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Droit civil des biens

INTRODUCTION

Le droit des biens désigne la branche du droit qui régit des biens et dont découle les droits subjectifs des individus. L’étude porte sur un objet non identifié car il est difficile à définir. 

            §1. La notion de bien

La notion de bien est une notion incertaine en droit français car les dispositions du code civil relatives aux biens présentent deux imperfections. En premier lieu, le code civil classe les biens (meubles et immeubles), évoque les droits (droit d’usufruit et services fonciers) mais ne donne aucune définition du bien.  En second lieu, la lettre du code civil entretient en permanence une confusion entre le droit et la chose. En effet, le bien désigne tantôt une chose, tantôt un droit sur une chose. Premier exemple, aux termes des art.517 et 518 c.civ, « les immeubles sont les fonds de terre et les bâtiments », donc fondamentalement des choses. Or, l’art. 526 du même code enseigne que « sont des immeubles le droit d’usufruit et les services fonciers ». Ce ne sont pas des choses mais des droits sur les choses. Deuxième exemple, l’art. 527 c.civ dispose que « sont des biens meubles les choses mobilières mais aussi les droits personnels, les droits de créance ». À la lecture du code, on ne peut savoir si un bien est une chose, un droit sur une chose ou les deux à la fois. 

Si l’on considère le bien comme un mot polysémique, mot interne qui présente plusieurs significations, le bien en droit civil pourrait ainsi indistinctement être tantôt une chose ou tantôt un droit sur une chose. Or, cette analyse aboutit mécaniquement à une impasse. Si le bien peut être à la fois une chose ou un droit sur une chose, cela signifierait que le propriétaire d’une chose possède dans son patrimoine deux biens différents (la chose elle-même et le droit de propriété sur cette chose). En d’autres termes, cela signifierait que le propriétaire serait deux fois plus riche. Ce qui est naturellement faux. Lorsqu’une personne est propriétaire, elle est riche de la valeur de la chose parce qu’il en est propriétaire. Il y a une sorte d’unité entre les deux.  Pour preuve, on ne peut céder la propriété sans la chose ni céder la chose sans la propriété.  In fine, cette première analyse doit être rejetée car le bien ne renvoie pas indistinctement à la chose ou au droit sur cette chose.  

Il existe à ce propos trois catégories d’auteurs. D’abord, il y a la catégorie de ceux qui éliminent la question, qui refusent de la traiter ou entretiennent terriblement la confusion. Ainsi dans un manuel de droit civil des biens, on peut lire la phrase suivante : « les biens constituent toujours des droits évaluables en argent ; le bien est donc une chose objet d’un droit ».

 Ensuite, on trouve ceux qui considèrent les biens comme des choses. Cette catégorie n’est pas unitaire car les auteurs sont en désaccord sur la question de savoir quelles choses sont des biens mais s’accordent pour dire que les biens sont des choses. Pour certains, sont des biens toute chose, qu’elle soit appropriée par quelqu’un ou qu’elle soit simplement appropriable. D’autres auteurs, en revanche, considèrent que les biens sont uniquement des choses qui sont d’ores et déjà appropriées, celles qui n’appartiennent pas encore à quelqu’un ne sont donc pas des biens. D’autres ajoutent le critère de l’inaliénabilité, le critère de saisissabilité par les créanciers. 

Enfin, on trouve la catégorie d’auteurs qui considèrent que le bien est un droit sur une chose. Pour eux, la lettre du code civil ne traduit que des raccourcis de langage. Lorsque le code vise une chose en tant que bien, il veut en réalité viser le droit sur cette chose. Le code serait donc mal rédigé mais in fine on pourrait admettre que tous les biens sont des droits et non des choses (vraisemblablement, le professeur Christophe Juillet se range dans cette catégorie d’auteurs). 

Prenons l’hypothèse selon laquelle le bien serait une chose. Si le bien est une chose, le droit n’est pas un bien. Or cela heurterait l’état du droit positif dans la mesure où il est admis depuis longtemps que le droit de créance n’est pas un simple rapport juridique mais un véritable bien. Pour preuve, il existe une cession de créance ou de la même façon les cessions d’usufruit. Étant cessibles voire monnayables, on peut considérer qu’il s’agit un peu d’un bien. Les auteurs partisans de cette théorie selon laquelle le bien est une chose prétendent aussi que le droit est aussi un bien. Le droit de propriété ne fonctionne pas de la sorte. Ces auteurs tombent dans l’impasse. 

En fin de compte, le prof considère qu’un bien en droit français n’est ni plus ni moins qu’un droit. Le bien ne constitue pas une chose mais un droit. Cette analyse est plus juste mais difficile à manier. L’analyse est plus juste si l’on raisonne par rapport au patrimoine. Le patrimoine étant une pure fiction juridique, il serait donc plus logique de placer dans cette entité abstraite d’autres entités abstraites (droits) que des choses concrètes. Mais cette analyse pose également une difficulté dans la mesure où les droits sont variés. Si les biens sont des droits, tous les droits sont-ils des biens ? Peuvent-ils tous recevoir la qualification de biens ? 

La notion de bien repose fondamentalement sur l’idée de rareté. Ne peuvent être des biens que les droits qui sont attribués à certaines personnes et qui ne peuvent pas être attribués simultanément à d’autres personnes ou à toutes les personnes. Comme contre-exemple, on peut citer les droits de la personnalité (vie privée) qui ne sont pas des biens car ils peuvent être attribués à plusieurs personnes. Les droits extrapatrimoniaux sont les droits de la personnalité, et les droits patrimoniaux sont les biens. Le bien peut être défini comme un droit de nature patrimoniale. Constituent donc des biens le droit personnel (créance) et le droit réel (celui qui est relatif à une chose).  

 

            §2.  La notion de patrimoine

Le terme de patrimoine est fondamentalement polysémique. En droit civil, la notion est très précise et très technique. Le patrimoine se définit comme un réceptacle à un ensemble abstrait de droits et d’obligations à caractère pécuniaire. Cette définition suscite quatre observations. 

De première part, le patrimoine est une représentation de l’esprit, une construction intellectuelle, purement juridique. 

De deuxième part, le patrimoine est un réceptacle (enveloppe). À ce titre, il doit être soigneusement distingué des éléments qui le composent. Le contenant c’est le patrimoine et le contenu ce sont les droits et les obligations à caractère pécuniaire qui s’y trouvent. En effet, même si le patrimoine est complètement vide, il existe toujours en tant que contenant. Autrement dit, un patrimoine complètement vide n’en est pas moins un patrimoine. 

De troisième part, le patrimoine contient des droits et des obligations. Le patrimoine est une universalité de droit qui, à ce titre, doit être soigneusement distinguée de l’universalité de fait puisque dans cette dernière, il n’existe pas d’obligations ni de passifs. L’universalité de fait se compose uniquement de biens et d’éléments factuels. Ne sont donc pas des patrimoines un fonds de commerce, un troupeau, une collection, une bibliothèque ou encore un portefeuille de valeurs mobilières. L’universalité de fait se compose de biens et d’éléments actifs exclusivement alors que le patrimoine contient à la fois des actifs et des passifs. 

De quatrième part, les éléments qui composent le patrimoine présentent toujours un caractère pécuniaire i.e. toujours évaluables en argent. Pour cela, les droits de la personnalité ne sauraient figurer dans le patrimoine.  

Il existe deux conceptions au sujet du patrimoine : la conception objective ou matérielle et la conception subjective ou personnaliste. 

Selon la conception objective ou matérielle, le patrimoine est censé exister à chaque fois que les droits et les obligations qu’il recouvre sont orientés vers une même finalité. Concrètement, c’est le but qui permet d’identifier l’existence d’un patrimoine. On parle alors de patrimoine d’affectation car ces éléments sont affectés à un but. Le concept est mis en valeur en Allemagne au XIXe siècle. Le patrimoine d’affectation est celui qui est constitué dans un but déterminé.

À l’opposé, selon la conception subjective ou personnaliste, le patrimoine est une émanation, un prolongement de la personnalité juridique (aptitude à être titulaire de droits et d’obligations). Dès lors qu’une entité quelconque dispose de la personnalité juridique, elle dispose d’un patrimoine. Le patrimoine est la transposition de la personnalité juridique sur un plan économique, pécuniaire. Le patrimoine est donc consubstantiel à la personnalité juridique. Elle est mise en valeur en France fin XIXe siècle par Charles Aubry et Charles Rau.  La conception subjective est celle retenue par le droit français. 

