Droit constitutionnel 1
Introduction :
Le droit est universel, il couvre tous les aspects de la vie quotidienne. Lorsque on vit chez nos parents on dépend du droit de la famille, lorsque on achète un ticket de métro on dépend du droit civil, lorsque on rentre dans l’université on dépend du code de l’éducation, etc. Le droit constitutionnel quant à lui, est le droit du politique. Contrairement au droit civil, le droit constitutionnel est le droit de l’incertitude, du mouvant, un droit instable et trouble dans lequel rentre des dimensions morales, idéologiques, anthropologiques (de notre définition de l’être humain dépend notre régime politique), religieuses (acceptation de sa place dans la société UK, URSS, FR), géographiques (la taille du pays en question va entraîner des répercussions sur le pouvoir de l’état et l’organisation de celui-ci). Aristote (Athènes -IVE siècle), l’un des plus grands philosophes de l’histoire de l’humanité, conseiller d’Alexandre le Grand, fondateur de l’école de pensée [[A remplir]], s’intéresse à la question de la politique (l’Ethique à Nicomaque, La politique, plus grand traité de philosophie politique, pourquoi obéir, est ce que je me soumets simplement à la force ou la légitimité me l’impose t’elle, quelles sont les limites du pouvoir, etc.) et plus précisément au droit de la politique. Celui-ci, dans le cadre de ses études, envoya quérir dans toutes les citées grecques, les lois fondamentales qui organisent le pouvoir (comment devient-on chef, quels sont les limites et les buts du pouvoirs, de quel manière le peuple participe au pouvoir, etc.). Bien que ce recueil eût été perdu, il subsiste tout de même la constitution d’Athènes, commentée par Aristote lui-même. Il est alors évident que cette discipline, l’étude du droit constitutionnel, est très ancienne puisque, à chaque fois que le pouvoir existe, il est encadré par un ensemble de règles qui vont déterminer l’organisation et le fonctionnement de l’état.
Première partie : l’état.
Chapitre 1er : la notion d’état.
Diff définition
Def tradi (état-nation) : « une communauté nationale, particularisée par son passé et par une certaine unité » comportant « nécessairement certains caractères politiques et juridiques qui la rendent différentes des autres communautés infra-étatiques ou supra-étatiques » dont le fait que l’organe dirigeant « dispose en son nom du monopole d’édiction des lois et de l’emploi de la force publique ».
Vision contractualiste Rousseau « personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres »
Kelsen (normativisme) : état ) personnification d’un ordre juridique s’appliquant sur un territoire et à une population.
Jean Bodin définissait l’état en 1576 dans les Six Livres de la République (synonyme d’état) comme « un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine »
I) Un certain type de pouvoir.
1) Un pouvoir souverain.
A) La notion de souveraineté.
Jean Bodin disait « la première marque du prince-souverain est de donner la loi à tous en général, et à chacun en particulier ». : souveraineté est un pouvoir de nature différente :
Indivisible, absolu, indépendant, global et perpétuel
B) Les caractères de la souveraineté.
Pour Carré de Malberg le pouvoir souverain c’est « le pouvoir de vouloir de façon absolument libre » et pour Charles Loyseau, « consiste en puissance absolue c’est à dire entière et parfaite en tout point, et par conséquence elle est sans degré de supériorité car celui qui a un supérieur ne peut être suprême et souverain ». Ainsi, la souveraineté « sous condition n’est pas proprement souveraineté, ni puissance absolue ».
2) Un pouvoir spécifique.
A) Pas de souveraineté sans état.
Concept de souverainneté n’apparait qu’à partir du XIe siècle, avant système pré-étatiqus
B) Pas d’état sans souveraineté.
i) La souveraineté interne
Capacité de l’état de faire respecter ses lois à l’intérieur de ses frontières = jamais totale
ii) La souveraineté externe.
Capacité de ne pas voir sa volonté se faire remettre en cause par un autre état // perte totale : protectionnat Maroc traité de Fès 1912-1956 / monaco 1918 – 2002, perte partielle : construction européenne: / !/ le brexit prouve qu’on peut en sortir les états demeurent donc « potentiellement souverains »
II) Un certain objet.
Le pouvoir souverain n’existe pas abstraitement, il doit s’exercer sur quelque chose : un espace avec sa population.
1) Un territoire.
A) Le territoire et la souveraineté interne
La taille ni l’instabilité géographique ne compte :
Vattel écrivait « Un nain est aussi bien un homme qu’un géant. Une petite république n’est pas moins un état souverain que le plus puissant royaume », « La puissance et la faiblesse ne produisent à cet égard aucune différence ».
Daesh 2014 / Napoléon 1800-1815
B) Le territoire et la souveraineté externe.
On est souverain si personne contrôle notre territoire : France libre de De gaulle en 1940 est pas souveraine avant 1941 et révolte colonies
2) Une population
A) Un ensemble relativement limité
S’applique à sa population et étrangers résidant
B) Un ensemble suffisamment homogène
Différents types liens entre nation et état
-
Le groupe sur lequel agit l’état constitue une nation homogène dotée de caractéristiques déterminées, les étrangers existent mais doivent rester minoritaire. (France)
-
L’état n’agit que sur le fragment d’une nation (Allemagne-Autriche, Italie avant Victor Emmanuel), les éléments séparés du reste de la nation constituent des minorités ailleurs et peuvent revendiquer leur appartenance au groupe, risque de troubles révolutionnaires.
-
L’état agit sur plusieurs nations ou plusieurs fragments de nation (état multinational).
Moins pop est homogène, plus le pouv souverain aura de diff à s’exe : utuilisation fédéralisation
Chapitre 2 : l’organisation de l’état
I) La forme du pouvoir.
Un état institutionalisé est juridiquement détachés de ceux qui l’exercent, le pouvoir est transféré des figures physiques à une entité abstraite, c’est le dépassement de la simple autorité de fait à laquelle on a aucune raison d’obéir sinon la fascination, la force ou la crainte. L’état va alors acquérir une personnalité morale propre. Lorsqu’il n’est pas dissocié, l’état n’est que le patrimoine privé de son propriétaire rendant la réalisation concrète de la souveraineté impossible car elle apparait instable et discontinue : à la mort de son propriétaire, il y a une période intermédiaire jusqu’à la saisie du pouvoir par un autre qui peut mener au morcellement du territoire. C’est le cas sous les mérovingiens et de l’empire Carolingien à la mort de Charlemagne qui va être divisé jusqu’à la pulvérisation du pouvoir à laquelle on assiste autour du Xe ou XIe avec la féodalité. L’institutionnalisation apparait nécessaire pour légitimer le pouvoir. Sauf dans le cas de la légitimité charismatique de l’homme providentiel, on obéira à un individu s’il fonde ses commandements sur des principes, des idées et des institutions. En France, ça se produit vers le milieu du XIIe, la couronne devient le symbole du transfert du pouvoir suprême dans une institution intemporelle et immuable « le roi est mort, vive le roi », la règle successorale passe immédiatement le pouvoir au suivant, quel que soit son âge. Le pouvoir n’appartient plus au roi, il l’exerce. Ce n’est toutefois qu’à partir du XVe que cette notion va prendre une place centrale dans la doctrine de l’état royal et qu’on va prendre conscience de ce qu’est un état et commercer à utiliser la souveraineté pour le définir.
II) La question de la forme du gouvernement.
1) Des formes variables.
A) La classification quantitative et qualitative.
Pour Aristote, le pouvoir peut appartenir soit à un seul, soit à plusieurs, soit à tous. Il y ajoute une approche qualitative : la finalité que se propose chacun de ces régimes, mise en rapport avec la finalité même du pouvoir politique. Selon lui, l’Homme étant un animal social, il est naturellement amené à vivre en société (antipodes des contractualistes) et donc le seul pouvoir politique légitime est celui qui procure des choses que les hommes ne peuvent avoir seuls. La finalité de « l’état pure » serait le « bien commun », situation de tranquillité, d’ordre et de prospérité globale permettant aux individus de vivre ensemble en opposition au « régime corrompu » qui cherche le bien des titulaires du pouvoir (monarchie & tyrannie, aristocratie & oligarchie, politie & démocratie). Néanmoins, comment déterminer si tel ou tel régime va vers le sens du bien commun ? Staline en massacrant les Koulaks affirmait, tout comme Himmler avec les juifs en 1942, protéger le bien commun de leurs sociétés. Pour Marx, la finalité de l’état est d’assurer la domination de la classe dominante dans le cas de la lutte des classes.
B) La question du gouvernement mixte
La notion
En réalité, nombre d’état vont combiner les caractéristiques de plusieurs des régimes désignés par Aristote, rares même sont ceux qui ne correspondent qu’à une catégorie, la nuance se fait dans le partage qui varie entre un, plusieurs et tous. Dans un régime mixte, forme la plus juste, satisfaisante et normale du gouvernement depuis l’Antiquité, la décision politique prise par un va se prononcer après consultation d’experts reconnus par la plus part.
La controverse
Dans un sens, on pourrait dire qu’il n’y a que des régimes mixtes puisqu’on les rencontre partout. En l’Allemagne fédérale par exemple, une personne, la Chancelière se situe au-dessus puis, la classe politique tient le rôle de l’aristocratie et enfin, le peuple allemand se prononce en les élections affirmant sa volonté. Même chose pour la Ve République : Président, les institutions, le peuple français. A l’inverse, Jean Bodin disait le contraire puisqu’au final, dans chaque régime, la souveraineté appartient en réalité à « celui qui aura puissance à donner loi à tous, c’est-à-dire commander ou défendre ce qu’il voudra sans qu’on puisse appeler, ni même s’opposer à ses commandements » : et celui-ci sera toujours soit le prince, soit un petit groupe, soit le peuple tout entier. Point de vue que La Perrière partageait lorsqu’il démontrait que la République de Venise, considérée à l’époque comme le modèle du régime mixte, ne l’était qu’en l’apparence et que le Doge ramenait à l’unité le Sénat et le peuple. Si dans l’antiquité le régime mixte était perçu comme le meilleur, aujourd’hui l’idée de la mixité impliquant un amoindrissement de la nature démocratique est ressenti comme un mal, on parle alors de « monarchie républicaine » pour en faire la critique.
2) La question de la recherche du meilleur gouvernement
Si le gouvernement c’est l’exercice par le souverain de l’autorité publique, peut-on considérer qu’il existe une forme en soit meilleure que toutes les autres et absolument bonne ?
A) Gouvernement légal ou arbitraire
Un régime corrompu, même s’il fait le bien commun par hasard est mauvais. Certains auteurs hiérarchisent les régimes purs en fonction de si le souverain exerce arbitrairement en prenant sa décision en fonction des circonstances ou si celles-ci répondront à des règles fixes, connues d’avance. Adémar Esmein, juriste républicain de la fin du XIXe, pensait qu’il « n’y a pas de liberté véritable, même avec la souveraineté populaire » si le gouvernement « peut prendre n’importe quelle mesure contre un citoyen déterminé contrairement aux lois générales ». Au contraire, saint Thomas d’Aquin considérait que le régime arbitraire dans lequel « la sagesse du souverain, affranchi des lois, peut librement opérer comme la sagesse divine » est meilleur. Pour lui, dans l’état royal, si les agents de l’autorité doivent se conformer aux lois, le prince, en tant que souverain n’y est pas subordonné lorsque, comme l’expliquera Jean Bodin, il intervient directement en personne. Alors que choisir ? Dès lors que l’arbitraire n’est pas total (lois fondamentales de l’Ancien régime) il est assimilable à un état de droit, de même qu’un gouvernement légal qui se refuse tout transgression se met en danger (c’est ce que reprochait de Gaulle à la IIIe république et qu’il changea avec l’article 16 de la Constitution de 1958 conférant au Président un pouvoir d’urgence quasiment dictatorial). Également, un régime légal, respectant les règles qu’il a mis en place, ne garantit pas nécessairement la liberté des sujets. Les « lettres de cachet » de Louis XVI, application la plus nette de l’arbitraire selon Esmein, tout comme la « Sainte-Guillotine » (1792-1795) aussi mortels fussent-ils étaient absolument légaux.
B) Régime mixte ou démocratie
Polybe (-201 à -120), théoricien du régime mixte grec écrivait, « non seulement la raison mais l’expérience nous apprennent que la forme de gouvernement la plus parfaite est celle qui est constituée des trois monarchies, aristocraties et démocraties ». Celui-ci voyait dans la constitution romaine l’exemple parfait de ses idées, les consuls monarchiques, le Sénat aristocratique et le peuple démocratique (SPQR). Au XVIe, moment clef de la pensée politique en France, Charles Dumoulin expliquait que l’état composé des trois espèces de gouvernement était supérieur à tout autres. A la fin du XVIIIe, cette approche est reprise par la pensée libérale séduite par le modèle parlementaire britannique, ainsi Necker, banquier suisse et ministre de Louis XVI explique que le régime mixte est le meilleur moyen d’éviter « les deux écueils du pouvoir : l’anarchie ou la tyrannie ». Toutefois, en un sens, tout gouvernement peut être considéré comme une forme mixte, difficile donc d’établir sur cette base un critère ultime.
Mais alors, la démocratie ne serait-elle pas la meilleure ? Cette apparente évidence fut contestée au long du XIXe et XXe par des penseurs comme Charles Maurras qui affirment que les défenseurs démocratiques sont des « mystiques purs » se situant du côté du rêve et non de la raison dès lors que « ni l’histoire des Hommes l’étude de leur nature ne permettent d’adhérer au démocratisme comme à un principe supérieur ». Maurras fonde sa pensée sur l’expérience de la démocratie grecque, telle qu’elle est analysée dans la Cité Antique, texte rédigé en 1870 par Fustel de Coulange, qui explique que « la démocratie ne peut vivre qu’au milieux des règles les plus strictes et les mieux observées ». En effet, si l’inégalité de droit disparait, celle de fait subsiste « l’égalité politique met en évidence l’inégalité de condition » et oppose les riches aux pauvres. Finalement on bascule soit dans une oligarchie, soit dans une tyrannie contre les riches : « c’est un fait historique que les tyrans sortent du partis populaire ». Aucune constitution ne supprimera jamais la faiblesse ou les vices de la nature humaine. De Gaulle disait quant à lui que « le meilleur gouvernement de chaque pays c’est celui qui s’avère le mieux adapté à sa nature particulière et à sa nature spécifique » tout comme en 1793 Joseph de Maistre dans, Considérations sur la France, « une constitution qui est faite pour toute les nation n’est fait pour aucune », « le meilleur régime c’est au fond la solution du problème suivant : étant donné la population, les mœurs, la religion, les bonnes et les mauvaises qualités d’une population, trouver des loi qui lui conviennent ».
III) La forme de l’état
1) L’état unitaire
A) Un prototype
Comme le précise Francis Delpérée, il s’agit d’un état ou « la loi est la même pour tous. La volonté politique s’y exprime d’une seule et même voix. Elle s’impose à tous : individus ou groupes ou collectivités politiques ». Pour autant, cet état unitaire est susceptible d’être organisé selon des modalités distinctes, en effet il peut être centralisé ou décentralisé.
L’état centralisé :
Etat dans lequel l’état central dispose à lui seul de la totalité du pouvoir politique. Fondamentalement, l’état n’est pas centralisé, il le devient suite à un long processus de concentration du pouvoir entre les mains de l’état. Dans De la Démocratie en Amérique et l’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville montre comment le centralisation révolutionnaire portée par le parti jacobin est le résultat d’une politique commencée aux XVIe et XVIIe siècles, à l’époque de la monarchie. Robespierre serait l’héritier de Mazarin, Richelieu et Louis XV en tant qu’éliminateur des pouvoirs politiques concurrents.
Toutefois, sous la monarchie, la centralisation indéniable de Louis XIV est purement pragmatique, l’objectif est d’éviter que le pouvoir de l’état royal soit confronté à des contrepouvoirs trop importants (féodalité carolingienne) dans un état désuni (fronde des princes). Au début de Louis XIV, dans la haute aristocratie perdure l’idée qu’on pourrait transformer la France en une république aristocratique dominée par les grandes familles nobles. La centralisation monarchique veut éviter l’éclatement de l’état et est de fait modéré : une fois les contrepouvoirs affaiblis, on les laisse subsister (pouvoirs des communes et des provinces).
La centralisation révolutionnaire procède d’une approche idéologique s’appuyant sur les théories de Rousseau affirmant la seule existence de l’un et du tout dans le contrat social et que les pouvoirs différents du pouvoir central seraient illégitimes, quel que soit leur taille, ils représenteraient des vols fait à l’état, au peuple et à la démocratie. Totale, la centralisation révolutionnaire n’admet aucun autre centre de pouvoir que l’état, certains peuvent seulement se voir confier des possibilités d’agir en le nom de l’état, sur lesquelles ils n’ont pas propriété mais seulement la garde.
L’hypothèse d’un état purement unitaire ou le chef d’état devrait prendre toutes les décision n’est valable que dans un micro-état comme Monaco. Dans un pays comme la France, on va devoir procéder à une déconcentration, au niveau local et créer des relais du pouvoir central qui agissent au nom de l’état (le maire marie au nom de la République). Depuis 1800, les préfets, nommés par décision conjointe du Président, du 1er ministre et du ministre de l’Intérieur, ont la charge de représenter l’Elysée partout, il existe également des relais spécifique comme le recteur académique. Alors, la déconcentration (terme inventé en 1865 par Léon Aucoc) ne remet pas en cause la centralisation de l’état mais lui permet d’exister. Celle-ci prend sa véritable application par le « décret sur la décentralisation administrative » du 25 mars 1852 affirmant « qu’on peut gouverner de loin, mais qu’on administre bien que de près », les préfets voient leurs charges augmenter. Néanmoins, comme l’écrivait Odilon Barrot « c’est toujours le même marteau qui frappe, seulement on en a raccourci le manche ».
L'état décentralisé :
Etat dans lequel le pouvoir revient en parti aux collectivités locales. Le pouvoir n’est pas délégué, les collectivités l’exercent en leur nom, selon le principe de subsidiarité, théorise au Moyen-Age par saint Thomas d’Aquin, en vertu duquel c’est au concerné d’agir (la signalétique à la commune, l’armée à l’état). De la loi de l’an 8 de Napoléon jusque dans les années 1980, la centralisation restera toujours la même, très forte. Mais à partir des loi-cadre Defferre de 1982 les départements, le conseil régional et le président régional disposent désormais d’un pouvoir spécifique relativement étendu ainsi que d’une certaine autonomie financière. Toutefois, la décentralisation ne va jamais au-delàs d’une certaine limite, comme l’écrivait Georges Burdeau « la décentralisation est toujours un régime de liberté surveillée », l’état ne pourrait admettre des états dans l’état.
Il existe plusieurs formes de décentralisation de plus en plus décentralisée :
-
L’état est tuteur, les décisions que prennent les collectivités doivent avoir l’approbation explicite de l’état
-
L’état ne dispose que d’un droit de veto
-
L’état doit saisir le tribunal administratif (avant 1950 conseil de préfecture) pour contrer une décision qui lui parait mauvaise.
-
B) un prototype menacé
L’état régional :
Etat dans lequel les collectivités locales importantes disposent d’un pouvoir extrêmement étendu. Le régionalisme politique a d’abords été pratiqué en Espagne en 1931 suite au passage de la monarchie à la République pour respecter les anciens royaumes qui constituaient l’Espagne (« les Espagnes » au XVIIe) et satisfaire les indépendantistes catalans qui avaient proclamés la république catalane indépendante. La Constitution accorde aux provinces un pouvoir législatif de droit commun à l’exception de quelques domaines listés, dont les décisions équivalent les lois nationales puisqu’elles « ne peuvent être abrogées, modifiées que par des lois spéciales (les Cortes), des lois qui sont adoptées à la majorité des 2/3 » et qu’elles ne sont soumises qu’au contrôle de conformité du tribunal constitutionnel. L’état intégral nommé dans l’article 1er se trouve combiné à l’autonomie des régions. Ce système ne durera pas puisque dès 1937 éclatera la guerre civile remportée en 3 ans par le général Franco qui imposera un état unitaire et centralisé (victoire éclaire expliquée en partie par l’affaiblissement de l’état à cause des larges pouvoirs confiés aux régions).
