France, l'Union des Républiques socialistes soviétiques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et les États-Unis d'Amérique sont membres permanents du Conseil de sécurité. Dix autres Membres de l'Organisation sont élus, à titre de membres non permanents du Conseil de sécurité, par l'Assemblée générale qui tient spécialement compte, en premier lieu, de la contribution des Membres de l'Organisation au maintien de la paix et de la sécurité internationales et aux autres fins de l'Organisation, et aussi d'une répartition géographique équitable.
Les membres non permanents du Conseil de sécurité sont élus pour une période de deux ans. Lors de la première élection des membres non permanents après que le nombre des membres du Conseil de sécurité aura été porté de onze à quinze, deux des quatre membres supplémentaires seront élus pour une période d'un an. Les membres sortants ne sont pas immédiatement rééligibles.
Chaque membre du Conseil de sécurité a un représentant au Conseil. »
Le Conseil de sécurité est l’organe restreint car tous les membres de l’ONU n’y siègent pas. Aux 11 membres originaires sont ajoutés 4 autres pour porter le nombre à 15 membres. 5 ont le statut de membres permanents (P5).
La question de réforme du Conseil de sécurité se pose depuis 25 ans notamment l’élargissement du nombre des États permanents. Après 30 ans de travail, aucun accord n’est trouvé pour réformer le Conseil de sécurité notamment l’élargissement du P5. La majorité des États est d’accord sur le principe de l’élargissement mais ne s’accordent pas sur les nouveaux États à admettre.
Art.27 de la Charte : « Chaque membre du Conseil de sécurité dispose d'une voix.
Les décisions du Conseil de sécurité sur des questions de procédure sont prises par un vote affirmatif de neuf membres.
Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du Chapitre VI et du paragraphe 3 de l'Article 52, une partie à un différend s'abstient de voter. »
Le droit de véto est en réalité une exigence d’unanimité. Certains préfèrent le maintien du droit de veto car cela permettrait de ne pas heurter l’un des P5. La France propose de rationaliser l’usage du droit de veto notamment en paralysant sa mise en œuvre dans les situations de graves crises humanitaires. Les membres non permanents ont une incidence importante sur le Conseil car leur position peut mettre en évidence l’isolement d’un membre permanent.
c) Conseil économique et social
L’ECOSOC est un organe semi restreint et principal de l’ONU, placé sous l’autorité de l’AG et par conséquent est dans une situation intermédiaire car dépourvue de la représentativité de l’Assemblée générale ni de l’efficacité du Conseil de Sécurité. Il est ouvert aux organisations dans la mesure où elles y ont un statut consultatif. L’ECOSOC s’est illustré dans le domaine économique et des droits de l’homme mais également sur les questions environnementales. Il est proposé de le transformer en un forum de discussions sur certaines questions.
1) Organes intégrés
a) Secrétaire général
Art. 97 de la Charte : « Le Secrétariat comprend un Secrétaire général et le personnel que peut exiger l'Organisation. Le Secrétaire général est nommé par l'Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. Il est le plus haut fonctionnaire de l'Organisation.
Rien n’interdit de recommander plusieurs candidats mais une résolution recommande de ne présenter qu’un seul candidat. La recommandation est soumise au droit de veto d’un membre permanent du Conseil de sécurité. Il est élu pour 5 ans sans limite de mandat mais aujourd’hui on n’observe qu’aucun d’eux n’a déjà effectué plus de deux mandats.
Les États minimisent l’importance du SG alors même qu’il est présenté comme le plus haut fonctionnaire de l’Organisation. Madeleine Albright déclare que « les NU n’ont pas besoin d’un général mais d’un secrétaire ».
b) Secrétariat
Article 101 de la Charte : « 1. Le personnel est nommé par le Secrétaire général conformément aux règles fixées par l'Assemblée générale.
2. Un personnel spécial est affecté d'une manière permanente au Conseil économique et social, au Conseil de tutelle et, s'il y a lieu, à d'autres organes de l'Organisation. Ce personnel fait partie du Secrétariat.
3. La considération dominante dans le recrutement et la fixation des conditions d'emploi du personnel doit être la nécessité d'assurer à l'Organisation les services de personnes possédant les plus hautes qualités de travail, de compétence et d'intégrité. Sera dûment prise en considération l'importance d'un recrutement effectué sur une base géographique aussi large que possible. »
Les organes intégrés sont un corps de fonctionnaires qui mettent en œuvre les buts et les missions de l’organisation. Koffi Annan proposait la mise en place d’un deputy secretary general.
c) Organes indépendants
L’ONU fait appel à des experts indépendants qui sont désignés par les États ou en considération de leur personne (intuitu personae). Une fois nommés, ils sont indépendants dans l’exercice de leur mission.
C. Champs de compétences de l’ONU
1) Répartition des compétences
Ces compétences sont prévues à l’art.1er de la Charte : « Les buts des Nations Unies sont les suivants :
Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;
Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;
Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ;
Les missions de l’ONU sont principalement axées sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
L’article 12 de la Charte pose une limite à la compétence exclusive du Conseil de sécurité. D’une part, il peut être déclenché en cas d’inaction du Conseil de sécurité. La résolution « Union pour le maintien de la paix » prévoit une substitution d’action en lieu et place du Conseil par l’AG. D’autre part, il peut être mis en œuvre en cas d’exercice abusif de sa compétence par le Conseil. En rendant beaucoup de résolutions, le Conseil peut commettre des excès de pouvoir. La CIJ peut recevoir les réclamations portant sur de tels abus. Affaire du Lockerbie : « la légalité des résolutions du Conseil de sécurité doit être présumée prima facie ».
2) Types d’activités
a) Activités normatives
Seul le Conseil de sécurité a une compétence normative. En dehors de lui, aucun autre organe de l’ONU n’a de pouvoir normatif. Toutefois, les travaux réalisés par les autres organes peuvent servir de base à l’élaboration de textes juridiques de l’organisation. C’est le cas des conventions adoptées sous les auspices des Nations-Unies sans complètement en être parties. René Dupuis oppose le droit déclaratoire (droit en gestation qui n’a pas encore pris) au droit mur et au droit programmatoire (qui fixe les principes et les orientations notamment en matière du droit de l’environnement).
b) Activités opérationnelles
Ce sont des mesures diverses. Ces activités opérationnelles sont placées sous le contrôle du secrétaire général de l’ONU.
PARTIE II : LA PRODUCTION DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC
En droit international, il n’existe ni Constitution ni code. Ce droit trouve sa source dans de grands traités multilatéraux parmi lesquels la Charte des Nations Unies. Mais à côté de ces traités, on trouve la coutume qui est la seule à contenir les règles universelles du droit international. Elle structure plus généralement la communauté internationale et donne au droit international son unité. La plupart des concepts juridiques internationaux existants sont de nature coutumière.
Mais il arrive qu’une règle coutumière soit transposée dans un traité et qu’elle se superpose à la règle conventionnelle. Il n’existe pas de hiérarchie entre coutume et convention. En cas de superposition entre les deux, seuls les États parties à la convention sont soumis à la règle conventionnelle alors que tous les autres États, même non-signataires, seront soumis à la règle coutumière si celle-ci devait trouver à s’appliquer.
Le contenu du droit international peut être varié. Il est constitué par l’ensemble des normes conventionnelles et coutumières, sa seule restriction étant qu’il doit être produit directement ou indirectement par l’État. On peut citer le droit dérivé des organisations internationales. Sous cette condition, le droit international peut être universel ou régional, unilatéral ou bilatéral. Il peut régir les rapports interétatiques mais aussi les relations interindividuelles. De plus, il peut être un droit privé des États ou un droit public des peuples. Il peut aussi créer de nouveaux sujets et acteurs du droit.
Le droit international permet aux États de tout créer sans restriction matérielle puisqu’il peut porter sur tous les sujets. Il n’a pas d’objet particulier ni ne poursuit aucune idéologie particulière : le droit international est un instrument neutre.
En effet, le droit international est contractuel avec les traités, consensuel avec les coutumes, ou autoritaire avec des actes unilatéraux. Toute cette diversité de techniques peut être perçue comme une boite à outils permettant aux États de nouer des rapports les uns avec les autres. En outre, les États doivent régulariser leurs relations dans tous les domaines au regard de leurs droits et obligations vis-à-vis des autres. La fonction du droit international est de fournir aux États des outils de procédure pour permettre aux États de mieux répondre à leurs besoins.
Art.38 § 1 du statut de la CIJ (mode de production du droit)
« 1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique :
a. les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige ;
b. la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ;
c. les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ;
d. sous réserve de la disposition de l'Article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. (HORS SUJET)
2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono.
La Cour internationale de justice a été conçue par les États comme le juge mondial à même de connaître de n’importe quel différend qui les opposerait. D’où la nécessité de lui permettre d’utiliser toute la panoplie des outils du droit international pour résoudre les différents litiges portés devant elle.
L’art.38 Statut CIJ ne fait pas état des actes unilatéraux des États, ni des actes dérivés des organisations internationales qui sont également des outils que la CIJ pourrait être amenée à utiliser dans l’accomplissement de sa mission. En somme, il omet les modes de formation dérivée du droit international qui sont essentiels aujourd’hui et que l’on retrouve dans les organisations internationales.
Les principes communs aux modes de production du droit international est leur organisation anarchique (l’antonyme de hiérarchique). En effet, l’art.38 n’établit pas de hiérarchie entre les différents modes de formation. Ces modes ont pour point commun d’établir un mode horizontal de relations. Il s’agit plus d’un réseau que d’une pyramide. Le droit international n’est pas fondé sur un pouvoir d’autorité. En effet, il n’existe pas de sujet à même d’imposer son autorité de façon objective, générale et universelle à tous les États. Le droit international organise des rapports entre sujets égaux dont le mode d’interaction est organisé de façon horizontale et non verticale. À cet égard, l’ONU ne saurait être perçue comme un instrument de verticalisation du pouvoir.
CHAPITRE I : LA PRODUCTION CONTRACTUELLE
À titre préliminaire, il faut souligner le rôle fondamental de la volonté d’où la notion de production contractuelle. En droit interne, la loi est la base du contrat selon l’art.1103 c.civ aux termes duquel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». C’est la loi qui confère au contrat sa force obligatoire. Dans l’ordre juridique international, par contraste, aucune norme objective ne peut constituer la base juridique d’un traité. En l’absence de hiérarchie, la coutume est égale au traité et ne saurait être son fondement juridique. Certains auteurs tels que Alain Pellet estiment que la règle coutumière « pacta sunt servanda » serait l’équivalent de l’art.1103 c.civ dans l’ordre juridique international. À l’opposé, une minorité considère qu’il ne s’agit pas d’une règle juridique mais d’un principe métajuridique, un axiome légal (Alain Combacau).
Quel serait alors le fondement juridique d’un traité dans la mesure où la coutume, applicable à tous les États, ne peut l’être ? La volonté de s’engager des États souverains est celle qui crée le droit. C’est cette volonté qui est traduite en termes juridiques par le biais du traité.
Le droit des traités se trouve dans la coutume internationale car il résulte de la pratique suivie par les États en matière de production concertée du droit. L’Assemblée générale a trouvé opportun de codifier la coutume et ce travail de codification qui consiste essentiellement en la transcription des règles coutumières existantes, a été confié à la Commission du droit international (CDI), 6e commission des Nations Unies. Cette commission composée d’experts internationaux est un organe créé par l’ONU. Après un travail de 20 ans, la Commission de droit international a rendu un rapport que la Conférence des États a adopté sous la forme d’un traité. C’est ainsi qu’a été adoptée la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités qui contient des règles régissant la conclusion de traités entre États. Une autre commission s’est réunie pour adopter la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales du 21 mars 1986.
La Convention de Vienne est souvent qualifiée de « traité des traités ». En premier lieu, il est techniquement paradoxal d’incorporer dans un traité les règles qui sont appelées à régir tous les autres États. Cela résulte de l’inexistence d’un équivalent de l’art.1103 du code civil dans l’ordre juridique international. Les règles contenues dans la Convention ne s’appliquent qu’à titre supplétif. En second lieu, les règles énoncées obéissent elles-mêmes au principe de l’effet relatif des traités. Concrètement, ces règles n’ont de valeur qu’entre les États signataires. S’agissant des États tiers, les règles contenues dans la Convention ne leur sont pas opposables en tant que règles conventionnelles mais en tant que règles coutumières. Se pose la question de savoir si la Convention de Vienne a réellement codifié la coutume internationale.
SECTION I : La naissance des traités
Il est ici question du processus de formation des traités sous l’angle de l’énoncé légal et de l’engagement conventionnel par lequel chaque État accepte de se lier juridiquement par ce texte permettant d’aboutir à la normativité.
§1. La formation de l’énoncé légal
A. Établissement de l’énoncé légal
1) Qui ?
Qui a la capacité de traiter ? S’agissant des États, aux termes de l’art.6 de la Convention de Vienne de 1969, « Tout État a la capacité de conclure des traités ». Il en résulte que la capacité à traiter est tributaire de la qualité d’État. La conclusion de traités peut s’analyser en une reconnaissance tacite de la qualité d’État. La capacité des collectivités composant les États fédératifs, les organisations intraétatiques ainsi que les collectivités territoriales des États unitaires est plus douteuse. Est-ce que la région Île-de-France peut traiter ?
Certains États avaient négocié secrètement pour mettre en place un grand marché transatlantique (GMT, TTIP en anglais.) entre l’UE et les États-Unis. L’existence de ces négociations a fuité dans la presse. Immédiatement, s’en est suivie une gigantesque levée de boucliers. Or, le Conseil régional d’Île-de-France vote une délibération le 14 février 2014 demandant l’arrêt des négociations menées sur le projet du fait de l’absence de contrôle démocratique et de débat public sur les négociations en cours. D’autres collectivités territoriales françaises (près de 500) ont emboité le pas de la région Île-de-France. Ces délibérations sont dépourvues de valeur juridique même si elles sont votées par des émanations de l’État. Elles ont simplement une importance politique. Ces instances n’ont aucune capacité pour interférer dans les négociations internationales. Finalement, les États ont renoncé à la conclusion du traité mais d’un point de vue juridique, ils étaient les seuls à pouvoir y renoncer.
S’agissant des organisations internationales, leur capacité à conclure des traités est largement admise mais elle est subordonnée à la reconnaissance de la personnalité juridique de l’organisation. Si l’UE a adhéré à l’Accord de Paris, c’est en tant qu’organisation internationale conformément à l’article 20 dudit accord.
Art.20 de l’Accord de Paris
« 1. Le présent Accord est ouvert à la signature et soumis à la ratification, l'acceptation ou l'approbation des États et des organisations régionales d'intégration économique qui sont Parties à la Convention. Il sera ouvert à la signature au Siège de l'Organisation des Nations Unies à New York du 22 avril 2016 au 21 avril 2017 et sera ouvert à l'adhésion dès le lendemain du jour où il cessera d'être ouvert à la signature. Les instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion sont déposés auprès du Dépositaire.
2. Toute organisation régionale d'intégration économique qui devient Partie au présent Accord sans qu'aucun de ses États membres y soit Partie est liée par toutes les obligations découlant du présent Accord. Lorsqu'un ou plusieurs États membres d'une organisation régionale d'intégration économique sont Parties au présent Accord, cette organisation et ses États membres conviennent de leurs responsabilités respectives aux fins de l'exécution de leurs obligations au titre du présent Accord. En pareil cas, l'organisation et ses États membres ne sont pas habilités à exercer concurremment les droits découlant du présent Accord.
3. Das leurs instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, les organisations régionales d'intégration économique indiquent l'étendue de leur compétence à l'égard des questions régies par le présent Accord. En outre, ces organisations informent le Dépositaire, qui en informe à son tour les Parties, de toute modification importante de l'étendue de leur compétence ».
La capacité à traiter de l’UE est subordonnée à sa personnalité juridique et est insérée dans la limite de ses compétences.
À la table des négociations internationales sont présentes des personnes physiques représentant des personnes morales (États ou organisations internationales).
Art. 7 de la CV (pleins pouvoirs)
« 1. Une personne est considérée comme représentant un État pour l’adoption ou l’authentification du texte d’un traité ou pour exprimer le consentement de l’État à être lié par un traité :
a) Si elle produit des pleins pouvoirs appropriés ; ou
b) S’il ressort de la pratique des États intéressés ou d’autres circonstances qu’ils avaient l’intention de considérer cette personne comme représentant l’État à ces fins et de ne pas requérir la présentation de pleins pouvoirs.