Les trois grands principes qui gouvernent la théorie du patrimoine en France et qui ont été mis en valeur par Aubry et Rau sont les suivants. 

D’abord, toute personne possède un patrimoine. Si la personnalité juridique est consubstantielle au patrimoine et qu’elle constitue l’aptitude à être titulaire de droits et d’obligations, il est nécessaire d’avoir un patrimoine (contenant) pour pouvoir recevoir ces droits et les obligations à caractère pécuniaire. En l’absence de patrimoine, on ne saurait avoir de droits et d’obligations et partant on ne pourrait avoir de personnalité juridique. Cela veut dire que le patrimoine s’acquiert concomitamment avec la personnalité juridique du moment qu’on est né vivant et viable. La perte de la personnalité juridique emporte perte du patrimoine, les deux étant intimement liés. En conséquence, même si le patrimoine d’une personne est vide à un moment donné de son existence, il continue d’exister en tant que contenant. Tant que la personne existe, son patrimoine est rigoureusement intransmissible (inter vivos) en tout ou partie. Une personne peut décider de transmettre tous les éléments qui composent son patrimoine mais elle ne peut pas transmettre son patrimoine. Si elle le faisait, elle perdrait sa personnalité juridique et deviendrait une chose. Les éléments du patrimoine sont transmissibles mais le patrimoine lui-même ne peut l’être. On ne peut pas transmettre une quote-part de patrimoine. La raison en est que la personnalité est indivisible de sorte que le patrimoine qui en est la transposition sur le plan économique l’est également. Il existe néanmoins une exception en droit positif s’agissant des personnes morales notamment les sociétés. Il en est ainsi de l’apport partiel d’actifs qui consiste en la transmission par une société de son vivant d’une branche complète d’activité. 

Ensuite, tout patrimoine appartient à une personne. Ce principe emporte deux conséquences, une négative et une positive. Négativement, cette règle signifie qu’à chaque fois qu’il existe un groupement de biens et de dettes à la tête duquel il n’existe pas une personne unique, ce groupement ne constitue pas un patrimoine. Concrètement, les biens et les dettes composant ce groupement se retrouvent dans le patrimoine personnel de chacun des membres de ce groupement. D’où l’existence en droit français, de l’indivision, de la communauté entre époux et de la copropriété des immeubles bâtis. Toutes ces institutions du droit reposent sur un ensemble de droits et d’obligations car personne n’est placé dessus. Positivement, pour pouvoir créer un nouveau patrimoine, il est nécessaire de créer une nouvelle personne. Dès lors que tout patrimoine appartient à une personne, il faut créer une personne.  Cette technique a été utilisée par le législateur notamment pour les sociétés unipersonnelles, qui ne comptent qu’un seul associé. En ce qu’agir en son nom personnel peut être excessivement dangereux, le législateur permet à l’entrepreneur de créer un patrimoine professionnel distinct de son patrimoine personnel. 

Enfin, toute personne n’a qu’un seul patrimoine. C’est la règle d’unité ou d’unicité du patrimoine.  Cela signifie que parmi tous les droits et les obligations d’une personne, le droit n’opère aucune distinction. Dès lors qu’ils appartiennent à la personne, ils vont dans son unique patrimoine. Tout est contenu dans un seul et même patrimoine.  Deux conséquences vont en découler. En premier lieu, l’on peut évoquer la règle d’unité des successions. Puisque la succession est la transmission du patrimoine, si le patrimoine du défunt était unique, la succession se règle de façon unitaire.  En second lieu, l’on peut évoquer le droit de gage général des créanciers personnels de l’art.2284 c.civ. En rappel, une obligation est un lien de droit entre deux personnes en vertu duquel l’une des personnes que l’on appelle le débiteur est tenu envers l’autre que l’on appelle le créancier d’accomplir une certaine prestation. Lorsqu’existe une telle obligation, le créancier n’a pas une simple espérance mais un droit d’obtenir la prestation. Concrètement, si son débiteur ne s’exécute pas correctement, le créancier peut obtenir son désintéressement sur n’importe quel bien du débiteur. Tous les biens du débiteur répondent de la totalité de ses dettes. S’il en est ainsi, c’est parce que tous les biens et toutes les dettes figurent dans un seul et même patrimoine.  Néanmoins, cette règle de l’unité du patrimoine n’est pas absolue. Aubry et Rau, eux-mêmes, le reconnaissaient. Ces altérations étaient marginales mais à une époque récente, le législateur a rompu la règle. Tout commence avec la loi du 19 février 2007 qui a instauré en droit français la fiducie. Depuis cette loi, l’art.2011 du c.civ dispose que « la fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés…à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leurs patrimoines propres, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». En d’autres termes, avec le mécanisme de la fiducie, le bénéficiaire du transfert, à compter de ce transfert va avoir deux patrimoines complètement étanches dans l’exercice du droit de gage : son patrimoine personnel et le patrimoine fiduciaire contenant les biens, les droits et les sûretés. La fiducie poursuit un but de garantie, de fructification, de libéralité ou de contournement du droit de gage général. 

La loi du 15 juin 2010 institue en droit français l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). À compter de cette loi, l’art. L.526-6 c.com dispose que : « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur affecte à son activité professionnelle, un patrimoine séparé de son patrimoine personnel sans création d’une personne morale ». 

L’EIRL a été remplacé par l’entrepreneur individuel par la loi du 14 février 2022 complétée par un décret d’application du 28 avril 2022. Des dérogations à l’exercice du droit de gage général y sont prévues. En effet, l’art. L.526-22 c.com dispose que : « les biens, droits, obligations et suretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur […]. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ». 

Cette loi est attentatoire à la liberté de l’entrepreneur mais elle est protectrice de son patrimoine personnel susceptible d’être exposé à des risques professionnels. Sous le régime de la loi ancienne, l’entrepreneur individuel était libre de créer un nouveau patrimoine ou de ne pas le faire. Il pouvait maintenir l’unité de son patrimoine. Désormais, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel existe automatiquement et de plein droit. Néanmoins, il est possible pour l’entrepreneur d’y renoncer sous certaines conditions (art.L.526-25 c.com). Tous ces patrimoines supplémentaires (fiducie, EIRL, entreprise individuelle) sont des patrimoines d’affectation. 

 

            §3. Histoire du droit des biens 

Le droit des biens ne se conçoit pas sans l’histoire.  Son histoire porte essentiellement sur la propriété, plus précisément la propriété foncière. Le droit de propriété est celui qui reflète le plus l’état et l’esprit d’une société, d’une civilisation. L’autre raison est qu’en droit des biens, les immeubles ont toujours tenu une place plus importante que les meubles en vertu de l’adage res mobilis, res vilis. 

Le droit romain connaissait la propriété collective (la même chose appartient à un groupe d’individus) mais aussi la propriété individuelle (la chose n’appartient qu’à une seule personne). Néanmoins, progressivement, les régimes juridiques des formes de propriété individuelle ont fini par se rapprocher au point que le concept est devenu unitaire. Progressivement, le droit romain a fini par dissocier la chose elle-même du droit qui porte sur cette chose. À l’origine, les Romains avaient tendance à confondre le pouvoir de fait sur cette chose et le droit sur cette chose. Celui qui avait la chose en main était regardé comme propriétaire de cette chose. Ils sont parvenus à dissocier le pouvoir de fait et le pouvoir de droit. Désormais, on distingue, d’une part, la personne qui exerce un pouvoir matériel sur la chose et, d’autre part, la personne qui en est le propriétaire i.e. le véritable titulaire du droit réel.  

Sous l’Ancien droit, on relève 3 éléments. D’abord, au début de l’ancien droit, le droit de propriété est essentiellement collectif. Les choses appartiennent à un groupe de personnes, aux membres d’une famille d’où une appropriation collective. Progressivement, ces propriétés collectives déclineront pour laisser la place à des propriétés individuelles mais existeront toujours (biens du clergé). Ensuite, le régime de la propriété foncière va être calqué sur l’organisation de la société, i.e. le système de la féodalité. Ainsi, les immeubles étaient soumis à deux droits de propriété différents l’un de l’autre. D’un côté, le domaine éminent appartenant au seigneur et, de l’autre, le domaine utile appartenant au vassal. Le seigneur devait protection au vassal qui devait verser l’impôt au seigneur et était astreint à un certain nombre d’obligations appelées corvées. Enfin, on a vu apparaître pour les meubles une règle spécifique qui tend à confondre le pouvoir de fait sur un meuble avec la titularité du droit (en fait de meubles, possession vaut titre). 