Au lendemain de la 2e guerre mondiale en Italie, pour rompre avec le modèle ultra-centralisé de Mussolini (1925-1945), le 27 décembre 1947 est proclamée la nouvelle constitution. Semblablement à l’Espagne, l’Italie dans sa forme actuelle est jeune puisqu’elle date des années 1860, auparavant divisée en une multitude d’états, de royaumes, de duchés et de républiques indépendants. L’Italie postfasciste adopte un état unitaire mais décentralisé en effet l’article 5 affirme que « la République une et indivisible reconnait et favorise les autonomies locales ». Les 19 régions italiennes se voient attribuer un pouvoir législatif contrôlé par la Cour constitutionnelle (article 134) et 5 d’entre elles ont un statu encore plus libéral (Sicile, Sardaigne, régions éloignées du centre). Cette orientation s’accéléra en 1997 lorsqu’une loi accorda de nouvelles fonctions et pouvoirs (notamment financiers) aux régions et aurait pu s’accentuer encore plus si le referendum de 2006 sur le projet Berlusconi n’avait pas été rejeté (la gauche cria à une attaque à l’unité fédérale) puisque les régions auraient été dotées de compétences exclusives en matière d’éducation, de santé, de police et le Sénat aurait été renommé en Sénat fédéral de la République (proximité entre état régional et fédéral). La tendance à la l’accentuation des états décentralisés semble récurent.
Parallèlement, en Grande Bretagne, le schéma semble être le même. La décentralisation commença en 1998 avec la « dévolution des pouvoirs » en Ecosse et au pays de Galles, puis avec le nouveau statut de l’Irlande du Nord. Depuis, le Gouvernement of Wales responsable devant le parlement gallois fut créé en 2006, dont les compétences furent étendues en 2011 par referendum. De même, en Ecosse si le referendum de 2014 pour l’indépendance fut rejeté, en 2016 le Parlement britannique vota le Scotland act allant dans le sens de 1998 : il reconnut par exemple la permanence du parlement écossais.
Un quasi-fédéralisme
C’est en Espagne que ce processus est le plus fort. En effet, semblablement à la situation d’après la chute de la monarchie, après la mort de Franco, la catalogne renoue avec ses espérances indépendantistes. En 1978, la nouvelle constitution démocratique reprend les principaux points de la constitution de 1931. Le temps passe jusqu’en 2006 ou le parlement catalan adopte un statut d’autonomie obligeant les catalans à parler la langue régionale, en sachant pertinemment qu’il allait à l’encontre de la constitution espagnole. Il fallut attendre 2010 pour que le tribunal constitutionnel l’annule et, loin de calmer les choses, cette décision envenima la situation. En Octobre 2014, Artur Mas, président indépendantiste catalan organisa un référendum demandant « voulez-vous que la Catalogne soit un état ? » (souveraineté interne) et « en cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet état soit indépendant ? » (souveraineté externe) malgré l’interdiction lancée par le tribunal constitutionnel. La violation délibérée et massive de la constitution s’inscrit parfaitement dans la définition juridique de la révolution. Sur les 5,4 millions d’électeurs, 2 millions y participèrent et répondirent à plus de 80% pour le oui. Trois an plus tard, le Parlement de Catalogne revient à la charge avec la loi du 6 septembre 2017, prévoyant sur un mode quasi révolutionnaire, l’organisation d’un nouveau referendum d’autodétermination le 1er octobre, la question posée à cette occasion étant la suivante : « voulez-vous que la Catalogne soit un état indépendant sous la forme d’une république ? ». La chapitre II de cette loi, qui s’intitule « De la souveraineté de la Catalogne et de son parlement », proclame par ailleurs, dans son article 2, que « le peuple catalan est un sujet politique souverain et, en tant que tel, exerce le droit de décider librement et, démocratiquement de sa condition politique ». L’article 3 précise ensuite que « Le parlement de Catalogne agit en tant que représentant de la souveraineté du peuple de Catalogne », étant ainsi pouvoir d’une valeur suprême, la loi qu’il a adoptée « établit un régime juridique exceptionnel visant à réglementer et à garantir le referendum d’autodétermination de la Catalogne. Elle prévaut hiérarchiquement sur toutes les normes qui peuvent y entrer en contradiction, du moment qu’elle réglemente l’exercice d’un droit fondamental et inaliénable du peuple catalan ». Autrement dit, le Parlement de Catalogne, prétendant à une souveraineté qu’il tiendrait du peuple catalan lui-même, se place de son propre chef au-dessus de la législation et même de la constitution de l’état espagnol, affirmant par là même son indépendance par rapport à ce dernier. Et au-delà la souveraineté externe de la république de Catalogne. En réponse le 3 octobre le roi Felipe VI annonce à la TV que le gouvernement a le droit d’intervenir si une province ne remplit pas ses obligations prévues par la constitution et porte atteinte à l’intérêt général du pays et que le gouvernement a le droit, selon l’article 155 de mettre sous tutelle la province ne respectant pas les règles du jeu.
On constate au fond que l’état régional peut être soit une situation relativement stabilisée (Italie) soit un prélude à une fédéralisation (Italie en 2006, Belgique) soit enfin le prélude à un éclatement et à une division de l’ancien état unitaire en 2 ou plus états unitaires nouveaux.
2) L’état composé
Une fédération est groupement d’états liés par une constitution et ou les décisions fédérales se prennent au vote à la majorité.
Dans une confédération les états membres conservent leur pleine souveraineté, c’est une pluralité d’états liés de façon plus ou moins étroite par un traité. Particulièrement prisée pendant l’antiquité grecque (confédération ionienne, corinthienne, délos), la confédération est également le système qu’adoptèrent les cantons suisses pour lutter contre l’empire germanique jusqu’en 1948, date à laquelle ils s’unirent en fédération et également celui que le 15 novembre 1777 les 13 colonies d’Amérique, indépendantes depuis le 4 juillet 1776, choisiront (il faudra attendre 1787 pour la fédération préférés à cause de la nécessité de prendre les décisions à l’unanimité dans la confédération).
A) Les modalités d’organisation
La fédération comporte 2 étages : local et fédéral, elle se caractérise par l’idée d’une superposition d’ordres juridiques distincts. Chaque état en théorie conserve sa souveraineté, a sa propre constitution, est doté du pouvoir législatif (bicaméral) et exécutif (gouverneur), de son drapeau, de sa capitale et de sa nationalité (double nationalité : fédérale et locale). La souveraineté se trouve partagée entre les deux étages (sinon soit état unitaire, soit série d’états souverains classiques). Le soucis est alors de mettre en place des dispositifs constitutifs pour organiser les moyens de la compétence (pouvoir défini par le droit) et la possibilité pour les états fédérés de participer à l’exercice de l’état fédéral.
i) La répartition de la compétence
En général la constitution accorde le droit commun aux états fédérés et dresse une liste limitative relevant de l’état fédéral, concernant l’ensemble des états comme la monnaie, la défense militaire (compétence d’attribution). Les états fédérés demeurent en général compétents, y compris pour l’établissement de leur constitution (peut avoir des limites, États-Unis article 4) menant parfois à de grandes disparités d’un état à l’autre comme dans l’empire Allemand né après 1871, de forme fédérale comptant 25 états dont certains étaient des royaumes (Prusse, Bavière), des grands duchés, des principautés, des républiques, etc. Pour que le système marche il faut un arbitre : le tribunal constitutionnel (États-Unis : Cour suprême) qui s’assure le respect des règles et le non-empiètement dans les domaines de compétences réservés.
ii) La participation au pouvoir
L’idée est d’assurer l’équilibre en laissant participer les fédérés à l’exercice du pouvoir.
Le pouvoir législatif :
Dans une fédération il est bicaméral : l’une représente les états (Sénat, Bundesrat, Conseil des Etats), l’autre la population (Chambre des représentants, Bundestag, Conseil national). Le premier accorde un nombre égal d’élu à tous les états (un état n’est pas plus un état qu’un autre), tandis que la seconde fonctionne à la proportionnelle. L’ensemble forme le Parlement exerçant le pouvoir législatif. Certains systèmes peuvent être égalitaires, accordant les mêmes pouvoirs aux deux chambres (Suisse), et d’autres inégalitaires (ALL : peuple>länder / USA : peuple < états).
L’exécutif
Le Parlement contrôle l’exécutif de plusieurs manières : aux États-Unis, d’après l’article 2 section II de la constitution de 1787, les traités sont conclus par le président avec l’avis et le consentement des 2/3 du Sénat ce qui peut mener à d’important revirement inattendus (SDN 1920, Wilson) tout comme avec les nominations des ministres, ambassadeurs et hauts fonctionnaire, cette fois-ci à majorité simple (Obama 6 ministre et 1 Attorney Général, Trump secrétaire au travail 2017).
Le judiciaire
Parce que le judiciaire a la charge de faire respecter la constitution, les états fédérés ont des moyens de le contrôler. Aux États-Unis les 9 juges de la Cour suprême doivent être votés à la majorité, en Allemagne les 2 chambres (rat et tag, article 94) élisent chacun la moitié et en Belgique les 12 juges de la Cour d’arbitrage sont nommés par le Roi mais doivent respecter la parité linguistique (2 présidents qui s’alternent).
Le constituant
Encore plus primordiale, c’est la constitution qui organise la relation entre les fédérés et le fédéral. Aux États-Unis les 2/3 du Congres ou du Sénat peuvent proposer des révisions qui doivent être acceptés par les ¾ des états (d’où les seuls 27 amendements depuis 1787), en suisse seule la majorité des cantons doit être atteinte et dans l’Empire Allemand de 1781 les révisions étaient rejeté si 14 des 58 membres du Bundesrat étaient contre.
B) Les difficultés du fédéralisme
i) Les difficultés pratiques
Un système fédéral est un système en équilibre instable qui risque de se rompre d’un côté ou de l’autre. Léon Duguit : « au fond tout système fédéral marche vers la centralisation politique ou la dislocation ».
Vers la centralisation
Il arrive qu’à cause de crise, l’état fédéral prenne le pas sur les états fédérés, réinterprétant ou modifiant la constitution établie.
(1) Aux États-Unis, la question qui opposait les partisans d’un états fédéral puissant (James Madison) aux partisans d’états fédérés forts lors de la convention de Philadelphie en 1787 ne fut pas clarifiée dans la Constitution et cette situation perdura jusqu’en 1865, après la guerre de Sécession, conséquence de cette incertitude : les fédérés n’avaient-ils pas le droit de faire sécessions s’ils sont souverains (droit de nullification) ? La 1ère guerre mondiale est marqué par le renforcement de l’autorité fédérale tout comme l’année 1933 et le début du New Deal de Roosevelt, plan de relance économique en réponse au crack de 1929, reposant sur l’intervention de l’état fédéral, pourtant relevant de la compétence des états fédérés. Entre 1935-1937 une bataille va l’opposer avec la Cour suprême protégeant les compétences fédérées mais celle-ci va finalement s’incliner et le pouvoir fédéral va se développer (grands projets de construction, plan social, FBI de Edgar Hoover pour contrer la criminalité touchant l’ensemble du pays). Avec la 2ème guerre mondiale et l’état de guerre permanent jusqu’à aujourd’hui qui suivit, le pouvoir fédéral fait un bond en avant, à un point tel qu’à la fin des années 1970 on évoque la « mort du fédéralisme », les structures sont encore présentes mais au fond c’est un état unitaire.
(2) Lorsque Hitler et Hindenburg ratifient la loi votée à l’unanimité sur la rénovation du Reich du 30 janvier 1934 ils installent un pouvoir unitaire et mettent fin à une tradition fédérale remontant à 962 et le Saint Empire. En 1949, pour marquer le changement la Loi fondamentale précise dans son article 20 l’impossibilité de réviser la structure fédérale de l’état ni l’alinéation des prérogatives accordés aux landers. L’interdit constitutionnel est semblable à l’article 89 alinéa 5 en France. Le soucis est alors que la reconstruction de l’après-guerre demande un pouvoir fort et entreprenant. Le miracle économique fut rendu possible par la coopération des fédérés et de la Cour suprême avec le pouvoir fédéral, se plaçant dans un sens favorable à la concentration. A l’instar des États-Unis on a une structure apparemment fédérale mais qui au fond se rapproche d’un état unitaire décentralisé.
Vers la dislocation
Les crises ne mènent pas toujours vers la concentration dans certains pays multinationaux c’est souvent l’inverse :
(1) La Yougoslavie regroupait un ensemble de peuple culturellement, linguistiquement, cultuellement historiquement antagonistes. Cet ensemble tint après la 2ème guerre mondiale à cause de la dictature instaurée par le maréchal Tito mais à sa mort, à la fin des années 1990 l’ensemble éclata en une multitude de nations.
(2) L’URSS créé en 1922 regroupe 15 républiques fédérées qui, sur le papier s’unissent de plein gré, de manière égalitaire, disposent de leur propre gouvernement, parlements, constitution, de la compétence de droit commun, d’une pleine souveraineté, participent à l’exercice du pouvoir fédéral dans le Soviet suprême (Soviet des nationalités et Soviet de l’Union). Dans la réalité, au nom du marxisme-léninisme il y a une uniformité constitutionnelle, l’obligation d’appliquer les directives fédérales (sinon goulag) et les questions de conflit de souveraineté ne se posent pas. Entre 1987-88 la République d’Estonie fait une « déclaration de souveraineté » affirmant la primauté du droit estonien sur le droit fédéral, puis au début des années 1990 nombres de républiques réclament leur indépendance d’après l’article 72. La réponse fédérale est inefficace et le 8 décembre 1991 la Russie et l’Ukraine proclament la fin de l’URSS et le début de la Communauté des Etats Indépendants. La Russie, le 31 mars 1992 adopte une forme fédérale interne en vertu du pacte fédéral et le 13 décembre 1993 elle se dote d’une constitution n’accordant que peu d’autonomie aux composantes de la fédération. Par la suite, Medvedev et Poutine mèneront une politique centraliste depuis le Kremlin. En Russie comme en URSS on a un fédéralisme seulement théorique, les fédérés ressemblent plus à des collectivités décentralisées qu’à de véritables états.
(3) Depuis sa création en 1831, le Royaume de Belgique d’influence française (Louis-Phillipe est le parâtre de Léopold 1er) regroupe plusieurs communauté linguistiques l’une francophone (wallons), l’autre néerlandophone (flamands). En 1970 une révision constitutionnelle accorde aux Communautés de larges pouvoirs presque législatifs, on parle alors de situation « pré fédérale ». La situation « unitaire » perdure jusqu’au 17 février 1994 ou la Belgique se dote d’une nouvelle constitution consacrant la forme fédérale du royaume pour répondre aux dissentions croissantes des deux principaux groupes. L’article 1er, précise son caractère fédéral et qu’elle se compose des communautés et des régions. Le fédéralisme est très poussé puisque le conseil des ministres belges, déterminant la politique fédérale, doit être composé à la parité des différentes communautés qui composent l’état. Le changement est si radical qu’on se demande si ce n’est pas le prélude d’un éclatement en 2 ou 3 états unitaires indépendants.
ii) Les difficultés théoriques
Léon Duguit disait « La constitution d’un pays fédéré, est en elle-même contradictoire, elle impose sur le même territoire et aux mêmes hommes deux autorités souveraines ; or, par définition même, la souveraineté politique ne peut être limitée par une autre souveraineté ; la conception de l’état mi-souverain imaginé par les juristes n’est qu’une hypothèse commode. Dans deux souverainetés rivales, l’une absorbera l’autre fatalement. La loi est générale ».
Soit pour définir l’état on conserve la souveraineté et alors étant indivisible et suprême seul un des deux étages peut la détenir réellement, soit on l’abandonne et alors on a des difficultés à différencier l’état de simples collectivités locales.
Ou bien, comme l’évoquait Léon Duguit et Carl Schmitt, on opte pour une définition dynamique : on peut parler d’état fédéral du moment où la question de la souveraineté n’est pas réglée. Le système fédéral serait temporaire.
Chapitre troisième : les fonctions de l’état
L’état est-il nécessaire ? Et, le cas échéant, quelles sont ses fonctions ?
I) Une fonction nécessaire
1) Une nécessité contestée
A) L’anarchisme et le mythe du bon sauvage
Les adeptes du bon sauvage comme les anarchistes considèrent que la société est la source des problème de la société. Sans l’état, les humains vivent au plus proche de leur état de nature (Rousseau), libres, vertueux et égaux tel le bon sauvage méconnaissant le conflit et la domination, Penser qu’on est heureux dans l’état social serait le résultat d’un complot des riches pour asservir les masses. Pour Bakounine il faut remplacer l’état par une fédération de communes parce que l’état ne sert à rien et est mauvais de nature, au fond c’est la domination et la puissance organisée des classes possédantes sur les masses.
B) Le marxisme et la théorie du dépérissement de l’état
Le marxisme ressemble à l’anarchisme mais porte l’idée que l’état est une superstructure, conséquence de la division du travail et de la lutte des classes. « L'Etat n'existe pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'Etat et du pouvoir d'Etat» (Engels), il est né du besoin de tenir en bride les antagonismes de classe, il est lié à un contexte socio-économique et a un but précis. Or, la lutte des classes est vouée à disparaitre lorsque le prolétariat l’emportera sur les dominants, instaurera un régime socialiste (dictature du prolétariat) puis, lorsque les classes seront abolies l’état ultime est instauré : l’état communiste dans lequel tous les antagonismes ont disparu et ou l’état n’a plus de raison d’être. Engels explique qu’il rejoindra « le musée des antiquité à côté du rouet et de la hache de bronze » (dépérissement de l’état). Cette pensée a eu une réalisation réelle dans les politiques des pouvoirs communistes du XXe portés par Lénine, Staline, Khrouchtchev, Mao, Kim-Il Sung (paradoxe entre états totalitaires très forts affirmant que l’état est condamné).
C) Le Saint-simonisme et le projet de dissolution du politique
Inspirant à la fois l’ultralibéralisme et le marxisme, Henri de Saint-Simon (1760-1825) prônait « le passage du gouvernement des hommes à l’administration des choses », idée voulant que le développement économique dirige la politique et pas l’inverse. C’est l’idée qu’il y a un sens de l’histoire et qu’il mène peu à peu les hommes à une réconciliation générale (précurseur de la mondialisation) et à une disparition des guerres et de l’état. Saint-Simon expliquait que « il est un ordre d’intérêt senti par tous les hommes, les intérêts qui appartiennent à l’entretien de la vie et du bien-être. Cet ordre d’intérêt est le seul sur lequel tous les hommes aient à délibérer, à agir en commun, le seul sur lequel puisse s’exercer la politique et qui doive être pris pour mesure unique de la critique de toutes les institutions et de toutes les classes sociales. La politique est donc la science de la production ». Et elle tendra donc, avec le progrès, à n’être plus que cela, et à se dépouiller de tout le reste : d’où la disparition inéluctable à termes de toutes les marques de la souveraineté : la force, la domination, le commandement devenus à peu près inutiles dans un système ou l’unique fonction du pouvoir consiste à organiser au mieux la production et les échanges.
2) Une nécessité constatée.
Ces pensées sont pleine d’utopie, on cherche à établir un système parfait (sens fort) ce qui est impossible (sens faible).
A) De la souveraineté à la gouvernance.
Pour les saint-simoniens et les néo-libéraux (Macron) on trouve l’idée d’un monde capable dans lequel les rapports entre les Hommes seront pacifiés (vision mondialiste), dans lequel la souveraineté n’aura plus lieu d’être puisque les sujets obéiront spontanément à ce qui leur apparaitra être une règle de raison allant dans leur intérêt. Celle-ci sera remplacé par la « gouvernance » reposant sur la négociation plutôt que sur l’action unilatérale. Pour Pierre Caye selon une approche contractuelle plutôt que réglementaire de l’action administrative, en somme une démocratie fondée sur la communication et la transparence ou l’instance souveraine s’effacerait au profit des interactions entre les hommes.
B) La gouvernance ou la dissimulation du recours à la contrainte.
Dans la réalité les post-modernes n’arrivent pas à résoudre les oppositions. Selon Karl Schmitt, ce qui caractérise le politique c’est avant tout le rapport ami-ennemi et on peut dire qu’au fond c’est ce qui caractérise tout groupe humain. Pour Thomas Hobbs et John Locke les humains organisent des institutions parce que sans elles les rapports dégénèrent systématiquement en violence. Seul la présence d’un arbitre permet de pacifier au mieux la situation. On peut noter qu’à la même époque, d’autres penseurs comme L’abbé de Saint-Pierre prétendent le contraire. Dans Le projet de paix perpétuelle paru en 1713 celui-ci affirme qu’en créant des institutions pertinentes ont pourrait définitivement supprimer les conflits entre les hommes et mettre fin aux guerres. L’idée est qu’au fond on peut remplacer la guerre par le commerce. Aujourd’hui ce pouvoir suprême n’a pas émergé et le commerce, aussi important soit-il, n’a pas mis fin aux conflits. A cela les soutiens de la gouvernance répondent que le maintien de la souveraineté en est la cause. L’état serait alors la cause du problème qu’il prétend résoudre. Toutefois, les modèles prévus par la gouvernance ou l’administration des choses (Saint-Simon, Engels) admettent certains types de domination :
-
Pour réguler il faut imposer des normes et suppose de les élaborer au préalable.