2. En vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs, sont considérés comme représentant leur État :
a) Les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères, pour tous les actes relatifs à la conclusion d’un traité ;
b) Les chefs de mission diplomatique, pour l’adoption du texte d’un traité entre l’État accréditant et l’État accréditaire ;
c) Les représentants accrédités des États à une conférence internationale ou auprès d’une organisation internationale ou d’un de ses organes, pour l’adoption du texte d’un traité dans cette conférence, cette organisation ou cet organe. »
L’article 7 CV distingue entre ceux qui ont bénéficient d’une présomption de représentation et ceux qui doivent être spécialement habilités.
Les personnes ayant une qualité ex officio (chefs d’État, les chefs de gouvernement et les chefs de diplomatie i.e. les ministres des affaires étrangères) bénéficient d’une présomption de représentation de l’État. Elles ont qualité étant donné leur fonction pour représenter l’État dans toutes les procédures d’engagement international.
Les autres personnes doivent prouver qu’elles agissent pour le nom et pour le compte des États et doivent démontrer leur habilitation spéciale à engager internationalement l’État ou l’organisation internationale qu’elles représentent par le biais de pleins pouvoirs émanant des pouvoirs centraux. Les pleins pouvoirs peuvent être écrits mais peuvent également résulter du fait que les organes centraux manifestent sans équivoque leur intention de voir de telles personnes les représenter sur la scène internationale. Concrètement, en l’absence de lettre de pleins pouvoirs, l’habilitation peut aussi être considérée comme acquise à condition que les autres organes n’aient pas besoin de fournir des documents formels.
2) Quoi ? la consistance de l’opération (négociation, adoption, authentification)
S’agissant de l’établissement du texte légal, de l’énoncé du traité, cela se décompose en trois étapes : la négociation, l’adoption et l’authentification.
a) La négociation
La première étape est la négociation. La négociation est le moment diplomatique par excellence de la vie du traité. Pour négocier, les organes doivent bénéficier d’une grande liberté pour pouvoir jouer en toute latitude sur le champ politique sans être enfermés dans des carcans juridiques. Il n’existe pas une véritable procédure de négociation fixée par le droit international. Dès lors, les participants sont libres de choisir la procédure qui bon leur semble.
Le droit international intervient très peu en matière de négociations. Cela est paradoxal car dans les relations internationales, les négociations sont omniprésentes.
Par exemple, des négociations sont en cours autour de l’instauration d’une taxe mondiale de 15% sous les auspices de l’OCDE. Il s’agit de déterminer ensemble quel va être le taux d’imposition minimal qui va être imposé aux sociétés de service numérique (sociétés qui ont des activités totalement dématérialisées). En effet, les règles de fiscalité traditionnelles ne s’emparent pas des bénéfices générés par ce type d’activités. Ces sociétés sont devenues des empires financiers sans que leurs bénéfices ne soient imposés nulle part dans le monde. Les négociations connaissent des difficultés puisque parmi les États qui participent aux négociations certains souhaitent attirer ces sociétés sur leur sol. L’enjeu est de se mettre d’accord sur un dispositif qui paraisse juste et équitable à l’échelle mondiale.
S’agissant des négociations climatiques internationales, elles s’inscrivent dans un cycle de négociations initié depuis 1992 et elles sont organisées par la conférence des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée le 9 mai 1992 à Rio et entrée en vigueur en 1994. Mais dès le Sommet de la Terre à Rio, les États participants ont adopté une déclaration sans valeur obligatoire qui établit des principes fondamentaux et donne des lignes directrices. Les conférences sont cycliques et annuelles. Elles ont pour but d’actualiser le cadre juridique en permanence et de consolider les acquis tout en permettant aux États d’aller un peu plus loin (politique des petits pas). Avec l’accord de Paris, un effort de renouvellement a été initié dans la gestion des questions climatiques internationales. Cet accord a été à l’origine d’initiatives nouvelles.
Les États sont libres de commencer des négociations sans obligation de parvenir à un accord ni à un résultat quelconque. Dès lors, l’État négociateur est libre de se retirer des négociations sans conséquence juridique. La seule obligation juridique qui pèse sur lui dès l’ouverture des négociations est l’obligation de négocier de bonne foi. En vertu de la bonne foi dans les négociations internationales, l’État ne doit pas dissimuler d’informations importantes pour les négociations ni ne doit user de manœuvres dolosives. Il doit prendre sincèrement le point de vue des autres États présents en considération. Si les États et les organisations internationales se sont engagés à des obligations dans le cadre des négociations, ils doivent s’y conformer.
En revanche, il arrive que les États, par traité, s’engagent spécialement à entreprendre des négociations d’une certaine manière déterminée par le traité. Dans ce cas, le droit international encadre les négociations. C’est le cas des négociations climatiques. En effet, toutes les COP successives correspondent à la mise en œuvre de l’article 7 de la CCNUCC. Au demeurant, le cadre juridique des négociations de la COP reste peu contraignant. Les négociations doivent demeurer un lieu de liberté dans lequel les États peuvent exprimer leurs positions, se livrer à la mise en œuvre de leurs politiques extérieures sans se sentir limité par un carcan juridique.
À l’issue des négociations, si elles sont couronnées de succès, elles aboutissent à un texte sur lequel tous les sujets parties aux négociations ont réussi à se mettre d’accord.
Art. 7 CCNUCC
«1. Il est créé une Conférence des Parties.
2. En tant qu'organe suprême de la présente Convention, la Conférence des Parties fait
régulièrement le point de l'application de la Convention et de tous autres instruments
juridiques connexes qu'elle pourrait adopter et prend, dans les limites de son mandat, les
décisions nécessaires pour favoriser l'application effective de la Convention. A cet effet:
a) Elle examine périodiquement les obligations des Parties et les arrangements
institutionnels découlant de la Convention, en fonction de l'objectif de la
Convention, de l'expérience acquise lors de son application et de l'évolution des
connaissances scientifiques et techniques ;
b) Elle encourage et facilite l'échange d'informations sur les mesures adoptées par les
Parties pour faire face aux changements climatiques et à leurs effets, en tenant
compte de la diversité de situations, de responsabilités et de moyens des Parties
ainsi que de leurs engagements respectifs au titre de la Convention;
c) Elle facilite, à la demande de deux Parties ou davantage, la coordination des
mesures adoptées par elles pour faire face aux changements climatiques et à leurs
effets, en tenant compte de la diversité de situations, de responsabilités et de
moyens des Parties ainsi que de leurs engagements respectifs au titre de la
Convention;
d) Elle encourage et dirige, conformément à l'objectif et aux dispositions de la
Convention, l'élaboration et le perfectionnement périodique de méthodes
comparables, dont conviendra la Conférence des Parties, visant notamment à
inventorier les émissions de gaz à effet de serre par les sources et leur absorption
par les puits, ainsi qu'à évaluer l'efficacité des mesures prises pour limiter ces
émissions et renforcer l'absorption de ces gaz;
e) Elle évalue, sur la base de toutes les informations qui lui sont communiquées
conformément aux dispositions de la Convention, l'application de la Convention
par les Parties, les effets d'ensemble des mesures prises en application de la
Convention, notamment les effets environnementaux, économiques et sociaux et
leurs incidences cumulées, et les progrès réalisés vers l'objectif de la Convention;
f) Elle examine et adopte des rapports périodiques sur l'application de la Convention
et en assure la publication ;
g) Elle fait des recommandations sur toutes questions nécessaires à l'application de la Convention;
b) L’adoption
L’adoption est régie par l’art.9 de la CV : « L'adoption du texte d'un traité s'effectue par le consentement de tous les États participant à son élaboration, sauf dans les cas prévus au paragraphe 2.
2. L'adoption du texte d'un traité à une conférence internationale s'effectue à la majorité des deux tiers des États présents et votants, à moins que ces États ne décident, à la même majorité, d'appliquer une règle différente. »
Les États sont libres de choisir la forme d’adoption de l’énoncé légal. L’adoption est un acte collectif fait par les parties ayant participé à la négociation. Elle marque la fin de la négociation. À partir de l’adoption, l’énoncé légal est figé et ne peut être modifié qu’après une nouvelle négociation. Sur ce fondement, les États savent les engagements qu’ils souscrivent en signant l’énoncé légal dont l’existence objective est établie étant un être juridique parfait.
En général, les textes sont adoptés à l’unanimité mais ils peuvent aussi être adoptés par consensus (absence de voix négatives). Par exemple, l’accord de Paris a été adopté par consensus. L’art.42 du règlement intérieur de la COP prévoit que « les Parties ne ménagent aucun effort pour parvenir par consensus à un accord sur toutes les questions de fond. Si tous les efforts déployés pour parvenir à un consensus restent vains et l'accord n'est pas réalisé, la décision est prise, en dernier ressort, par un vote à la majorité des deux tiers des Parties présentes et votante. » C’est donc le consensus qui est privilégié mais à défaut, on a recours à la majorité des deux tiers. La COP recherche une réelle adhésion politique de tous ses membres. Le texte est adopté par la collectivité des sujets ayant participé à la négociation qui adopte le texte.
Une fois le texte adopté, il n’est plus possible de revenir sur l’énoncé légal.
c) L’authentification
Art.10 CV : « Le texte d'un traité est arrêté comme authentique et définitif :
a) suivant la procédure établie dans ce texte ou convenue par les États participant à l'élaboration du traité ; ou,
b) à défaut d'une telle procédure, par la signature, la signature ad referendum ou le paraphe, par les représentants de ces États, du texte du traité ou de l'acte final d'une conférence dans lequel le texte est consigné. »
Les négociations sont un lieu de haute voltige d’arguments juridiques destinés à convaincre. Ceux qui négocient, le plus souvent aux côtés des chefs d’États et de gouvernement, sont de fins connaisseurs du droit. Le texte ainsi adopté n’a pas de valeur juridique ; ce n’est qu’un simple énoncé légal qui a vocation à acquérir une force obligatoire. Il doit s’accompagner d’une reconnaissance individuelle de son authenticité.
L’authentification est un acte différent distinct de l’adoption. L’adoption est une procédure collective commune à ceux qui ont participé aux négociations alors que l’authentification est un acte individuel. Chacun des sujets reconnait pour lui-même et pour son propre compte que le texte qui est arrêté est authentique et conforme à ce qui a été négocié. Il ne faut pas confondre l’authentification avec l’engagement conventionnel. L’authentification révèle une intention de devenir partie ultérieurement mais elle ne vaut pas souscription d’un engagement. Passée l’étape de l’authentification, l’État devient une partie contractante, situation à mi-chemin entre l’État négociateur et l’État partie.
Seul le consentement manifesté par chacun des États ou des organisations internationales d’être liés par ce texte permet à celui-ci d’acquérir une valeur juridique. La conclusion d’un traité comporte une chaîne d’opérations dont chacune joue un rôle important mais seule la dernière fait produire un effet juridique (conventionnel), à savoir le consentement des parties à être liées.
B. Signification de l’énoncé légal
1) Statut du texte adopté
Pour comprendre la structure d’un traité, il est possible de prendre pour exemple l’Accord de Paris de 2015. Un traité comporte des énoncés solennels qui forment ce qu’on appelle le préambule. Suivent les articles qui prévoient tantôt des clauses substantielles tantôt énoncent des clauses finales.
S’agissant des clauses substantielles même si elles n’ont pas de valeur juridique immédiate, il existe une règle coutumière en droit international qui oblige les contractants à ne pas se comporter comme si le texte était inexistant. Cette règle est codifiée à l’art.18 de la Convention de Vienne selon lequel lorsqu’un sujet de droit (État ou organisation internationale) a adopté et authentifié un texte qui a vocation à devenir un traité, même si ce dernier n’a pas encore manifesté son intention de devenir partie audit traité, il demeure soumis aux prescriptions virtuelles. L’État contractant (qui n’a pas encore la qualité de partie) doit se conduire de façon telle que si le traité vient à entrer ultérieurement en vigueur, son comportement n’altère pas la teneur des engagements qu’il serait amené à souscrire.
Article 18 Convention de Vienne
Un État doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but :
a) Lorsqu’il a signé le traité ou a échangé les instruments constituant le traité sous réserve de ratification, d’acceptation ou d’approbation, tant qu’il n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité;
b) Lorsqu’il a exprimé son consentement à être lié par le traité, dans la période qui précède l’entrée en vigueur du traité et à condition que celle-ci ne soit pas indûment retardée ».
Les clauses finales sont des règles juridiques mais ne comportent pas de dispositions normatives prescriptives. Elles entrent en vigueur immédiatement i.e. dès l’adoption du traité. Elles prescrivent la procédure à suivre pour devenir partie au traité ainsi que tous les évènements futurs de la vie du traité. En outre, elles instituent un dépositaire chargé de collecter les différents éléments relatifs à la vie du traité et de les rendre publics (pour les parties et les tiers). Si ces règles sont méconnues, le droit international ne s’en trouverait pas violé. Néanmoins, si la volonté ne s’exprime pas conformément à ces règles elle ne produira pas d’effet. La sanction réside dans l’inefficacité de la manifestation de cette volonté.
À côte des dispositions finales, se trouvent des dispositions opératoires en ce sens qu’elles peuvent opérer elles-mêmes sans besoin de l’intervention de leurs destinataires. C’est le cas d’un traité instituant une organisation internationale. L’acte institutif d’une organisation internationale crée automatiquement cette organisation sans l’intervention des États. On parle d’actes-conditions pour les distinguer des actes normateurs. Par exemple, un traité translatif de territoire.
2) Objet de l’acte
Les auteurs du texte recherchent des effets légaux : régir des conduites (normaliser les conduites) ou produire automatiquement des effets. Il peut s’agir d’obligations de résultat ou d’omission ou d’action. Il peut s’agir également de prescriptions, d’invitations, voire d’habilitations. Les modalités de la normalisation sont très variées. En droit international, une distinction s’opère entre le traité-loi et le traité-contrat. Le concept de cause peut permettre de comprendre cette distinction.
a) Le traité-contrat
Le traité-contrat est celui qui a pour objet d’établir un rapport de créancier à débiteur entre les parties avec un lien de réciprocité si le traité est synallagmatique (do ut des). Les normes que l’on trouve dans les traités-contrat organisent les obligations entre les parties.
L’art.1er de l’Acte général pour le règlement pacifique des différends internationaux de 1928 prévoit que « les différends de toute nature entre deux ou plusieurs Parties ayant adhéré au présent Acte général qui n’auraient pu être résolus par la voie diplomatique seront, sauf les réserves éventuelles prévues à l’art. 39, soumis à la procédure de conciliation dans les conditions prévues au présent chapitre ».
À l’occasion d’un différend entre deux ou plusieurs États parties à l’Acte général, ceux-ci sont tenus réciproquement de se soumettre à toute procédure de conciliation initié par l’un d’eux. Il n’en résulte pas une obligation de recourir systématiquement à une telle procédure mais simplement de s’y soumettre lorsqu’elle est déclenchée.
Si les États souscrivent un tel engagement qui limite pourtant leur liberté, ce n’est pas pour leur propre plaisir mais précisément parce qu’ils veulent obliger les autres États à s’engager. La cause objective est la contrepartie qu’entend percevoir l’autre partie en s’engageant. On parle aussi de contreprestation.
Dans certains traités-contrat, ces rapports de réciprocité peuvent être poussés à leur paroxysme. En effet, lorsque les engagements sont interdépendants, si la condition de réciprocité n’est pas respectée, chaque État contractant peut refuser d’exécuter ses obligations avec le risque d’effondrement du traité. On trouve des exemples en matière de course à l’armement ou en matière de pêche où le traité ne supporte pas une dislocation.
b) Le traité-loi
Les traités-loi sont des traités dans lesquels le but recherché par les auteurs est d’établir des situations juridiques objectives. On ne cherche pas à établir des rapports de réciprocité. Les parties sont dans la même situation mais ne se font pas face. Ces engagements ne sont pas réciproques mais autonomes les uns par rapport aux autres. Exemple de la Convention sur la répression des crimes et génocides de 1949.