Sous la Révolution, on souhaite abattre le modèle féodal. Par voie de conséquence, les révolutionnaires consacrent la propriété individuelle et exclusive des choses. Cette consécration s’est traduite dans la DDHC dont les articles 2 et 17 protègent cette propriété et en font un droit inviolable et sacré. 

Sous l’Empire et avec l’avènement du code civil, les acquis de la Révolution ont été consolidés notamment le droit des biens. Autrement dit, le code reprend à son compte la propriété individuelle, et ce pour deux raisons. En premier lieu, l’abolition de la féodalité constitue une des avancées les plus importantes de la Révolution. En l’occurrence, Bonaparte considérait que « la propriété individuelle était le premier rempart contre le désordre social ». Or, le premier consul souhaite finir la Révolution. En effet, lorsqu’on est propriétaire, on a quelque chose à perdre et une nouvelle Révolution peut nous faire tout perdre. 

Quelques observations sur le code de 1804 méritent d’être faites. En premier lieu, il est globalement structuré autour du droit de propriété. Le livre Ier portait sur les personnes et la famille. Le livre II traitait des biens et de la propriété. Le livre III consacrée aux obligations s’intitule « des différentes manières dont on acquiert la propriété. » En deuxième lieu, le droit de propriété y est sacralisé. L’art. 544 c.civ en fait un droit absolu. En troisième lieu, les droits de jouissance qu’une personne peut avoir sur la chose d’autrui sont toujours limités dans le temps. Durant tout le temps du droit de jouissance, le propriétaire ne jouit pas de sa chose et la propriété est une coquille vide. C’est la raison pour laquelle le droit de jouissance d’autrui est enfermé dans le temps pour donner de la consistance à la propriété. En quatrième lieu, le législateur de 1804 a fortement encadré les services fonciers/servitudes car il a craint que, par le biais des servitudes, on puisse rétablir conventionnellement la féodalité. 

Au XIX-XXe siècle, on remarque 3 choses. D’abord, on assiste à une modification profonde des fortunes, essentiellement constituées par les immeubles. Progressivement, les fortunes se déplacent vers les biens meubles, particulièrement les titres de société. On observe aussi le développement des choses incorporelles notamment le fonds de commerce (loi de 1909), les brevets, les marques ou les fonds agricoles. On voit aussi apparaître de nouveaux biens, notamment les quotas de production, d’émission ou les informations, les données personnelles, les crypto actifs. Dès 1966, le professeur Pierre Catala écrivait un article sur la modification profonde des fortunes. 

Ensuite, on assiste à un véritable paradoxe autour du droit de propriété. D’un côté, la propriété est considérablement affaiblie mais d’un autre côté, elle est considérablement renforcée. L’affaiblissement du droit de propriété résulte des théories marxistes du XXe siècle. Dans ces dernières, la propriété est présentée comme devant être collective sur tous les moyens de production et n’est qu’un état transitoire dans la mesure où la propriété est amenée à disparaitre. Certains auteurs se sont ralliés à ces théories et ont prôné la mort de la propriété. Le second affaiblissement est d’ordre juridique car l’époque contemporaine montre une multiplication des atteintes portées au droit de propriété. De plus en plus, le législateur intervient et réduit les prérogatives du propriétaire de la chose. Parfois, elles sont justifiées par l’intérêt général, parfois en se fondant sur des considérations sociales (restrictions des prérogatives du bailleur afin que son locataire jouisse de prérogatives étendues). 

Mais, enfin, le droit de propriété a été renforcé par sa fondamentalisation i.e. l’acquisition par ce droit d’une valeur supra légale. D’abord, une valeur constitutionnelle par la décision du 16 juillet 1971, Liberté d’association dans laquelle le CC étend le contrôle de constitutionnalité par rapport au bloc de constitutionnalité en incluant la DDHC au rang des normes de référence. Le CC a donné une valeur constitutionnelle au droit de propriété sur le fondement des articles 2 et 17 DDHC en rappelant justement que s’il n’a pas été atteint dans son essence, il a changé dans ses « finalités et ses conditions d’exercice » (CC, 16 janvier 1982, Loi sur la nationalisation).En outre, la QPC, mise en place en 2010, permet de passer tout le droit civil au crible de la constitutionnalité. 

Le droit de propriété a également acquis une valeur juridique internationale. En l’occurrence, la propriété est protégée par le 1er protocole additionnel de la CESDH si bien que la CEDH a été amenée à protéger la propriété d’autant plus qu’elle en a une vision extensive. Pour la CEDH, la simple espérance légitime d’un droit mérite déjà protection. Ainsi, le législateur doit respecter la propriété mais la fondamentalisation ne signifie qu’il ne peut pas y porter atteinte. Simplement ces atteintes sont subordonnées à la réunion de deux conditions, autant en droit constitutionnel qu’en droit conventionnel : l’atteinte au droit de propriété doit être justifiée par un intérêt légitime et proportionnée au but poursuivi. 

La dernière évolution caractéristique de l’époque contemporaine est l’éparpillement des sources du droit des biens.  À l’époque, le doit des biens était régi uniquement par le code civil. De nos jours, ce droit se trouve en réalité en dehors du code civil (code du patrimoine, code rural, code de la construction, code de l’urbanisme).  La difficulté est que le code civil, référentiel du droit commun, a peu évolué contrairement au droit des biens.  Jugé assez vieux voire obsolète, le code civil appelle une réforme. C’est la raison pour laquelle en 2009 l’association Henri Capitant formule un projet de réforme du droit des biens qui n’a jamais abouti.

La notion de bien renvoie à la notion de droit patrimonial mais il existe de droits patrimoniaux très différents des autres. On trouve les droits personnels (droits de créance), les droits intellectuels (droits relatifs aux œuvres de l’esprit tels les brevets, les marques…). 

Il existe deux grandes catégories de droits réels. D’un côté, les droits réels principaux qui permettent de saisir les utilités de la chose. On y range le droit de propriété, le droit d’usufruit ou le droit de servitude. De l’autre, les droits réels accessoires qui permettent d’appréhender la valeur d’une chose. Leur nom s’explique par le fait qu’ils sont l’accessoire d’une créance, i.e. les garanties de paiement de la créance appelées sûretés (le gage, le nantissement ou l’hypothèque) qui font l’objet d’un cours en master. Finalement le cours s’intéressera aux droits réels principaux.

PARTIE I : LE DROIT RÉEL

Le mot réel vient du latin « res, rei » qui signifie chose. Par conséquent, le droit réel est le droit relatif aux choses. Cette approche intuitive n’est pas fausse mais elle n’est pas pour autant convaincante dans la mesure où il existe des droits réels qui ne s’intéressent pas aux choses. Dans un contrat de bail, le locataire a un droit de jouissance sur la chose louée mais il est titulaire d’un droit personnel contre le bailleur. On cherchera donc à définir la notion de droit réel afin de la distinguer des droits personnels. Ensuite, il faudra se demander quels sont les caractères généraux du droit réel. 

TITRE I : LA NOTION DE DROIT RÉEL

 

CHAPITRE I : LA DÉFINITION DU DROIT RÉEL

 

Le droit privé français se divise autour du droit personnel et du droit réel. Or le droit personnel, relation juridique entre deux personnes, en vertu duquel le créancier peut exiger du débiteur l’accomplissement d’une certaine prestation, n’est que la face active d’une obligation personnelle. À l’opposé, le sujet passif est celui qui doit répondre de la dette. Le droit personnel est relativement bien défini contrairement au droit réel. En effet, le droit réel fait l’objet de différentes conceptions doctrinales. 

SECTION I : Les différentes conceptions du droit réel

Il existe 3 grandes conceptions du droit réel : la conception classique, la conception personnaliste, et la conception néo personnaliste. 