-
La négociation (mode de décision horizontale) exige impérativement un encadrement, une animation, une délimitation et finalement une direction
Au fond, même si les procédures paraissent moins visible, et que la chose est moins visible, il subsiste toujours une forme de pouvoir et de domination qui parait inhérente à la gestion des rapports humains même lorsque ces rapports sont apparemment apaisés et ce, quel que soit le niveau de développement intellectuel, culturel, étique ou moral des participants. Ca n’est pas parce qu’on est savant et moral qu’on ne sera pas un monstre ou un grand criminel.
II) des fonctions diversifiées
Ces fonctions de l’états sont présentes dans n’importe quel système
1) Les fonctions juridiques de l’état
A) La théorie des trois fonctions
Depuis le XVIIIe, la doctrine distingue 3 fonction juridiques que Carré de Malberg définit comme « les formes diverses sous lesquelles se manifeste l’activité dominatrice de l’état », articulées autour de la notion de la loi conçue comme l’expression de la volonté souveraine (Jean Bodin) :
-
La fonction législative (sens large) consiste à élaborer des règles, des prescriptions générales, obligatoires et sanctionnées, fonction qui se déploie sur plusieurs champs et plusieurs niveaux (pyramide des normes).
-
La fonction exécutive (administrative) : le fait d’appliquer aux particuliers les règles générales contenues dans les lois et les règlements, fonction indispensable : une règle qui n’est pas appliquée n’est rien de plus que des mots sur du papier (effectivité : degré d’obéissance).
-
La fonction judiciaire (juridictionnelle) : le fait de sanctionner la règle : punir celui qui ne respecte pas la règle, une norme qui n’est pas sanctionnée n’est pas une loi (souveraineté interne, le pouvoir se dissout lorsque la loi n’est plus appliquée et sanctionnée, URSS 1980-90).
B) La question de la fonction gouvernementale.
Au XXe siècle, une autre approche affirme que les pouvoirs de l’état doivent s’envisager de manière globale puisque désormais c’est le gouvernant qui va décider de la politique qu’il va mener et pour cela il doit disposer, à la fois, de la possibilité de faire les règles et de les appliquer. La Ve République, par exemple, confie à l’exécutif un pouvoir législatif (règlements, projet de loi). On dépasse la vision trinitaire pour aller vers une approche dualiste avec au premier plan la fonction gouvernementale et au second plan la fonction administrative (président & premier ministre). Il n’existe plus alors que deux fonctions de l’état : la fonction gouvernementale de création de décisions et la fonction exécutive qui applique les décisions et les rends concrètes.
2) Les fonctions sociales de l’état
Les fonctions juridiques que l’on vient d’évoquer ne sont cependant que le moyen, pour l’état, d’accomplir les fonctions sociales qui constituent sa finalité, et la seule justification de son existence. En effet, pour Aristote ce qui légitimise l’état c’est la capacité qu’à celui-ci à assurer le bien commun. Une société développée a plusieurs besoins qui ne peuvent être comblés que par l’état, ceux-ci tiennent à sa situation dans l’espace (le territoire est toujours entouré des territoires d’états différents, ce qui implique de garantir les frontières et de maintenir la puissance internationale, condition de la sauvegarde de la paix), et à sa population (qui doit être encadrée juridiquement d’où la nécessité d’un droit, et pourvue matériellement ce qui renvoie à la notion de service public).
A) Les fonctions de police
Le termes ici renvoie à l’étymologie grecque : polys, cité société. Ce sont des fonctions qu’on peut également désigner comme fonctions régalienne (reg -> rex : roi & regula : la règle) qui sont nécessaires à la survie de la société se traduisant au niveau politique par des ministères perpétuels (de la justice, des finances, des affaires étrangères, des armées, de l’intérieur).
B) Les fonctions de prestation
Celles-ci dépendent de ce que la population ressent comme nécessaire. Par exemple, avant la Révolution française l’éducation était laissée aux mains de l’église et on s’accommodait de l’analphabétisme généralisé. La république va s’emparer de l’éducation et proposer un début d’enseignement pour tous. Napoléon lorsqu’il arrive au pouvoir en 1799 va aller encore plus loin et créer un grand service publique de l’éducation depuis la primaire jusqu’à l’université, l’éducation devient un instrument au service du pouvoir. De même, pour la santé publique, il fut un temps ou l’état ne s’occupait que de ce qui pouvait menacer l’ordre public ou la paix sociale (aliénés et épidémie). Mais au cour du XXe siècle, ce dernier va investir massivement dans la santé en créant un ministère associé et d’importantes structures hospitalières (CHU). Dans l’ensemble, sous l’Ancien régime l’état intervient surtout dans la production (colbertisme, mercantilisme), le commerce et les échanges. Par ailleurs, la société y est divisées en corporations lesquelles assuraient protection et droits aux travailleurs. Au nom de la liberté et de l’individualisme la Révolution va faire table rase, juridiquement ceci débute avec les lois d’Allarde du 2 mars 1791 et le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 (puis sous Napoléon l’article 291 du code pénal) posant le principe d’égalité absolue en matière de travail et économique, se traduisant par l’interdiction des corporations, syndicats ou groupement quelconque pouvant empêcher la libre réalisation des contrats entre patrons et ouvriers : dans la France de 1830-40 l’idée même d’organiser le travail, d’un salaire minimum, des syndicats, du droit de grève est insupportable, l’état gendarme se contentant d’assurer les conditions extérieures de la prospérité sans se mêler directement des questions sociales, totalement abandonnées à l’initiative privée, est né. Mais, rapidement on se rend compte que laisser autant de liberté dans les rapports provoquent la misère ouvrière, le développement d’un prolétariat incontrôlé proche de partis révolutionnaires socialistes et marxistes. Le premier à proposer un plan social va être le chancelier Bismarck (retraites, sécurité sociale, salaire minimum, durée du travail). En France elles commenceront à la fin du XIXe et trouveront une inscription dans la constitution du 27 octobre 1946 faisant du principe même de l’état providence l’un des fondements du système politique de la IVe république (à l’époque la plus part des grosses industries appartenaient à l’état).
Deuxième partie : Le pouvoir.
Chapitre 1er – Un pouvoir organisé : la Constitution
I) La notion de constitution
Par constitution, on peut entendre 3 choses reliées les unes aux autres :
-
La constitution au sens matériel est l’ensemble des règles qui vont déterminer l’organisation et le fonctionnement de l’état (envisage le contenu).
-
La constitution au sens formel est le fait que ces règles ont une certaine forme et une certaine valeur juridique, supérieure à celle des lois ordinaires (envisage sa forme et sa valeur).
-
La constitution au sens organique comme décision prise par le souverain agissant en constituant (envisage son auteur).
1) La constitution au sens matériel
A) Définition
Les institutions
Désigne l’ensemble des règles relative à l’organisation du pouvoir (structure, organes, titulaires), à son fonctionnement (dévolution du pouvoir, comment donner tel pouvoir à tel personne), aux rapports entre les organes et les rapports entre les organes et les citoyens. Au-delà, la constitution s’auto-établit, elle dit comment et qui peut la modifier (Constitution, titre XVI De la Révision). Peut également figurer les principes idéologiques qui ont inspiré le constituant et justifie l’organisation constitutionnelle choisie (Constitution chinoise de 1975 énumère dans son préambule une succession d’impératif et se terminant par « faire de la chine un puissant état socialiste de dictature du prolétariat et apporter une plus grande contribution à l’humanité »).
Les droits
La constitution défini aussi les droits de ses citoyens et les limites du pouvoir des autorités établies. Par exemple la constitution de la Virginie datée de juin 1776 va être précédée d’une déclaration des droits donc la DDHC de 1789 s’inspirera. Cette dernière sera intégrée dans la constitution du 3 septembre 1791, première constitution écrite française. La Convention dont la constitution du 24 juin 1793 abrogera l’ancienne, fut également précédée d’une DDHC tout comme celle du Directoire qui est précédée par la Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme Citoyen d’aout 1795 à la suite de la chute de Robespierre (juillet 1794). Au XIXe siècle c’est à partir de ces modèles que de nombreux états intégreront dans leurs constitutions des dispositions relatives aux droits de l’Homme comme Haïti (1805), la Belgique (1831), le Libéria (1847) ou encore l’Argentine (1853).
A cet égard, les États-Unis, constitués en fédération par la constitution de 1787, apparaissent aussi comme des précurseurs. Dès la première session du congrès, James Madison, souvent qualifié par les Américains de « Père de la Constitution », propose l’adoption d’un « Bill of Rights » qui sera approuvé le 25 septembre 1789 et ratifié le 15 décembre 1791 : ce sont les fameux « dix premiers amendements », qui énoncent sur un mode technique et procédurale les droits des citoyens, tout en reconnaissance à ces derniers une valeur constitutionnelle. En France, on peut noter que toutes les constitutions écrites républicaines comportent soit une déclaration des droits (1793, 1795, 1848) soit un préambule qui énonce des droits (1946). L’unique exception est la constitution de la IIIe république, mais au sens technique du terme, il ne s’agit pas d’une constitution écrite ; du reste, cette absence suscitera des débats considérables, poussant une partie de la doctrine à affirmer la valeur implicite de la DDHC de 1789 et une autre à réclamer l’intégration expresse de cette DDHC aux lois constitutionnelles de 1875, comme si son absence était une anomalie insupportable.
B) Conséquences
Cette définition de la constitution matériel importante dans ses conséquences : tout état a une constitution et seuls les états ont une constitution.
i) Tout état a une constitution
L’état se définit par l’institutionnalisation d’un pouvoir souverain (couronne, république) et implique une distinction entre le pouvoir et ses agents en exercice (le président et la présidence de la république). Autrement dit l’état implique nécessaire des règles qui vont régit la distribution des compétences, la désignation des gouvernants, leur mode de remplacement, etc. C’est sur cette base qu’il faut récuser la définition idéologique du constitutionnalisme libéral de l’article 16 de la DDHC de 1789 comme quoi « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». A l’époque cette affirmation permet aux révolutionnaires de symboliser le passage des temps obscures à un âge d’or des libertés, en se considérant alors, premiers rédacteurs de la première constitution française. Ainsi, lorsque Turgot disait à Louis XVI « Sire, votre royaume n’a point de constitution », il niait, à tort, le caractère constitutionnel des lois fondamentales qui, bien qu’issues de la coutume et non-écrite, étaient des plus rigides puisque qu’on faisait la distinction entre « les lois des rois, et les autres, les lois du Royaume » qui étaient « immortelles, ne pouvaient être changées, variées, ni altérées, pour quelque cause que ce soit ». La pensée constitutionnaliste révèle une confiance démesurée dans les dispositions du droit écrit alors que l’expérience nous a montré qu’un état totalitaire pouvait parfaitement avoir une constitution sans en garantir les droits. Dans le même sens, même si un état affirme qu’il ne dispose pas de constitution, dans les faits il prévoit toujours un ensemble de règles qui organise le pouvoir. C’est le cas par exemple du royaume d’Arabie Saoudite qui, dans sa loi fondamentale du 1 mars 1992, affirme que seule le coran et la sunna constitueraient sa constitution (on retrouve cette hiérarchie dans tous les systèmes politiques-religieux). Dans la réalité le Coran et la Sunna sont plus des normes supra-constitutionnelles qui se placent au-dessus du souverain et s’y appliquent de façon impérative.
ii) Seuls les états ont des constitutions
Carré de Malberg disait « il est de l’essence d’une constitution d’être fondée sur la volonté et la puissance propre, sur la force intrinsèque d’une puissance autonome », susceptible de se donner à elle-même sa propre loi suprême sans être subordonnée à une puissance extérieure. C’est un problème qui est généralement évoqué très rapidement, le seul point dans notre histoire politique récente est la fameuse constitution européenne des années 2000-05, élaborée par une convention dirigée par l’ancien président français Valérie Giscard d’Estaing, introduit dans un traité à Rome en 2004 et qui aurait dû être mise en œuvre si la France, suivie par les Pays-Bas, n’avait pas refusé ce texte par le referendum du 29 mai 2005. La question que posait ce texte est précisément celle-là : est-ce une véritable constitution et, si ce n’est pas le cas pourquoi le faire mentionner à 150 reprises dans le traité. Si c’en est une, ça implique que l’Europe ainsi constituée aurait dû devenir un état au moment où on aurait introduit cette constitution.
2) La constitution au sens formel
Au sens formel, le mot constitution désigne « l’ensemble des règles, quel que soit leur objet, qui sont énoncées dans la forme constitutionnelle ». Généralement contenue dans un document spécial et dotées d’une valeur supérieure à celles des lois ordinaires, ces règles ne peuvent être révisées que suivant une procédure particulière, plus lourde que celle qui est exigée pour modifier ces dernières.
A) Constitution écrite ou non-écrite
i) Les constitutions écrites
Le point fondamental ici est la question de la valeur. En principe une règle constitutionnelle a une valeur juridique supérieure à celle de toutes les autres règles de droit positif ce qui se traduit par la rigidité des lois constitutionnelle peu importe qu’elles soient écrite ou pas. Il y a une dissociation entre le caractère écrit d’une norme constitutionnelle et la valeur suprême de la constitution. Ce qu’on appelle constitution écrite c’est une constitution qui a une date de naissance et qui s’organise de l’article premier à l’article dernier, éventuellement précédé par un préambule et suivie par des annexes ou des amendements. Une constitution écrite c’est une constitution codifiée. Au XIXe siècle, on a considéré que c’était très important que la constitution soit « écrite », rédigée et codifiée d’abords pour que ces textes soient connaissables et pour que chaque citoyen puisse se l’approprier, enfin l’idée est que si la constitution peut la connaitre, cette constitution sera respectée par l’état (optimisme). La chose en France apparait encore plus urgente lorsque les États-Unis le font en premier. De fait, en France, depuis la constitution du 3 septembre 1791, toutes les constitutions sont des constitutions écrites sauf celle de la IIIe république.
ii) Les constitutions non-écrites ou coutumière
C’est le cas par exemple des lois fondamentales du royaume d’Ancien Régime, elles remontent pour certains d’entre elles au début du moyen âge, par exemple le principe d’hérédité des hommes à partir de la guerre de Cent ans pour éviter que la couronne de France ne tombe entre les mains des rois d’Angleterre ou encore des règles plus tardives comme le principe de Catholicité (Henri IV) qui n’apparait qu’à partir du XVIe siècle puisqu’avant cela il n’y a pas de distinction entre les catholiques et les protestants, avant la Réforme la question ne se pose pas. Dans une constitution non-écrite il peut y avoir un ensemble de règles qui ne sont pas codifiée et qui par ailleurs remontent à des époques très différentes (on ne peut dater la constitution de l’Ancien Régime ni celle de la Grande-Bretagne : Grande Charte de 1215 & d’autres règles constitutionnelles établies au début du XIX, XXe et XXIe comme la mise en place d’une Cour suprême). Tel était le cas jusqu’à la fin de la 2eme guerre mondiale pour la constitution hongroise dont les premières dispositions étaient contenues dans la Bulle d’or de 1222.
Ce qu’il faut noter c’est qu’il n’y a pas de liens nécessaire entre le caractère écrit et la valeur juridique de la constitution en question (états socialistes du XXe). Une constitution rigide peut être non-écrite : les lois fondamentales du royaume de l’Ancien Régime qui sont considérées comme absolument intouchables et considérées comme supérieures aux lois ordinaires avec ici une distinction opérée par les juristes de l’ancien régime entre les lois fondamentales du royaume et les lois du roi qui correspondent à nos lois ordinaires. Les lois du roi, même si le roi est souverain, ne peuvent pas violer les lois du royaume qui sont juridiquement au-dessus d’elles. Si le roi fait des lois contraires, elles peuvent être neutralisées par des juridictions, ce qu’on appelle les parlements du Royaume qui sont donc des juridictions suprêmes qui existent dans les principales provinces du royaume et qui sont chargées de contrôler la conformité de la loi du roi aux lois du royaume. Si les lois du rois ne sont pas conforme, les parlements ont l’obligation de refuser d’enregistrer les lois du roi, refuser de leur donner une pleine valeur juridique puisqu’une loi non enregistrée est considérée comme n’existant pas.
B) Constitutions souples ou rigides
i) Un rapport nécessaire
Le principe
Parce que la constitution encadre le pouvoir du souverain, elle est souvent plus rigide que les autres lois. En effet, si une simple loi peut les changer, le souverain pourrait modifier aussi souvent qu’il le veut les règles qui l’organisent lui-même : une règle que l’on peut modifier à notre guise, sans risque de sanction, n’a plus grand-chose d’une véritable règle de droit. La supériorité constitutionnelle quant à elle s’organise par des institutions chargées de censurer les lois anticonstitutionnelles (Conseil constitutionnel). La différenciation des formes manifeste et conditionne la différenciation hiérarchique. Si les règles constitutionnelles ne peuvent pas être élaborées avec la même facilité que les lois, c’est pour manifester leur supériorité hiérarchique qui existe car ces règles répondent à des questions de la plus haute
importance : l’organisation du pouvoir souverain.
Toutefois, cette rigidité est susceptible de variations, il y a une échelle entre rigidité extrême, dans laquelle il sera presque impossible de modifier la constitution (Louis XIV tenta de faire légitimer ses batards mais le Parlement de Paris refusa) et une rigidité faible, les hypothèses où il sera facile de le faire (la Ve République permet 2 manières de révision dont l’une est simple si on dispose d’une majorité au Parlement : Chirac 1995-2007 elle sera modifiée une fois par an).
L’exception britannique
Au Royaume-Uni, on considère que la constitution peut être modifiée au contraire par une simple loi, et ce, dans tous ses éléments. C’est ce que décrit De Lolme en 1774 dans La constitution d’Angleterre lorsqu’il dit qu’en « Angleterre le Parlement peut tout faire sauf changer un homme en femme et une femme en homme » à comprendre que le Parlement peut faire tout ce qui est juridiquement possible, les seuls impossibilités sont d’ordre matériel, la « puissance législative change la constitution comme Dieu crée la lumière ». Le Parlement peut alors s’il le souhaite, changer l’ordre d’accession au trône, abolir le Parlement lui-même (comme il a pu le faire au XVIIe), ou modifier les prérogatives accordées, comme ça a été le cas progressivement au XXe siècle avec la Chambre des Lords qui a vu ses pouvoirs législatifs être réduits en 1911 et 1949 avec les Parliament Act et juridictionnel avec le transfert de compétence à une Cour suprême en 2005 avec le Constitution Reform Act. Plus récemment, en 2011, le Fixed-Term Act a aboli la prérogative royale de dissolution du Parlement, alors utilisée par les 1er ministres pour réorganiser des élections législatives plus favorables. Au total, la constitution anglaise parait parfaitement souple au point qu’elle ne semble avoir aucune consistance formelle, Tocqueville disait d’ailleurs que l’Angleterre « n’a pas de constitution réelle », les règles constitutionnelles ne se distinguent pas des lois ordinaires. On retrouve le même principe en Israël où la constitution non écrite accorde à la Knesset de semblables pouvoirs. Mais cette souplesse ne dépend du caractère non écrit des constitutions. En effet, la Chartes de la Restauration (1814) et celle de la Monarchie de Juillet (1830) ne prévoient pas de procédure de révision ni de différenciation entre lois ordinaires et organiques ce qui a conduit certain auteurs à considérer que n’importe quelle loi pourrait en modifier le contenu. C’est également le cas pour la constitution de la République Populaire de Bulgarie qui, dans sa constitution de 1947, accorde les pleins pouvoirs à l’assemblée comme « le détenteur du pouvoir de l’état dans toute sa plénitude ».