CIJ, 15 mai 1951, Avis consultatif : la Cour dit que la cause de certains traités internationaux peut être recherchée dans la préservation de fins supérieures du régime institué collectivement.
CIJ, 2012, Belgique c. Sénégal, sur l’obligation de poursuivre ou d’extrader : à propos de la Convention sur la torture, la CIJ précise (§68) qu’« en raison des valeurs qu’ils partagent, les États parties à cet instrument ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de torture, et si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité »
Ce type d’engagement est toujours réciproque mais cette réciprocité est formelle et non substantielle dans la mesure où elle ne conditionne pas l’exécution de son propre engagement par les autres États. Ces obligations sont absolues mais elles sont qualifiées par Sir Gerald Fitzmaurice comme « autonomes, absolues et intrinsèques pour chaque partie et ne dépendent pas d’une exécution correspondante par les autres parties ».
CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni (§239) : la Cour dit pour droit que « la CESDH déborde le cadre de la simple réciprocité entre États contractants. En sus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle crée des obligations objectives qui, aux termes de son préambule, bénéficient d’une "garantie collective". Par son article 24 (art. 24), elle permet aux États contractants d’exiger le respect de ces obligations sans avoir à justifier d’un intérêt dérivant, par exemple, de ce qu’une mesure qu’ils dénoncent a lésé un de leurs propres nationaux. En substituant le mot "reconnaissent" à "s’engagent à reconnaître" dans le libellé de l’article 1 (art. 1), les rédacteurs de la Convention ont voulu indiquer de surcroît que les droits et libertés du Titre I seraient directement reconnus à quiconque relèverait de la juridiction des États contractants (document H (61) 4, pp. 664, 703, 733 et 927). Leur intention se reflète avec une fidélité particulière là où la Convention a été incorporée à l’ordre juridique interne.»
2) Interprétation de l’acte
Pour que le traité produise l’effet de droit recherché, il faut qu’il soit appliqué conformément à l’intention de ses auteurs. À l’occasion de l’application d’un traité, il faut pouvoir identifier son sens sans mobiliser ses auteurs. Si son application est contentieuse, il appartient au juge d’en donner la portée exacte. La coutume internationale pose une règle générale d’interprétation codifiée à l’art.31 de la Convention de Vienne.
Art.31 de la Convention de Vienne : « 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a)tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité ;
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions ;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité ;
c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des parties.
Le principe général d’interprétation retenue est l’interprétation littérale. La référence au contexte ne se rapporte pas aux travaux préparatoires mais renvoie à tout ce qui a été effectivement fait autour du texte. Cette règle générale ne retient que des éléments objectifs d’où une méthode objective. L’interprète peut s’aider, à titre complémentaire, des travaux préparatoires et des circonstances dans lesquelles le traité a été conclu. Cette méthode subjective n’a lieu d’être mise en œuvre qu’en cas d’inefficacité de la méthode objective.
Par nature, l’interprétation est une opération intellectuelle inévitablement subjective dans la mesure où elle est imprégnée de la subjectivité de son auteur. En effet, ceux qui interprètent sont des êtres humains.
En droit international, l’interprète authentique est l’auteur du texte ou celui qui est habilité par les parties à délivrer une interprétation qui s’impose à tous. La plupart du temps, l’interprète authentique est investi par les parties elles-mêmes. Il peut s’agir d’une juridiction ou d’un tribunal arbitral. Mais il arrive qu’une autorité tierce soit dotée d’un pouvoir d’interprétation. Dans ce cas, les interprétations qu’elle délivre ne s’imposent pas aux parties. Par exemple, la Charte de l’OEA établit la commission CIDH chargée de promouvoir la défense et l’observance des droits de l’homme et de rendre des avis en la matière.
§2. Formation de l’engagement conventionnel
Avant la formation de l’engagement conventionnel, le traité constitue, certes, un texte mais, pour l’instant, ses effets juridiques ne sont que virtuels. Chacun des États ou organisations internationales doit venir se rattacher à ce texte individuellement. Cette démarche ne peut être faite que par le truchement d’un acte individuel unilatéral. On parle « engagement conventionnel ». L'engagement au sens littéral consiste en l’établissement d’un lien juridique par lequel les sujets du droit international deviennent assujettis au texte. Par l’engagement, ils acceptent de le considérer comme obligatoire en ce qui les concerne. Cette opération nécessite l’expression d’un consentement du futur assujetti. L’expression de ce consentement ne vise pas à reconnaître l’existence en soi du texte (déjà réglée par l’adoption) mais à reconnaitre que son contenu lui est opposable dans ses rapports avec les autres sujets qui auront consenti à la même chose.
A. Exigences du droit international
Le bon internationaliste doit avoir le réflexe de vérifier que la France est bel et bien engagée par la convention internationale que l’on entend faire application.
1) Procédure internationale d’engagement
Il existe en droit international deux procédures d’engagement : la procédure longue et la procédure courte.
a) La procédure longue
La procédure longue est également connue sous l’appellation de procédure d’engagement différée ou procédure d’engagement en deux temps. La conclusion du traité constitue le premier temps d’engagement. Par l’authentification précédée de l’adoption, l’État manifeste son intention de s’engager ultérieurement par ce traité mais elle est insuffisante en soi à parfaire l’engagement.
Ces deux temps se traduisent par des procédures distinctes. La conclusion du traité se matérialise par l’adoption et l’authentification (la signature). À ce stade, les États donnent une présomption de consentement à se lier au traité car il manque encore la confirmation du consentement qui se manifeste par la procédure de la ratification, de l’approbation, de l’acception, de l’adhésion ou de l’admission selon le système juridique de l’État. La procédure correspond à la manifestation en deux temps du consentement de l’État à être lié. Le lien juridique qui fera de l’État une partie résultera de l’envoi de l’instrument de ratification de nature à parfaire l’engagement.
Cette procédure en deux temps répond à deux types d’exigence. D’abord, cette procédure différée répond à des exigences pragmatiques. Les délégations qui représentent les États aux négociations sont habilitées à négocier mais non pas à engager l’État sur la scène internationale. Telle est leur mission. Après l’adoption, il faut un temps pour permettre à l’autorité hiérarchique de vérifier la conformité de ce qui a été fait avec la mission confiée. Même si les représentants des États sont restés en rapport direct avec leur autorité hiérarchique pendant toute la durée des négociations, encore faut-il que l’autorité hiérarchique puisse exercer un contrôle à ce stade. À l’issue de ce contrôle, l’État pourra alors s’engager juridiquement.
De plus, cette procédure répond également à des exigences politiques. En France, le Parlement est habilité à engager la France. Pour ratifier un traité et engager l’État, l’exécutif a besoin d’une autorisation du Parlement. La procédure entre l’adoption et la ratification peut être longue. Les domaines plus techniques n’exigent pas un tel formalisme d’où le recours à une procédure courte.
b) La procédure courte
On l’appelle aussi l’engagement immédiat ou engagement en un temps ou encore accord en forme simplifiée. Dans ce cas, la délégation est chargée d’une double fonction : négocier et engager l’État. La procédure peut être utilisée lorsqu’il n’est pas besoin d’autorisation parlementaire pour engager internationalement l’État.
Mais la procédure courte est aussi utilisée par le pouvoir exécutif pour répondre à des stratégies politiques. C’est ainsi que le président américain y a recours lorsqu’il souhaite soustraire son action internationale au contrôle du Congrès américain. Par exemple, le président Obama a qualifié en l’Accord de Paris en accord technique pour le faire passer pour un executive agreement qui ne nécessite pas l’aval du Congrès qui était républicain.
2) Acte international d’engagement
a) Les États conviennent d’une procédure courte : signature ou échange d’instrument
Si les États ont convenu d’une procédure courte, l’engagement immédiat peut se manifester de 2 façons : la signature ou l’échange d’instruments.
La signature peut avoir la signification d’une authentification mais dans la procédure courte elle a également la valeur d’un engagement définitif. L’article 36§2 (a) de l’Accord de Genève sur les bois tropicaux prévoit la possibilité de recourir à la procédure courte. Pour avoir choisi cette procédure, la signature de l’Albanie valait engagement définitif.
L’engagement immédiat peut également se manifester par échange d’instruments (échange de lettres). Il s’agit d’une correspondance entre 2 sujets ayant le même contenu et qui fera droit dès que la dernière des lettres aura été reçue. Par exemple, l’accord par échange de lettres en date du 23 octobre 2019 entre le Gouvernement de la République française et la République fédérale d’Allemagne relatif au contrôle des exportations en matière de défense par lequel « le Gouvernement de la République française approuve les dispositions, en annexe de la présente note, de l'accord et de ses annexes 1 et 2, qui en font partie intégrante. Par conséquent, votre note et la présente note constituent un accord entre nos deux gouvernements relatif au contrôle des exportations en matière de défense, qui entre en vigueur ce jour. »
b) Les États conviennent d’une procédure longue : ratification, approbation, acceptation
i. Ratification, approbation, acceptation
Art. 20 de l’Accord de Paris : 1. Le présent Accord est ouvert à la signature ET soumis à la ratification, l'acceptation ou l'approbation des États et des organisations régionales d'intégration économique qui sont Parties à la Convention. Il sera ouvert à la signature au Siège de l'Organisation des Nations Unies à New York du 22 avril 2016 au 21 avril 2017 et sera ouvert à l'adhésion dès le lendemain du jour où il cessera d'être ouvert à la signature. Les instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion sont déposés auprès du Dépositaire.
2. Toute organisation régionale d'intégration économique qui devient Partie au présent Accord sans qu'aucun de ses États membres y soit Partie est liée par toutes les obligations découlant du présent Accord. Lorsqu'un ou plusieurs États membres d'une organisation régionale d'intégration économique sont Parties au présent Accord, cette organisation et ses États membres conviennent de leurs responsabilités respectives aux fins de l'exécution de leurs obligations au titre du présent Accord. En pareil cas, l'organisation et ses États membres ne sont pas habilités à exercer concurremment les droits découlant du présent Accord.
3. Dans leurs instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, les organisations régionales d'intégration économique indiquent l'étendue de leur compétence à l'égard des questions régies par le présent Accord. En outre, ces organisations informent le Dépositaire, qui en informe à son tour les Parties, de toute modification importante de l'étendue de leur compétence.
Dans les 3 cas, il s’agit toujours d’un acte unilatéral. La ratification émane généralement de l’organe habilité à vouloir internationalement pour l’État. Elle confère une solennité à l’engagement en donnant une importance politique particulière à la procédure. On parle d’approbation et d’acceptation qui sont des pratiques récentes par lesquelles d’autres autorités que le chef de l’État exprime le consentement de l’État à être lié internationalement. La ratification, l’approbation ou l’acceptation s’analysent toujours en la confirmation du consentement à devenir partie, consentement présumé depuis le moment de l’authentification (signature).
ii. Adhésion et admission
Les États qui n’ont pas pu ratifier l’instrument dans le temps peuvent néanmoins recourir à l’adhésion. Cette possibilité d’adhésion doit être expressément aménagée dans les clauses finales du traité. Cette adhésion peut être conditionnée (autres accords) ou inconditionnée (cas des Accords de Paris).
L’admission est une procédure efficace de filtrage des nouveaux adhérents. En effet, les clauses d’admission posent des conditions et offrent une large marge d’appréciation à ceux qui sont habilités à vérifier la réunion des conditions posées par le traité auxquels les États candidats souhaitent adhérer. La procédure de l’élargissement de l’Union européenne correspond à une admission puisqu’il appartient au Conseil de l’Union européen de se prononcer à l’unanimité.
Art. 49 TUE : « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de cette demande. L'État demandeur adresse sa demande au Conseil, lequel se prononce à l'unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. Les critères d'éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte.
Les conditions de l'admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l'Union, font l'objet d'un accord entre les États membres et l'État demandeur. Ledit accord est soumis à la ratification par tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »
L'engagement international se fait à deux niveaux. Les procédures d’engagement international prévues par le droit international sont peu formalistes. Le droit international reflète la volonté des États. Ils ne veulent pas être enfermés dans des carcans. Les exigences du droit interne en matière d'engagement international d’un État sont très importantes car le droit international touche tous les domaines. Soustraire ces domaines au débat public en exportant les lieux de décision dans les forums internationaux, revient à décentrer les lieux de décisions dans des domaines pour lesquels on peut considérer qu’il est important que les populations ne perdent pas la main.
B. Exigences du droit français
Lorsque la France prend un engagement sur la scène internationale, elle doit respecter des procédures du droit international mais elle doit aussi respecter des procédures internes. En droit français, il existe également une procédure longue et une procédure courte. Il en est de même aux États-Unis pour la ratification des treaties par le Sénat et pour les executive agreements par le président des États-Unis. En France, aucune distinction n’est opérée entre traité et accord. La jurisprudence considère que le critère permettant de choisir la procédure appropriée peut se faire directement par l’exécutif. La distinction s’opère sur le plan matériel.
1) Compétence pour engager internationalement l’État : le monopole de l’exécutif (art. 52 Constitution)
Art. 52 de la Constitution : « Le Président de la République négocie et ratifie les traités.
Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification.
a) Pour les engagements résultant d’une procédure internationale longue
C'est la situation des traités qui ont été conclus sur la scène internationale mais qui sont en attente de la confirmation du consentement de l'État à être engagé internationalement. Les exigences de droit interne entrent en considération pendant ce temps de latence qui permet de laisser le temps aux procédures internes de s'épanouir et d’aboutir.
En droit français, la confirmation peut émaner d’une ratification du Président de la République (traité stricto sensu) ou d’une simple approbation du gouvernement (accord). La ratification des traités est la prérogative exclusive du Président de la République tandis que l’approbation relève de la compétence du gouvernement. Cette distinction n’entraine pas une différence de régime juridique. Le plus important est la volonté diplomatique i.e. le choix du président. Lorsque le président le juge utile (intérêts de l’État et des autres États), il ratifie lui-même ou signe une lettre de pleins pouvoirs pour ceux qui sont chargés de négocier à son nom et une autre lettre pour l’approbation.
b) Pour les engagements résultant d’une procédure internationale courte
L’art 52 de Constitution mentionne également des accords internationaux qui ne sont pas soumis à ratification (accords en forme simplifiée). Pour cette procédure courte qui met en jeu des autorités périphériques, le président doit simplement être informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification. Dans ce cas, les délégués sont investis de l’habilitation à négocier non pas par le président mais par le gouvernement qui en sera le destinataire.
2) Limitations de la compétence de l’exécutif : le contrôle politique (art. 11 et 53 Constitution)
Même si l’exécutif dispose du monopole pour engager internationalement la France, sa compétence peut être limitée par un contrôle politique. Deux textes encadrent cette compétence.
L’autorisation à ratifier un engagement délivrée au président peut émaner du peuple par la voie du référendum. L’art.11 de la Constitution dispose que « le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Mais l’autorisation à ratifier peut aussi émaner des représentants du peuple (le Parlement). Néanmoins, le président n’est pas dépossédé du pouvoir dont il est investi en vertu de l’art.52 (négociation et ratification des traités). L’art.53 prévoit une liste limitative des matières dans lesquelles le président ne peut engager internationalement la France qu’avec l’autorisation du Parlement. C’est le président qui ratifie et non le Parlement qui lui se borne à délivrer son autorisation à ratifier. La loi d’autorisation à ratifier résulte toujours du dépôt d’un projet de loi.
Art.53 de la Constitution
« Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi.
Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées. »
Le CC juge que l’expression « ceux qui modifient des dispositions de nature législative » correspond aux matières énumérées à l’art.34 Const. Cette liste ne s’étend pas aux engagements purement politiques (CC, 29 décembre 1978, DC). Selon un rapport du Sénat, le Parlement délivre très facilement des autorisations à ratifier des traités de sorte que certains auteurs le qualifient de « chambre d’enregistrement » des engagements internationaux de la France. Le projet de loi qui n’est que la reproduction du texte négocié ne peut faire l’objet d’aucun amendement. La marge de manœuvre du Parlement est limitée dans la mesure où il ne peut qu’accepter ou rejeter en bloc le texte qui lui est présenté.