            § 1. La conception classique

La conception classique a eu cours pendant tout le XIXe siècle et est encore partagée aujourd’hui par un très grand nombre d’auteurs. Dans cette conception, le droit réel doit être défini par opposition au droit personnel (droit contre une personne, le créancier contre le débiteur). Le droit réel, droit sur une chose, est un pouvoir direct et immédiat qui s’exerce sur une chose. Concrètement, pour accéder aux utilités de la chose, le titulaire du droit réel n’a pas besoin de l’activité d’autrui celui-ci étant tenu d’une obligation négative. Or, dans le droit personnel, il faut passer par l’activité du débiteur pour saisir son utilité (obligation positive). Il en résulte deux conséquences. En premier lieu, le propriétaire d’une chose grevée d’un droit réel est considéré comme un tiers par rapport au titulaire du droit réel. En second lieu, le droit réel présente un caractère absolu que ne présente pas le droit personnel. En effet, le droit personnel, droit contre une personne déterminée, est fondamentalement un droit relatif à telle ou telle personne qui ne s’impose qu’au débiteur. À l’opposé, le droit réel, pouvoir direct et immédiat sur la chose, s’impose à tout le monde. C’est la raison pour laquelle on dit que le droit réel est absolu. 

De cet absolutisme, la théorie classique identifie dans le droit réel deux prérogatives qui le distinguent du droit personnel. 

En premier lieu, le droit de préférence qui peut être défini comme la prérogative qui permet au titulaire d’un droit réel de toujours l’emporter lorsqu’il est en conflit avec le titulaire d’un droit personnel. Autrement dit, parce qu’il confère un droit de préférence, le droit réel sera systématiquement plus fort que le droit personnel. Premier exemple, le créancier d’une personne entend saisir un bien qui se trouve entre les mains de son débiteur. Or, il se trouve que ce bien appartient à une tierce personne. Dans ce cas, il existe un conflit entre le créancier qui entend exercer son droit de gage général et le propriétaire qui souhaite soustraire son bien à la saisie. Dans ce conflit, le propriétaire l’emportera car il dispose d’un droit de préférence. Deuxième exemple, deux créanciers d’un même débiteur entendent saisir un bien particulier de ce débiteur pour se faire payer leurs créances respectives. Or, l’un des créanciers est titulaire d’un droit réel accessoire sur le bien et l’autre n’est qu’un créancier chirographaire (sans garantie). Dans ce conflit, c’est le créancier titulaire d’une sûreté (droit réel accessoire sur la chose) qui va être payé par priorité au créancier chirographaire. 

En second lieu, le droit de suite qui est une prérogative par laquelle le titulaire d’un droit réel peut exercer son droit en quelque main que passe la chose. Si la chose change de main, le titulaire du droit réel continue de pouvoir exercer son droit. Premier exemple : le propriétaire d’une chose en est injustement dépossédé par une autre personne. Dans ce cas, il peut exercer son droit de suite et récupérer la chose entre les mains de l’autre personne au moyen d’une action en revendication. Deuxième exemple : une personne est titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui, par exemple un usufruitier. Si le propriétaire transmet son droit de propriété à autrui, le titulaire du droit réel peut continuer à exercer son droit sur la chose en dépit du transfert de propriété. 

 

            §2. La conception personnaliste 

Mise en valeur par Planiol, la conception personnaliste n’a plus cours aujourd’hui. Planiol prend pour point de départ la définition du droit objectif. En effet, le Droit est un ensemble de règles qui régissent les rapports entre les personnes. À partir de là, il considère qu’un droit subjectif ne peut pas unir une personne à une chose. Ainsi le droit réel ne peut pas être un rapport de droit entre une personne et une chose mais forcément un rapport entre personnes. Il observe, d’un côté, que le droit personnel ne s’impose qu’au débiteur, donc un droit relatif et, de l’autre, que le droit réel s’impose à tous, donc un droit absolu. Il considère que le droit personnel comme le droit réel vont unir un sujet actif qui est le titulaire du droit et un sujet passif qui doit répondre de la dette. 

Simplement, tandis que dans le droit personnel le sujet passif est le débiteur, dans le droit réel le sujet passif s’incarne dans la collectivité. Chaque personne devient ainsi le sujet passif du titulaire du droit réel.  Ainsi, le sujet passif dans le droit réel doit s’abstenir de porter atteinte au droit réel (sorte d’obligation de ne pas faire, non facere), ce que Planiol traduit par l’obligation passive universelle. Passive car le sujet passif du droit réel est fondamentalement tenu d’une abstention. Universelle, car cette obligation s’impose à la collectivité. Son mérite est d’expliquer que les droits réels et les droits personnels présentent fondamentalement une structure analogue parce que les uns, comme les autres, mettent toujours en présence un sujet actif et un sujet passif (identité de structure). 

Le vice du raisonnement de Planiol réside dans le fait de mettre sur un même plan des choses différentes. Il a comparé l’incomparable. Dans le droit personnel, il s’est attaché à son effet qui se déploie uniquement entre le créancier et le débiteur, alors qu’il s’est placé sur le terrain de l’opposabilité du droit en matière de droit réel. Si tout individu est tenu de ne pas porter atteinte à un droit réel, c’est simplement parce que ce droit est opposable. Cependant, tous les droits, aussi bien personnels que réels, sont opposables aux tiers. Si une personne porte une atteinte injustifiée au droit d’autrui, l’ordre juridique doit réagir. En effet, un droit subjectif non opposable ne serait plus un droit. L’opposabilité assure au droit subjectif son efficacité dans l’ordre juridique.  Pour preuve, lorsqu’il existe une atteinte injustifiée à un droit personnel, il y aura une sanction par la mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle, notamment en cas de tierce complicité dans la violation d’une obligation. Concrètement, l’obligation passive universelle se retrouve aussi bien dans les droits réels que personnels. Même si la théorie de Planiol est fausse en ce qu’il confond l’effet du droit et l’opposabilité du droit, elle a permis à la conception néo personnaliste du droit réel d’émerger. 

            §3. La conception néo personnaliste

La conception néo personnaliste du droit réel est l’œuvre de Samuel Ginossar mais elle a été reprise par un certain nombre d’auteurs au milieu du XXe siècle.  Frédéric Zénati donne à cette théorie une assise historique dans sa thèse Essai sur la nature juridique de la propriété, contribution à la théorie du droit subjectif, soutenue en 1981 à l’Université Jean Moulin Lyon. 

En premier lieu, Ginossar exclut de son raisonnement la propriété car il considère que la propriété n’est pas un droit réel mais une sorte de relation d’appartenance existant entre le sujet de droit et l’ensemble des choses (chaise) et des droits (créance) qui lui appartiennent. Pour lui, on est propriétaire d’une chaise de la même manière dont on est propriétaire d’une créance. Or si on exclut la propriété de la catégorie des droits réels, il ne reste dans cette catégorie que des droits réels qui s’exercent sur la chose d’autrui (usufruit, servitude). À partir de là, Ginossar observe que les droits réels sur la chose d’autrui n’ont pas la même incidence vis-à-vis de tout le monde. Par rapport aux tiers, le droit réel sur la chose d’autrui doit être respectée : il s’agit d’une question d’opposabilité (obligation passive universelle). Seule une personne sera placée dans une situation différente : le propriétaire de la chose sur laquelle s’exerce le droit. Il doit, comme tous les tiers, respecter le droit réel au bénéfice d’autrui qui grève sa chose. Or ce droit sera beaucoup plus contraignant pour lui qu’il ne l’est pour les tiers en ce qu’il souffre d’une réduction de ses prérogatives sur sa chose. Par exemple, le propriétaire d’une chose sur laquelle autrui dispose d’un usufruit conférant à son titulaire toute la jouissance de la chose. Ainsi, durant tout l’usufruit, le propriétaire ne peut pas jouir de sa chose. Pour cela, Ginossar considère que le droit réel n’est pas un pouvoir direct et immédiat sur une chose ni un lien de droit entre un sujet et une chose mais un lien de droit entre le titulaire du droit et le propriétaire de la chose. Autrement dit, la situation particulière dans laquelle se trouve le propriétaire va faire de lui un sujet passif du droit réel qu’autrui dispose sur sa chose. 

Les droits réels et les droits personnels présentent une structure identique dès lors qu’on est en présence d’un sujet actif (créancier et titulaire du droit réel) et un sujet passif (débiteur et propriétaire). Que le droit soit réel ou personnel, il est opposable aux tiers. Cette conception a un impact sur la situation du propriétaire d’une chose. Pour traduire le fait que le propriétaire est un sujet passif, Ginossar considère qu’il est tenu d’une obligation qui n’est pas personnelle mais réelle i.e. qui est en lien avec la chose et précisément la propriété de la chose. Raison pour laquelle la détermination du sujet passif du droit réel n’est pas liée à son identité (droit personnel) mais à sa qualité de propriétaire. Ainsi, si cette personne perd la propriété de sa chose, elle cesse d’être le sujet passif. En cas de cession de la chose, l’obligation réelle qui lui incombait sera transmise de plein droit à l’acquéreur qui devient le nouveau sujet passif du droit réel d’autrui.  