Toutefois, il y a une distorsion entre l’apparence et la réalité. Si théoriquement dans ces constitutions, toute révision est possible, dans la réalité il existe un certain nombre de points qui échappent à la possibilité d’une remise en cause légale. La charte de 1814 octroyée par
Louis XVIII écarte, implicitement, la remise en cause du pouvoir monarchique puisque la Chambre des députés et la Chambre des pairs, tirent leur légitimité de cette charte, octroyée par le pouvoir royal. De même, le Parlement britannique ne saurait supprimer les élections démocratiques sans se resituer non plus dans un processus de révision constitutionnelle mais dans une vision révolutionnaire entendue comme la violation massive et répétée des grands principes constitutionnels. On passerait alors d’une approche juridique à une approche politique.
ii) Un rapport problématique
S’il existe un lien nécessaire entre la constitution matérielle et la constitution formelle, il faut souligner que ce rapport peut être problématique ; dans la mesure où il n’y a pas toujours coïncidence entre les deux. Car la constitution matérielle n’est pas forcément dotée dans sa totalité d’une valeur supérieure : certaines règles capitales peuvent, pour une raison ou pour une autre, ne pas figurer dans le texte constitutionnel et donc, ne pas bénéficier de la valeur attachée à ce dernier. Il en va ainsi, par définition, des règles issues de la coutume ou de l’usage : le président du Conseil de la IIIe république, devenu assez rapidement l’homme fort de l’exécutif, en raison du déclin de la fonction présidentielle, n’était même pas prévu par les lois constitutionnelles de 1875, d’où sa position paradoxalement fragile. Inversement, certains éléments étrangers à la constitution matérielle, peuvent se trouver dotés d’une telle valeur. Carl Schmitt en donne pour exemple l’article 144 de la Constitution de la République de Weimar de 1919 organisant l’inspection des écoles. Dans sa version actuelle, la constitution autrichienne de 1920 comporte elle aussi ce type de dispositions, a priori, étrangères à l’organisation et au fonctionnement de l’état. C’est l’une des raison pour lesquelles la Haute Cour constitutionnelle autrichienne a été amenée à distinguer entre les règles constitutionnelles ordinaires, d’une part, et les principes fondamentaux de l’autre, ces derniers étant dotés, contrairement aux précédents, d’une rigidité renforcée puisqu’ils ne peuvent être révisés que par référendum : ce qui dans ce cas particulier illustre et confirme le rapport étroit existant entre la dimension matérielle et la dimension formelle de la constitution. Ainsi la constitution formelle ne saurait-elle, à elle seule, parvenir à rendre compte de la réalité du pouvoir d’état, d’un pouvoir qui, dans son organisation et dans son exercice, évolue en permanence, au gré des circonstances et de son détenteur. Derrière les règles il y a en effet toujours leur auteur, ainsi que le titulaire de l’autorité politique, dont les décisions ont des conséquences considérables sur la réalité constitutionnelle.
3) La constitution au sens organique
L’un des reproches faits à Hans Kelsen, lorsqu’il définit l’état comme un ordre juridique et la constitution comme la norme suprême au le sommet de cet ordre pyramidal, c’est d’évacuer la question des origines : d’où vient la constitution, comment l’a-t-on conçue, et pourquoi ? Au-delà, cette approche strictement juridique parait éliminer la personne du constituant, la volonté du souverain, c’est-à-dire la dimension politique et existentielle de la constitution, en même temps, du reste, que sa dimension historique. La constitution ne se conçoit plus alors qu’en dehors de la temporalité, dans l’éternel présent du droit pur.
A l’inverse, la notion organique de la constitution tend à définir celle-ci comme une décision politique du souverain : cette présence et cette intervention étant présupposées par la notion matérielle comme par la notion formelle. Sur un plan matériel, le contenu de la constitution, les règles d’organisation du pouvoir et surtout ses principes fondamentaux, l’idée directrice du système, sont nécessairement déterminés par le « constituant originaire ». L’origine de la constitution, en effet, ne saurait être une règle qui a bien dû être posée au préalable, elle procède toujours d’un « être politique concret », existant empiriquement et qui, surtout, continue à exister à côté de la constitution et au-dessus d’elle, sans se fondre ni se dissoudre dans la règle de droit. C’est le cas du peuple français dont l’existence et le pouvoir souverain préexistaient à la Constitution de 1958 qu’il a adopté : à cet égard, on pourrait s’interroger sur l’article 3 de cette constitution qui semble lui attribuer une souveraineté que par définition même il possède déjà, puisqu’il est l’auteur de la constitution. En fait l’article 3 se borne à conférer une dimension juridique à ce qui, lors de l’acte constituant originaire échappait forcément au droit pour ne relever que du politique, la souveraineté, mais qui conserve, en plus de son caractère juridique, ce caractère et cette nature après comme avant l’établissement de la constitution. C’est le cas également de la charte constitutionnelle de 1814, dont l’article 14 déclare le roi chef suprême de l’état alors qu’elle-même a été librement octroyée par celui-ci. Sur un plan formel, par ailleurs, la rigidité des règles constitutionnelles dans son étendue et dans son intensité, dépend de l’importance que le constituant a entendu donner à telle ou telle disposition, en fonction du projet politique global qui est le sien. Quant au constituant, il sera soit le souverain lui-même, s’exprimant directement, soit son représentant, expressément investi par lui de ce pouvoir. Quoiqu’il en soit, le souverain demeure toujours à l’arrière-plan de la constitution comme une donnée essentielle irréductible, C’est pourquoi il est nécessaire de l’inclure dans une définition globale de celle-ci qui pourrait être la suivante : la constitution est l’ensemble des règles régissant l’organisation, le fonctionnement et l’orientation générale du pouvoir de l’état, déterminées par une décision politique du souverain et dotées par lui d’une forme spécifique et d’une valeur suprême.
II) Le fonctionnement de la constitution
1) Naissance et mort des constitutions
A) La naissance
Celle-ci résulte d’une décision politique du constituant (organique), cette décision sera expresse lorsqu’il s’agit d’une constitution écrite, c’est-à-dire qu’à un moment donné le constituant va décider que telle sera désormais la constitution, mais sera une décision implicite dans le cas des constitutions coutumières, puisque finalement toute une série de règles va s’amonceler au cour du temps, raison pour laquelle les constitutions du Royaume-Uni ou de la France d’ancien régime n’ont pas de date particulière mais demeurent nées d’une décision unilatérale du souverain en tant qu’il joue le rôle du constituant, elles sont imposées et ne résultent jamais d’un accord, d’une convention, même lorsqu’il est ainsi en apparence (sauf dans le cas des constitutions fédérales qui supposent un accords entre états fédérés).
i) L’écriture du projet
C’est la préparation du texte constitutionnel qui peut être plus ou moins longue et fructueuse. Trois méthodes existent et réunissent à chaque étage moins de gens : l’assemblée constituante, la convention et le groupe de travail.
L’assemblée constituante
Consiste à confier l’élaboration du texte constitutionnel a une assemblée qui a été soit spécifiquement élue par le peuple (1793, 1848, 1875, 1946), soit considérée comme représentative du peuple (les états généraux se déclarent Assemblée constituante en 1789 pour 1791). Outre le fait de la Ve République, toutes les constitutions françaises ont été élaborées par ce moyen, il s’agit a priori de la méthode la plus conforme aux principes démocratiques. Même lorsque le peuple n’est pas appelé à ratifier la nouvelle constitution, l’assemblée en question est censée représenter le souverain : ses membres sont élus lors d’élections classiques et conformes aux règles démocratiques. D’où le terme d’assemblée nationale comme si l’assemblée reflétait exactement ce que veut la nation à travers l’élection de ses membres. Au Maroc par exemple, en 2011 au moment du printemps arabe, l’une des grandes revendications des partis les plus radicaux était l’élection d’une assemblée constituante, le fait que dans un tel cadre ce soit une revendication majeure montre bien la mythologie qui entoure ce mode de création. De même au Chili a eu lieu en octobre 2020 un referendum national qui proposait une nouvelle constitution rédigée par une assemblée constituante, il y a donc l’idée au fond qu’elle est le peuple elle-même et va pouvoir prendre les meilleurs décisions et qu’ensuite enfin les choses iront mieux (un coté pensée magique). La réalité est néanmoins beaucoup moins rose et si on prend un peu de recul, on constate que cette procédure comporte des défauts pratiques, extrêmement préjudiciables, conséquence des avantages qu’elle apporte.
Non seulement, (1) elle va être lente alors qu’elle est réunie au contraire pour mettre fin le plus rapidement possible à une situation instable révolutionnaire (1789-1791, 1871-1875, Tunisie 2011-2014) mais, (2) parce qu’elle va être divisée en courants politiques antagonistes, reflétant alors les grandes dissentions politiques internes, la solution constitutionnelle qu’elle proposera sera pleine de compromis et de contradictions. Les constitutions de 1791, 1848 et 1871 furent ainsi élaborées dans une assemblée constituée d’une minorité radicale et d’une légère majorité conservatrice. La scission sera telle en 1871 qu’on ne parviendra pas à produire une constitution mais qu’on se contentera de simples lois constitutionnelles satisfaisant passablement les revendications des républicains minoritaires et de la majorité royaliste scindée entre les conservateurs et les libéraux. En 1946, dans le même sens, l’assemblée est divisée en trois groupes principaux : les communistes fidèles à Staline & pour la dictature du prolétariat, les socialistes et les chrétiens-démocrates suivants les enseignements du Pape et hostile à une politique de nationalisation complète. Au final, à l’époque, De Gaulle appelle à accepter le referendum pour pouvoir réformer au plus vite la constitution.
La convention
Jacques Necker, ancien ministre de Louis XVI écrivait « une constitution politique toute nouvelle ne peut jamais être combinée avec prudence par un assemblée nombreuse, surtout quand elle prend en mains dans le même temps le gouvernement de l’empire, car les discussions journalières que ses vastes fonctions occasionnent multiplient les altercations, entretiennent les animosités, exaltent l’esprit de parti ; et au milieux de tant de passion, comment espérer aucune unité dans les vues, aucune harmonie dans les volontés dans les plans, aucun accord même et dans les volontés et dans les intentions », « les américains, lorsqu’ils voulurent en 1787 donner à leur pays une constitution nouvelle, investirent de leur confiance un petit nombre de députés, qui se livrèrent uniquement à cette grande méditation, et qui n’eurent pas dans le même temps à diriger l’état. Une seule obligation leur était imposée, et de plus ils n’étaient pas, comme les législateurs de la France, habituellement distraits dans leurs travaux par le tumulte des spectateurs ». En effet en 1787 les 13 anciennes colonies élièrent 65 représentants (dont 55 siègeront) qui iraient former les rédacteurs de la Constitution fédérale à Philadelphie. Parce qu’ils formaient un groupe homogène culturellement (juristes), socialement (bourgeois aisés) et idéologiquement, ils travaillèrent efficacement. En effet, non seulement ils choisirent à l’unanimité leur président, George Washington, mais seul 13 d’entre eux refusèrent de signer la Constitution (l’unanimité des votes par état). La convention nous parait extrêmement pertinente puisque contrairement à la France qui connut de nombreuses constitutions, celle des États-Unis demeure la même, deux siècles et demi après.
Le groupe de travail
Ca consiste à faire élaborer le texte de la constitution par un petit groupe voire très petit groupe de personnes qui ont été choisies à l’avance pour leur compétences et, par ailleurs, pour leur adhésion au choix politique de la personnalité dominante de l’époque. Cette méthode est souvent liée par la présence d’un « homme fort » dans un contexte révolutionnaire qui va suggérer voire imposer son projet et qui va demander à ce petit groupe d’expert de mettre le projet en forme. C’est le cas de Bonaparte en 1799, de Napoléon III en 1852, du maréchal Pétain en 1943 et surtout du Général de Gaulle en 1958. En un sens c’est un peu le contraire exacte de l’élaboration par une assemblée constituante, ce système apparait très peu démocratique d’où son surnom d’ « élaboration bonapartiste ». Mais, le bon côté est là encore comme la convention, une élaboration fulgurante (quelques semaines voire quelques jours) dans un contexte de crise, et une forte cohérence puisqu’il reflète le travail d’un groupe uni.
Les systèmes combinés
Les assemblées constituantes vont parfois désigner en leur sein un petit groupe plus ou moins assimilable à la convention américaine, pour élaborer un avant-projet sur lequel l’assemblée pourra discuter. C’est le cas en 1789 mais aussi au début de la IIe République élue en avril 1848 qui va créer le 17 mai le Comité de la constitution formé de 18 membres chargés de discuter l’avant-projet, parmi lesquels siège Alexis de Tocqueville. De même au début de la IIIe, l’assemblée va désigner en novembre 1873 la Commission des Trente qui, sous la direction d’Anselme Batbie, député conservateur, va élaborer les lois constitutionnelles de la République.
En 1958 le processus est divisé en deux temps : (1) élaboration d’un avant-projet par un groupe de travail dirigé par le Garde des Sceaux Michel Debré, (2) révision par le comité consultatif constitutionnel (convention) composé d’hommes politiques choisis au sein de l’Assemblée nationale et du conseil de la République et présidés par Paul Reynaud, qui vont examiner et proposer des modifications durant les 20 jours de leur mandat.
En 1962 en Algérien, Ben Bella, secrétaire général de l’Assemblée nationale devenu le 1er chef du gouvernement, va trier sur le volet un petit groupe qu’il réunit dans le cinéma Majestic de Bab-el-Oued le 31 juillet 1963, auteurs de la constitution algérienne.
ii) La naissance
Là encore on peut distinguer plusieurs hypothèses même lorsqu’on se limite aux cas où le peuple est considéré comme souverain.
(1) L’assemblée constituante, qui a préparé un texte, va l’envoyer au peuple qui va le confirmer par referendum, ainsi le peuple élit l’assemblée constituante et ratifie le texte élaborée par celle-ci au bout du compte. Ce sera le cas des constitutions de la 1ère république avec les référendums de juillet 1793 et septembre 1795 et celui de la IVe république avec les referendums de mai et d’octobre 1946. C’est évidemment le système le plus radicalement démocratique, le peuple intervenant au début et à la fin. Cela ne préjuge néanmoins pas de la qualité intrinsèque de la constitution. De fait, dans les cas en question, la constitution est de très mauvaise qualité.
(2) L’assemblée prépare un texte mais ne le présente pas au peuple soit parce qu’elle refuse la légitimité du référendum (1791), soit parce qu’elle considère qu’elle n’a pas élaborée de constitution véritable et que le texte auquel elle est parvenu est un texte de transition qu’on adopte parce qu’il faut quelque chose (1875). La loi fondamentale allemande de 1948 a été élaborée par 60 représentants des landers, puis ratifiée par les parlements des landers, d’une part, par méfiance à l’égard du référendum, adopté massivement Hitler et lié à une politique populiste auxquels les parlementaires sont hostiles, et d’autre part, parce que le texte ainsi conçu est considéré comme transitoire en attente de la réunification des deux Allemagnes (RFA et RDA).
(3) Un groupe de travail plébiscite le peuple, c’est le cas des constitutions napoléoniennes de 1799, 1800, 1802, 1804 et 1814 mais aussi de la constitution de 1852 et de la Ve République (procédure qui lui vaudra de la part de ses ennemis la qualification de constitution plébiscitaire, les communistes n’hésitent pas à comparer De Gaulle à Napoléon)
(4) La convention type américain s’adresse au peuple pour ratification. C’est le cas aux États-Unis en 1787, cette ratification par le peuple des états va se réaliser en ordre dispersé parce que certains petits états commerciaux se dépêchent de ratifier (le Delaware la ratifie des décembre 1787), d’autres sont plus réticents (le dernier est Rhodes Island le 29 mai 1790 sous la menace d’une rupture immédiate de toute relation commerciale avec les États-Unis).
B) La disparition
Dans la plus part des cas une constitution remplace et est remplacée par une autre, les seules exceptions sont les hypothèses de création d’un nouvel état à partir d’un ensemble plus grand (Tchéquie – Slovaquie en 1992).
i) Le contexte
Le contexte d’un changement de constitution est toujours révolutionnaire. La constitution étant une décision politique globale du souverain (organique), ça implique que celle qui la remplace opèrent une remise en cause fondamentale des choix précédents. Cette idée se trouve confirmée par l’histoire constitutionnelle française, en effet, chaque nouvelle constitution a été adoptée dans un contexte de révolution s’accompagnant parfois de troubles dans la rue (1789, révolte du 10 aout 1792, 1830, 1848, 1870) mais pas toujours (1799, 1852, 1958)
Au contraire, on ne peut parler de nouvelle constitution lorsque, fondamentalement, les grands principes n’évoluent pas. Sous Napoléon, même si on a une constitution en 1799, 1800, 1802, 1804 et enfin 1814, la base reste la même et à chaque fois on a simplement une évolution des pouvoirs du gouvernant. De même au Maroc, la depuis la constitution de 1962 ayant suivi l’indépendance de 1956, même si celle-ci a été révisée à de nombreuses reprises (la plus récente datant de 2011), elle est globalement restée la même : un système monarchique.
ii) Les modalités
Les modalités de disparition d’une constitution sont donc symétriques à celle de l’apparition de la suivante. Soit la disparition résulte d’une nouvelle décision du souverain, qui remet en cause sa décision précédente, c’est le cas en 1958, lorsque le peuple consulté par référendum, fait disparaitre la constitution de la IVe république qu’il avait approuvé douze ans plus tôt pour adopter celle de la Ve république. Soit la disparition résulte d’une décision d’un nouveau souverain. C’est ainsi qu’en 1791 le peuple se substitue au roi pour établir la nouvelle constitution ; et qu’en 1814, le roi reprend la place du peuple en octroyant une Charte constitutionnelle. Dans ce cas, qui est évidemment le plus topique, la disparition de l’ancienne constitution n’est qu’au fond que la conséquence immédiate et nécessaire du changement de souverain.
2) Evolutions
A) La pratique et les usages
Les usages consistent, lorsque la constitution est muette ou autorise plusieurs solution distinctes, à choisir de façon habituelle telle ou telle solution qui peuvent résulter de la tradition, de la courtoisie mais ne constituent pas de véritables règles et ne sont pas juridiquement sanctionnées.
Par exemple, la jurisprudence Balladur établie en 1993 consistait à ne pas maintenir au gouvernement un ministre mis en examen dans le contexte d’une époque troublée par des affaire politico-judiciaires de premier plan. Entre 1998 et 2002, Lionel Jospin va quant à lui affirmer l’incompatibilité des fonctions de ministre et chef d’exécutif local (maire, président conseil de, régional) et va demander aux membres de son gouvernement de choisir entre leur ministère ou leur fonction locale. La jurisprudence Fillon énoncée en 2007 va quant à elle considérer que les ministres devaient être choisis parmi les députés alors même que juridiquement il n’y a aucun changement.
i) Coutumes et conventions
Les coutumes
Une coutume est une règle qui ne résulte pas de la volonté expresse de l’autorité publique mais de la pratique des membres du groupe social considéré et plus précisément de 2 éléments : la répétition fréquente, durable, ininterrompu d’un même comportement et l’opinio juris ou la conviction que ce comportement a une valeur juridique et qu’il est donc obligatoire de se comporter ainsi, à quoi s’ajoute sa reconnaissance par une juridiction ou à l’inverse qu’aucune juridiction n’ait choisi de sanctionner ce type de comportement. Dans le procès des sondages de l’Elysée, les accusés affirmèrent que le non-usage du code des marchés publics par la présidence n’avait jamais été respecté depuis Mac-Mahon raison pour laquelle ils se considéraient dans la légalité. Dans la mesure ou la coutume va être amenée à régir des situation déjà envisagée par d’autres règles on va distinguer selon que la coutume se contente de préciser le droit à côté des règles déjà en vigueur (coutume pareter legem, à côté de la loi) et ce qu’on appelle la coutume contra legem qui va aller contre la loi. La coutume occupe une place très importante dans les constitutions non écrites comme au Royaume-Uni ou française de l’ancien régime.
Et, parce que la coutume n’est pas fixée, les exemples d’évolutions coutumières sont très nombreux même si dans certains cas on peut considérer que les choses ne sont pas évidentes. On peut évoquer sous la IIIe république l’apparition de la fonction du président du conseil. Les lois de 1875 prévoient la fonction de président de la République avec l’idée qu’au fond, le président va continuer à jouer un rôle au sein de la république notamment avec ses rapports avec le gouvernement et le Parlement. Sauf que les choses vont aller différemment notamment parce que le 1er président véritable de la IIIe république : le maréchal de Mac-Mahon, officier couvert de gloire et monarchiste convaincu, va être élu par l’assemblée nationale constituante monarchiste comme Président de la République en 1873 mais que justement, son engagement politique et la décision de dissoudre la chambre des députés, alors républicaine, en juin 1877, perçue comme un acte de guerre, vont discréditer largement sa fonction et l’affaiblir puisque après cette utilisation du droit de dissolution, celui-ci va être bloqué de manière coutumière et rendu quasiment inutilisable (coutume négative, il a théoriquement le droit de le faire mais en vertu de la coutume ce droit restera bloqué pendant la totalité de la 3e république entre 1877 et 1945). A partir de là le Président de la République ne compte pratiquement pour rien il n’est plus là que pour inaugurer les écoles, fleurir les tombes de ses prédécesseurs et c’est tout. Or il faut bien que quelqu’un s’occupe de diriger l’exécutif et justement ce quelqu’un va être institué par la coutume : le Président du conseil. Cette coutume est praeter legem et se situe à côté de la constitution sans pour autant remettre en question des règles constitutionnelles existantes et porter atteinte à la constitution. Est-ce que le non-usage de dissolution sous la IIIe république est une coutume contra legem qui interdirait une procédure pourtant autorisée par la loi ou simplement le résultat d’un rapport de force politique ? Sous la Ve République, la délégation du vote des députés, pourtant interdit par l’article 27 de la constitution est un exemple de coutume contra legem.