Néanmoins, sous l’influence de la commission des affaires étrangères, il peut arriver que le Parlement reporte sa décision et demande à entendre le gouvernement sur le texte négocié. Par exemple, deux réunions de la commission des affaires étrangères de l’AN ont porté sur la convention de sécurité sociale signée avec le Maroc et pour laquelle l’approbation du Parlement a été sollicitée.
Mais le Parlement peut rejeter le projet et faire obstacle à la confirmation de l’engagement international notamment lorsque certaines stipulations du traité sont manifestement inacceptables. Des modifications peuvent être facilement apportées au texte négocié lorsqu’il s’agit d’un traité bilatéral.
Le président de la République ou le gouvernement conserve son monopole d’engager internationalement la France car l’autorisation à ratifier ou à approuver délivrée par le Parlement ne le lie pas.
3) Limitations de la compétence de l’exécutif : le contrôle juridique
a) Contrôle formel
Le juge contrôle le respect des conditions constitutionnelles d’introduction des traités dans l’ordre interne, à savoir la régularité de la procédure d’engagement international de la France sur le fondement de l’art.55 de la Constitution. Ne font partie du droit français que les traités régulièrement ratifiés ou approuvés en vertu du droit français.
CE, 16 novembre 1956, Villa : le CE contrôle le respect des conditions d’introduction constitutionnelles d’un traité dans l’ordre juridique interne.
CE, Ass., 13 juillet 1965, Société Navigator : le CE contrôle la compétence de l’autorité qui a édicté le traité. En l’espèce, le traité avait été publié par décret sans la signature du président de la République. Par suite, il n’était pas opposable dans l’ordre juridique français.
CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d’activité de Blotzheim : Le CE contrôle le respect des obligations législatives i.e. que le gouvernement a bien recueilli l’autorisation du Parlement avant de ratifier le traité. Désormais, le juge administratif peut connaitre de moyens d’exception tirés de la méconnaissance des exigences de l’art. 53 de la Constitution. Il est amené à vérifier si la ratification d’un traité a bien été autorisée par le Parlement. Dans la négative, le juge administratif annule le décret de publication.
b) Contrôle substantiel
Le juge contrôle aussi la compétence du pouvoir exécutif. À cet égard, sur le fondement de l’art.61 de la Constitution, le CC peut être saisi d’un engagement international avant sa ratification ou son approbation et être amené à vérifier la conformité à la Constitution d’une loi d’autorisation à ratifier un engagement international.
Mais l’art. 54 de la Constitution ouvre une voie spéciale permettant au CC d’exercer son contrôle avant même l’autorisation parlementaire à ratifier ou à approuver l’engagement international.
Art. 54 de la Constitution : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution. »
À ce jour, la procédure a été utilisé à 13 occurrences (11 fois à l’initiative du président de la République). Le but est de lever toute discussion sur la conformité à la Constitution française des engagements internationaux que le gouvernement a lui-même négocié et souscrit. Pour la première fois en 1992, le CC saisi sur le fondement de l’art.54 de la Constitution avait déclaré que la loi d’autorisation à ratifier le traité de Maastricht était contraire à la Constitution (DC, 1992). Cette révision de la Constitution a été opérée par voie référendaire le 20 septembre1992. Il en fut de même avec le Traité d’Amsterdam, le Statut de Rome et le Traité de Lisbonne qui ont tous conduit à une révision de la Constitution.
Un engagement international déclaré conforme à la Constitution ne peut faire l’objet d’aucun contrôle de constitutionnalité a posteriori (QPC par exemple). L’art.55 de la Constitution affirme que les engagements internationaux ont une valeur supérieure à celle des lois. Il arrive donc que le juge écarte l’application d’une loi pour contrariété à un engagement international mais il n’est jamais arrivé qu’un juge écarte un engagement international pour contrariété à la Constitution. Il en est ainsi parce que le système français ne comporte, en dehors du contrôle par voie d’action aucune voie de droit pour le contrôle de constitutionalité d’un engagement international par voie d’exception.
Les juges ordinaires (administratifs et judiciaires), juges de droit commun de la conventionnalité des lois, sont incompétents pour connaitre de griefs tirés de l’inconstitutionnalité d’un traité. S’agissant de la QPC, les juridictions rejettent les griefs tirés de la contrariété d’un traité à la Constitution.
Une fois incorporés en droit interne, les traités sont inattaquables en droit français.
§3. Étendue de l’engagement : le problème des réserves
L’engagement est le dernier acte de procédure qu’accomplit l’État à l’égard du texte définitif. Mais il peut arriver que l’État ne veuille pas se conformer à certaines dispositions du traité. Le droit international coutumier, tel que codifié par la Convention de Vienne, permet à cet État de limiter le champ d’application du traité le concernant par le jeu de la technique de la réserve. C’est une modulation de l’engagement international. La technique de la réserve permet à l’État agissant unilatéralement et pour son compte de se rendre inopposables certaines dispositions de ce traité. Elle illustre parfaitement la logique d’intersubjectivité qui anime l’ordre juridique international.
Dans un guide pratique non contraignant, la CDI a dégagé des critères objectifs dont la finalité est de limiter l’usage abusif des réserves.
A. Position du problème
La technique de la réserve participe du dynamisme des relations internationales en permettant à des États de participer à des traités dont ils resteraient sans doute à l’écart s’ils ne pouvaient pas formuler des réserves. La réserve est une solution médiane entre l’exclusion ou l’inclusion d’un État et permet aux États de moduler l’engagement souscrit.
1) Une solution réaliste
Art. 19 de la Convention de Vienne : Un État, au moment de signer, de ratifier, d'accepter, d'approuver un traité ou d'y adhérer, peut formuler une réserve, à moins :
a) que la réserve ne soit interdite par le traité ;
b) que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvent être faites ; ou
c) que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit incompatible avec l'objet et le but du traité.
2) Une solution attentatoire à l’intégrité du traité
La réserve remet en cause de l’intégrité du traité en établissant un régime propre entre les États qui ont émis des réserves et fait jouer la règle de la réciprocité entre les États qui n’ont pas émis de réserves. Un engagement international assorti de réserves est lourd de conséquences.
B. Régime des réserves
1) Identification des réserves
a) Distinction avec les déclarations interprétatives
Il faut distinguer la réserve et la déclaration interprétative accompagnant l’instrument de ratification du traité. La déclaration interprétative s’entend d’une déclaration unilatérale faite par un État ou une organisation internationale par laquelle elle vise à clarifier le sens ou la portée d’un traité ou de certaines de ces dispositions au moment où elle s’engage à le respecter. Les déclarations interprétatives ne sont pas soumises au régime juridique des réserves car elles ne modifient pas la teneur du traité. Mais elles peuvent constituer des réserves déguisées lorsqu’elles visent à contourner leur régime dans la mesure où elles sont admises même lorsque des réserves sont interdites. En cas de doute, la qualification de déclaration interprétative donnée par un État n’est pas opposable aux autres États qui peuvent y voir une réserve déguisée.
Exemple de déclaration interprétative sur le deuxième protocole additionnel sur Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale.
b) Définition CV 2, §1
La réserve est définie à l’art.2 §1 d) la Convention de Vienne. Aux fins de la présente Convention, l’expression « réserve » s'entend d'une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ;
Le régime est étendu puisqu’il vise les réserves exclusives et les réserves modificatives.
i. Variété : réserves exclusives et réserves modificatives
Les réserves exclusives visent à exclure l’application d’une disposition (alinéa, membre de phrase voire un mot) qui se retrouve réputée non écrite.
Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie
Réserve consignée dans l'instrument de ratification déposé le 3 octobre 2003 : « En application du paragraphe 1 de l'article 21 de la Convention, le Gouvernement de la République française déclare ne pas être lié par l'alinéa a) du paragraphe 1 de l'article 10. »
De même, lorsque la France a, le 21 septembre 1987, déposé son instrument de ratification de la convention européenne pour la répression du terrorisme, elle avait consigné les déclarations suivantes : « Le Gouvernement de la République française déclare qu'il se réserve le droit de refuser l'extradition en conformité avec les dispositions de l'article 13, paragraphe 1, de la convention. Déclarations : 1. La France entend rappeler, conformément à la déclaration qu'elle avait faite lors de la signature de la convention, le 27 janvier 1977, que la lutte à mener contre le terrorisme doit se concilier avec le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre Constitution, laquelle proclame dans son préambule que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République » et que l'application de la convention européenne pour la répression du terrorisme ne saurait avoir pour résultat de porter atteinte au droit d'asile (…) ». En effet, en ce qui concerne la première déclaration, les articles 5 et 8 paragraphe 2 de la convention révisée garantissent indirectement le respect du droit d'asile en empêchant l'usage de la convention à des fins de répression politique ou idéologique.
S’agissant des réserves modificatives, elles donnent à l’avance une interprétation unilatérale des dispositions. En effet, elles se distinguent des déclarations interprétatives car elles vont plus loin en modifiant le sens du traité ou la disposition interprétée. C’est une interprétation audacieuse qui module l’engagement juridique.
Dans son instrument de ratification du protocole additionnel à la Charte sociale européenne, la France a émis une déclaration qui étend le champ territorial d’application du traité en considérant que le présent protocole s’applique au territoire métrpolitain ainsi qu’aux territoires d’Outre-mer.
En outre, la France a consigné le 3 mai 1974 dans son instrument de ratification de l’art.15 de la CESDH une réserve modificative. Cet article autorise des dérogations à certains droits protégés par la Convention en cas de guerre ou de dangers menaçant la vie de la nation. Cela permet aux États de sortir provisoirement du traité pour accroitre leurs marges de manœuvre. En effet, le Gouvernement de la République, émet une réserve concernant le paragraphe 1 de l’article 15 en ce sens que la voie d’ouverture des dérogations de l’article doit être interprété dans un sens compatible avec tous les dispositifs de droit d’exception ou de droit d’urgence de l’ordre juridique français, i.e. l’article 16 de la Constitution relatif aux circonstances exceptionnelles et la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence. Cela élargit les motifs de dérogation tels qu’ils sont énoncés dans l’article 15. Il s’agit d’une réserve modificative parce que le procédé permet à la France de substituer une dérogation totalement discrétionnaire à un système conventionnel de protection permettant de déroger à certains droits de l’homme dans des conditions limitatives.
ii. Nature juridique : acte unilatéral
La définition proposée par la CV ne laisse aucun doute sur la nature juridique de la réserve. La réserve étant un acte unilatéral, elle est soumise au régime des actes unilatéraux (droit général des actes unilatéraux). Il existe deux possibilités. Soit le traité prévoit la possibilité d’émettre des réserves auquel cas il établit les conditions de l’édiction d’une réserve. Dans ce cas, la base légale de la réverse sera la clause du traité. Soit le traité ne prévoit rien, il faudra alors s’intéresser au droit coutumier applicable aux traités. L’effet juridique d’une réserve non prévue dans un traité dépend donc de la réaction de chacune des parties au traité, i.e. la volonté des autres États. Cela veut dire que les réserves aux traités multilatéraux soulèvent la question de savoir dans quelles mesures elles sont admissibles (possible ou non d’émettre des réserves) et valables.
2) Admissibilité (validité) de la réserve
Ici, il s’agit de savoir si la réserve est autorisée indépendamment des effets qu’elle est susceptible de produire. À ce propos, l’art.19 de la Convention de Vienne pose la règle générale.
Article 19 de la Convention de Vienne
Un État, au moment de signer, de ratifier, d'accepter, d'approuver un traité ou d'y adhérer, peut formuler une réserve, à moins :
a) que la réserve ne soit interdite par le traité ;
b) que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvent être faites ; ou
c) que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit incompatible avec l'objet et le but du traité.
Il ressort de cette disposition que la règle générale qui gouverne l’admissibilité des réserves prévoit deux grandes hypothèses : soit le traité règle lui-même la question, soit le traité ne prévoit rien auquel cas la CV reconnait que le droit coutumier n’interdit pas aux États de formuler des réserves. Ainsi, le droit coutumier ne limite la faculté des États parties de formuler les réserves même en l’absence d’autorisation expresse de la faire dans le traité.
a) Hypothèse n°1 : la réserve est autorisée expressément par le traité
Le traité peut autoriser expressément une réserve. Art.14 de la Convention de Tampere 1998 : « au moment de la signature définitive, de la ratification de la présente Convention ou de tout amendement y relatif, ou de l’adhésion à ladite Convention, un État partie peut formuler des réserves. »
Mais le traité peut également interdire des réserves sur la totalité du traité ou sur une partie du traité. On rencontre l’interdiction totale dans les traités relatifs au droit international pénal ou à l’environnement. En effet, ces traités sont conçus comme des ensembles à l’intégrité desquels il ne faut surtout pas toucher à raison de leur objet. Ainsi, lorsqu’existent des divergences d’interprétation, ce sont les États parties au traité qui apprécient à l’aune de leurs propres interprétations si la réserve formulée en dépit de l’existence d’une clause interdisant la réserve sur la totalité ou sur une partie des dispositions a violé ou non une disposition du traité.
Par exemple, l’art.210, Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale (1998): « Le présent Statut n’admet aucune réserve ».
Les traités qui concernent l’environnement interdisent souvent les réserves. Ainsi la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants de 2001 en son article 27 : « Aucune réserve ne peut être faite à la présente Convention ».
b) Hypothèse n°2 : dans le silence du traité, la réserve est autorisée individuellement par chacun des États contractants (CV 19)
Dans le silence du traité, chaque État contractant apprécie pour son propre compte. A contrario, une réserve qui ne serait pas expressément autorisée doit être accepté individuellement par les autres États, chacun appréciant pour son propre compte. Dans certains cas (art.20 §3), il est nécessaire qu’une décision soit objective (opposable à tous les États contractants) parce qu’il serait inconcevable que le traité ne s’applique pas dans des termes identiques aux parties selon qu’elles acceptent ou rejettent la réserve. Dans cas, la réserve est acceptée par une décision objective qui s’impose à tous et est prise par l’organe compétent de l’organisation qui approuve ou rejette la réserve. En dehors de ce cas particulier, il n’existe aucune procédure centralisée de cette sorte. Dans tous les autres cas, la réserve doit être acceptée individuellement par chaque État contractant.
Art.20 de la Convention de Vienne
1. Une éserve expressément autorisée par un traité n'a pas à être ultérieurement acceptée par les autres États contractants, à moins que le traité ne le prévoie.
2. Lorsqu'il ressort du nombre restreint des États ayant participé à la négociation, ainsi que de l'objet et du but d'un traité, que l'application du traité dans son intégralité entre toutes les parties est une condition essentielle du consentement de chacune d'elles à être liée par le traité, une réserve doit être acceptée par toutes les parties.
3. Lorsqu'un traité est un acte constitutif d'une organisation internationale et à moins qu'il n'en dispose autrement, une réserve exige l'acceptation de l'organe compétent de cette organisation.
Il arrive qu’une réserve soit émise par un État A et que l’État B excipe l’objet et le but du traité pour considérer que l’application du traité dans son intégralité est une condition sine qua non et déclare, en ce qui le concerne, la réserve inadmissible. En cas de divergence, chaque État apprécie pour son propre compte.
En l’absence d’un organe impartial habilité à délivrer une appréciation objective opposable à tous les États contractants sur la question, il appartient nécessairement et inévitablement à chaque État d’opérer individuellement cette qualification unilatérale pour son propre compte. Cette appréciation ne vaut que pour l’État lui-même puisqu’elle est inopposable aux autres États contractants. L’incompatibilité d’une réserve avec l’objet et le but du traité est appréciée par chaque État partie.