Selon le prof, la théorie néo personnaliste comporte 3 mérites et une faiblesse :  

S’agissant des mérites de la théorie néo personnaliste, en premier lieu, elle permet de mettre en valeur la situation particulière du propriétaire lorsqu’une autre personne a un droit réel sur sa chose. On voit clairement que le propriétaire n’est pas un simple tiers car il va souffrir le droit réel d’autrui sur sa chose beaucoup plus que n’importe quelle autre personne. En ce sens, on ne peut pas affirmer que le propriétaire est un simple tiers auquel le droit d’autrui est opposable. 

En deuxième lieu, Ginossar met en exergue l’identité de structure entre le droit personnel et le droit réel. Il montre que tous les droits subjectifs mettent en rapport un sujet actif qui est créancier ou titulaire du droit et un sujet passif qui débiteur ou propriétaire (sujet passif seulement lorsque sa chose est grevée d’un droit réel). Tous les droits se traduisent pour le sujet passif par une obligation personnelle dans le cadre du droit personnel ou une obligation réelle dans le cadre du droit réel.

En troisième lieu, il donne une assise théorique au mécanisme du droit de suite dans les droits réels. Le titulaire du droit peut suivre la chose car la propriété de la chose emporte transmission de plein droit de l’obligation réelle. Dans le droit personnel, le sujet passif est déterminé dans son identité, peu importe la manière dont il dispose de ses biens. Dans le droit réel, le sujet passif est déterminé par sa qualité. S’il dispose de sa chose, il cesse d’être sujet passif. Tout compte fait, l’obligation personnelle reste, l’obligation réelle circule. Ainsi, les obligations personnelles ne se transmettent jamais de plein droit avec la propriété d’une chose. 

Néanmoins, peut-on considérer que la propriété n’est pas un droit réel ? Affirmer que la propriété n’est pas un droit réel est tout simplement contraire à la lettre du code civil.  En effet, l’art. 543 c.civ dispose qu’« on peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre.»  Légalement, le droit de propriété est un droit réel donc cette théorie ne s’applique pas à tous les droits réels. Cela mènerait à dire que le propriétaire d’une chose est à la fois le sujet actif et le sujet passif, qu’il dispose d’un droit sur sa chose et en même temps d’une obligation réelle sur cette dernière. 

 

SECTION II : La conception retenue du droit réel

Quelle conception du droit réel faut-il retenir ?  Pour déterminer la conception du droit réel, il faut s’appuyer sur les forces et les faiblesses des analyses. Une fois que cette détermination sera faite, il sera possible de déterminer le critère le plus pertinent qui permet de distinguer droit réel et droit personnel. 

            §1. L’exposé de la conception retenue

La théorie de l’obligation passive universelle permet de caractériser l’opposabilité tant du droit personnel que du droit réel. Si l’on s’en tient à la lettre du code civil, le droit réel en tant que pouvoir direct et immédiat sur une chose correspond exactement au droit de propriété. Pour ce droit réel, il ne peut y avoir de sujet passif. Il est donc un rapport entre le droit et la chose elle-même. Pour tous les autres droits réels, forcément des droits réels sur la chose d’autrui, c’est l’analyse néo personnaliste qui est la plus convaincante. On distingue donc une dualité de structure dans les droits réels avec, d’un côté, la propriété mettant en présence le sujet actif et sa chose et, de l’autre côté, les autres droits réels mettent en présence le titulaire du droit réel, sujet actif, et le propriétaire de la chose, sujet passif. 

 

            §2. Le critère de la distinction du droit réel et du droit personnel

Plusieurs critères de distinction existent pour opposer le droit personnel au droit réel. Le premier critère réside en l’opposabilité absolue du droit (opposabilité erga omnes). Ce critère est parfois utilisé par la Cour de cassation. Dans un arrêt (Civ., 1re, 7 janvier 1992), la Cour considère que le droit de rétention (droit pour un créancier de refuser de donner une chose tant qu’il n’est pas payé) est un droit réel car il est opposable à tous. Ce critère est peu convaincant car tous les droits sont opposables à tous, qu’ils soient réels ou personnels. 

Le deuxième critère est le droit de préférence, en vertu duquel le titulaire d’un droit réel a un droit de préférence que n’a pas le titulaire d’un droit personnel. Ce critère n’est pas complètement faux mais pas complètement vrai non plus. En effet, pour qu’il puisse y avoir droit de préférence, il doit y avoir un concours entre plusieurs droits. Or, très souvent, on parle de droit de préférence dans des hypothèses où il n’y a pas de concours. Ce que les classiques appellent droit de préférence n’est ni plus ni moins qu’un problème d’opposabilité des droits aux tiers. S’agissant des droits réels principaux, la doctrine classique voit un droit de préférence là où, en réalité, il n’y a qu’une question d’opposabilité aux tiers. Reprenons l’exemple où un créancier souhaite saisir un bien qui se trouve entre les mains de son débiteur mais qui appartient à autrui. Le propriétaire peut faire échec à la saisie de son bien par le créancier d’une tierce personne.  Or, le créancier n’a de droit de gage général que sur les biens appartenant à son débiteur, pas sur les biens des tiers. Dans ce cas, il n’y a pas de concours de droits mais simplement un problème d’opposabilité. 

En revanche, le droit de préférence existe dans certains droits réels accessoires.  Reprenons l’exemple de deux créanciers d’un même débiteur qui veulent saisir un même bien où l’un des créanciers possède un droit réel accessoire sur la chose. Dans ce cas, il existe bien un concours entre deux droits (le droit de saisir de chaque créancier) et, effectivement, le créancier titulaire d’un droit réel accessoire sera préféré à celui qui n’en a pas. 

Il est opportun de préciser qu’il existe deux catégories de droits réels préférentiels : les sûretés réelles préférentielles (hypothèque, gage, nantissement) et les sûretés réelles exclusives. Le droit de préférence n’existe que dans les sûretés réelles préférentielles. 

Le troisième critère est celui du droit de suite. Il tient une place essentielle, dès lors qu’on retient une analyse néo personnaliste du droit réel, qui explique parfaitement le mécanisme du droit de suite. À chaque fois que la chose est cédée, l’acquéreur reçoit de plein droit l’obligation réelle. Il devient automatiquement le sujet passif, ce qui explique que le titulaire du droit réel peut continuer à faire valoir son droit à son encontre. 

Il faut s’entendre sur ce qu’est le droit de suite. Le droit de suite est le droit de suivre la chose en quelque main qu’elle passe. Or, le droit de suite ne s’attache pas à la chose mais au droit de propriété. Le droit de suite est la faculté de continuer à exercer son droit en quelque patrimoine que passe la propriété de la chose. Ce droit de suite peut s’exercer tantôt de façon positive, tantôt de façon négative. 

Positivement, c’est l’hypothèse dans laquelle le transfert de la propriété de la chose s’accompagne de la remise de la chose entre les mains de l’acquéreur. Dans ce cas, l’exercice du droit de suite consistera pour le titulaire du droit réel à aller rechercher la chose entre les mains de l’acquéreur pour pouvoir continuer à exercer son droit. Négativement, il s’exerce lorsque le titulaire du droit réel sur la chose d’autrui a la chose entre ses mains. Dans ce cas, le propriétaire de la chose peut céder son droit de propriété mais ne peut remettre la chose à l’acquéreur. Si l’acquéreur entend récupérer la chose, le titulaire du droit réel sur la chose pourra s’y opposer en arguant de son droit réel par l’exercice passif de son droit de suite. 

Ce droit de suite présente un avantage considérable car il permet de bien montrer la différence entre le droit réel et le droit personnel. D’un point de vue passif (de celui qui doit répondre de la dette), le droit personnel est attaché à la personne du débiteur. Autrement dit, si le débiteur cède certains de ses biens, il demeurera débiteur de la dette. Par conséquent, le créancier n’aura pas le droit de saisir les biens qui sont sortis du patrimoine du débiteur en raison de l’intransmissibilité de plein droit des dettes de l’auteur à l’ayant cause à titre particulier. En outre, si le créancier perd ses droits sur le bien cédé, c’est parce que son droit de gage général (droit de nature personnelle) sur les biens du débiteur ne lui confère aucun droit de suite. Le créancier personnel est soumis à toutes les fluctuations du patrimoine de son débiteur. 