Les conventions
Pratiques qui définissent la vie publique et qui résultent d’accords informels eux-mêmes considérés comme obligatoires et qui, de fait, vont modifier la constitution. L’élément central est le caractère conventionnel de la règle, elle va émaner d’un accord entre les personnes concernées (entre députés, ministres, parlementaires et ministres) alors qu’à priori la coutume a pour caractéristique de s’imposer de manière unilatérale. Ces conventions peuvent, comme la coutume, jouer un rôle très important dans l’équilibre et la pratique ; Le cas le plus célèbre est celui du Royaume-Uni puisqu’on considère qu’une grande partie de la constitution résulte de ces « conventions de la constitution » et en particulier le principe du régime parlementaire. Les principes fondamentaux des régimes parlementaires sont (1) l’obligation juridique pour le cabinet (gouvernement) dirigé par le 1er ministre de démissionner lorsqu’il a été mis en minorité par la chambre des communes en vertu d’un accord informel élaboré au cours du XVIIIe siècle entre les gouvernements successifs et les majorités successives à la Chambre des communes et (2) le fait que dans ce régime parlementaire le Roi a, en vertu des textes constitutionnels, pratiquement tous les pouvoirs (prérogatives royales) sauf que dans la réalité c’est le 1er ministre, responsable devant la chambre des communes, qui les possède. Au fond, la totalité des éléments fondamentaux du système parlementaire britannique ne résulte pas de textes écrits mais véritablement de quelques variantes de la coutume que sont les conventions. Autre exemple : en Autriche c’est également en vertu d’une convention que le Président fédéral quoiqu’élu au suffrage universel direct renonce à exercer des très larges compétences qu’il tire de la constitution qui vont être exercées par le chancelier qui dispose du rôle prédominant. Plus récemment en Afrique subsaharienne, on a pu noter que « la crise de la normativité de la constitution » a eu pour contrepartie « le triomphe du conventionnalisme constitutionnel », donnant le sentiment que « se développe, en marge de la norme elle-même et dans le dos du constituant, une entreprise de contrefaçon normative ». C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, les accords de Marcoussis du 23 janvier 2003 ont substantiellement modifié la répartition des pouvoirs au sein de l’exécutif, dépouillant le Président, au profit du 1er ministre, des prérogatives qu’il tenait de l’article 3 de la Constitution de 2000, qui faisait pourtant de lui « le détenteur exclusif du pouvoir politique ».
ii) Les problème posés par la coutume.
La constitution prévoyant précisément la manière dont elle doit être réformé, tout ce qui ne rentre pas dans ce cadre-là doit être considéré comme illicite. Ainsi, à moins qu’elle intègre la coutume comme moyen de la changer, ces pratiques relèvent uniquement du fait et non du droit. Ainsi, lorsque les députés en 1986 refusèrent de réaffirmer l’interdiction du vote par procuration, ils n’avaient théoriquement pas le droit, mais le firent car c’était dans leur intérêt. De même que sous la IIIe République, le président pouvait légalement dissoudre l’assemblée mais, parce qu’elle était considérée comme souveraine, ça aurait été s’attaquer aux principes démocratiques, faute politique qui n’aurait pas été permise par le Sénat dont l’accord était obligatoire. Les coutumes sont, au final, des pratiques illicites non sanctionnées qui pourront être constitutionnalisés comme ça été le cas avec la Constitution Suisse de 1999 qui légalisé des pratiques coutumières datant d’après 1874.
B) La jurisprudence constitutionnelle.
L’interprétation :
Toute règle a besoin d’être interprétée ne serait-ce que pour évaluer si elle est suffisamment clair pour ne pas l’être. Sur ce sujet, la doctrine se divise pour savoir jusqu’à quel degrés doit porter l’interprétation constitutionnelle. Pour Raoul Berger (Government by Judiciary), il faut s’en tenir strictement à l’intention originelle de l’auteur que l’on connait grâce aux archivistes (échanges, débats, orientations choisies) sinon quoi, on outrepasse la volonté du peuple et on se rapproche d’une approche oligarchique où les juges vont substituer leur volonté à celle du souverain. Pour les soutiens de l’interprétation finaliste ou théologique : le juge constitutionnel doit participer à l’évolution de la règle constitutionnelle dans le respect de l’esprit général de la Constitution (Marbury c. Madison 1803 : le contrôle constitutionnel permet de garantir la supériorité de la Constitution sur les lois). Dans le même sens, une interprétation restrictive peut se faire : on restreint l’étendue des pouvoir donnés par la constitution au profit du respect de l’esprit de celle-ci (1962 suffrage Charles de Gaulle : le Conseil constitutionnel se refuse de contrôler les lois référendaires).
La création normative :
En vertu de l’article 9 du Code civil, le déni de justice est interdit en France. Ainsi, lorsque le juge, même constitutionnel, ne dispose pas de base légale sur laquelle juger, il doit innover. C’est ainsi que le 16 juillet 1971 le Conseil constitutionnel constitutionnalisa le préambule de la constitution et, par extension, les textes cités, ce qui lui permis d’inscrire la liberté d’association, en autres, au rang de « Principe Fondamental des Lois de la République » sans qu’une réforme du pouvoir législatif ait été pourtant lancée. Le problème est alors, parce qu’on se situe au niveau suprême, de la légitimité. En quel honneur les juges constitutionnels pourraient-ils se donner le droit de légiférer sans l’accord du Parlement et du peuple ? C’est ainsi qu’en 1803 le Président Jefferson reprochera a la Cour suprême d’avoir fait de la constitution fédérale, à travers l’arrêt Marbury c. Madison, un « objet de cire » qu’elle pourrait désormais modeler à sa guise.
3) Les révisions
A) Les modalités de révision
Puisqu’au sommet de la hiérarchie, la constitution doit préciser les modalité de sa propre révision. Alors qu’avec les constitutions souples il n’y a pas de problème, pour les rigides il faut passer par plusieurs étapes.
L’initiative :
L’initiative peut soit être dévolue aux organes ordinaires : en France l’article 89.1 dit que cette compétence appartient soit au président de la République sur proposition du 1er ministre soit aux membres du Parlement. Elle peut être également donnée à des organes spécifiques comme en Suisse où le processus peut être initié par une pétition ayant recueilli plus de 100.000 signatures. De même, il peut exister des précisions sur les délais parce qu’on lui confère un caractère sacré et la révision peut être limité par un délais minimum la séparant de la précédente (France 1791 : au minimum 6 ans, votée par 3 législatures successives ; Portugal 284 1976 : 5 ans depuis la dernière sauf si vote des 4/5 députés), ou, au contraire, instituer une obligation de révision au bout d’un certain temps comme le défendra Condorcet au XVIIe siècle suivant les idées progressiste nécessitant une remise à niveau des institutions avec le progrès humain et de l’histoire (NY, Ohio, Maryland, Virginie : 20 ans ; Michigan : 16 ans ; New-Hampshire : 7 ans). Le cas le plus fréquent est celui d’une désacralisation de la Constitution qui rend possible une révision fréquente dans une vision utilitariste du texte (Chirac 1995-2007 + d’1 fois par an). Le risque alors est l’altération des révisions, on se met à produire des textes mal écrits ou pensés et le prestige de la constitution diminue.
La révision :
La révision, une fois lancée, peut être réalisée soit par des organes spécifiquement élus (« Convention » des États-Unis, « Assemblée de Révision » de 1791), réunis (« Assemblée Nationale » siégeant à Versailles de 1875) qui peuvent être soumis à des conditions particulières (7 & 8 Titre VII 1791), soit selon des procédure spéciales comme l’exigence de majorité accrues aux 2/3 (Allemagne 1919) ou 3/5 (France 1958).
La ratification :
Enfin cette révision qui n’est pas toujours obligatoire, peut être ratifiée éventuellement par le souverain lui-même, mais ce n’est pas toujours le cas comme en France où elle peut être effectuée par le congrès, procédure utile lorsqu’on craint que le peuple la refuse mais contestable du point de vue démocratique puisque le souverain est écarté de la décision. Des solutions comme cela existent en Italie : on donne la possibilité à 1/5 des députés ou 5 conseils régionaux ou 500k électeurs de demander la mise au referendum. Dans les systèmes fédéraux, c’est aux états fédérés de ratifier la révision.
B) Les restrictions
i) Les interdits
Les interdits sont des points dont la constitution précise qu’ils sont immuables. Ils se retrouvent dans les constitution écrites comme ça a été le cas à de nombreuse reprise :
-
L’article 4 de la Constitution espagnole de 1812 prévoyait que « la Nation est obligée de conserver et de protéger, par des lois sages et justes, la liberté civile, la propriété ainsi que les autres droits légitimes de tous les individus qui la composent ».
-
L’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire de 1815 (Cent Jours) interdisait, quant à lui, aux successeurs de Napoléon de commettre certains actes : « Le peuple français déclare que, dans la délégation qu’il a faite et qu’il fait de ses pouvoir, il n’a pas entendu et il n’entend pas donner le droit de rétablir les Bourbons, la noblesse, les droits féodaux, les dîmes, le culte dominant, etc. Il interdit formellement au gouvernement, aux Chambres et aux citoyens toute proposition à cet égard ».
-
Article 89.5 de la Constitution de 1958 dispose que « la forme Républicaine du gouvernement n’est pas susceptible de révision ». Point repris de la constitution de 1946, lui-même repris de celle de 1875 introduite par la nouvelle majorité républicaine en 1884 redoutant un retour aux anciennes institutions.
-
Article 175 de la Constitution du Maroc de 2011 dispose qu’aucune révision ne peut porter sur la religions musulmane, la forme monarchique de l’état, la démocratie et sur les acquis des droits fondamentaux.
-
Article 226 de la Constitution de l’Egypte de 2014 dispose que « en aucun cas, les dispositions relatives aux libertés, et à l’égalité ne sauraient faire l’objet d’une révision, si ce n’est pour en accroitre les garanties ».
Toutefois, ces interdits posent des problème théoriques et pratiques, Chesnelong va objecter qu’ils ne servent à rien puisqu’il suffit de s’en débarrasser préalablement pour toucher à son contenu. De plus, en quoi le souverain d’hier serait légitime pour imposer au souverain de demain quoi que ce soit, Albert Venn Dicey à ce sujet explique que « un pouvoir souverain ne peut pas, tout en conservant son caractère souverain, restreindre ses propres pouvoir par quelque disposition particulière ». Le seul moyen, comme l’explique Esmein, serait qu’ils obtienne un caractère supra-constitutionnel, relevant du droit naturel ou divin (« Le principe même de la République n’est désormais dans aucun article précis et particulier des lois constitutionnelles. Il est en dehors et au-dessus d’eux et domine la Constitution tout entière »), sauf que, jusqu’alors, personne n’a su explique comment. La remise en cause d’un interdit constitutionnel, qui protège normalement le principe fondamental du système, suscite une dernière question : peut-on encore parler d’une simple révision ou rentre-t-on dans le domaine de la Révolution ?
ii) Les limitations.
Pour qu’il y a révision, il faut que celle-ci respecte l’identité globale de la constitution, elle ne doit entrainer ni l’abrogation de l’ancienne constitution, ni l’établissement d’une nouvelle, ni remettre en cause les dispositions fondamentales (forme républicaine en France, structure fédérale en Allemagne), ni modifier un nombre trop important de dispositions constitutionnelles (sauf si prévue comme article 118 Suisse 1874).
III) La protection de la constitution
1) La protection par des organes politiques
A) La protection par le chef de l’exécutif.
La constitution de 1958, dans son article 5, établie que « le président de la République veille au respect de la Constitution », George Pompidou le qualifiait de « gardien de la Constitution » et Jules Ferry en 1877 affirmait qu’il devait en être « le gardien scrupuleux et le fidèle défenseur ». Néanmoins, on peut s’interroger de l’efficacité de confier le rôle de protecteur à celui qui aura le plus intérêt à l’outrepasser, à cet égard Charles de Gaulle n’avait pas hésité de 1958 à 1962 à « instaurer un état de coup d’état permanent » en forçant la main aux institutions (suffrage).
B) La protection confiée au peuple.
La Bulle d’or de 1222, un des textes fondateur de la Constitution de la monarchie hongroise disposait, par exemple, que le peuple avait le droit de désobéir aux lois contraires à la Constitution. De même, on retrouve cette idée dans la constitution de 1793 qui précise que « la République remet le dépôt de sa constitution sous la garde de toutes les vertus (du peuple souverain) » mais également de 1795 selon quoi « le peuple remet le dépôt de la présente constitution à la vigilance des pères de famille, au courage de tous les français ». Cet « appel patriotique » est en réalité un piège puisque ,ceux-là même qui l’auront inscrit dans la Constitution, n’hésiteront pas à réprimer tout révolte en prétextant l’illégitimité du soulèvement.
C) La protection des Sénat Napoléoniens.
i) Le Sénat conservateur.
Instauré dans la constitution de l’an VIII (25 décembre 1799), il est constitué de 80 membres inamovibles, nommés à vie par Sénat (sur une liste du 1er Consul) dont le rôle est de maintenir ou d’annuler tous les actes inconstitutionnels qui lui sont déférés par le Tribunat ou le Gouvernement. Imaginé à l’origine par l’abbé Sieyès comme manière de faire respecter la constitution, ce Sénat ne va rien conserver et même participer à l’accroissement des pouvoirs de Napoléon et l’avènement de l’autocratie impériale à cause, principalement, de son manque d’indépendance par rapport à l’exécutif (ne peut se saisir de lui-même, seulement par ceux qui n’ont pas intérêt à l’annulation).
ii) Le Sénat de la Constitution de 1852
Celui de Louis-Napoléon, élu président en décembre 1848, renverse la République le 2 décembre 1851 et rétablit l’empire en janvier 1852, semble potentiellement efficace puisqu’il est « le gardien du pacte fondamental et des libertés publiques. Aucune loi ne peut être promulguée avant de lui avoir été soumis » (25), il est compétent pour régler « tout ce qui n’a pas été prévu par la Constitution et qui est nécessaire à sa marche (27), pour déterminer « le sens des articles de la Constitution qui donnent lieu à différentes interprétations » (27), pour proposer des modifications à la constitution (31), pour annuler « tous les actes qui lui sont fédérés comme inconstitutionnels par le gouvernement, ou dénoncés pour la même cause, par les pétitions des citoyens » (29) et, enfin, pour s’opposer à la promulgation « des lois qui seraient contraires ou qui porteraient atteinte à la Constitution » (26). Mais, concrètement, à cause du caractère dictatorial du régime et donc, du manque d’indépendance, son impact sera nul.
2) La protection vers des organes juridictionnels
A) Les deux modèles
i) Les différences.
Le modèle américain :
Celui-là date de 1803 et la décision Marbury c. Madison, il comprend un contrôle :
-
Diffus : toutes les juridictions sont chargées de réaliser le contrôle et de protéger la constitution. La Cour suprême n’est alors que la plus élevée et, concrètement, celle qui va établir la jurisprudence aussi bien au niveau des états que fédéral.
-
Concret : il s’opère à l’occasion des procès
-
Par voie d’exception : se limite à demander de faire écarter l’application de la loi à l’espèce car (1) si une peut l’annuler, d’autres peuvent l’accepter (raison politique), (2) la séparation des pouvoirs interdit au juge de se substituer au légiférant (Bodin : il fait et casse la loi, si le juge peut l’annuler, il y participe) même si la finalité est la même (la non-application de la loi).
-
A l’autorité relative de la chose jugée : la décision ne vaut que pour l’affaire en cours .
-
A postériori : après l’entrée en vigueur de la loi (il faut nécessairement un procès).
Le modèle Européen :
Inventé par l’autrichien Hans Kelsen, il s’agit, cette fois-ci d’un contrôle :
-
Concentré : exercé par une juridiction suprême seule habilitée au contrôle qui se situe généralement en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire (le Conseil constitutionnel n’est pas au-dessus du CE ou de la CCass).
-
Abstrait : s’effectue hors du procès.
-
Par voie d’action : elle intervient directement sur la loi avec une neutralisation puisqu’elle empêche sa promulgation.
-
A l’autorité absolue de la chose jugée : s’impose à tous puisque la loi n’entre pas dans l’ordre juridique.
-
A priori : le contrôle s’opère avant la promulgation par le chef d’état, pour garantir la sécurité juridique.
ii) Les rapprochements
Des finalité communes :
Ces deux modèles se rejoignent sur le libéralisme politique tel qu’il est incarné au XVIIIe siècle par Montesquieu (Esprit des Lois, 1748) se caractérisant par une méfiance à l’égard du pouvoir de l’état (« tout pouvoir a tendance à abuser de lui-même »). L’idée est que tout pouvoir est suspect et que, plus il est limité (avec les contrepoids), mieux c’est (contraire de Rousseau et la loi du nombre représentant la volonté générale infaillible). Le point de vue américain se crée par la francophilie des constituants (Washington meilleurs ami de Lafayette) et celui des Européens avec la montée au début du XXe puis post-première guerre mondiale, de la volonté de protéger les droits individuels pour contrer les pouvoirs forts.
Des missions comparables :
L’objectif final est de faire respecter l’ordre constitutionnel à tous les niveaux, ce faisant, trois contentieux majeurs existent :
-
Contrôler les élections (expression populaire) et la vie politique (conformité des partis à l’ordre constitutionnel).
-
Contrôler la répartition verticale des pouvoirs, principalement dans les systèmes fédéraux (ou régionaux : Italie, Espagne) pour freiner les violations permanente des pouvoirs accordés à l’un et l’autre.
-
Contrôler la conformité des lois à la constitution pour maintenir l’équilibre institutionnel (répartitions compétences loi et règlements), protéger les droits fondamentaux et libertés publiques ainsi que l’intégrité de la Constitution elle-même.
Des organes analogues :
Dans les deux cas, leur nomination est politique (pas de formation requise) : aux États-Unis les 9 juges sont présentés au Sénat par le Président, en Russie depuis 1994 les 19 juges sont présentés devant le Conseil de la Fédération par le Président, en Italie trois sont nommés par le Président, trois par le Parlement et trois par les plus hautes juridictions, en France trois par le Président de la République, trois par le Président de l’Assemblée et trois par le Président du Sénat. De plus, ils bénéficient d’une certaine indépendance : un mandat long (à vie aux États-Unis ; jusqu’à la retraite en Autriche, Belgique ; 12 ans en RFA, Russie ; 9 ans en France), non renouvelable (plus rien à craindre, plus personne à qui complaire), une inamovibilité sauf pour raison grave (impeachment États-Unis pour « trahison, corruption, ou autres haut crimes et délits ») bien définie (si laissées à l’appréciation du révocateur risque de contrôle politique : Pologne 1985, la Diète peut révoquer pour « manquement à son serment » dont l’interprétation du manquement est défini et apprécié souverainement par elle).
De plus, depuis quelques décennies, les deux modèles tendent à se rapprocher. Du côté du modèle européen, on a pu noter, par exemple, l’apparition de systèmes mixtes, combinant contrôle diffus et contrôle concentré (Grèce, Chypre, Malte), ou encore, comme en Espagne, en RFA ou en France (depuis 2008), l’ouverture d’un recours à tous les citoyens devant la juridiction constitutionnelle (en somme un contrôle concret). Du côté américain, on a observé aussi, que la Cour suprême s’intéressait désormais rarement aux litiges ne comportant aucune question de constitutionnalité, apparaissant ainsi de moins en moins comme une juridiction ordinaire.
Chapitre 2 : un pouvoir délimité et justifié.
I) La séparation des pouvoirs
1) Le destin du principe.
A) La naissance du dogme.
i) De l’instrument…
Lorsque John Locke, s’inspirant du régime mixte antique, réinvente, dans son Essais sur le Gouvernement civil (1690), la séparation des pouvoirs, l’idée était au fond, de contrer toute forme d’absolutisme et de justifier la « Glorious Révolution » qui s’était opposée à la concentration des pouvoirs qu’avaient réalisés les Stuart alors. Le mécanisme vise à empêcher le résultat d’une situation où tous les pouvoir seraient concentrés dans les mains d’un seul. Pour Montesquieu « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté, parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même Sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple ; exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers ». C’est ainsi en réaction à l’omnipotence du « Long Parliament » que Cromwell instaura en 1654 le principe d’une séparation entre un Parlement titulaire seulement partiel de la fonction législative, et un exécutif qui, au contraire, est considérablement renforcé afin de lui faire contrepoids. Pour ces penseurs, la concentration des pouvoirs, contraire aux droits et libertés des sujets, est la remise en cause du contrat social tel qu’il a été initialement conclu entre citoyens et état.
ii)…au dogme.