3) Opposabilité (effets)
a) Possibilité n°1 (rare) : effets prévus par le traité
Il peut arriver que des dispositions du traité règlent les effets juridiques de la réserve. Exemple rare où le traité régit les conséquences d’une objection/acceptation aux réserves. Convention sur la nationalité de la femme mariée de 1957, art. 8 : « 2. Les réserves formulées conformément au paragraphe 1 du présent article n’affecteront pas le caractère obligatoire de la Convention entre l’État qui aura fait les réserves et les autres États parties, à l’exception de la disposition ou des dispositions ayant fait l’objet des réserves. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies communiquera le texte de ces réserves à tous les États qui sont ou qui peuvent devenir parties à la présente Convention. Chaque État partie à la Convention ou qui devient partie à la Convention pourra notifier au Secrétaire général qu’il n’entend pas se considérer comme lié par la Convention à l’égard de l’État qui a fait des réserves. (…) Au cas où une telle notification aura été faite, la Convention ne sera pas applicable entre l’État auteur de la notification et l’État qui aura fait des réserves. »
b) Possibilité n°2 (plus fréquente) : dans le silence du traité, les effets dépendent de la réaction individuelle de chaque État partie (CV 20)
Art.20, § 4 et 5 de la Convention de Vienne
« 4. Dans les cas autres que ceux visés aux paragraphes précédents et à moins que le traité n'en dispose autrement :
a) l'acceptation d'une réserve par un autre État contractant fait de l'État auteur de la réserve une partie au traité par rapport à cet autre État si le traité est en vigueur ou lorsqu'il entre en vigueur pour ces États ;
b) l'objection faite à une réserve par un autre État contractant n'empêche pas le traité d'entrer en vigueur entre l'État qui a formulé l'objection et l'État auteur de la réserve, à moins que l'intention contraire n'ait été nettement exprimée par l'État qui a formulé l'objection ;
c) un acte exprimant le consentement d'un État à être lié par le traité et contenant une réserve prend effet dès qu'au moins un autre État contractant a accepté la réserve.
5. Aux fins des paragraphes 2 et 4 et à moins que le traité n'en dispose autrement, une réserve est réputée avoir été acceptée par un État si ce dernier n'a pas formulé d'objection à la réserve soit à l'expiration des douze mois qui suivent la date à laquelle il en a reçu notification, soit à la date à laquelle il a exprimé son consentement à être lié par le traité, si celle-ci est postérieure. »
Il ressort de l’art.20 CV que le droit général prévoie une acceptation et une objection. Il existe deux objections. D’un côté, l’objection simple consiste à refuser simplement l’opposabilité de la réserve mais elle ne remet pas en cause l’intégralité de l’engagement souscrit par l’État émetteur de la réserve. De l’autre côté, l’objection aggravée consiste à refuser la réserve et tout effet juridique de l’engagement conventionnel de l’État émetteur de la réserve.
Art.21 de la Convention de Vienne
1. Une réserve établie à l'égard d'une autre partie conformément aux articles 19, 20 et 23 :
a) modifie pour l'État auteur de la réserve dans ses relations avec cette autre partie les dispositions du traité sur lesquelles porte la réserve, dans la mesure prévue par cette réserve ; et
b) modifie ces dispositions dans la même mesure pour cette autre partie dans ses relations avec l'État auteur de la réserve.
2. La réserve ne modifie pas les dispositions du traité pour les autres parties au traité dans leurs rapports inter se.
3. Lorsqu'un État qui a formulé une objection à une réserve ne s'est pas opposé à l'entrée en vigueur du traité entre lui-même et l'État auteur de la réserve, les dispositions sur lesquelles porte la réserve ne s'appliquent pas entre les deux États, dans la mesure prévue par la réserve. »
Par le jeu des réserves, l’auteur de l’engagement peut moduler le contenu de son propre engagement.
§4. Entrée en vigueur
L’entrée en vigueur est le stade final de l’engagement conventionnel. C’est le moment où il devient efficace et opposable à son titulaire. Elle rend exigibles les obligations que contient le traité et rend le traité valablement invocable.
A. Entrée en vigueur internationale
Il faut distinguer l’entrée en vigueur dans l’ordre juridique international et dans l’ordre national. L’entrée en vigueur dans l’ordre juridique international désigne le moment où le traité produit des effets juridiques dans l’ordre juridique international. Le traité peut prévoir son application immédiate dès l’étape de la conclusion du traité. Dans ce cas, les États contractants deviennent instantanément parties aux traités. C’est le cas des engagements bilatéraux qui prévoient une entrée en vigueur très rapide consécutive à la conclusion du traité. Mais le traité peut prévoir son application différée.
On distingue également l’entrée en vigueur du traité (entrée en vigueur objective) et l’entrée en vigueur du lien conventionnel (entrée en vigueur subjective). L’Accord de Paris prévoit ces deux sortes d’entrée en vigueur.
Art.21 §1 et 3 de l’Accord de Paris
1. Le présent Accord entre en vigueur le trentième jour qui suit la date du dépôt de leurs instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion par au moins 55 Parties à la Convention qui représentent au total au moins un
pourcentage estimé à 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
3. À l'égard de chaque État ou organisation régionale d'intégration économique qui ratifie, accepte ou approuve l'Accord ou y adhère une fois que les conditions requises pour l'entrée en vigueur énoncées au paragraphe 1 du présent article ont été remplies, le présent Accord entre en vigueur le trentième jour qui suit la date du dépôt par cet État ou cette organisation de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion.
1) L’entrée en vigueur objective
L’entrée en vigueur objective de l’accord de Paris ne survient qu’à la réunion de certaines conditions. L’accord pose deux conditions (quantitative et qualitative) : 55 parties à la Convention qui représentent 55% des pollueurs. L’idée est que le traité ne vaut la peine que si un nombre suffisant d’États se le rendent opposables. Ainsi, les États les plus rapides pourront s’engager sans craindre d’être au bout de la chaîne les seuls à souscrire de tels engagements.
Certaines conventions vont encore plus loin que l’Accord de Paris et exigent un engagement absolu des États. C’est le cas du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui exige l’engagement de tous ou personne.
2) L’entrée en vigueur subjective
L’entrée en vigueur subjective intervient au moment où d’autres États s’engagent après l’entrée en vigueur objective. Lorsqu’un État ratifie le traité avant son entrée en vigueur objective, il ne lui sera applicable qu’après la ratification par le nombre de contractants requis pour ladite entrée en vigueur objective. Par exemple, l’accord de Paris ne sera applicable à l’Albanie, bien qu’elle l’ait ratifié avant son entrée en vigueur, qu’à compter de l’engagement des 55 États parties. Les dispositions du traité seront alors exigibles à son égard. Quant à l’Afghanistan qui a ratifié le traité à un moment où il était déjà applicable (entré en vigueur), l’acquisition de la qualité de partie résulte de son consentement à être lié. Concrètement, l’Afghanistan a envoyé son instrument de ratification le 15 février 2017 soit après l’entrée en vigueur objective. Pour lui, le traité entrera en vigueur 30 jours plus tard soit le 17 mars 2017.
B. L’entrée en vigueur dans l’ordre juridique interne
L’entrée en vigueur dans l’ordre juridique interne correspond au moment où l’engagement international déploie ses effets dans l’ordre interne et peut être invoqué devant tout agent interne de l’exécution du droit (notamment les juridictions internes).
1) Position du problème
L’entrée en vigueur sur l’ordre juridique international emporte-t-il automatiquement applicabilité en droit interne ? Les ordres juridiques sont-ils poreux ?
Théoriquement, il existe deux manières de comprendre les rapports entre le droit international et le droit interne : la vision moniste et la vision dualiste.
a) Vision moniste : incorporation automatique
La première vision, appelée moniste, est celle qui consiste à répondre positivement à la question de l’incorporation automatique du traité dans l’ordre interne. Il n’existe pas de différence de nature entre ordre juridique nationale et ordre juridique international, le tout formant un bloc.
La vision moniste se décline en deux tendances. D’une part, le monisme positiviste qui reconnait la différence entre droit international et droit interne et qui considère que les normes sont de même nature dans la mesure où le droit vise à régler les rapports entre les personnes humaines. Il existerait simplement une différence de degré. Unis par leur objet, ils sont également unis par ce qui fonde leur validité (l’État). Pour les partisans de la cette vision moniste positiviste, ce n’est pas l’État mais la communauté internationale définie comme une nécessité sociale qui fonde la validité du droit international.
D’autre part, la tendance moniste normativiste considère qu’il n’y a absolument aucune différence entre droit interne et droit international ni même une différence de degré. À ce titre, Hans Kelsen postule l'impossibilité de deux ordres juridiques : il faut un même objet et un même fondement de validité. Le moniste normativiste considère que deux ordres juridiques ne peuvent coexister.
b) Vision dualiste : incorporation par naturalisation
La vision dualiste est l’opposé de la vision moniste. Elle défend la thèse d’une incorporation par naturalisation. Elle rejette cette continuité entre droit interne et droit international. Hans Strippel affirmait que « ordre interne et droit international sont deux cercles qui sont en contact intime mais qui ne se superposent jamais » parce qu’ils cloisonnés par leurs objets et leur sphère de validité. Pour lui, chacun a un domaine naturel. Le système international repose sur la volonté des États tandis qu’en droit interne, la validité des actes s’enracine dans la constitution nationale. La constitution nationale est indifférente à la condition des constitutions des autres États. Un même comportement peut être illicite dans l’ordre international et licite en droit interne. Aux yeux de l’ordre international, le droit interne n’est pas du droit mais un fait de l’État.
Il existe deux façons d’incorporer le droit international dans l’ordre interne : la réception ou la transposition. On parle de réception lorsque l’acte interne reprend le même contenu que l’engagement international. On parle de transposition lorsque le droit international exige la modification des dispositions de droit interne avant d’être incorporé.
2) Solutions du droit positif
Il ressort du droit positif que le droit international ne peut être enfermé ni dans une vision purement dualiste ni dans une vision purement moniste.
a) Indifférence du droit international (CV 27)
L’art.27 CV énonce une règle coutumière selon laquelle un État partie à un traité ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant l’inexécution de son traité. Il ne saurait être tenu compte du droit interne.
Dans la vision moniste et de l’incorporation automatique, il existe des dispositions en droit interne opérant comme une clause générale de réception. C’est le cas de l’art.55 de la Constitution pour les conventions internationales. Mais dans d’autres systèmes régis par la vision dualiste, les États doivent adopter, au cas par cas, des textes spéciaux qui transposent ou réceptionnent des traités. C’est le cas du Royaume-Uni ou de l’Italie.
b) Règles d’incorporation en droit français (art. 55 Constitution)
3 conditions doivent être respectées. Elles sont posées à l’art.55 de la Constitution. C’est l’acquisition de la qualité de partie par la France à un engagement international qui conditionne son incorporation automatique dans le droit français.
D’abord, il faut que la procédure interne soit régulière. Le CE vérifie que l'autorisation parlementaire a été accordée conformément à l’article 53 de la Constitution. Ensuite, il faut que le traité soit publié au Journal officiel pour être opposable en droit interne. Même s’il est publié par décret, le traité n’a pas une valeur réglementaire. Enfin, il faut remplir la condition de réciprocité qui joue inégalement. De nombreux engagements sont souscrits sans condition de réciprocité. Pour ce type de traité, aucun État ne peut se prévaloir de l’irrespect par d’autres États. Ce moyen est inopérant. Pendant longtemps, on considérait que la vérification de cette condition ne relevait pas de l’office du juge. Généralement, le juge saisissait le ministère des affaires étrangers de la question. Mais la CEDH a jugé cette pratique contraire à l’article 6 CESDH qui garantit le droit au procès équitable puisque le juge ne faisait qu’enregistrer la position délivrée par le ministre sans contradictoire (CEDH, 13 février 2003, Chevrol) Désormais, le juge doit vérifier lui-même si la condition de réciprocité est remplie avant d’appliquer le traité (CE, Ass.,10 juillet 2010, Cheriet-Benseghir)
SECTION II : La vie des traités
§1 – Effets dans l’ordre international
Réseau d’engagements intersubjectifs, les traités ne sont donc pas des bulles insécables. Un traité ne déploie ses effets qu’entre ceux qu’il lie. Selon l’art.34 CV, le traité ne déploie ses effets qu’entre les parties. C’est le principe de l’effet relatif. Mais ce principe souffre quelques tempéraments.
§2 – Effets dans l’ordre interne (cas français)
La question est de savoir la valeur juridique des traités dans l’ordre interne. Selon Le Robert, la valeur se définit comme « la qualité de ce qui produit l’effet souhaité ». Elle est intrinsèquement liée aux effets. Les effets sont liés à la valeur juridique attribués aux engagements. La question est souvent réglée au niveau constitutionnel.
A. Position du problème : nécessaire exécution du droit international et autonomie des systèmes
Le droit interne est un pur fait aux yeux du droit international et ne peut être un motif d’inexécution par l’État partie de ses obligations conventionnelles. La notion de primauté renvoie au conflit de normes au sein d’un même ordre juridique notamment entre le niveau fédéral et le niveau fédéré. Or, elle est souvent utilisée dans une hypothèse où il n’existe pas de conflits de normes. Il est plus approprié de parler de la nécessaire exécution du droit international indépendamment des conséquences sur le droit interne. Le droit international laisse aux États une entière latitude sur les moyens dont ils entendent s’acquitter de leurs obligations internationales.
B. Le cas du droit français
Pour dterminer l’effet d’un engagement international de la France, il est fait application de l’article 55 de la Constitution à condition que l’engagement souscrit soit d’effet direct.
1) Valeur supralégislative des engagements internationaux (primauté constitutionnelle des engagements internationaux, art. 55 Constitution)
Ici, on parle de la supériorité des traités sur les lois. La valeur supralégislative des engagements internationaux découle de l’art.55 de la Constitution. Dans ce cas, il n’est pas impropre de parler de primauté du droit international puisqu’elle est décidée par la Constitution elle-même. L’art.55 de la Constitution pose la primauté des engagements internationaux sur les lois si les conditions de leur incorporation sont respectées.
Le juge administratif vérifie que l’engagement international a bien été correctement incorporé dans l’ordre juridique interne. Il s’agit de la condition sine qua non des effets supra législatifs de la convention internationale. Il en résulte qu’en cas de conflit entre un traité ou accord souscrit par la France et une loi, l’application stricte de l’art.55 conduit le juge français à écarter le jeu de la loi française au profit de l’engagement international. Il le fait en application de la Constitution et non pas en application du droit international.
CC, 15 janvier 1975, Loi sur l’interruption volontaire de grossesse : le CC considère qu’il ne lui appartient pas de vérifier la conformité de la loi au traité. Par son refus de contrôler la conformité des lois au traité, le CC confiait implicitement aux juges ordinaires le soin de faire prévaloir le traité sur la loi.
Cass, 24 mai 1975, Cafés Jacques Vabres : la Cour de cassation répond à l’appel du CC en faisant prévaloir le traité de Rome sur une loi ultérieure contraire.
Le CE a longtemps refusé de consacrer la primauté du traité sur la loi. Il se contentait de placer traité et loi sur le même plan et faisait simplement prévaloir le plus récent. Pour lui, si un traité postérieur contredit une loi plus ancienne, à travers le traité, le législateur a manifesté une nouvelle volonté. Il raisonnait de la même façon pour une loi intervenue après un traité. Cette position n’était pas conforme à l’article 55 de la Constitution. Le CE a donc opéré un revirement sa jurisprudence par son arrêt Nicolo.
CE, As., 20 octobre 1989, Nicolo : le CE ouvre la voie à une jurisprudence foisonnante relative au contrôle de conventionnalité avec la mise à l’écart de la loi contraire au traité même postérieure. En revanche, les juridictions n’ont cessé de réaffirmer que les traités ont une valeur infra-constitutionnelle.
CE, Koné, 1996 : une convention internationale doit être interprétée conformément au PFRLF selon lequel l’extradition ne doit pas être demandée dans un but politique.
CE, 1998, Sarran et Levacher : la suprématie accordée aux traités sur les lois ne s’applique pas aux dispositions internes de nature constitutionnelle.
Seule la Constitution est de nature à opérer une intégration des normes conventionnelles dans l’ordre juridique interne. Il en résulte deux ordres juridiques distincts dont la hiérarchie est propre à chacun.
2) Conditions supplémentaires d’invocabilité des engagements internationaux (effet direct)
Les engagements internationaux, une fois incorporés dans le droit interne, doivent être d’effet direct pour pouvoir être valablement invoqués devant le juge. Parfois, la simple réception (translation par un vecteur juridique) ne suffit pas, d’où l’intervention occasionnelle d’une transposition (modification du droit interne). D’abord, certaines dispositions formulées vaguement ne sont pas de nature à créer des obligations ni pour les États parties ni pour les individus. De plus, d’autres ne comportent que des obligations interétatiques. Enfin, d’autres prévoient l’adoption préalable de mesures internes d’application et ne sont pas immédiatement obligatoires. Les dispositions pourvues d’effet direct sont celles qui sont rédigées dans des termes précis et qui s’adressent directement aux particuliers. Elles sont à ce titre invocables devant le juge.