Or, dans le droit réel, chaque fois que le propriétaire cède la propriété de sa chose, il transmet de plein droit l’obligation réelle qui est la contrepartie du droit réel d’autrui sur la chose. L’ayant cause à titre particulier reçoit non seulement le droit de propriété mais aussi l’obligation réelle. Ce qui signifie que le titulaire du droit réel pourra continuer à faire valoir son droit face à l’ayant cause à titre particulier. Par exemple, j’autorise mon voisin à passer sur mon terrain mais je vends le terrain plus tard. Si je m’étais engagé personnellement (personnalité de l’engagement), mon voisin n’aura plus le droit de passer sur le terrain dès lors qu’il est acquis par l’acquéreur. Si je lui avais concédé un droit réel (réalité de l’engagement), mon voisin aura toujours le droit de passer sur le terrain même si je le cède à quelqu’un d’autre.   

En conclusion, il existe deux notions du droit réel : d’un côté, le droit de propriété défini comme un pouvoir direct et immédiat sur une chose (le propriétaire est seul avec sa chose) et, de l’autre côté, les autres droits réels sur la chose d’autrui. L’analyse néo personnaliste doit l’emporter parce que le propriétaire de la chose n’est pas un simple tiers mais le véritable sujet passif du droit réel. Dans son patrimoine, on trouve au passif l’obligation réelle qui est au droit réel ce que la dette est au droit personnel. Il existe deux voire trois critères du droit réel : l’opposabilité erga omnes, le droit de préférence et le droit de suite. En effet, certains (notamment la Cour de cassation) prétendent que le droit est réel parce qu’il est opposable à tous. Or, un droit précisément parce qu’il est subjectif doit être opposable aux tiers. Un droit qui ne serait pas opposable est un droit que l’on peut violer sans sanction, et donc ne serait pas un droit subjectif. Tous les droits étant opposables aux tiers, le critère de l’opposabilité erga omnes ne peut permettre de distinguer ce qui relève du droit personnel et ce qui relève du droit réel. 

Le deuxième critère est celui du droit de préférence : pour certains auteurs, le droit réel présenterait la particularité d’avoir un droit de préférence de sorte qu’en cas de conflit avec un droit personnel, il l’emporterait systématiquement. Étant supérieur, le droit réel devrait être préféré. Or, ce critère n’est pas tout à fait vrai ni faux dans la mesure où dans tous les droits réels principaux, ce que l’on appelle parfois droit de préférence n’est ni plus ni moins que l’opposabilité du droit aux tiers sans droits. Quant aux droits réels accessoires, l’on est en présence d’un droit de préférence car il y a des personnes en concours ayant toutes les deux un droit et le droit réel permettra à l’une d’entre elles de passer avant les autres, donc d’être préférée. Ce critère de droit de préférence n’étant pas commun à tous les droits réels (seulement aux droits réels accessoires) ne peut pas permettre de les distinguer des droits personnels. 

Le troisième critère possible reste le droit de suite. En effet, à partir du moment où on adopte la conception néo-personnaliste, on explique parfaitement ce mécanisme du droit de suite. En effet, dans cette conception, le sujet passif est déterminé par la qualité de propriétaire. Dès lors, si le propriétaire cède sa chose, l’acquéreur deviendra le nouveau sujet passif contre lequel s’exercera désormais le droit réel. 

Ce critère de droit de suite permet de distinguer le droit réel du droit personnel. En effet, dans un droit personnel lorsque le débiteur dispose de ses biens, il reste le débiteur et le créancier va devoir subir les fluctuations du droit de gage général dans la mesure où l’ayant-cause à titre particulier ne recueille jamais de plein droit les dettes de son auteur. Par exemple, si je suis propriétaire d’un appartement, j’effectue des travaux et je n’ai pas encore payé le coût des travaux et je vends mon appartement. Qui doit payer le coût des réparations ? J’ai souscrit une obligation personnelle et par voie de conséquence, même si je vends l’appartement, je reste le débiteur de la dette. Or, l’obligation réelle présente la caractéristique de suivre la propriété de la chose dans tous les patrimoines et chacun des propriétaires successifs va devenir le sujet passif du droit réel. 

 

Ce critère de droit de suite, parfaitement opérant, doit être manié avec une certaine précaution pour 3 raisons. D’abord, dans certains cas, le critère du droit de suite se révèle inopérant. Il en va ainsi à chaque fois que l’on cherche à savoir si un droit est réel ou personnel précisément pour déterminer s’il y a ou non un droit de suite. Reprenons l’exemple dans lequel j’autorise mon voisin à passer sur mon fonds. Si je vends la propriété de mon terrain, le voisin a-t-il toujours le droit d’y passer ? Pour le savoir, il faut déterminer s’il possède un droit de suite. Or, il faut déterminer d’abord s’il a un droit réel ou un droit personnel. 

Ensuite, il faut être relativement lucide car ce critère est imparfait pour deux raisons. En effet, il existe un droit réel qui est dépourvu d’un droit de suite i.e. le droit de propriété.  Les auteurs classiques expliquent que le propriétaire a un droit de suite car lorsqu’il est dépossédé injustement de sa chose, il a le droit de la récupérer au moyen d’une action en revendication. Ce faisant, il exercerait un droit de suite. Encore une fois, il s’agit plutôt d’un problème d’opposabilité du droit de propriété au tiers. 

De plus, il existe au moins un droit personnel qui confère à son titulaire l’équivalent d’un droit de suite : le droit du locataire immobilier. Dans le droit commun du bail, le locataire est fondamentalement titulaire d’un droit personnel contre le bailleur. Pourtant, lorsque ce bail porte sur un immeuble, il peut arriver que le locataire puisse continuer de faire valoir son droit à l’encontre de l’acquéreur de l’immeuble. Lorsqu’en cours de bail, le propriétaire bailleur décide de céder la propriété de son immeuble, le contrat de bail se transmet de plein droit à l’acquéreur de l’immeuble qui devient le nouveau bailleur.  En endossant la qualité de bailleur, c’est contre lui désormais que le locataire fera valoir son droit. En raison de la transmission du contrat de bail, le locataire se trouve dans une situation comparable à celui qui est titulaire d’un véritable droit de suite. En réalité, le transfert de la chose va emporter qualité de sujet passif.  L’art. 1743 c.civ donne le seul cas où le transfert d’un contrat confine à un véritable droit de suite. Il est vrai, qu’ici, on a l’équivalent d’un droit personnel qui confère l’équivalent d’un droit de suite mais seulement à titre dérogatoire. En l’absence de texte spécial, le droit personnel ne confère pas de droit de suite alors que par principe le droit réel confère le droit de suite. 

Enfin, dans certains cas, le droit de suite va être totalement paralysé. Il en est ainsi lorsqu’une personne titulaire d’un droit réel et qui peut normalement exercer un droit de suite se retrouve bloqué dans l’exercice de son droit. Il en va ainsi en raison d’un texte essentiel, l’art.2276 c.civ aux termes duquel « en fait de meubles, possession vaut titre ». Lorsqu’un bien meuble corporel est transmis à une personne et que cette personne entre en possession de bonne foi, celui qui avait un droit réel sur le meuble ne pourra pas exercer son droit de suite. Par exemple, j’achète une voiture sur laquelle une personne dispose d’un droit d’usufruit. Or, j’ai reçu la voiture de bonne foi.  Cette personne ne pourra plus jouir de la voiture car j’en aurais la pleine propriété. 

En définitive, avec ces 3 précautions, il n’en demeure pas moins que le droit de suite peut constituer le critère de distinction du droit réel et du droit personnel. 

CHAPITRE II : L’ASSIETTE DU DROIT RÉEL

 

Si l’on retient la conception néo personnaliste du droit réel, excepté pour la propriété, le droit réel est fondamentalement un rapport juridique entre deux individus. Le droit réel présente la même structure que le droit personnel. Pour autant, le droit réel constitue toujours un droit qui se rapporte aux choses. Or, dans le monde qui nous entoure, on est soit un sujet de droit, soit un objet de droit.  Ainsi, les droits réels se rapportent à tout ce qui n’est pas sujet de droit.  Quelles sont ces choses sur lesquelles peuvent porter les droits réels ? L’assiette du droit réel est une chose susceptible d’appropriation mais aussi toute chose susceptible d’appropriation. 