Les Révolutions américaines et françaises feront passer ce moyen à un autre niveau. C’est ainsi que les Constitutions de 1787 et 1791 garantiront une forte séparation des pouvoirs, se traduisant par l’absence d’intervention de l’exécutif dans le législatif (pas d’initiative de lois) et inversement (ne peut renverser le gouvernement) puisqu’à l’époque, « on pensait que permettre à l’exécutif de proposer les lois c’était le plus souvent lui permettre de les imposer en fait à l’acceptation du Corps législatif ; l’initiative gouvernementale devait annihiler naturellement l’initiative parlementaire » (Esmein). Pourtant, dans les deux cas, à l’exécutif sera confié un droit de véto duquel Montesquieu disait que « si la puissance exécutrice n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du pouvoir législatif celui-ci sera despotique ; car comme il pourra se donner tout le pouvoir qu’il peut imaginer, il anéantira les autres puissances ». En France, bien que l’aile droite en voulût un absolu et qu’au contraire Sieyès militait pour en repousser toute forme « au nom d’une intransigeance métaphysique de la séparation des pouvoirs », le Roi pouvait écarter les lois qui ne pouvaient passer qu’après avoir été confirmé par trois législatures successives dans les mêmes termes (veto suspensif), seul moyen de « garantir la lenteur et la prudence dans la confection des lois ». Aux États-Unis, le veto présidentiel se surpasse par un double vote, cette fois-ci aux 2/3. Ce sera toutefois le Directoire qui passa le coche, suite à l’interlude de la constitution Jacobine de 1793, la Constitution de l’an III (1795) instaurera « la séparation la plus rigide qu’on n’eut jamais connue : elle traduit une préoccupation, qui va jusqu’à la manie, de morceler, d’émietter, de diviser les organes de l’état » (pas de veto, pas d’intervention réciproque, interdiction même pour l’exécutif de pénétrer dans l’enceinte du Conseil des Anciens ou des Cinq-Cents, DDHC : « la garantie sociale ne peut exister si la division des pouvoirs n’est pas établie ») ajouté à un affaiblissement du pouvoir en général (assemblée divisée approbation & initiative, exécutif évoluant changeant chaque année). Les résultats ne se feront pas attendre : les quatre années qu’elle durera ne seront que suite de coups d’état, aucun moyen n’ayant été prévu pour résoudre les conflits entre exécutif et législatif. Dans la suite, les constitutions françaises qui s’en réclameront (1848 : « la séparation des pouvoirs est la premier condition d’un gouvernement libre », 1852 : les constitutions napoléoniennes « n’est pas autre chose que le principe même de liberté, car ces institutions séparent complètement le pouvoir exécutif du législatif »), montreront, dans les faits, plus de prudence et de retenue. Le principe de séparation apparait comme un dogme dont on sait empiriquement qu’il est impossible de le respecter à la lettre.
B) Les contestation du principe.
i) Sur un plan théorique.
Pour Rousseau, les jacobins, les socialistes-marxistes, au nom de la démocratie (volonté générale toujours bonne en mesure de s’exprimer), le séparation est inutile et mauvaise puisque affaiblir le pouvoir du peuple revient à affaiblir un pouvoir bon. C’est ainsi que dans la constitution de 1793, la garantie sociale n’est pas subordonnée à la division des pouvoirs, elle « repose sur la souveraineté nationale » et exige seulement que « les limites des fonctions publiques » soient « clairement déterminées par la loi », pour le reste l’état se caractérise sur tous les plans par la confusion des pouvoir entre les mains d’un Corps législatif « un, indivisible et permanent », qui assure à lui seul la fonction législative, mais qui, par ailleurs, nomme, dirige, contrôle et remplace à son grès le « Conseil exécutif », lequel, très symboliquement, siège auprès de lui (régime d’Assemblée). Dialo, un théoricien bolchévique dira, pour son cas que « notre constitution, basée sur la dictature du prolétariat, n’admet pas la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire d’une série d’institution politiques qui s’équilibrent mutuellement » : un système qui apparait en effet « en contradiction avec les intérêts de la classe ouvrière », lesquels exigent impérieusement que l’état des prolétaires soit le plus fort possible, point, sur lequel la Constitution chinoise actuelle, les rejoindra.
ii) Sur un plan pratique.
Concrètement, la système de séparation des pouvoirs censé équilibrer les pouvoirs, ne fait au total, que favoriser la primauté d’un des trois sur les deux autres. Ainsi, Bagehot, juriste anglais affirme que le régime parlementaire britannique, encensé par les libéraux, ne repose en fait que sur la soumission de l’état à la Chambre des commune, celle-ci serait « le vrai souverain, qui nomme le véritable pouvoir exécutif ». De même, aux États-Unis le XIXe fut marqué par la prééminence du législatif, puis du judiciaire et, depuis la 1ere guerre mondiale l’exécutif (New Deal). En France la guerre pousse l’exécutif représenté par Clemenceau à tous les pouvoirs et, cette tendance reprend de plus belle dans les années 1920 où les décrets remplacent même souvent les lois (1926).
2) Des pratiques de substitution
Le principe de la séparation des pouvoir est d’établir un système de contrepouvoir afin d’empêcher l’un des 3 pouvoir de devenir le pouvoir dominant et au final unique. Le mécanisme classique ne fonctionnant pas, on va essayer de trouver d’autres solution. L’une d’entre elle est particulièrement importante en France : le bicamérisme
A) Le principe du bicamérisme
Fait de diviser le corps législatif, l’institution chargée d’élaborer la loi, en deux. Cette pratique on la retrouve dans d’autres système et avec d’autres objectifs : (1) Grande Bretagne, le Parlement est divisé en : la Chambre des communes, dont les membres élus représentent la population et la Chambre des Lords, dite chambre haute, qui représente la haute aristocratie et le monde ecclésiastique (Prusse : Chambre des Seigneurs ; Restauration : Chambre des Pairs). Dans ce cas, la division en deux chambre est liée à la volonté de représenter ce qui apparait comme les différentes strates de la population. Du reste, on peut noter que la perte d’influence de la haute aristocratie à la fin du XIXe va se traduire par la perte de pouvoir de la chambre des lords (1911, 1949). (2) Aux États-Unis la division entre la Chambre des représentants et le Sénat (Allemagne : Bundesrat) assure la participation des états au fonctionnement effectif de la fédération. (3) En France, la division « a tout d’abord pour but d’affaiblir la puissance effective du pouvoir législatif, laquelle est immense et, par conséquent, dangereuse, dans le gouvernement représentatif » (Esmein). (4) Au Maroc, suivant le printemps arabe, le bicamérisme égalitaire favorisant le pouvoir exécutif fut aboli et de nombreuses prérogatives (législatif, contrôle gouvernement) furent retirées à la Chambre des Conseillers au profit de la Chambre des représentants, au motif que le mécanisme représentait « un blocage pour le développement de la démocratie » (Amine Ben Abdallah). (5) Pour aller plus loin, les Constitutions égyptienne et tunisienne abolirent purement leur chambre haute, qui dans leurs cas, étaient désignées discrétionnairement par le Président, ce qui, en plus de créer des blocages, lui permettait de peser sur l’orientation des travaux du Parlement.
B) Expérimentations françaises.
La 1ere expérience est celle du Directoire de 1795, l’assemblée est alors divisée entre le Conseil des Cinq Cents ayant l’initiative des lois et le Conseil des Anciens l’adoption, ce qui suppose un accord (compromis, équilibre) entre les deux. L’un représentant, selon Boissy d’Anglas « l’imagination de la République » et l’autre « la Raison ». En France, les expérience de bicamérisme ont coïncidé avec l’orientation libérale des systèmes, notamment sous la Restauration et la monarchie de Juillet, puis sous la IIIe République ou le Parlement est divisé en chambre des députés et en Sénat. En revanche, la IIe puis la IVe république manifeste ses penchants plus démocrates, il y a le 4 mai 1946 une première constitution rejeté par referendum marquée par la tradition marxiste et socialiste (assemblée unique). La nouvelle assemblée constituante élabore un nouveau projet proche de l’ancien à la différence qu’il admet deux chambres : « l’Assemblée nationale » et « le Conseil de la République ». Ici, le bicamérisme ne répond pas à sa finalité normale (opérer un équilibre), la première est ultradominante et se qualifie elle-même de souveraine. Même si le 7 décembre 1954 on confie un semblant de participation au pouvoir législatif au conseil, seul le changement de 1958 les mettra sur un certain pied d’égalité.
II) La justification du pouvoir
1) Les nécessités d’une justification.
A) La force.
La peur de la sanction est l’une des raisons principales pour laquelle on se soumet au pouvoir. De règle général, sans la force ou plutôt sans la possibilité de recourir à la force, l’état cesse de fonctionner, néanmoins elle ne fait pas tout. À partir du moment où l’on sort d’une société sous-développée économiquement, culturellement, intellectuellement, etc. (despotisme orientaux décrits par les lumières, empires africains ante-coloniaux), l’énergie requise pour se maintenir au pouvoir est telle (couts de surveillance, ressource policière énorme, etc.) qu’un régime qui ne tiendrait que sur la force ne pourrait subsister que quelques mois. L’usage permanent de la violence conduit à user très rapidement le pouvoir. Pour durer, il faut autre chose, qui s’ajoute, ou mieux encore qui se substitue à la force pour faire accepter aux sujets les exigences du pouvoir.
B) Le droit ?
Le droit en question c’est celui que les gouvernés reconnaissent aux gouvernants : de les diriger, de faire des lois et de les sanctionner. L’historien italien Ferrero écrivait « Parmi toutes les inégalités humaines, aucune n’est aussi importante par ses conséquences et n’a autant besoin de se justifier devant la raison que celle établie par le pouvoir. Sauf quelques rares exceptions, un homme en vaut un autre : pourtant ceux-ci ont le droit de commander et les autres, le devoir d’obéir. Les principes de légitimité sont des réponses à ces questions », ils sont ce qu’ils appellent joliment « les génies invisibles de la Cité » : les conditions de son fonctionnement paisible et efficace, sans lesquelles la société serait condamnée perpétuellement à la violence révolutionnaire. La légitimité ne doit être confondue avec la légalité qui est le respect de la loi en vigueur établie par le pouvoir en place. L’une et l’autre peuvent coïncider (loi légitime), ou non (loi faite par un pouvoir illégitime, contraire à la légitimité : Antigone Sophocle), elles sont autonomes l’un l’autre.
2) La notion de légitimité et ses difficultés.
Traditionnellement, depuis Max Weber on distingue la légitimité traditionnelle (résultat d’une vision magique de la nature), charismatique (liée à l’aura d’un homme fort ou providentiel) et moderne (fondée sur la raison et tendant à se confondre avec la légalité). Néanmoins, il semble que ce système ne soit pas totalement satisfaisant puisque l’un l’autre ont tendance à se confondre : tirage au sort de la démocratie grecque à la fois religieux (manière pour les dieux de choisir les gouvernants) et rationnelle (égalité entre tous les citoyens, empêcher de donner le pouvoir à une aristocratie des meilleurs).
A) Les deux légitimités.
i) La légitimité formelle.
Suppose qu’un système et ses actes soient légitime s’il est organisé suivant une certaine forme avec une certaine origine. Dans l’Ancien Régime, le Roi est souverain car il tient son pouvoir de Dieu dont il est le « lieutenant dans son royaume » (sacre, sacré à Reims). Dans les démocraties contemporaines, le pouvoir est légitime des lors qu’il est élu démocratiquement, les instance juridictionnelles ou techniques sont « illégitimes ». Il s’apprécie « a priori » parce que, quoi qu’il fasse, son origine lui permettra de demeurer légitime.
ii) La légitimité matérielle.
Un système n’est légitime que s’il parvient à certaines choses. Pour la pensée libérale c’est la garantie des droits et libertés fondamentales, peu importe la forme du pouvoir. Dans les faits, des régimes démocratiques furent bien plus despotiques (Terreur, URSS, Chine) que d’autres (Monarchie constitutionnelle ou limitée, juge constitutionnel). C’est ainsi que Charles Maurras (1868-1952) affirmait que « le gouvernement légitime est celui qui nous sauve, l’usurpateur illégitime est celui qui nous perd », « le gouvernement légitime, c’est celui qui réussit dans l’œuvre du bien public. Sa légitimité se vérifie par son utilité ». Pour Léon Duguit, le pouvoir « n’est jamais légitime par son origine. Monarchie aristocratique, démocratie, royauté, république, les différentes formes de pouvoir politique n’ont pas plus l’une que l’autre en elle-même le caractère d’un gouvernement légitime. Mais si le pouvoir politique n’est jamais légitime pas son origine, il peut devenir légitime pas son exercice » : lorsque sa pratique se conforme à la « solidarité sociale ».
Pour les postmoderne, la simple origine démocratique du pouvoir parait insuffisante, il doit en outre se conformer à la norme constitutionnelle. De même, pour Charles de Gaulle, la légitimité résulte à la fois du service, de la capacité des gouvernants à réaliser le bien commun, et de l’adhésion populaire du consentement du peuple au pouvoir et à son action.
B) La dimension subjective de la légitimité.
Léon Duguit disait « En dépit des affirmations de savants auteurs qui écrivent : ‘’ la loi de la majorité est une de ces idées simples qui se font accepter d’emblée ‘’, nous pensons que le pouvoir de la majorité sur un seul ou sur quelques-uns n’est pas plus légitime en soi que le pouvoir d’un seul ou de quelques-uns sur la majorité. Or, quoi qu’on fasse, tout gouvernement démocratique aboutit au pouvoir de la majorité ; le gouvernement démocratique peut présenter sur les autres des avantages de fait, il n’est pas comme tel plus légitime qu’eux ». En revanche, tout système est légitime pour lui-même et ses partisans, mêmes les criminels (nazi) puisque, la légitimité se détermine au regard du respect du régime envers le Bien et le Mal, deux notions qui ne se s’imposent pas universellement et intemporellement. De plus, l’idée de légitimité ne vaut que si elle est acceptée par l’extrême majorité des gouvernants sinon quoi, on se retrouve dans une situation révolutionnaire, dans « d’ingouvernabilité ». Lorsque la population n’adhère plus de manière constance et enthousiaste au système en vigueur, il en résulte, au mieux, une monté de l’indifférence, un repli sur soi même ou sur d’autres solidarités mieux capables de réaliser les aspirations individuelles.
Troisième partie : la démocratie
Chapitre 1er : la démocratie une notion ouverte
Introduction :
Il n’existe pas une démocratie unique et véritable qui pourrait permettre de délimiter clairement ce qui est et ce qui n’est pas une démocratie. Le terme regroupe à la fois les démocraties libérales occidentales et populaires communistes (Chine, URSS). Mais alors, lequel a le droit de se dire démocratie ? Qui a tort, les démocratie d’apparence (pop) ou formelles (lib) ? Etymologiquement la démocratie c’est alors le système politique dans lequel le pouvoir souverain (kratos) appartient au peuple (demos) et doit être exercé en droit comme en fait par celui-ci : le pouvoir du peuple, par le peuple (pour le peuple renvoyant à la notion de bien commun aussi bien présent dans d’autres systèmes : royauté & aristocratie aristotélicienne). Seule ces critères doivent être retenus, à l’exception de toute autre (organisationnel, politique, économique, degrés de respect des droits de l’homme, etc.). Il y a démocratie lorsque le pouvoir appartient au peuple qui l’exerce de lui-même.
I) Définir la démocratie
1) La démocratie et l’origine de la souveraineté.
A) démocratie et égalité.
Le principe d’égalité fait partie des présupposés philosophiques fondamentaux pouvant faire partie des éléments de définitions basiques. Sans l’identité entre les hommes, la démocratie apparait non seulement absurde (donne le pouvoir à des gens qui ne peuvent l’exercer) , injuste pour ceux qui doivent l’exercer normalement (ils ne le peuvent pas) et pour la cité (est moins bien gouvernée qu’elle ne devrait l’être). Si les hommes ne sont égaux, ce que la majorité décide ne peut être présumé objectivement bon pour la minorité, ce n’est que l’institutionnalisation de la loi du plus fort. Rousseau, au contraire, dit que les hommes, étant fondamentalement tous pareils, ceux qui se retrouvent dans la minorité se sont simplement trompés sur leur propre volonté (identique à la volonté générale). C’est aussi pour cela qu’il est possible de concevoir que la décision soit prise par les plus nombreux : ce qui implique en effet qu’une voix est identique à une autre, quel que soit son auteur, et donc additionnable à n’importe quelle autre. La « loi du nombre » évacue le qualitatif au profit du quantitatif : « un homme, une voix ». Pour Karl Schmitt, tout doit se rapporter « à la notion démocratique fondamentale, celle d’égalité ». Pour Montesquieu, la démocratie se conditionne au renoncement de l’ambition au profit de la vertu par les populations.
B) Les autres déterminations.
La liberté, au regard de la démocratie, apparait soit comme un dérivé, soit comme un obstacle, mais jamais comme une caractéristique nécessaire. Pour Rousseau, « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », « quiconque refusera d’obéir y sera contraint par tout le corps social : ce qui ne signifie autre chose qu’on le forcera à être libre ». Pour Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785), seule la contrainte permettait de conserver l’égalité, elle ne serait surmontée que lorsque les hommes, devenus plus responsables, seront susceptibles de vouloir la vertu et de combiner liberté et égalité. D’après Hans Kelsen, en démocratie, la liberté doit bénéficier au plus grand nombre, ce qui peut signifier en revanche qu’elle ne profitera pas à la minorité. « Même un état ou la puissance étatique sur l’individu recevrait une extension illimitée, c’est-à-dire où la liberté individuelle serait totalement anéantie et l’idéal libéral intégralement nié, pourrait encore constituer une démocratie, pourvu que l’ordre étatique fût créé par les individus qui y sont soumis », « la tendance du pouvoir démocratique à l’expansion dans l’histoire le monde, n’est pas moindre que celle du pouvoir autocratique. La liberté de l’individu recule peu à peu à l’arrière-plan , refoulée par la liberté de la collectivité ».
De même, la démocratie n’a pas de liens nécessaires avec la raison : elle ne lui est ni spécifique (aristocratie : il est logique que les meilleurs commandent, royauté : seule l’hérédité permet l’indépendance, la stabilité politique et la possibilité de réforme à long termes) ni n’est toujours vrai, vierge de tout mythes (anthropomorphisation de l’électorat : mythe voulant voir dans le résultat d’une élection une intention délibérée du « peuple souverain »).
Enfin, elle ne se confond pas avec la République puisque, jusqu’à la fin du Moyen-Age, pour l’Homme ordinaire, la République rimait avec aristocratie. Ce fut le cas à Rome, dans les cités italiennes oligarchiques, à Venise du XIIe jusqu’à 1797 (Grand Conseil) et ça aurait pu l’être en France si la haute noblesse partisane de la Fronde avait réussi à battre Richelieu (Louis XIII), et à instaurer une république aristocratique. De même, la République sociale italienne instaurée par Mussolini après sa libération en 1944 était, fasciste, concept, hérité de la Rome antique et, de ce fait, purement républicain. A l’inverse, des régimes non républicains peuvent très bien être démocratiques, l’exemple le plus probant est sans doute celui de la Grande-Bretagne et son régime parlementaire, celui de la France de la monarchie de Juillet (Louis-Philippe, monarchie bourgeoise), ou encore celui du Maroc dans lequel, d’après Vedel, la royauté a opéré une véritable « fusion » avec la démocratie.
2) L’origine comme critère exclusif
A) En théorie : une définition plus large
En théorie, si on ne se fonde que sur l’égalité politique entre tous les citoyens, celles qui y ajoutent une égalité économique, ne font qu’aller plus en avant dans la réductions des inégalités. Il n’est pas juste de les traiter de « démocratie d’apparence » comme le fera le front de l’ouest durant la guerre froide au motif de la réduction des libertés individuelles et de l’interdiction de l’opposition. Sur ces strictes critères, il est illégitime de retirer du rang des démocraties les démocraties populaires actuelles ou antiques « car démocratie veut dire gouvernement du peuple et la démocratie totalitaire voit précisément dans le peuple la source du pouvoir et reconnait come légitimes tous les actes d’un gouvernement qui émane authentiquement de lui » (Maurice Duverger). En un sens, celle-ci accomplit donc plus exactement que les démocratiques libérales les deux postulats impliqués par la souveraineté populaire : « le peuple peut tout faire, la volonté de la majorité exprime la volonté du peuple entier ». A cet égard, la démocratie soviétique totalitaire apparait comme la véritable continuatrice du Rousseauisme, et l’héritière légitime de la Révolution française.