CE, Sect., 1997, GISTI : les particuliers peuvent-ils se prévaloir directement des dispositions sur la Convention sur les droits des enfants ? Pour y répondre, il faut se référer l’intention exprimée par les parties, l’économie générale du traité ainsi que son contenu et ses termes. Une disposition d’un traité est d'effet direct si, aux yeux du juge français, il ressort elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert pas l'intervention d'un acte réglementaire pour son application aux particuliers.
CE, Ass., 2012, GISTI – FAPIL : pour apprécier l’effet direct de la règle, le juge prend en compte l’objet et le caractère opérationnel de l’engagement international.
Par exemple, un grand nombre de dispositions de la Charte sociale européenne ont longtemps été considéré sans effet direct. Or la jurisprudence a évolué et semble faciliter désormais l’incorporation de tels dispositifs.
SECTION III : La mort des traités
Le régime de la fin des traités se trouve codifié dans la partie V de la CV. La mort du traité peut prendre la forme d’une terminaison (retrait ou extinction) mais peut résulter également d’une nullité.
§1. Retrait et extinction
L’extinction est toujours une possibilité pour l’État ou l’organisation qui s’est engagé par le passé de se libérer des rigueurs de son engagement et de son exécution. Il peut retirer son engagement à l’égard d’une partie ou de toutes les parties. L’État qui retire son engagement devient tiers à l’engagement international.
En coutume internationale, on distingue le retrait de la dénonciation mais ce sont des termes équivalents, car on permet à l’État dans les deux cas de mettre fin à son engagement. On parle de retrait pour un traité bilatéral ou de dénonciation pour un traité multilatéral. Néanmoins, en cas de traité bilatéral, on peut parler de dénonciation lorsque l’opération juridique entraîne la disparition de l’acte. Le retrait est attaché à un engagement en particulier alors que la dénonciation affecte le traité dans son intégralité. Il s’agit d’une même opération juridique.
Le régime de l’extinction peut être prévu par le traité lui-même dans ses clauses finales. Dans le silence du traité, on applique le droit coutumier. Selon l’art.56 CV, l’engagé peut toujours éteindre son engagement en invoquant un certain nombre de motifs prévus par la coutume. Il existe 3 motifs coutumiers pouvant justifier l’extinction d’un traité. L’extinction d’un traité peut résulter de la conséquence de sa violation substantielle par l’autre partie (art.60 CV), de la survenance d’une situation rendant impossible l’exécution du traité (art.61 CV) ou d’un changement fondamental de circonstances (art.62 CV).
S’agissant de la procédure d’extinction, elle est généralement unilatérale. La clause d’extinction dans les clauses finales du traité peut permettre à l’une des parties de retirer son engagement par notification de sa décision aux autres parties au traité. Selon les traités, la décision peut prendre effet immédiatement ou de façon différée. Ce délai sert à laisser aux parties au traité le temps de réagir et notamment de vérifier si les conditions de forme ou de fond sont respectées. En effet, le retrait n’est valable que si ces conditions sont respectées. Le délai entre l’envoi de la décision et l’extinction du traité joue comme un moratoire.
Dans le silence du traité, l’art.65 CV indique la procédure à suivre concernant l’extinction ou le retrait d’une partie en plusieurs temps. D’abord, la partie qui invoque un motif doit notifier sa prétention aux autres parties en indiquant les raisons de celle-ci. À compter de la notification, à partir d’un certain délai sans objection, l’acceptation est tacite. Si une objection est soulevée, les parties devront rechercher une solution à leur différend.
Article 65 de la Convention de Vienne
Procédure à suivre concernant la nullité d ’ un traité, son extinction, le retrait d ’ une partie ou la suspension de l’application du traité
1. La partie qui, sur la base des dispositions de la présente Convention, invoque soit un vice de son consentement à être liée par un traité, soit un motif de contester la validité d’un traité, d’y mettre fin, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application, doit notifier sa prétention aux autres parties. La notification doit indiquer la mesure envisagée à l’égard du traité et les raisons de celle-ci.
2. Si, après un délai qui, sauf en cas d’urgence particulière, ne saurait être inférieur à une période de trois mois à compter de la réception de la notification, aucune partie n’a fait d’objection, la partie qui a fait la notification peut prendre, dans les formes prévues à l’article 67, la mesure qu’elle a envisagée.
3. Si toutefois une objection a été soulevée par une autre partie, les parties devront rechercher une solution par les moyens indiqués à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies.
L’art.70 règle les effets de l’extinction. L’extinction libère les parties de l’obligation de continuer d’exécuter le traité. Elle n’a pas d’effet rétroactif (opère ex nunc). Les situations acquises demeurent inchangées au nom du principe de la sécurité.
§2. Nullité
En droit international comme en droit interne, le constat d’une nullité fait disparaitre l’acte de l’ordonnancement juridique. La nullité produit un effet ex tunc. Les causes de nullité, codifiées dans la CV, peuvent être divisées en 2 groupes. D’une part, les vices qui affectent la procédure conventionnelle (validité externe du traité) et qui conduisent à la nullité de l’engagement. D’autre part, les vices qui affectent la validité interne (contenu du traité) du traité et conduisent à la nullité du traité.
A. Vue d’ensemble des motifs de nullité
1) Les vices du consentement
Les vices du consentement sont l’erreur (art. 48 CV, rarement reconnue en pratique), le dol (art.49 CV, conduite frauduleuse d’un État négociant), la corruption du représentant d’un État (art.50 CV), la contrainte exercée sur le représentant d’un État ou sur l’État lui-même par la menace ou par l’emploi de la force (art.52 CV). La CV ne régit pas la situation où un État adhère au traité sans l’avoir négocié.
Si un négociateur a connaissance d’une corruption mais ne le fait pas connaître aux adhérents, que se passe-t-il ?
2) L’excès de pouvoir
L’excès de pouvoir est prévu à l’art.46 CV. Même lorsque la procédure interne d’un engagement international n’avait pas été respectée, l’excès de pouvoir n’est pas caractérisé puisque le droit interne constitue un fait en droit international. Mais en cas de violation manifeste d’une règle interne d’importance fondamentale, on peut opérer un équilibre entre la bonne foi du coconractant et l’intérêt attaché au respect de la procédure nationale.
L’art.47 CV recouvre l’hypothèse du dépassement de compétence et souligne l’importance de communiquer les pleins pouvoirs au cocontractant.
B. Procédure
1) Nullité relative (CV 65 et 67)
Toutes ces hypothèses conduisent à des nullités relatives. Chaque État ne peut invoquer que la nullité de son propre engagement et non du traité tout entier (ensemble des réseaux d’engagements).
2) Nullité absolue : contrariété au jus cogens (CV 53 et 64)
La nullité du traité peut résulter de la contrariété aux règles du ius cogens. Le jus cogens est une institution correspondant à l’hypothèse des contrats de droit interne contraire aux bonnes mœurs ou aux règles de l’ordre public. Cependant, dans l’ordre juridique international, la transplantation de cette institution est fortement discutée parce que la notion d’ordre public international est vague. Aucun traité ne définit une telle notion.
Ce sujet a été très controversé au moment des discussions engagées par les États à Vienne sur les travaux de la CDI sur la codification du droit coutumier. Plusieurs États reconnaissent l’existence d’un ordre public international mais la France est un peu réticente et considère que le ius cogens est une erreur grossière. La France n’est pas partie à la Convention de Vienne car elle considère que l’institution ius cogens est purement théorique sans consistance juridique dans l’ordre international. Le risque couru est que certains États puissent l’utiliser comme prétexte pour servir leurs intérêts et lui donner un contenu qui est favorable à leurs intérêts nationaux actuels.
La doctrine considère que le ius cogens est difficilement conciliable avec l’absence d’une autorité supérieure qui serait garante de l’ordre public international et dont les décisions s’imposeraient aux États.
L’état du droit positif peut être résumé en 3 propositions.
D’abord, les décisions juridictionnelles postérieures à 1969 admettent de façon constante et abondante l’existence de certains principes fondamentaux du droit international. Dans ses jugements, le juge international considère qu’il existe des principes d’ordre public relevant du droit impératif notamment en matière interdiction du génocide (TPI pour l’ex-Yougoslavie, 10 décembre 1998, Procureur c. Anto Furundžija ou encore TPI, 2006, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête)
Ensuite, en pratique, cependant, ces jurisprudences sont intervenues en contentieux de la responsabilité sans tirer les conséquences sur le droit des traités. Aucun traité n’a été annulé dans une action en nullité sur le fondement du ius cogens.
Enfin, un examen attentif de la jurisprudence permet de détecter l’utilisation de l’ordre public international, non pas pour invalider le traité mais pour écarter certains effets du traité pour contrariété à une règle considérée comme impérative. Par exemple, l’exécution d’un traité d’extraction conduit à exposer la personne extradée à des traitements inhumains et dégradants. En ce cas, l’État débiteur de l’obligation d’extradition se trouve à la fois confronté au traité d’extradition et à un autre traité auquel il est partie et qui interdit l'exposition à de tels traitements. C’est ainsi que la CEDH a retenu l’interdiction des traitements inhumains pour écarter l’application d’un traité d’extradition (CEDH, 1989, Serring c. Royaume-Uni).
CHAPITRE II : PRODUCTION COUTUMIÈRE
L’art.38 du Statut de la CIJ détermine le droit applicable par la cour. Il énonce les sources du droit international public. La coutume est définie comme la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit. Les éléments constitutifs de la coutume sont la pratique (élément matériel) et l’acceptation (l’élément volontaire ou opinio juris). Parler de la coutume, c’est dire comment la répétition d’un même fait se transforme en norme juridique.
SECTION I : Élément matériel : la « pratique »
Le mot « pratique » (appartient au monde) du droit et désigne un élément matériel déjà saisi par le droit. Que se passe-t-il avant la pratique ? À l’origine, la coutume était un fait. Il faut qualifier un fait constitutif d’une pratique au sens du droit international. Tous les faits ne nous intéressent pas.
§1. Au commencement, était un fait
Les États qui s’abstiennent d’envoyer leurs véhicules militaires chez leur voisin est un fait. On s’intéresse aux faits qui constituent des précédents. Les critères peuvent tenir à l’auteur du précédent (l’État et non les conducteurs de véhicule) et à la nature du précédent (action ou omission).
A. L’auteur du précédent : l’État ou l’organisation international
Pour être pertinent aux fins des règles coutumières, le précédent doit être imputé à un sujet producteur de droit international qu’il s’agisse d’un État ou d’une organisation internationale. La conduite des sujets internes n’est juridiquement pas pertinente pour apprécier la formation de la coutume internationale.
Certains auteurs disent que la coutume est un mode spontané de formation du droit par opposition au mode volontaire. Mais si le précédent est nécessairement imputé à un sujet institué de droit international alors le caractère spontané s’estompe au profit du caractère volontaire. Cette idée est bien exprimée dans l’article de Serges Sur : « le milieu interne est individu ou défini, les sujets… »
De plus, pour prouver l’existence d’une coutume, l’auteur du précédent peut être singulier (tout seul) i.e. que le précédent est imputable à un seul État.
Mais l’auteur du précédent peut être une organisation internationale.
CIJ, Avis, 1971, affaire Namibie : la CIJ relève que l’art.27 de la Charte des Nations Unies exige que les résolutions du Conseil de sécurité soient adoptées, pour les questions substantielles, par le vote affirmatif de la majorité de ses membres dans lequel sont comprises toutes les voix des membres permanents. La CJI consacre une coutume selon laquelle l’abstention d’un membre permanent ne vaut pas veto. Dans la pratique du CS, le vote favorable des 5 membres permanents n’est pas requis puisque l’abstention d’un membre permanent n’est pas comptabilisée comme un vote négatif, ne vaut pas veto. La CIJ précise «les débats qui se déroulent au Conseil de sécurité depuis de longues années prouvent abondamment que la pratique de l'abstention volontaire d'un membre permanent a toujours et uniformément été interprétée, à en juger d'après les décisions de la présidence et les positions prises par les membres du Conseil, en particulier par les membres permanents, comme ne faisant pas obstacle à l'adoption de résolutions. L'abstention d'un membre du Conseil ne signifie pas qu'il s'oppose à l'approbation de ce qui est proposé ; pour empêcher l'adoption d'une résolution exigeant' l'unanimité des membres permanents, un membre permanent doit émettre un vote négatif. La procédure suivie par le Conseil de sécurité, qui est demeurée inchangée après l'amendement apporté à l'article 27 de la Charte en 1965, a été généralement acceptée par les Membres des Nations Unies et constitue la preuve d'une pratique générale de l'organisation » (§22). Une organisation peut donc participer par son comportement à la constitution d’un précédent qui servira de base à une coutume.
B. La nature du précédent : action ou omissio
Le précédent n’est pas forcément un comportement actif. Le défaut de réaction au comportement d’un État ou d’une organisation, la tolérance, les permissions accordées même tacitement, le défaut d’intervention, autant d’actes d’omission, sont des précédents susceptibles de constituer une pratique aux fins de la formation d’une règle coutumière.
C. La nature conventionnelle du précédent
Les accords internationaux peuvent-ils être interprétés comme un précédent ? En droit des investissements, il existe plus de 3000 traités bilatéraux qui ont des contenus parfois très proches. Peut-on y voir une coutume ? Deux réponses sont possibles. La réponse peut être positive et conduire à considérer qu’il s’agit d’une pratique pertinente aux fins de la formation d’une coutume. Mais, d’autre part, la réponse peut être négative puisque si les États éprouvent le besoin de conclure des traités sur le sujet, cela constitue bien la preuve qu’ils ne considèrent pas que le traité représente une règle coutumière sinon ils ne le concluraient pas. La jurisprudence a apporté des éléments de réponse qui permettent non pas de trancher la question mais d’alimenter la réflexion.
CIJ, 2007, Amadou Sadio Diallo, Exception préliminaire, Guinée contre RCD : la CIJ dit que la nature conventionnelle d’un comportement ne peut pas être un précédent constitutif d’une coutume (§90).
Néanmoins, il est possible de tirer des relations entre pratique conventionnel et précédents ayant valeur de preuve de coutume. Par exemple, la Charte des Nations Unies et les Conventions de Genève ont joué un rôle dans la formation de la coutume. À l’origine des droits conventionnels, certains de leurs principes s’imposent en tant que règles de droit coutumier.
CIJ, 1986, Activités militaires et paramilitaires, Nicaragua c. États-Unis : le principe d’interdiction du recours à la force armée introduit dans l’ordre international par l’art.2§4 de Charte des Nations Unies est devenue une règle coutumière.
§2. Puis le « précédent » se transforma en « pratique »
Parler de pratique c’est parler de qualification juridique. Le précédent se transforme en pratique par le jeu de la répétition cohérente, généralisée et permanente.
A. La répétition cohérente
La cohérence de la pratique signifie une certaine similitude des précédents. Pour l’apprécier, il faut s’intéresser au cas par cas, i.e. à l’aune de l’État qui invoque la pratique. Si le sujet considéré a adopté des précédents contradictoires et incohérents avec les uns et les autres, s’il y a des fluctuations voire des simples hésitations. Dans ce cas, le passage du précédent à la pratique ne peut se réaliser. C’est la preuve que sa politique juridique extérieure n’est pas fixée. Faute de volonté claire de ce sujet, sa conduite ne peut constituer une pratique cohérente aux fins d’établissement d’une règle coutumière.
Mais cette exigence n’est pas rigide. En effet, dans son jugement sur l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la CIJ indique qu’« elle (la Cour) ne pense pas que, pour qu'une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l'existence de règles coutumières, que les États y conforment leur conduite d'une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d'une règle nouvelle. Si un État agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela que l'attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur cette base » (§186).
On utilise la méthode des faisceaux d’indices. Si la tendance est générale, un seul contre-exemple n’est pas suffisant à déduire que l’exigence de cohérence n’est pas remplie.
B. La répétition générale
La pratique doit concerner toute une collectivité de sujets. Le critère de la généralité ne veut pas dire que, pour faire le basculement, il soit nécessaire que tous les États du monde l’adoptent. Il est simplement nécessaire que les États et organisations internationales les plus représentatifs de la position des sujets internationaux adoptent ses précédents cohérents. Le régime juridique de la délimitation des frontières maritimes est essentiellement coutumier et ce sont les États qui ont des frontières maritimes qui sont concernés.