 

SECTION I : Une chose susceptible d’appropriation

À l’exception du droit de propriété, tous les autres droits réels s’exercent sur la chose d’autrui. Ainsi, le droit de propriété est le premier des droits réels en ce que, sans lui, les autres droits réels ne peuvent pas exister. Effectivement, il est impossible d’être titulaire d’un usufruit sur un bien n’appartenant à personne. Par voie de conséquence, c’est à partir de cette appropriation que peut être cernée l’assiette du droit réel. L’assiette du droit réel est forcément une chose qui est susceptible d’être appropriée. En l’absence de droit de propriété, nul ne peut être titulaire d’un droit réel. Or, la faculté d’une chose à être appropriée peut s’entendre négativement et positivement.  Négativement, il faut exclure de l’assiette du droit réel les choses inappropriables. Positivement, en revanche, il faut y inclure les choses simplement inappropriées. 

 

            §1. L’exclusion des choses inappropriables 

Il existe deux catégories de choses inappropriables, voire peut-être une troisième : les choses communes, les choses hors commerce et les choses personnifiées. 

                        A. Les choses communes

Évoquées à l’art.714 c. civ, les res communes visent « les choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Parmi les trois choses communes les plus importantes, on peut citer l’eau, l’air et la lumière. Il n’est pas tout à fait exact de dire que ces choses sont insusceptibles d’appropriation. En effet, ces choses sont susceptibles d’appropriation mais simplement de façon partielle. Par exemple, l’exploitant d’une source va pouvoir conditionner l’eau en bouteille et la vendre. On veut simplement dire que ces choses ne sont pas appropriables de façon globale et ce, pour trois raisons principales. D’abord, l’appropriation globale de ces choses est, en soi, matériellement impossible. Ensuite, ces choses sont suffisamment abondantes pour qu’il y ait un besoin d’appropriation. Enfin, cette appropriation serait injuste car ces choses communes sont nécessaires à la vie.

L’alinéa 2 tempère la règle de principe en admettant que des règles spéciales puissent venir limiter voire encadrer cet usage commun. En fin de compte, ces choses communes, sous les réserves précédemment évoquées, échappent à l’appropriation et, par suite, à l’assiette du droit réel. 

 

                        B. Les choses hors commerce

Littéralement, les choses hors commerce sont des choses qui ne peuvent pas faire l’objet d’un contrat valable. Elles échappent totalement à la logique des droits patrimoniaux et par voie de conséquence sont insusceptibles de constituer l’assiette des droits réels. Dans cette catégorie, on trouve des choses que législateur soustrait au commerce soit pour des questions d’ordre public soit pour des raisons de moralité publique. Sont par exemple des choses hors commerce, les produits illicites (stupéfiants, produits contrefaits), le droit de vote du citoyen et, dans une certaine mesure, le corps humain. 

Il ne faut pas confondre les choses hors commerce avec, d’une part, les choses inaliénables et, d’autre part, les choses sans valeur.  

En premier lieu, s’agissant des choses inaliénables, elles obéissent au même régime juridique que les choses hors commerce. Pour autant, il existe une différence essentielle qui tient à la raison pour laquelle on ne peut pas en disposer. En présence d’une chose hors commerce et dont on ne peut en disposer, la raison en est qu’on a aucun droit dessus. L’absence de droit explique son indisponibilité. Or, s’agissant des choses inaliénables, on ne peut pas en disposer à raison d’une interdiction d’en disposer. Pour preuve, dès que l’interdiction cesse, la personne recouvre son droit de disposer de la chose. Pour qu’une chose soit inaliénable, il faut forcément qu’elle soit appropriée. On n’interdit pas à quelqu’un de disposer de sa chose s’il n’en est pas propriétaire alors que pour les choses hors commerce, on ne peut pas en disposer car on a aucun droit dessus, d’où l’impossibilité de la céder. 

S’agissant des choses dépourvues de valeur, il convient de préciser que lorsqu’on parle de commerce, on évoque le commerce juridique (ce qui est susceptible d’être l’objet d’un contrat valable) qui s’oppose au commerce économique, là où les choses ont une valeur marchande. Ainsi, des choses complètement dépourvues de valeur peuvent ne pas constituer des choses hors commerce (exemple de documents comptables). Par suite, l’assiette du droit réel est donc insensible à sa valeur. 

                        C. Les choses personnifiées 

À l’époque du code civil, il était évident que dans le monde du droit il y avait soit des sujets, soit des objets, sans catégorie intermédiaire. Deux siècles plus tard, des idées plus ou moins farfelues ont conduit à une certaine personnification de choses à mi-chemin entre l’être et l’avoir. Deux cas, l’un avéré et l’autre discuté, permettent d’illustrer ce constat. 

Le cas avéré aujourd’hui est celui des animaux. Dans le code de 1804, l’animal était clairement rangé parmi les choses, parfois mobilières parfois immobilières. Néanmoins, cette vision des choses a été perturbée par une loi du 16 février 2015 qui a inséré l’art.515-15 c.civ aux termes duquel « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Le texte signifie que les animaux ne sont pas des choses mais on leur applique le régime juridique des choses. La majorité de la doctrine juridique est circonspecte car ce texte contrevient à des éléments fondamentaux du droit. En droit, la nature dicte le régime et un régime correspond à une nature. Or, ici, on est en présence d’un régime juridique qui ne correspond plus à la nature juridique. On applique le régime des biens à quelque chose qui n’est pas un bien. En effet, la personnalité juridique est liée à l’aptitude de vouloir des effets de droit. Or, un animal n’aura jamais cette aptitude. 

Le cas discuté aujourd’hui est celui des robots et l’IA. Certains affirment que ces robots sont doués de sensibilité comme les animaux, expriment des émotions et, par conséquent, ne peuvent pas être des choses. On peut envisager de le ranger dans une catégorie intermédiaire comme l’animal ou alors de totalement lui attribuer la personnalité juridique (qualité de sujet de droit). Si demain, un robot cause un dommage, qui est le responsable ? Soit son gardien sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, soit son producteur ou alors le robot lui-même (si on lui reconnait la personnalité juridique). Dans ce dernier cas, quelle sera sa solvabilité pour l’indemnisation de la victime ? 

 

            §2. L’inclusion de choses inappropriées 

Parmi toutes les choses appropriables, la très grande majorité est effectivement appropriée. Mais il existe des choses qui, bien qu’étant appropriables, ne sont pas appropriées. Ce sont des choses qui ne font pas, pour le moment, l’objet d’un droit de propriété et ne constituent pas l’assiette d’un droit réel mais qui pourraient le devenir dans le futur. Il en existe deux catégories : les choses sans maitre et les trésors. 

 

                        A. Les choses sans maître

De façon générale, une chose sans maitre est une chose qui n’a pas de propriétaire actuel mais qui pourrait en avoir plus tard et parfois qui en a possiblement eu autrefois. Elle est donc appropriable. On trouve dans cette catégorie les res nullius qui sont des choses qui n’ont jamais appartenu à quelqu’un. À l’opposé, les res derelictae sont des choses sans maître actuel mais qui ont eu un maitre par le passé et pourraient en avoir un dans le futur. 

Il ne faut pas confondre la res derelictae avec une chose perdue dans la mesure où la chose perdue conserve son propriétaire. Dans le cas d’une res derelictae, l’ancien propriétaire a volontairement abandonné son droit de propriété. Rentrent également dans cette catégorie, selon la Cour de cassation, toutes les choses qui composent les successions vacantes (succession sans héritier). Néanmoins, il faut faire attention car cette catégorie de choses est beaucoup plus étroite qu’il n’y parait au premier abord. En effet, un très grand nombre de choses sans maitre vont, sur ordre de la loi, être rattaché à un maitre. Cela résulte de l’art.713 c.civ qui dispose que « la chose sans maitre appartient à la commune sur le territoire duquel elles se trouve ». À titre d’exemple, les poissons de la haute mer et les animaux avant d’être respectivement pêchés ou chassés constituent des choses sans maitre (res nullius ?). Leur particularité est de pouvoir faire l’objet d’une appropriation à n’importe quel moment. Comme les choses sans maitre sont quasiment exclusivement mobilières, la technique juridique qui permet l’appropriation est l’occupation. L’occupation est l’appréhension d’une chose mobilière sans maitre avec l’intention d’en devenir le propriétaire.

 

                        B. Les trésors  

Prévu à l’art. 716 c.civ qui pose son régime juridique avant de décrire sa nature juridique, le trésor doit être défini à la fois négativement et positivement. S’agissant de sa nature juridique, négativement, le trésor n’est pas une chose sans maitre : ni res nullius (par le passé il a appartenu à quelqu’un), ni res derelictae (l’ancien propriétaire n’a jamais eu la volonté d’abandonner la propriété de sa chose). 