B) En pratique : une définition plus étroite
En pratique, ni les populaire, ni les libérales, n’arrivent à atteindre la véritable démocratie que Montesquieu réservait à l’utopie. Tandis que les premières ont instauré des oligarchies implacables (nomenklatura soviétique) au nom de l’égalité, les secondes, sous-couvert de la protection des libertés ont limités le pouvoir politique du peuple à la simple désignation de représentants à date fixe. Ainsi, des libéraux comme Edmund Burke mirent en garde contre les dangers de la démocratie absolue qui « ne doit pas plus que la monarchie absolue être comptée parmi les formes légitimes de gouvernement. La démocratie présente, sur beaucoup de points, une ressemblance frappante avec la tyrannie […] dans une démocratie, la majorité des citoyens est capable d’exercer sur la minorité les plus cruelles oppressions toutes les fois que se produisent, ce qui doit arriver souvent, de fortes divisions ».
II) Les différents types de démocratie.
1) Démocratie directe ou représentative.
A) La démocratie directe
Dans la démocratie directe le peuple exerce lui-même et directement le pouvoir souverain sans passer par des délégués. Chez Rousseau, où elle est la seule démocratie véritable, c’est parce que le peuple fait lui-même la loi, qu’elle est légitime (en la respectant, on suit sa propre volonté). Algernon Sidney, un de ses soutiens, la définit comme suit « des hommes en petit nombre vivant dans l’enceinte d’une même ville ont mis en commun le droit qu’ils avaient de se gouverner eux même et, s’étant joints en un même corps ont résolu d’exercer tous ensemble sur chaque particulier un pouvoir qui parait utile à toute la société : c’est une parfaite démocratie ». De même, pour René Capitant, toute démocratie digne de ce nom devrait au moins tendre vers cette idéal. Or, si, théoriquement, ce principe peut être satisfaisant, sa mise œuvre pratique semble difficile. En effet, celle-ci requiert de regrouper en un même endroit tous les citoyens du même états, au-delà d’une certaine population et étendue territoriale cela devient matériellement impossible. C’est ainsi que le Canton suisse de Schwyz dut y renoncer, alors qu’il le pratiquait depuis 1240, lorsqu’en 1848 sa population atteignit 50.000 habitants. En outre, l’Athènes du Ve siècle était caractérisée par une extrême cohérence (culturelle, linguistique, ethnique, religieuse, historique et économique), l’égalité véritable était encore possible. Déjà, au XVIIe siècle on considère la démocratie directe comme un système exotique du passé n’ayant aucune chance d’être rétablit un jour car ne pouvant pas convenir aux grands états développés ne serait-ce qu’à cause de l’inégalité entre citoyens. C’est ainsi que l’abbé Sieyès déclara que « la France ne saurait l’être » par ce qu’elle est trop peuplée, vaste et que « la très grande pluralité de nos concitoyens n’a pas assez d’instruction pour pouvoir s’occuper directement des lois ». De fait, il semble que la démocratie ne peut se limiter qu’au vote des lois : « qui croirait, s’écrie Marat, que pour proposer une nouvelle loi ou faire révoquer une ancienne, on tient 5 millions d’hommes sur pied pendant six semaines ? C’est un trait de folie » ou « la paralysie constituée » selon Jules Michelet. « Le gouvernement représentatif, constatait déjà Esmein, s’introduit nécessairement dans les démocratie directes, pour l’exercice du pouvoir exécutif ». Ce qu’on peut dire c’est que la démocratie directe apparait au mieux comme une sorte d’idéal qui en réalité est à peu près inatteignable mais dont il faudrait s’inspirer dans la mesure du possible s’en rapprocher.
B) La démocratie représentative
i) La structure
Ici, la Nation possède le pouvoir et va le répartir à des délégués qui ont pour mission, en vertu de leur mandat (droit romain et privé) de « vouloir pour la Nation » elle leur « abandonne pour un temps, le libre pouvoir de légiférer pour elle et en son nom ». Cela a plusieurs conséquences dont : (1) l’absence de la nécessité de ratifier les actes juridiques, (2) de contrôle quelconque sur les actes des députés (puisque agissant au nom du souverain) et (3) l’ irrépréhensibilité des représentants, qui « sont en prince irresponsables et, sauf de rares exceptions, inamovibles pendant toute la durée de leurs fonctions. C’est la condition même de leur indépendance » (Esmein) et la conséquence logique de la « fiction représentative ». Ainsi, dans la Constitution de 1791, le préambule énonce que « La Nation, de qui émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La constitution française est représentative : les représentants sont le corps législatif et le Roi ». Elle exclut tout exercice direct de ce pouvoir par son détenteur, qui devra l’exercer par l’intermédiaire de ses représentant : le pouvoir législatif étant « délégué à une Assemblée nationale composée de représentants temporaires », l’exécutif « délégué au Roi », et le pouvoir judiciaire « délégué à des juges élus à temps par le peuple ».
ii) Les débats
Les partisans :
Ils se divisent en deux camps. Les uns n’y voient qu’un « pis-aller », une forme moins satisfaisante que la directe mais la seule réalisable dans les états modernes (la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres : Churchill). Pour les autres, souvent d’obédience libérale comme Esmein, « cette représentative est conçue, non comme un succédané du gouvernement direct de la nation, mais comme un système de gouvernement préférable à celui-ci. Lui seul peut assurer une législation, éclairée, soigneusement préparée et utilement discutée, comme il peut seul procurer l’application intelligente et continue des lois ». Pour Michel Debré, « le gouvernement par délégation est le seul qui permet de concilier la démocratie, la liberté et l’efficacité du pouvoir ».
Ceux-là seront les soutiens d’un mandat représentatif, où le député, une fois élu n’est pas contrôlé par ses électeurs sauf éventuellement à l’issu de son mandat s’il se représente (même si voter pour quelqu’un ne veut pas forcément dire approuver l’ensemble de ses actes). L’idée est que, représentant fictivement le souverain, il doit bénéficier de la même liberté (sous la IIIe République le parlement n’hésita pas à se déclarer souverain).
Les adversaires :
Pour les démocrates, la souveraineté ne se délègue pas. Rousseau va plus loin en affirmant que le peuple perd sa souveraineté dès que sa volonté ne coïncide pas avec celle de ses députés. Selon lui, « la volonté générale ne se représente point. Les députés du peuple ne sont donc point et ne peuvent pas être ses représentants ; ils ne sont que ses commissaires » (agissent non à sa place mais selon ses ordres). Ainsi, « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort ; il ne l’est que durant les élections des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien ». « Le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non la volonté. Le souverain peut bien dire : ‘’je veux actuellement ce veut tel homme’’ mais pas : ‘’ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore’’ puisqu’il est absurde que la volonté se donne des chaines pour l’avenir ».
Ils soutiennent alors un mandat impératif où l’élu n’est désigné que pour accomplir l’objectif en vertu duquel il a été choisi. Par suite, il demeure sous leur contrôle permanent, ses mandants pouvant à tout moment le révoquer s’il outrepasse manifestement les termes de son mandat. Robespierre déclara alors en 1793 devant la Convention que « un peuple dont les mandataires ne doivent compte personne de leur gestion n’a point de Constitution. Je veux que tous les fonctionnaires publics nommés par le peuple puissent être révoqué par lui, selon les formes qui seront établies, sans autres motifs que le droit imprescriptible qui lui appartient de révoquer ses mandataires ».
2) La démocratie semi-directe
Apparu à la fin du XIXe résultant du « désenchantement » de la démocratie représentative, Raymond Saleilles reconnaitra que ce système « attire aujourd'hui de plus en plus l’attention. Il s’agit en effet d’un régime politique qui parait être, sinon le dernier mot de la démocratie, du moins l’un de ses buts logiques, vers lesquels elle tend par une pente inévitable. La vérité est que la conception même du gouvernement représentatif est en voie de se modifier, et que l’on sent le besoin d’appuyer certaines lois importantes sur une autorité plus décisive que celle du parlement, celle des intéressés eux-mêmes » (Dakota du Sud : 1896 ; Utah : 1900 ; Oregon : 1902). En France si déjà Jules Guesde (socialiste) ou les bonapartistes (plébiscitaires) étaient pour, il faudra véritablement attendre la Ve république pour que des possibilités du genre soient constitutionnalisés. Ainsi, en plus du referendum des articles 11 et 89, plusieurs variantes seront ajoutées suite aux réformes de 2003,05,08, sans pour autant en consacrer l’utilisation pratique (depuis 2005 plus aucun).
A) L’objet du referendum
Un referendum est une question qui est posée au peuple, laquelle aura une signification politique (là où le peuple n’est souverain ça ne sert à rien).
i) Un objet variable
En France, la question peut concerner des matières constitutionnelles (89), législatives (11), locales (72-1) ou européenne (88-5, entré d’un nouveau membre). Dans les systèmes fédéraux la question peut se démultiplier : il arrive qu’il soit exclu au niveau fédéral, mais autorisé dans certains états fédérés (États-Unis : Californie ; Allemagne). Enfin, dans certains systèmes « populistes » le referendum peut être un instrument très actif de contrôle des élus (Venezuela, mandat impératif révocable).
ii) Recall et droit de rappel (mécanisme de referendum révocatoire).
Le recall ou « the gun behind the door » :
Introduit dans la Constitution californienne en 1911 par Hiram Johnson suivant l’idée de John Randolph Haynes, il constitue encore aujourd'hui une controverse entre les populistes, estimant que les citoyens « n’ont pas seulement le droit de se gouverner eux-mêmes, mais qu’ils sont également les mieux à même de le faire » et les élites qui « croient en un gouvernement pour le peuple, mais dirigé par des experts qualifiés » (Derek Gressman). Il est présent dans 36 états américains (Oregon : 1908 ; Géorgie : 1978 ; Minnesota : 1996, etc.) et seuls 7 d’entre eux requièrent « des raisons spécifiées pour justifier le recall » qui, au fond, qui se fonde plus sur des raisons « d’ordre politique plutôt que juridique ». Système, concrètement utilisé (éviction de Grey Davis en 2003 qui mène à l’élection d’Arnold Schwarzenegger).
Le droit de rappel :
Il fait partie d’un des principes fondamentaux de la démocratie socialiste. Selon la Constitution soviétique de 1936, « chaque député est tenu de rendre compte de son travail ainsi que du travail du soviet des députés des travailleurs ; il peut être rappelé à tout moment par décision de majorité des électeurs » à l’initiative des organisations de masse. « Le droit de rappel, exprime la plénitude du pouvoir des travailleurs et garantit la responsabilité réelle du député devant ses électeurs ». La constitution de 1977 imposait aux élus de « justifier la confiance des électeurs », termes que l’on retrouve dans la constitution de 1999 de Corée du Nord selon laquelle « les électeurs ont le droit de révoquer en tout temps leurs élus, si ces députés ont trahi leur confiance ». C’est également dans cette perspective que se situe la constitution Bolivarienne du Venezuela adoptée le 30 décembre 1999 sous l’impulsion du président Hugo Chavez qui donne une place considérable à la révocation des mandats électifs : « toutes les charges et magistratures de l’élections populaire sont révocables », toutes, même celle du président (2004, 2016). Des mots de ce dernier, le droit de rappel se justifie parce que « les individus sont susceptibles de se méprendre et de se laisser séduire mais pas le peuple, car il est doté d’une conscience aigüe de ce qui lui est bénéfique et il apprécie son indépendance à sa juste mesure. Grâce à cela, son jugement est pur, sa volonté est forte, et personne ne peut le corrompre ni même le menacer ». Il s’agit dans ce cas d’autant plus d’un droit de rappel plutôt qu’un mandat impératif que l’article 201 précise que les députés « ne sont ni sujets à mandats, ni à l’instruction, que, devant leur seule conscience ».
B) La valeur du referendum.
Le plus souvent, le referendum, seul moyen d’expression directe du peuple a force normative, il alors est vu comme une arme dirigée contre la démocratie parlementaire. Néanmoins, il existe des cas où il ne lui est reconnu qu’une valeur d’avis, sorte de sondage à grande échelle. C’est ainsi que la Cour suprême de Grande-Bretagne, considéra le referendum de 2017 sur le départ de l’UE, sans valeur légale obligatoire et força un second vote par le Parlement, lequel est reconnu véritablement souverain par la doctrine et la jurisprudence (France : 72-1, 72-4 organisation collectivités territoriales ; Espagne : 92). La décision finale ne résulte que du choix des politiques de suivre la chemin tracé par la voix populaire ou non (choix politique).
C) La procédure de referendum.
i) Le referendum automatique
Tout texte d’une certaine nature (fixée par la constitution) devra être soumis à la confirmation populaire. C’est ainsi qu’en Suisse, le referendum est obligatoire en matière de révision constitutionnelle (1874-1999 : 334), de même que dans tous les états fédérés américains (sauf Delaware). La constitution française de 1793 obligeait toute loi à être présentée devant les « assemblées primaires » communales et si 10% d’entre elles, dans la moitiés plus un des département « réclamait contre elle », le projet était présenté en referendum devant le peuple entier. Analoguement, jusqu’en 2008, lorsqu’un nouvel état demandait à rentrer dans l’UE, les français étaient automatiquement consultés sur la loi de ratification du nouveau traité.
ii) Le referendum d’initiative institutionnelle.
On en parle lorsque les instances de l’état ou éventuellement de la collectivité locale en cause peuvent décider librement d’y recourir ou non. Le problème est que ce monopole induit presque toujours un usage restreint aux cas sans risques (lorsque le résultat est sûr, manière de renforcer la légitimité politique du chef). Aujourd'hui s’opposent le « bon referendum » où les électeurs répondent à une question basée sur un texte au « mauvais plébiscite » associé au césarisme démocratique, tendant à donner la confiance populaire à un homme charismatique (pratique napoléonienne), alors même que jusqu’au début du XXe les deux sont synonymes. La critique principale du second viendrait du fait qu’il repose sur une dimension passionnelle, quand bien même on ne vote pas forcément pour le premier de façon rationnelle (1958 : si non, démission de Gaulle et prise de pouvoir par putschistes ; 1969 : vote non réforme des régions, non à de Gaulle).
iii) Le referendum d’initiative populaire
Ce n’est que lorsqu’il est déclenché par les citoyens eux-mêmes qu’il se distingue véritablement du plébiscite. Appliqué en Suisse, on ne requiert que 100.000 signatures à une pétition pour la proposer au vote populaire. Toutefois, la banalisation du referendum tend évidemment à lui retirer de son prestige et intérêt (Suisse : participation 40%). Le Référendum d’Initiative Populaire soutenu par les gilets jaunes et proposé à l’Assemblée par FI en 2019 fut repoussé par LREM. « Cette répugnance des élites dirigeantes à l’égard du RIC », commente Anne-Marie le Pourhiet, parait « compréhensible », dès lors que « cette procédure a pour objet et pour effet de leur enlever le pouvoir de décision pour le rendre au peuple souverain. L’initiative citoyenne est donc vécue par les représentants non comme une application logique et complémentaire du principe démocratique, mais plutôt comme une remise en cause hostile et injuste de leur monopole normatif ».
3) La démocratie participative
A) La notion.
i) La signification.
Beaucoup plus récente, la démocratie participative est une forme de partage et d’exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique. Dans l’esprit de Marx ou d’Engels, celle-ci se représente comme le contrôle permanent des représentants par les représentés. Le sens commun aujourd'hui voudrait plutôt qu’il reviennent en l’intégration des associations dans la prise de décision politique et la consultation des moins représentés dans les débats. C’est ainsi qu’en France dès 1976 le rapport Delmon préconisera « de favoriser une normalisation des comportement en palliant les défauts de la démocratie représentative par le développement de la démocratie participative » et en 1989 le rapport sur L’avenir et l’essor du bénévolat, affirmera que l’engagement associatif constitue « l’expression d’une citoyenneté active qui, à côté de la démocratie élective du suffrage universel, prend sa part de responsabilités dans la cité sous la forme d’une démocratie participative conférée par la vitalité des corps intermédiaires au sein de la société civile ». De plus, son développement au milieux des années 1990 coïncide avec la volonté de substituer à la verticalité du commandement souverain l’horizontalité de ce que Jurgen Habermas nomme « l’entente rationnellement motivée » ; et enfin, avec l’accélération de la construction européenne qui en est la « traduction politique et institutionnelle la plus achevée ». Il n’est pas étonnant que le Traité de Lisbonne explique que « tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union » et ordonne que les « institutions donnent par des voies appropriées aux citoyens et aux associations représentatives, la possibilité de faire connaitre et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines de l’action de l’Union » aussi, « les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier, avec les associations représentative et la société civile ».
ii) La nature.
Ce système serait la manière de pallier les problème de la démocratie participative (Delmon) ou du moins de la perfectionner (Cheroutre). Toutefois, pour Boutin, ce ne serait qu’un avatar destinée à tempérer la participative mais souffrant, en définitive, des mêmes tares. On serait « en face d’une structure informelle dont la légitimité est pour le moins hésitante. On retrouve en effet dans les procédures de démocratie participative les mêmes problème d’abstention que ceux qui existent dans la démocratie représentative, et par voie de conséquences, une identique surreprésentation de minorités actives qui ne sont pas représentatives de ce peuple que l’on souhaite consulter. Par ailleurs, si l’on examine le déroulement de ces conférences, on constate que le système crée de lui-même un déséquilibre » entre les simples citoyens issus de la société civile, et les experts et animateurs de l’autre. Le processus décisionnel qui se prétend transparent et démocratie s’avère parfaitement « opaque et antidémocratique » ou plus exactement « épistocratique ».
B) En pratique.
i) Le « Grand débat national ».
Lancé par la « Lettre du Président de la République aux français » de janvier 2019, elle explique que « dans une grande démocratie comme la France, on doit être en mesure d’écouter plus souvent la voix des citoyens ». S’ensuivit la collecte dans plus de 16k communes de 2 millions de doléances et 10k réunions locales cherchant à trouver le moyen de réinventer la démocratie. Mais, parce que la masse d’informations était trop variés et importante, il est impossible d’en faire une analyse, sauf à la confier à des experts faisant le trie.
ii) La « Convention citoyenne pour le climat ».
La convention avait, des mots d’Edouard Philippe, « pour but d’impliquer toute la société dans la transition écologique à travers un échantillon représentatif de citoyens ». Celle-ci réunit 150 tirés au sort de manière à représenter la société française du point de vue des organisateurs (critères familiaux écartés). La démocratie augmentée serait alors « la France en petit », qui, grâce à la parole des expert sait ce qui est bon pour « la France en grand ». C’est le dépassement des formes classiques de la démocratie représentative, parlementaire ou directe (referendum). Au fond, son objectif est la marginalisation des mécanismes référendaires incontrôlables et suspects de dérives populistes ; d’autre part, rajeunir un système représentatif vieillissant par transfusion du « sang neuf » de la « société civile ». Mais, en réalité, alors que le Président s’était engagé par un « contrat moral» à présenter l’ensemble des idées au Parlement, sans en y toucher aucune, le 4 décembre 2020 la décision fut prise de n’en présenter aucune car il n’est « pas question pour lui d’imposer aux élus du peuple la parole de cette convention tirée au sort parce que les élus n’ont pas à prendre les textes en question comme si c’était vérité révélée, ce sont des parlementaire eux ils font leur job, ils ont une légitimité démocratique ». En définitive, la démocratie augmentée n’est pas démocratique, elle ne constitue au fond qu’une sorte de gadget destinée à calmer l’opinion public en cas de crise et rien de plus.
4) Souveraineté populaire et souveraineté nationale.
A) Les termes de la distinction.
Tandis que le peuple désigne l’ensemble des citoyens aptes à participer au vote comme le pensaient les Jacobins dans la lignée de Rousseau, « 1793 : le peuple souverain est l’universalité des citoyens français », la Nation, elle, est une entité abstraite incluant le peuple vivant, celui du passé et de l’avenir (Sieyès, 3 sep 1791) qui nécessite institutionnalisation.
i) Le statut du représentant.
La souveraineté populaire :
Le peuple étant constitué de tous les citoyens, la souveraineté populaire rassemblerait la multitude de fractions que chaque citoyen possède et dispose pleinement. Chacun a donc le droit de l’exercer directement et à défaut de s’organiser dans une démocratie directe, il faut au moins établir des mécanismes semi-directs (referendum). Par ailleurs, les citoyens doivent conserver un droit de regard sur l’élu (mandat impératif ou droit de rappel).