La pratique est générale si elle concerne l’ensemble de la collectivité à laquelle elle s’adresse. Par conséquent, il existe des coutumes régionales ou bilatérales.
CIJ, 20 février 1969, Affaire du plateau continental de la mer du Nord (§73 et §74)
73. « En ce qui concerne les autres éléments généralement tenus pour nécessaires afin qu'une règle conventionnelle soit considérée comme étant devenue une règle générale de droit international, il se peut que, sans même qu'une longue période se soit écoulée, une participation très large et représentative à la convention suffise, à condition toutefois qu'elle comprenne les États particulièrement intéressés. S'agissant de la présente affaire, la Cour constate que, même si l'on tient compte du fait que certains des États ne peuvent participer à la Convention de Genève ou, faute de littoral par exemple, n'ont pas d'intérêt à y devenir parties, le nombre des ratifications et adhésions obtenues jusqu'ici est important mais n'est pas suffisant. On ne saurait s'appuyer sur le fait que la non-ratification puisse être due parfois à des facteurs autres qu'une désapprobation active de la convention en cause pour en déduire l'acceptation positive de ces principes : les raisons sont conjecturales mais les faits demeurent.
74. En ce qui concerne l'élément de temps, la Cour constate qu'il y a actuellement plus de dix ans que la Convention a été signée et moins de cinq ans qu'elle est entrée en vigueur (juin 1964); lorsque la présente affaire a été introduite, il y en avait moins de trois; enfin moins d'un an s'était écoulé lorsque les négociations bilatérales tendant à une délimitation complète entre la République fédérale et les deux autres Parties ont échoué sur la question de l'application du principe de l'équidistance. Bien que le fait qu'il ne se soit écoulé qu'un bref laps de temps ne constitue pas nécessairement en soi un empêchement à la formation d'une règle nouvelle de droit international coutumier à partir d'une règle purement conventionnelle à l'origine, il demeure indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu'il ait été, la pratique des États, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et se soit manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu'une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu ».
C. La répétition permanente
La permanence s’intéresse à la durée de la répétition. Dans l’ordre juridique international, la permanence de la pratique s’apprécie plus largement qu’en droit interne. En droit anglais, les juges sont exigeants sur la durée dans laquelle doivent s’inscrire les précédents généraux pour faire le basculement de la qualification de pratique. La jurisprudence internationale n’exige pas une pratique immémoriale ni une durée particulière de répétition pour reconnaitre l’existence d’une pratique. De même, dans l’ordre juridique international, il existe des coutumes spontanées pour désigner le faible nombre d’années qu’il a fallu aux États de basculer, par leurs pratiques concordantes, vers la qualification de coutume.
Si toutes ces 3 conditions sont réunies, la pratique sera qualifiée de coutume.
SECTION II : Élément volontaire : l’« acceptation comme étant le droit »
§1. Nature de l’acceptation : volonté de créer une norme juridique ou conscience d’obéir à une nécessité sociale
Selon Serges Sur, l’élément volontaire est le passeport de la normativité. La thèse de la coutume spontanée correspond à la conception objectiviste qui voit dans la pratique un témoignage de la conscience d’obéir à la nécessité sociale. Si les acteurs juridiques adoptent des comportements à répétition, c’est qu’ils sont mus par une conscience d’obéir à une règle de droit. Ils pensent agir dans le sens de ce qu’ils doivent faire. Cette vision repose sur une extrapolation dans l’ordre juridique international d’une analyse qui vient du droit administratif français sous la plume de Léon Duguit. Pour Duguit, les États acceptent la règle parce qu’elle reflète ce qui est socialement utile. C’est à l’extérieur du sujet international qu’il faut regarder la raison d’être du comportement constitutif de la pratique.
La motivation qui sous-tend cette conception est louable notamment en matière des droits de l’homme ou de la protection de l’environnement. Elle permettrait de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises pratiques selon le critère de la nécessité sociale.
Quoique séduisante et louable, cette vision peut faire l’objet de deux objections. En premier lieu, l’objection peut être d’ordre moral (qui et au nom de quoi, peut s’arroger le pouvoir de dire ce qu’est une nécessité sociale ?) Les États les plus puissants pourront dicter aux États les plus faibles leur conception de nécessité sociale. En second lieu, l’objection peut être d’ordre intellectuel et concerner la théorie du droit selon laquelle le droit est ce qu’il est et non ce qu’il devrait être. Cela peut conduire au rejet de la conception objectiviste de la coutume internationale.
Cette conception se heurte à un inconvénient. En effet, comment expliquer l’élément psychologique i.e. que des États aient pu jadis adopter un comportement ayant conscience de se conformer à une obligation à une époque où cette règle n’existait pas ? Elle est idéaliste mais difficilement compatible avec la diplomatie internationale et se heurte à la façon dont les États et organisations internationales conduisent leur activité diplomatique. Par exemple, le département des affaires juridiques du MAE a pour mission de scruter tous les éléments de politique étrangère de la France, de surveiller les précédents imputables à la France. De même le Guide des négociations d’Issa Bado est une collecte des pratiques en termes de négociation pour les organisations internationales.
Les États ne poseraient jamais des précédents qui seraient contraires à leurs propres intérêts. Par conséquent, à l’opposé de la conception objectiviste, la conception volontariste voit dans l’élément psychologique de la coutume l’expression d’une volonté de créer une norme juridique. Il s’agit d’un processus voulu par les États.
§2. Forme de l’acceptation
A. La preuve de la volonté
Puisque la coutume n’est pas une règle écrite, où trouver la preuve de la volonté ? Plusieurs pistes sont envisageables. On peut écrire la coutume. Pour ce faire, deux techniques ont été utilisées : la déclaration et la codification. En l’absence d’écrit, la jurisprudence peut jouer également un rôle.
1) La déclaration
La déclaration peut résulter des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies qui sont des documents écrits qui sans valeur obligatoire. Les résolutions recueillent un vaste concours interétatique généralement par consensus et en dehors de tout contentieux puisqu’elles sont adoptées par la quasi-totalité des États membres. Cependant, les résolutions peuvent être utilisées comme éléments de preuve mais pas systématiquement car ces procédés se heurtent à une double objection.
En premier lieu, la déclaration au mieux est le reflet de la règle et non la règle elle-même. En second lieu, la déclaration risque d’être une technique biaisée de transformation de la règle. Si les États adoptent une résolution, c’est peut-être par opportunité politique et non pas parce qu’elle serait le reflet d’une règle coutumière. Au regard de ces objections, les résolutions comme éléments de preuve sont admises mais doivent être utilisées avec prudence.
2) La codification
À l’origine, la Convention de Vienne était un rapport rédigé par la CDI qui avait reçu pour mission de codifier les règles coutumières relatives au droit des traités. Les États ont pu exprimer leurs observations et indiqué si tel ou tel énoncé reflétait ou non une règle coutumière. Est-ce une objectivation de la coutume ?
L’on pourrait penser que la coutume codifiée disparait aussitôt et se fait remplacer par une règle conventionnelle. Or, il n’en est rien. En effet, la codification ne tue pas la coutume. La règle coutumière et la règle conventionnelle se superposent car un certain nombre d’États ne sont pas parties à la CV (notamment la France). À l’occasion de la codification, les experts de la CDI ne sont pas toujours complètement neutres. Ils interviennent sur le processus. La CDI peut faire des propositions qui sont incorporés aux règles codifiées et qui servent de point d’ancrage à la cristallisation d’une coutume. La codification relance, enrichit le processus coutumier. Elle est indissociable de la cristallisation.
La codification ne s’applique qu’aux États qui sont parties. Dans les rapports entre les États parties et les États tiers, seule la règle coutumière s’applique. Même entre les États parties à la Convention de Vienne, la règle coutumière continue de s’appliquer parallèlement au traité. L’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua illustre la superposition de la règle coutumière et la règle conventionnelle. En l’espèce, la Cour applique la coutume en lieu et place de la Chartes des Nations puisqu’elle ne pouvait pas exercer sa compétence sur la règle conventionnelle.
3) La jurisprudence ?
La jurisprudence joue un rôle important puisque l’examen de la jurisprudence internationale (CIJ notamment) occupe une place de choix dans la problématique du droit coutumier. Mais la jurisprudence internationale n’est obligatoire que pour les États parties au contentieux tranché par le jugement. Néanmoins, les jugements de la CJI sont mis à contribution dans les raisonnements qu’il faut pour prouver l’existence d’une règle coutumière. Si un tiers au jugement reprend le raisonnement opposé, la CIJ donne force à son argumentation pour dire que la règle est aussi coutumière à son égard. La jurisprudence participe à l’énonciation de la coutume plus qu’à la force coutumière.
Toutes ces solutions, qui sont des tentatives d’écrire la coutume, se heurtent au même obstacle puisqu’elles n’émanent pas du législateur extérieur aux États habilités à contester la formation de la règle coutumière.
Pour prouver l’existence de l’acceptation d’une règle coutumière, plusieurs solutions sont possibles. Si la règle invoquée est ancienne, le juge apprécie l’acceptation de l’État au jour où il statue. Il ne fait pas de retour dans le passé. Si les États se conforment aujourd’hui à une règle coutumière, on cherche à caractériser la persistance de la règle.
En revanche, si la règle invoquée est contemporaine, l’appréciation se fait au moment de sa naissance. L’opinio juris n’est pas le devoir de la conscience d’appliquer une règle mais la volonté de créer une règle nouvelle. C’est ce que les États ont cherché à faire dans l’affaire du plateau continental. La CIJ a considéré que les États ont eu la volonté de créer une règle nouvelle. C’est ce qui s’est passé lorsque les États ont commencé à changer le mode de délimitation du plateau continental. En effet, les États se dotent de zones économiques qui explosent la limite coutumière. Ce faisant, ils voulaient que ce soit la règle coutumière nouvelle généralisée et uniforme qui fût applicable car elle résultait de la volonté des États par leurs pratiques de créer une telle nouvelle règle.
SECTION III : Effets de la coutume
Une fois que la coutume s’est formée, il faut s’interroger sur ses effets.
§1. Les effets à l’égard des sujets : opposabilité de la coutume
Jean Salmon, in Dictionnaire de droit international public, définit l’opposabilité comme « l’aptitude d’une règle, d’un acte juridique, d’un droit ou d’une situation de fait à déployer des effets juridiques envers des sujets de droit ».
A. Opposabilité aux sujets de droit international : la « coutume-contrat »
On peut utiliser le modèle du contrat en droit interne comme support théorique de la réflexion. Lorsqu’un agent d’application d’une règle coutumière cherche à l’appliquer, immédiatement arrive la question préalable qui est celle de savoir si cette règle coutumière est opposable à celui à qui on cherche à l’appliquer. Il faut distinguer la position doctrinale de la position du droit positif sur la question de l’opposabilité de la coutume.
1) La doctrine
La doctrine propose 3 solutions différentes à ce problème.
D’abord, pour une partie de la doctrine objectiviste, cette question préalable est en réalité sans objet parce que la coutume est opposable à tous les sujets de droit international sans discernement. Plusieurs tendances existent au sein de cette doctrine. La tendance qui est à la suite de l’auteur Georges Scelle considère que la règle coutumière est une règle de nécessité sociale dans l’ordre juridique international. À ce titre, les sujets de droit international sont bien obligés de l’accepter. Elle vient l’accompagner d’un rapport de contrainte qui occulte la dimension volontaire. Cette vision est illustrée par la lutte contre le réchauffement climatique qui est considérée comme une nécessité sociale s’imposant aux États et aux organisations internationales.
Ensuite, une autre partie de cette doctrine va plus loin et considère que la question de l’acceptation ne se pose tout simplement pas. C’est la doctrine spontanéiste qui considère que la coutume internationale est une règle créée spontanément par le corps social de sorte que la dimension de l’acceptation est indifférente à l’efficacité de la règle. Dès lors qu’une règle coutumière est établie, elle s’impose à tous les sujets de droit international sans discernement.
Enfin, une autre partie de la doctrine considère que l’opposabilité de la règle coutumière est distincte puisqu’il suppose d’envisager le problème du point de vue des sujets de droit international à qui cette règle coutumière dont l’existence est établie pourrait être opposable. Cette question est pertinente sur le plan logique parce que la coutume n’est opposable qu’aux sujets qui l’ont acceptée. C’est la conception volontariste qui prend au sérieux et au pied de la lettre la définition donnée par l’article 38 du Statut de CIJ qui définit la coutume comme la pratique acceptée comme étant le droit. L’acceptation intervient aussi pour déterminer les effets d’une règle coutumière ; on ne peut se contenter de l’opinio iuris.
2) Le droit positif
Le droit positif a une position plus nuancée. Dès qu’un problème de règle coutumière se pose, son opposabilité se pose parce que le juge international reconnait que la coutume est opposable à ceux dont le comportement a participé à sa formation.
Qu’en est-il des tiers ? La jurisprudence admet qu’une règle coutumière puisse leur être opposable dès lorsqu’ils ne se sont pas opposés à sa formation. Les partisans de la doctrine de l’acceptation excipent de la position jurisprudentielle pour confirmer leur théorie. S’agissant de ceux qui se sont vigoureusement opposé à cette règle, le juge ne peut leur rendre opposable une règle coutumière. C’est le triomphe de la doctrine volontariste.
CIJ, 1951, Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (§ 131) : la CIJ établit le principe de l’objecteur persistant à une règle coutumière, principe selon lequel l’État peut par sa seule volonté, se tenir à l’écart d’une règle coutumière générale nonobstant la vocation universelle de la règle, nonobstant la généralité de la pratique qui la soutient, encore faut-il qu’il eût protesté en temps utile i.e. au moment de la formation de la règle coutumière et non après sa formation. Il doit avoir objecté de façon persistance, sans ambiguïté et sans fluctuation.
Les doctrines objectivistes ne perdent pas toutes valeurs explicatives. L’objecteur persistant peut se raviser et accepter que la règle finisse par lui être opposable.
B. Opposabilité aux sujets de droit interne : la « coutume-loi »
Le modèle théorique de base est la loi. On parle des individus et des personnes privées. La possibilité de résister individuellement aux effets de la coutume est une prérogative des États et des organisations internationales agissant dans la limite de leurs attributions car ils sont des producteurs de droit international. Par contraste, la situation interne est différente. En effet, les individus ne peuvent produire des règles coutumières. La coutume devient automatiquement opposable dès lors que leur État a accepté la règle. C’est le cas des immunités ou de l’interdiction de la torture.
La logique à l’œuvre pour invoquer des traités internationaux sur la base de l’art.55 de la Constitution n’est pas transposable à la coutume. Cette opposabilité de la coutume se trouve dans le 14e alinéa du Préambule de 1946 mais cette disposition ne confère pas à la coutume une valeur supra législative.
§2. Effets par rapport aux autres modes de formation du droit international
A. Absence de hiérarchie coutume/ traité
La coutume est un moyen de formation du droit international au même titre que les traités. L’art. 38 précité n’établit aucune hiérarchie entre la coutume et le traité. De même, l’observation de la pratique confirme l’égalité de principe entre traité et coutume. Depuis, l’instauration de la CDI, on assiste à un vaste mouvement de codification du droit international. Cette codification aurait pu conduire à l’absorption de la coutume par le traité.
Pour autant, le mouvement de codification n'a pas relégué la coutume au rang d’accessoire. Les règles relatives à la non-agression, l’inviolabilité du territoire, les immunités et des exemptions sont exclusivement coutumières. Il en est de même des règles de délimitation des espaces maritimes. Ces exemples montrent que nombreuses sont les règles importantes qui demeurent coutumières (véhicule normatif essentiel). L’absence de hiérarchie formelle qui caractérise les rapports théoriques a été largement confirmée par la pratique. On retrouve la vision d’un système horizontal sans hiérarchie et même au niveau des sources. En cas de conflit entre règle coutumière et règle conventionnelle, le juge ne met pas en œuvre la hiérarchie des normes mais un système horizontal telles que les règles selon laquelle le spécial déroge au général ou que le postérieur déroge à l’antérieur.
B. Existence d’une hiérarchie coutume/ acte unilatéral
Les actes unilatéraux sont adoptés sur le fondement de la coutume et doivent s’y conformer.
CHAPITRE III : PRODUCTION UNILATERALE
L’art. 38 du Statut de la CIJ ne vise pas les actes unilatéraux. Cette lacune est surprenante puisque les États ont toujours eu recours à ce type d’actes. Il en est de même pour les organisations internationales.
SECTION I : Les actes unilatéraux des États
Il existe une multitude d’actes unilatéraux (communiqué de l’État islamique, tweet du président américain Donald Trump, etc.) Cependant, toutes les déclarations unilatérales ne sont pas encadrées par le droit international. Seuls ceux qui ont été pris par les actes sont des modes de formation du droit international.
Commentreconnaitre l’acte unilatéral ? Pour isoler les actes unilatéraux de l’État de tous les phénomènes diffus qui les noient, il faut distinguer les actes imputables à l’État des actes qui constituent des actes juridiques et des actes qui résultent de la volonté unilatérale de leur auteur. Même en faisant le tri, ce qui ressort est très divers. Dans ces conditions, il faut déterminer le dénominateur commun. Les effets des actes unilatéraux sont variables car ils obéissent à une logique de relativité qui domine l’ensemble des engagements internationaux.
§1. Notion
La définition doit être toujours une proposition vraie. Elle s’écroule lorsqu’on trouve un seul contre-exemple. L’acte unilatéral peut se définir provisoirement comme une manifestation unilatérale de volonté imputable à un État et destiné à produire intentionnellement des effets de droit. Les actes unilatéraux traduisent la liberté d’action juridique de l’État fondée sur sa souveraineté et les titres de compétence liés à sa souveraineté. En effet, ces actes dérivent des règles coutumières de droit international qui consacrent les compétences de l’État et se déploient dans le cadre de ses règles.
A. Typologie
On distingue deux groupes : les instruments et les conduites diplomatiques et les actes qui sont formellement internes mais qui sont des actes internationaux.
1) Instruments et conduites diplomatiques
Les instruments et les conduites diplomatiques sont pléthoriques. D’abord, les instruments de diplomatie classique par lesquels, d’une façon claire, un État s’adresse à un autre État au sujet du droit international en suivant les canaux diplomatiques habituels. On peut citer les reconnaissances (de situation, d’État, de gouvernement), les protestations, les promesses (pas un acte unilatéral s’il n’y a pas d’engagement juridique), les renonciations, et les notifications (tout peut prendre la forme d’une notification, notion malléable mais très piégeuse). La reconnaissance est un acte substantiel alors que la notification est un acte procédural destiné à assurer la publicité d’un instrument.
Hormis les instruments classiques, on trouve aussi les instruments conventionnels telle la ratification du traité, la formulation d’une réserve, l’authentification qui sont des actes unilatéraux. Par ses actes, l’État fixe sa situation individuelle face à un traité. Dans une certaine mesure, les instruments collectifs pourraient être analysés comme des actes unilatéraux puisque chacun a exprimé unilatéralement sa volonté. L’instrument collectif ne fait que canaliser plusieurs actes unilatéraux.
Lors de l’Assemblée générale, un État peut, au moment du vote, émettre une déclaration par laquelle il se déclare individuellement engagé par la résolution. De même, à l’issue des évènements comme le G20 ou le G7, les États peuvent émettre individuellement des déclarations.
S’agissant des conduites diplomatiques, elles peuvent être porteuses d’engagements internationaux. Mais la pratique a changé pendant ces 50 dernières années lorsque la jurisprudence internationale a commencé à détecter dans des conduites diplomatiques des engagements unilatéraux des États. La jurisprudence considérait que le silence valait acquiescement ou reconnaissance. Dans l’affaire des pêcheries de 1951, la CIJ considère que le silence gardé par le R-U à la délimitation de sa frontière avec la Norvège valait acceptation.
CIJ, 1962, Temple de Préah-Vihéar : la CIJ avait à connaitre d’une affaire opposant le Thaïlande et le Cambodge qui avaient conclu un traité au sujet de la délimitation de leurs frontières. Mais une erreur s’est produite au moment de sa délimitation matérielle. Ce temple a été attribué au Cambodge par erreur topographique au lieu de la Thaïlande. Pendant de nombreuses années, la Thaïlande ne s’est pas manifestée et la CIJ considère que son silence valait acceptation de l’erreur.
CIJ, 2016, Bolivie c. Chili : la Cour devait répondre à la question de savoir si le Chili avait l’obligation de négocier un accès souverain à l’océan Pacifique pour la Bolivie. Un traité avait entériné les délimitations entre le Chili et la Bolivie attribuant ainsi le littoral bolivien au Chili. Des négociations ont été engagées depuis près de 150 ans pour permettre à la Bolivie d’avoir accès à son littoral mais elles n’ont pas abouti. La Bolivie a saisi la CIJ et, au soutien de sa demande, elle a repris toutes les conduites diplomatiques entre les deux pays pendant plus d’un siècle pour détecter dans la conduite diplomatique du Chili un engagement juridique de poursuivre les négociations, jusqu’à ce que la Bolivie ait accès à la mer.
2) Actes formellement internes
Ils sont également des actes unilatéraux en droit international. Un acte interne peut constituer un fait du point de vue du droit international dont les effets juridiques sont réputés conformes à la volonté de l’auteur en droit international. Par exemple, un décret qui délimite le plateau continental de l’État vers le large et qui fixe également les limites du pouvoir de la police. Il peut également constituer également un comportement de l’État, un fait auquel l’auteur attache des effets juridiques. C’est aussi un acte de droit international prétendant fixer les pouvoirs des autres États. Le fait et l’opération juridique se confondent.
B. La prise en considération par le droit international
1) L’imputabilité à l’État
La solution de principe est le renvoi au droit étatique pour déterminer qui représente l’État sur la scène internationale. Il est nécessaire d’identifier les personnes publiques qui peuvent parler au nom de l’État. Le droit international adopte une position pragmatique puisque sont imputables à l’État les actes adoptés par l’État dans l’exercice d’un pouvoir dont l’auteur est légalement investi dans l’ordre étatique. En vertu de ce principe, le droit international se contente de renvoyer aux solutions posées par le droit interne pour déterminer si telle personne est investie du pouvoir de représenter l’État sur la scène internationale.
CIJ, 20 décembre1974, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) ( §28) : En 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait déclaré que la France ne procéderait plus à des essais nucléaires dans le Pacifique Sud. En dépit de cette déclaration, la France a mené de tels essais. L’Australie et la Nouvelle-Zélande saisissent la CIJ pour contraindre la France à s’engager à ne plus faire des essais au motif que « tant que nous n'avons pas l'assurance que les essais nucléaires de cette nature ont définitivement pris fin, le différend entre la Nouvelle-Zélande et la France subsiste ... ». La CIJ considère que l’allocution de VGE engageait la France par la voie unilatérale et que la demande des requérantes était devenue sans objet. Dans §48, la Cour précise que « pour ce qui est de la forme, il convient de noter que ce n'est pas là un domaine dans lequel le droit international impose des règles strictes ou spéciales. Qu'une déclaration soit verbale ou écrite, cela n'entraîne aucune différence essentielle, car de tels énoncés faits dans des circonstances particulières peuvent constituer des engagements en droit international sans avoir nécessairement à être consignés par écrit. La forme n'est donc pas décisive ».
La CIJ conclut à l’imputabilité à la France des actes de son président. La Cour ajoute (§49) que « l'un des principes de base qui président à la création et à l'exécution d'obligations juridiques, quelle qu'en soit la source, est celui de la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indispensable. Tout comme la règle du droit des traités pacta sunt servanda elle-même, le caractère obligatoire d'un engagement international assumé par déclaration unilatérale repose sur la bonne foi. Les États intéressés peuvent donc tenir compte des déclarations unilatérales et tabler sur elles ; ils sont fondés à exiger que l'obligation ainsi créée soit respectée. »
Le droit international pose des tempéraments par le jeu de présomptions. En effet, il est difficile d’exiger de chaque État une connaissance précise du droit interne des autres États. Sur la base des usages, les États peuvent prêter foi aux agents habituels des autres États.
Le chef de l’État est toujours réputé parler ou agir au nom de l’État. La pratique diplomatique présume l'aptitude à représenter l'État à côté des chefs de l’État d’autres autorités qui ont d’office la capacité de représenter l’État : les ministres des Affaires étrangères, les chefs de gouvernement sont réputés avoir le pouvoir d’engager l’État sur la scène internationale. Pour les autres autorités, il faut s’intéresser à leurs compétences et non à leur position dans l’ordre hiérarchique.
Dans les CIJ, 1984, Golfe du Maine (§139) : la CIJ recherche la fonction d’un fonctionnaire du département américain. M. Hoffman, directeur adjoint d’un département ministériel américain n’était pas compétent pour établir une frontière avec le Canada. Il avait échangé une lettre avec son homologue et se proposait de tracer une ligne médiane. Il fournissait un avis technique. Dès lors, la CIJ refuse d’imputer la lettre aux États-Unis.
Voir aussi l’affaire des biens italiens en Tunisie (RSA, volume 13, 1954)
2) Opposabilité
Quels sont les effets juridiques conforme à la volonté de l’auteur ? C’est sa volonté juridique qui nous intéresse et non sa volonté psychologique (construction artificielle). On reconnait une volonté juridique lorsque l’auteur a respecté procédures fixées par le droit pour produire des effets juridiques. Par exemple, si la condition posée est de signer et que la règle de droit prévoit que la signature du document vaut promesse, alors l’État exprime par cette opération sa volonté juridique. Lorsqu’il veut produire un acte unilatéral, un État doit exprimer sa volonté en respectant les conditions prédéterminées par le droit.
Qui apprécie, dans l’ordre juridique international, le respect par l’État des règles prédéterminées par le droit pour exprimer sa volonté ? Théoriquement, il s’agit d’une question de validité. Or, dans l’ordre juridique international, il n’existe pas d’autorité objective et extérieure habilitée à apprécier la compatibilité d’un acte avec le droit international. Il en ressort que le problème de la validité se déplace automatiquement sur le terrain de l’opposabilité puisqu’il appartient à chaque sujet de droit international de se prononcer sur la compatibilité d’un acte de droit international aux règles de droit international. Chaque État ne peut se livrer à ce type d’appréciation que pour lui-même. Dès lors, lorsqu’un État considère qu’un autre État ne respecte pas les conditions fixées, il peut refuser que la volonté exprimée par cet État ne lui soit pas opposable. La volonté juridique est caractérisée par le respect de l’État des conditions posées pour la validité de l’acte juridique qu’il édicte.
Par exemple, A et B concluent un traité dans lequel ils posent des règles de délimitation entre eux et que la délimitation qui porte sur une portion donnée devra suivre un cours d’un fleuve. Si l’État A ne respecte pas les conditions posées par le traité, son acte unilatéral de délimitation ne sera pas opposable à l’État B. C’est la réaction des autres États qui déterminent l’opposabilité de l’acte unilatéral. La légalité des actes unilatéraux est appréciée par chaque sujet intéressé et pour lui-même. L’acquiescement, même tacite, de l’acceptation lie l’État, lequel ne pourra plus la remettre en cause.
§2. Effets de l’acte unilatéral
A. Des demandes
Pour les demandes, l’acceptation d’un autre État est nécessaire. Les demandes ont pour objet la formation d’une règle ou la constitution d’une situation que l’auteur de l’acte ne peut pas poser seul. Il peut seulement formuler à l’égard des autres États une demande tendant à un tel résultat. Par exemple, une demande d’extradition, de réparation ou de renseignement. Ces demandes ne seront accordées que si l’État à qui elles sont demandées l’acceptent. Les effets sont fonction de la réaction puisque la demande ne pourra déployer ses effets qu’en cas d’acceptation.
B. Des décisions
À la différence des demandes, l’acceptation n’est pas nécessaire pour les décision. Elles sont à l’opposé des deux bandes. Elles ont pour objet la formation d’une règle ou une situation juridique que l’auteur peut poser légalement seul. Pour nommer le MAE, la France n’a pas besoin de l’accord d’un autre État. De même pour la ratification d’un traité, ou de la déclaration de persona non grata. Dans de telles hypothèses, la réaction des autres sujets n’est pas nécessaire.
Cependant, il appartient aux autres États de vérifier pour eux-mêmes la validité de ces décisions pour s’assurer que l’auteur n'a pas excédé ses pouvoirs. Chacun peut rejeter l’acte en alléguant qu’il est illégal. Cela ouvre la voie à une situation contentieuse entre les deux États, l’un qui allègue la validité de sa décision et l’autre qui la conteste. C’est le cas des réserves qui sont des décisions qui peuvent se heurter à l’objection d’autres États parties au traité. Mais, l’acceptation des autres États n’est pas une condition qui subordonne les effets d’une réserve.
C. Des déclarations
Pour les déclarations, l’acceptation n’est pas nécessaire et peut même être inutile. Les déclarations ne décident rien ni ne demandent rien. Elles ne font que déclarer une situation existante.
S’agissant de la reconnaissance d’un État nouveau, le droit international laisse à chacun le droit de procéder lui-même au constant. La reconnaissance n’est pas un élément constitutif de l’État. De plus, la déclaration de reconnaissance de A n’est pas opposable à l’État B qui n’aurait pas reconnu l’État C.
Mais il arrive que le droit international réserve les déclarations à la compétence exclusive d’une seule personne notamment en droit de la mer. En général, seul un État côtier peut procéder à la délimitation de son plateau continental, acte déclaratif, mais un seul sujet à le pouvoir légal de les adopter. Dans ce cas, l’acceptation des autres États n’est pas nécessaire. Mais en cas d’opposition des tiers, ces déclarations leur seront inopposables.
SECTION II : Les actes unilatéraux des organisations internationales
À la différence des actes unilatéraux étatiques, ceux des organisations internationales doivent se conformer à leur acte constitutif.
§1. Régime juridique
A. Diversité
Les actes unilatéraux d’organisation internationale sont les résolutions, les directives, les annexes, ou encore les règlements. Ce sont des actes divers. En effet, leur diversité tient au fait que leur fondement réside dans l’acte constitutif de l’organisation internationale. En outre, elle tient aux conditions d’élaboration qui peuvent émaner d’organes différents selon des procédures différentes. De plus, la diversité tient à leur forme dans la mesure où les exigences du droit dérivé sont plus rigoureuses que celles du droit étatique. À la lecture des actes constitutifs d’organisation internationale, il existe des procédures qui encadrent et organisent la diversité. D’autres formes sont dérivées par la pratique, tels que le compte-rendu du président du Conseil de sécurité de l’ONU qui n’a qu’une valeur de déclaration.
B. Validité
Pour apprécier la validité d’un acte unilatéral d’une organisation internationale, il faut apprécier s’il est conforme à son acte constitutif. Qui peut en apprécier la conformité ? Les organisations internationales ne sont pas dotées de mécanismes centralisés permettant de contester la validité des actes produits par ses organes. Chaque État membre évalue pour son propre compte la validité de l’acte.
Mais, parfois, l’organisation internationale est dotée d’un système interne permettant d’établir objectivement la validité des actes de ses organes. Par exemple, au sein de l’UE, il existe un mécanisme centralisé pour assurer l’unité de l’appréciation des traités ainsi que des actes de droit dérivé. C’est le rôle joué par la CJUE.
§2. Effets
A. Effets à l’égard des États membres
À l’égard des États membres de l’organisation internationale, les actes unilatéraux sont opposables. Cela ne veut pas dire forcément dire qu’ils sont obligatoires. Par exemple, les résolutions de l’Assemblée générale sont opposables aux États membres des Nations Unies mais ne sont obligatoires. De même, les résolutions du Conseil de sécurité ne sont obligatoires que dans les conditions de l’article 7.
B. Effet à l’égard des tiers
En vertu de l’effet relatif, les actes unilatéraux ne produisent pas d’effet à l’égard des tiers. Mais dans les organisations internationales à vocation universelle, il peut être important que la décision soit appliquée à tous les États. L’art.2§6 de la Charte de l’ONU prévoit un mécanisme qui intervient au terme de négociations et d’un accord au terme duquel l'État accepte de se voir opposer une résolution de l’Assemblée générale sans être membres des Nations Unies.