La souveraineté nationale :
Dans ce cas, la nation en est l’unique titulaire, les citoyens, individuellement, ne peuvent réclamer de l’exercer eux-mêmes. Etant fictif, cela implique obligatoirement des représentants choisis par les citoyens, au nom de la nation (représentant des représentants de la nation). En théorie, il ne doit rien à sa circonscription et devrait même avoir le moins de rapport avec elle (Sieyès Chartres).
ii) Le droit du suffrage.
En souveraineté populaire, le suffrage universel est nécessaire puisque tous les citoyens sont égaux. En souveraineté nationale, faire partie de l’électorat, même en tant que citoyen, n’est pas un droit absolument légitime, c’est simplement un devoir social. Dans ce cadre, les individus composant la Nation ne sont que des instruments de désignations des représentants de cette dernière. Le vote censitaire, appliqué pendant une partie de la Révolution (1791), durant la Restauration et la Monarchie de Juillet (1815-1848) pour répondre à la volonté de donner le pouvoir aux plus capables de raison (en l’occurrence les plus riches puisque capables de conserver leur patrimoine ou de s’en construire un), correspond à cette idée de même que le vote familial appliqué en Belgique, en Espagne franquiste et au Portugal salazariste ou encore avec le vote plural.
B) Les limites de la distinction.
Cette distinction est intéressante mais doit être relativisée dans la mesure où elle a été théorisée tardivement après la Révolution et n’a jamais été pleinement mise en œuvre, sauf sous la constitution de 1791 avec l’influence de Sieyès. On peut noter que sous la IIIe république alors que, théoriquement, la souveraineté est à la nation, les élus se considèrent les élus de leur circonscription et sont choisis par suffrage universel. Aujourd'hui, paradoxalement, le droit constitutionnel français combine, depuis 1946, ces deux notions en proclamant que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ».
Chapitre 2 : Modalité de la démocratie représentative.
I) La représentation.
1) Le représenté.
A) Le vote.
Si le vote n’a pas toujours été le mode préféré des démocraties pour désigner des représentants (les antiques tiraient au sort pour choisir des semblables et non des supérieurs : suppose une forte cohésion & identité sociale), en France, depuis 1958 il est « universel, égal et secret » (article 3). Ainsi, tous les citoyens « jouissant de leurs droits civils et politiques, et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi » peuvent voter, de plus, nul n’a un droit de vote supérieur ou inférieur aux autres qu’importent ses qualités ou défauts (vote plural, capacitaire), enfin, le vote s’exprime secrètement pour garantir la liberté de voter en écartant toute hypothèse de pression des plus forts sur les plus faibles. A cause de l’impossibilité de fournir des conditions de parfaite égalité (différence de population dans les circonscriptions), la Cour de cassation n’exige qu’une « égalité approximative ». On retrouve la même problématique à une autre échelle aux États-Unis, là où le Président est élu par les « Grands électeurs », dont le nombre peut varier selon la population par états (les petits étant surreprésentés, remise en cause par Cour suprême arrêt 1962 et Nixon mais contré par états intéressés).
B) Le mode de scrutin.
Aussi égalitaire sur le papier soit-il, le vote dépend énormément du scrutin adopté, de la manière de compter les voix, dont Tocqueville disait qu’il était la loi fondamentale de la démocratie. Le choix résulte bien souvent de réflexions politiques et idéologiques.
i) Le scrutin à la pluralité des voix.
Pour choisir le gagnant on regarde qui a reçu le plus grand nombre de voix parmi l’ensemble des candidats (utilisé dans les pays anglo-saxons). L’effet principal est qu’il a tendance à bipolariser la vie politique et faire émerger deux partis principaux qui se succèdent au pouvoir (travailliste-conservateurs, démocrates-républicains) à cause de la pratique du « vote utile » (disperser les candidats d’un même bord est prendre le risque de faire élire un adversaire minoritaire mais plus uni). Le principal problème est qu’à cause du découpage électoral, un candidat ayant reçu le plus de voix peut perdre (Al Gore vs George W. Bush en 2000 ; 1974 conservateurs 38% 296 sièges, travaillistes 37% 301 sièges). Pourtant, il semble exister un consensus dans le monde anglo-saxon allant pour ce scrutin (2011, Royaume-Uni : 67% pour).
ii) Le scrutin majoritaire.
Ici, à moins qu’un candidat recueille la majorité plus 1 des voix au 1er tour on organise un « ballotage », deuxième tour au cours duquel les deux candidats ayant reçu le plus de voix au précédent s’affrontent pour désigner, cette fois à la proportionnelle, le vainqueur. Il a pour objectif de regrouper les forces politiques à la faveur du second tour et de forcer la formation de coalitions cohérentes. Néanmoins, parce qu’il fonctionne par le biais de désistement, les électeurs ont tendance à voter uniquement pour le candidat désigné par les grands partis. De plus, la IIIe, où il était appliqué, fut majoritairement gouvernée par une minorité. Sous la Ve il conduit à surreprésenter certains et sous-représenter d’autres au point que certains en parlent comme un « mode de scrutin malsain » (Thomas Philippon). Celui-ci donne une prime à l’implantation partisane au moment de l’élection (le plus fort remporte tout), puis entre les deux tours, aux partis susceptibles de former des coalitions en vue du second tour.
iii) Le scrutin proportionnel.
Celui-ci nécessite la mise en place d’un scrutin plurinominal de liste, tous mêmes les plus petits partis sont représentés à hauteur de leur voix. Ce principe a été développé par John Stuart Mill, britannique du XIXe « dans une démocratie qui applique réellement le principe d’égalité, chaque tendance doit être représentée de manière proportionnelle. Une majorité d’électeurs doit toujours avoir une majorité de représentants, mais une minorité d’électeurs doit toujours avoir une minorité de représentants : homme pour homme, ils doivent être aussi pleinement représentés que la majorité. Si cette condition n’est pas remplie, il n’y a pas un gouvernement égal, mais un gouvernement de privilèges et d’inégalités ». Néanmoins, la nécessité de former de larges coalitions pour gouverner force la classe politique à s’entendre par des accords formels après les élections sous peine de quoi l’état politique est paralysé (crise belge 2010-2011, 2019-2020). On sacrifie l’efficacité au profit de la représentativité
2) Le représentant.
A) La personne.
Dans un système représentatif de souveraineté nationale, on aura tendance à appeler représentant l’organe institutionnel regroupant les élus. Au contraire, dans un système de souveraineté populaire, les représentants sont les élus direct du peuple. De même, la définition peut varier selon la matière d’étude : science politique : le gouvernant (dirigeants politiques), membres de la classe politique (oligarchie) sont l’opposés des gouvernés ; droit constitutionnel considère l’élu comme suite du candidat devant répondre à plusieurs conditions (durée de campagne, règles de propagande, moyens financiers, neutralité de l’administration, qualité d’éligibilité, etc.).
B) Le parti.
i) Une structure inévitable ?
Pour Kelsen, partisan d’un système dans lequel les électeurs voteraient pour un parti qui délèguerait des représentants aux Parlements en fonction des affaires à traiter, la démocratie « repose entièrement sur les partis politiques dont l’importance est d’autant plus grande que le principe démocratique reçoit une plus large application. C’est en effet illusion ou hypocrisie de soutenir que la démocratie est possible sans partis politiques. Car il est trop clair que l’individu isolé, ne pouvant acquérir aucune influence réelle sur la formation de la volonté générale, n’a pas du point de vue politique, d’existence véritable. La démocratie est donc nécessairement et véritablement un Etat de partis ». Dans les faits, il est extrêmement rare de voir un homme politique réussissant en dehors de tout parti. Les individus tendent plus à voter pour des structures partisanes que pour des idéologies (votent identiquement même après un revirement idéologique). Ainsi, ils semblent incompatibles avec la théorie démocratique classique voyant le vote comme le choix libre, sans pression extérieur et réfléchi de l’individu. Les partis seraient des « corps intermédiaires » qui faussent le rapport entre l’un (individu) et le tout (l’état).
ii) La reconnaissance constitutionnelle des partis.
Au sortir de la 1ere guerre mondiale les partis se voient reconnaitre de véritables rôles constitutionnels. En Europe de l’Est ils sont parfois chargés d’intervenir dans le contentieux électoral ou de nommer des organes parlementaires (commissions) ou juridictionnels (Haute Cour constitutionnelle autrichienne). Plus loin, le tribunal électoral spécial de Tchéquoslovaquie se reconnait le droit de déchoir de son mandat l’élu qui a cessé d’être membre de son parti (alors même que l’exclusion peut résulter d’un choix interne : manquement à la discipline de vote). En Allemagne, dans la constitution de 1949 « les partis concourent à la formation de la volonté politique du peuple » (21) et peuvent être supprimés s’ils « tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratie ou à éliminer ou à mettre en péril l’existence de la RFA » (2). La réglementation implique deux chose : ils sont nécessaires mais il faut empêcher qu’ils ne deviennent dangereux. Ainsi, dans la constitution tunisienne de 2014, le candidat du parti ayant reçu le plus de siège devient le chef du gouvernement, analoguement au Maroc, le Roi doit nommer un chef parmi le parti ayant obtenu le plus de voix.
II) Les types de régimes représentatifs.
1) Le gouvernement d’assemblée.
A) L’apparence, la primauté de l’assemblée.
Ce système porte une telle connotation négative que ses soutiens la refuse (avril 1946, article 149 constitution suisse) pourtant il désigne simplement tout système dans lequel l’exécutif procède directement de l’Assemblée (il est son commis) et où, la séparation des pouvoirs est faible. En France il fut appliqué pour la première fois par la Convention nationale (1792) et devait s’appliquer dans celle du 24 juin 1793 (si Robespierre et Saint-Juste n’étaient pas tombés en 1794) où « le Corps législatif est un, la toute-puissance ne s’accommode pas du bicamérisme qui n’a comme objectif que de tempérer le pouvoir), indivisible (tout comme le peuple) et permanent (la souveraineté ne cesse jamais) ». Autrement il fut pratiqué en France entre mai et novembre 1848 (pendant la constituante), par l’Assemblée nationale de 1871 (qui désigne Adolf Thiers chef de l’exécutif) mais aussi dans la constitution Turque de 1924, dans certains pays socialistes et encore de nos jours en Suisse.
B) Une réalité plus complexe.
Bien souvent cette primauté n’est qu’une façade derrière laquelle s’abrite un homme, un groupe ou un organe qui exerce la totalité du pouvoir. La Convention créera par exemple le Comité de Salut public lequel, investit de prérogatives d’exception, supprimera même le Conseil exécutif en avril 1794, après avoir imposé aux députés le principe du « gouvernement révolutionnaire » puis de la « Grande Terreur » (la chute si rapide de Robespierre le 27 juillet s’explique par la toute-puissance de la Convention qui n’avait besoin que d’un seul vote pour tout briser et le faire condamner à mort). Semblablement, l’interlude en 1871 fut marqué par la quasi-dictature du général Cavaignac de juin à novembre tout comme celui de 1871 où le pouvoir demeurait entre les mains de Thiers jusqu’à sa révocation le 24 mai 1873. En Turquie la Constitution du 22 avril 1924, si elle donnait le pouvoir unique à la « Grande Assemblée Nationale de Turquie », seule détentrice de la souveraineté, des pouvoirs législatif et exécutif par l’intermédiaire du Président qu’elle nomme, était en fait soumise à Mustafa Kemal, « Atatürk », lequel n’hésita pas à se donner le droit de dissolution (1931), conforté dans sa position après plusieurs réélections successives à la majorité. Ailleurs en Chine, bien que théoriquement « l’Assemblée populaire nationale » soit « l’organe suprême du pouvoir d’état », possédant le pouvoir législatif, celui d’amender la constitution, de veiller à son application, d’élire le vice-président, le président de la république, de la commission militaire centrale, de la Cour populaire suprême, du 1er ministre, du procureur général du parquet populaire suprême (pouvoir législatif, exécutif, judiciaire), le véritable détenteur du pouvoir est Xi Jinping qui l’exerce sans partage : commission militaire en 2012, de la république en 2013 et 2018 et vote 20 mesures dont abolition limite double réélection à 2964 voix pour, 2 contre, 2 abstentions).
2) Le régime présidentiel.
A) Les éléments constitutifs.
Ici, les pouvoirs sont clairement séparés. L’exécutif est élu par le peuple, aux États-Unis il l’est indirectement mais dans le fond, rien ne change puisque les grands électeurs sont tenus par un mandat impératif. Le Président nomme et révoque librement ses ministres au cours de son mandat (souvent court : États-Unis 4 ans renouvelable 1 fois). Il dispose, hormis d’un droit de veto (aux États-Unis « ordinaire » et « de poche » qui tend à diminuer), de peu de pouvoirs face au législatif (ne peut dissoudre l’assemblée). De même, le législatif n’intervient (hors de la procédure d’impeachment, de ratification des traités et de nominations de certains postes) pas dans l’exécutif. Le judiciaire, lui, est revalorisé, passant d’une simple « autorité judiciaire » (France) à un « pouvoir à part entière ». Ainsi, celui-ci à la charge de contrôler la constitutionnalité des lois mais également de réaliser un arbitrage entre les pouvoirs. Au total, l’ensemble est supposé garantir un équilibre entre des pouvoirs séparés et procédant de l’élection populaire.
B) Les difficultés pratiques.
Concrètement, en fonction de la figure charismatique au pouvoir et des circonstances de l’époque, la primauté de l’un sur l’autre peut varier. Ainsi, durant tout le XIXe on a pu parler de « gouvernement congressionnel » aux États-Unis, mais, durant la Guerre de Session où s’instaurera une presque dictature puis, au XXe avec les interventions militaires où l’exécutif reprendra la prééminence, on voit bien que le droit inscrit dans la Constitution ne suffit pas à lui seul à déterminer dans totalité une réalité décidément mobile et complexe. De plus, aux États-Unis, c’est l’indiscipline des partis qui permet d’éviter les blocages (il est presque impossible de ne pas trouver des failles parmi les membres de ces grandes coalitions qui regroupent des avis bien divergents) mais, dans des systèmes où les partis représentent des groupes idéologiquement proches et soudés, le blocage est risqué. Raison pour laquelle le régime présidentiel n’a jamais pu faire l’objet d’une transposition sérieuse en France, même dans le cadre de la constitution de 1952 et son « présidentialisme » (régime combinant élection présidentielle au suffrage universel et absence de responsabilité parlementaire ministérielle, mais fonctionnant d’une manière différente du régime américain).
3) Le régime parlementaire.
Régime d’équilibre ou la direction des affaires publiques résulte d’une collaboration entre un Parlement susceptible d’être dissous et un chef d’état irresponsable (Royaume-Uni : Roi), par l’intermédiaire d’un cabinet politiquement responsable (1er ministre). Au Royaume-Uni, il se met progressivement : l’accouchement ne fait que débuter lorsqu’en 1734 Voltaire décrit « ce mélange heureux dans le gouvernement d’Angleterre, ce concert entre les Communes, les Lords et le Roi », puis lorsque Montesquieu évoque un Corps législatif lié « par la puissance exécutrice, qui sera elle-même par la législative ». L’arrivée des Hanovre a permis au Parlement de s’imposer dans la direction des affaires internes, en 1729 Walpole « réalise la structure du régime parlementaire dit classique en s’assurant aux Communes de la majorité constituée par le parti dont il va ainsi apparaitre le chef », en 1742 la responsabilité du gouvernement se concrétise quand Walpole démissionne pour éviter l’impeachment lorsqu’il perd sa majorité, mais finalement elle n’est acquise que lorsque lord North démissionne avec l’ensemble de son cabinet en 1782. Ce mécanisme sera alors repris dans la Constitution espagnole de 1812 et dans la belge de 1831.
A) Les institutions du parlementarisme anglais.
Le Parlement
Organe souverain du Royaume-Uni, il regroupe le monarque, la chambre des Communes et la chambre des Lords. La Chambres des lords regroupe les représentants des grandes familles nobles du Royaume, qui peuvent y prendre part, de façon de plus en plus réduite ces derniers temps (1911, 1949, 2011). Le principal organe démocratique demeure alors la chambre des Communes dont les membres sont élus pour cinq ans suivant un scrutin majoritaire uninominal à un tour. Présidée par le « speaker », elle est divisée en un certain nombre de commissions parlementaires permanentes mais non spécialisée (afin de ne pas concurrencer l’exécutif), les Standing Committes. Dotée de pouvoirs illimités, Harold Laski soulignait toutefois, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, que sa fonction était « avant tout de constituer un gouvernement à qui, tant qu’elle lui conserve sa confiance, elle est prête à confier » « l’initiative législative ». Le monarque quant à lui, dispose de pouvoirs reconnus appelés les « prérogatives royales » (nomination ministre, principaux agents publics, déclaration de guerre, reconnaissance d’un état, droit de grâce, promulgation des lois), pouvoirs néanmoins théoriques puisque en réalité il sont exercés par le 1er ministre et son cabinet en vertu des « conventions constitutionnelles ».
Le Cabinet du 1er ministre
C’est donc lui qui gouverne, assumant les pouvoirs appartenant théoriquement à la Couronne et bénéficiant pour ce faire de l’appui de la majorité aux Communes, au point que certains ont parlés jadis d’une « dictature du cabinet » et qu’on a pris l’habitude de qualifier le 1er ministre de « monarque élu », puisque, c’est de lui que dépend la constitution du cabinet, en fonction de ses remaniement et parce que, jusqu’à une date récente, il pouvait dissoudre les Communes. Ce fort pouvoir était contrecarré par la responsabilité du gouvernement devant les Communes qui, en retirant sa confiance au 1er ministre, peut forcer son départ.
Le two party system
Au vue du monde politique britannique, favorisant, par le mode de scrutin, l’existence de deux partis géants (travaillistes, conservateurs), lors des élections législatives où les électeurs votent pour un parti et son programme, consistent bien souvent en un « plébiscite » au profit des deux chefs de partis, amenés à devenir 1er ministre, une fois leur parti majoritaire aux Communes. Or le bipartisme se fragilise, ainsi, aux élections du 6 mai 2010, le Lib-dem obtint 23% des voix ce qui força le parti conservateur à former un gouvernement de coalition pour s’assurer la majorité. Le choix du 1er ministre ne résulta pas d’un plébiscite des électeurs mais d’une tractation entre états-majors partisans (si il s’était allié avec les travaillistes, ils seraient allés au pouvoir). Si les élections de 2015 donnèrent une écrasante majorité aux conservateurs ce qui pouvait laisser penser un retour en force du bipartisme, les résultats du référendum de 2016 sur le Brexit, portés majoritairement par les petits partis suivis de la démission de David Cameron au profit de Theresa May, confirmèrent que la situation était désormais complexe et fragile.
B) Les mécanismes du régime.
Harold Laski disait « la responsabilité collective du cabinet forme le centre de toute la structure de notre système parlementaire », elle peut être mise en œuvre par une motion de censure, par le rejet du budget ou encore par le vote d’un amendement à l’adresse, cependant cette procédure formelle est devenue marginale au XXe (2 motions : 1924, 1974). Pour le contrebalancer, le 1er ministre disposait, jusqu’en 2011, du pouvoir de dissolution, vu par les britanniques comme un simple moyen pour le gouvernement de profiter d’une nouvelle conjoncture politique favorable en provoquant de nouvelles élections générales et non comme une arme contre le législatif (comme en France), si bien que peu de législatures arrivaient à leur termes régulièrement. Mais, celui-ci lui fut retiré par la coalition Lib-dem & conservateur au nom d’une « rationalisation parlementariste», ne laissant exister qu’une forme « d’autodissolution », entièrement dans les mains des Communes. Ainsi, commentait Le Divellec, « le Premier ministre perd l’une de ses prérogatives les plus considérables » et par la même « l’un des instruments ayant permis le développement du Prime Minister System ». Mais, ce scepticisme semble avoir été affaibli avec l’autodissolution de la Chambre à la demande de Theresa May le 19 avril 2017, puis le vote de la loi du 31 octobre 2019 organisant des élections anticipées (une dissolution de fond), montrent bien qu’une simple loi (2011), même dans un système de constitution souple, ne suffit pas à faire disparaitre des habitudes séculaires. Avec la marginalisation de la responsabilité gouvernementale, le système britannique se caractérise par une forte collaboration entre l’exécutif et le législatif. Ainsi, le 1er ministre dispose pratiquement du monopole de l’initiative et, en tant que leader de la majorité peut décider de l’ordre du jour des communes au point que celle-ci, déplorait Harold Laski « s’est transformée en un organe d’enregistrement de la volonté du Cabinet ». A l’inverse, le parlement prend part à l’exécutif avec la procédure des question au gouvernement (question time), les commissions spéciales examinant les dépenses, l’administration et la politique au sein des principaux départements ministériels et organismes publics, ou encore l’établissement des Special Standing Committees chargés d’examiner les projets de lois.
Fin