Positivement, le trésor se définit par la réunion de 3 conditions cumulatives. D’abord, il doit s’agir d’une chose cachée ou enfouie. Ensuite, il doit s’agir d’une chose sur laquelle aucune personne ne parvient à faire valoir un droit de propriété. Enfin, il doit s’agir d’une chose découverte par le pur effet du hasard (exception faite pour les chasseurs de trésor).

S’agissant du régime juridique, celui qui découvre un trésor se dénomme l’inventeur. En outre, il existe sans doute des règles prévues par le code civil mais aussi par le code du patrimoine. Pour connaitre le sort du trésor, il faut distinguer deux hypothèses. En premier lieu, le trésor appartient totalement à l’inventeur lorsque celui-ci est également le propriétaire du fonds dans lequel le trésor a été découvert. En second lieu, le trésor doit se répartir de manière égale entre l’inventeur et le propriétaire du fonds lorsque l’inventeur découvre le trésor sur le fonds d’autrui. 

Néanmoins, si le trésor présente un intérêt historique ou archéologique, l’État peut décider de s’en emparer. 

 

SECTION II : Toute chose susceptible d’appropriation

Les choses sont très diverses et sont susceptibles de présenter des caractéristiques physiques très différentes les unes des autres. Cependant, même si elles sont très différentes, elles n’empêchent pas l’appropriation de la chose et peuvent donc être l’assiette de droits réels. 

Mais on s’aperçoit que les caractéristiques physiques de la chose vont exercer une influence sur le régime du droit réel relatif à la chose. Ces caractéristiques physiques permettent de distinguer, les choses mobilières et les choses immobilières, les choses corporelles et les choses incorporelles, les corps certains et les choses de genre, enfin les choses consomptibles et les choses non consomptibles. 

 

            §1. Les choses mobilières et les choses immobilières 

Aux termes de l’art.516 c.civ « tous les biens sont meubles ou immeubles. » La distinction des meubles et des immeubles constitue la summa divisio du droit des biens. Elle concerne toutes les choses. Cette distinction va présenter des incidences considérables en matière de droit des biens. Le code civil sur cette distinction entretient une confusion entre la chose et le bien. Ainsi, selon que la chose présente une nature mobilière ou immobilière, le droit relatif à cette chose sera soumis respectivement au régime des droits mobiliers ou des droits immobiliers. 

                        A. La présentation de la distinction

De façon générale, la distinction des meubles et des immeubles repose sur le critère physique de la fixité ou de la mobilité. Constitue un immeuble une chose qui est fixe et ne peut être déplacée. À l’opposé, une chose qui peut être déplacée constitue un meuble. 

Mais ce critère physique n’est pas exclusif car il existe d’autres critères permettant de classer les meubles et les immeubles. Par conséquent, les choses fixes seront parfois qualifiées de meubles tandis que certaines choses mobiles seront parfois qualifiées d’immeubles. 

 

                                    1) La détermination des immeubles 

Il ressort de l’art 717 c.civ que les immeubles peuvent être de nature différente : les immeubles par nature, les immeubles par destination et les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent. 

                                                a) Les immeubles par nature 

Les immeubles par nature sont des choses qui répondent au critère physique de fixité. On y trouve le sol et tout ce qui est attaché au sol. Par exemple, sont des immeubles par nature, un fonds de terre, un bâtiment attaché au sol, les récoltes pendantes soit par les branches soit par les racines. Par extension, on trouve également dans cette catégorie, les immeubles par incorporation i.e. les choses incorporées à un immeuble et qui font corps avec celui-ci.  Il en va ainsi des moulins et des tuyaux qui sont dans la structure du bâtiment. Excepté le sol, tous les éléments composant l’immeuble par nature sont aujourd’hui des immeubles mais peuvent par la suite devenir des meubles.  Dès lors qu’une chose est séparée d’un immeuble par nature, elle recouvre sa mobilité, et, par suite, reçoit la qualification de meuble.  Par exemple, une fois que les récoltes ont été effectuées, le grain de blé devient un meuble alors qu’il était un immeuble lorsqu’il était attaché à la plante. Autre exemple, tous les matériaux que l’on peut récupérer après la destruction d’un bâtiment : briques, pierres, ferrailles, détachées du sol deviendront des choses meubles. 

 

                                                b) L’immeuble par destination  

S’agissant de la nature juridique, l’immeuble par destination est une chose qui est en principe mobile mais que l’on qualifie d’immeuble parce qu’elle entretient un lien étroit avec un immeuble par nature. Le lien qui existe avec l’immeuble par nature va justifier que l’autre chose devienne elle aussi un immeuble par destination. La qualification a une véritable fonction. En effet, la catégorie des immeubles par destination a pour but de soumettre la chose mobile au même régime juridique que l’immeuble par nature lui-même. Le but est de traiter l’ensemble de façon unitaire. Ainsi, en cas de vente de l’immeuble par nature, en principe, la vente portera aussi sur l’immeuble par destination. 

S’agissant du régime juridique, les immeubles par destination supposent d’examiner les conditions dans lesquelles une chose mobile peut devenir un immeuble par destination et les conditions de la cessation de l’immobilisation par destination.  

Il existe deux conditions d’existence de l’immobilisation par destination. En premier lieu, la chose mobile doit entretenir un lien matériel ou intellectuel avec un immeuble par nature. Le lien matériel (art.525 c.civ) est caractérisé lorsque la chose mobile est attachée à l’immeuble par nature à perpétuelle demeure. Il y a attache à perpétuelle demeure lorsqu’une chose est fixée sur un immeuble par nature de façon solide et durable. Par conséquent, on ne pourra pas détacher la chose mobile sans détérioration de la chose mobile elle-même ou de l’immeuble par nature. On peut citer les miroirs, les boiseries ou encore les ornements. On y trouve aussi des biens meubles qui ont été conçus spécifiquement par rapport à l’immeuble et inversement. Il y a également attache à perpétuelle demeure lorsque l’immeuble par nature et la chose mobile ont été conçues l’un pour l’autre. C’est notamment le cas pour les statuettes lorsqu’il existe dans l’immeuble une niche spécifique aménagée pour la recevoir. Il importe peu que la statuette ait une attache ou pas. 

Il est difficile de distinguer entre, d’un côté, l’immeuble par incorporation (immeuble par nature) et, de l’autre, l’immeuble par attache à perpétuelle demeure (immeuble par destination). Il semble ressortir de la jurisprudence le critère d’intégration à la structure pour les immeubles par nature (la brique dans le mur) et le critère de l’attache au bâtiment pour l’immeuble par destination (le miroir scellé dans le mur). 

Le lien intellectuel (art.524 c.civ) est caractérisé lorsque la chose mobile est affectée à l’exploitation économique de l’immeuble par nature. L’art.524 c.civ ne vise que l’exploitation économique (industrielle, commerciale). A contrario, ce type de lien ne peut pas exister dans un cadre purement domestique. On peut y trouver des choses très diverses les unes des autres. En matière agricole, on trouve tous les engins agricoles, et tous les animaux, ce qui explique qu’une poule peut être un immeuble. 

En second lieu, il faut une unité de propriété (pas besoin de la volonté du propriétaire). Une chose mobile ne peut devenir un immeuble par destination qu’à la condition d’appartenir à la même personne que le propriétaire de l’immeuble par nature. En effet, le but de l’immobilisation par destination est d’assurer une unité de traitement, qui n’est concevable qu’en présence d’un seul propriétaire pour les deux mêmes choses. Si je suis propriétaire d’une ferme dans laquelle il y a des poules puis je décide de vendre la ferme, je vends les poules qui y sont. Néanmoins, certains auteurs considèrent qu’il faut également la volonté du propriétaire d’affecter à son immeuble par nature sa chose mobile. À défaut, la chose ne deviendrait pas immeuble par destination. Mais cela parait être une fausse condition car, par hypothèse pour qu’il y ait un lien intellectuel, il faut une volonté. Dès lors, le lien intellectuel renferme implicitement la volonté du propriétaire. 

Il existe également des conditions de cessation de l’immobilisation par destination. Fondamentalement, l’immobilisation par destination repose sur le lien matériel ou intellectuel qui existe entre l’immeuble par nature et la chose mobile. Par voie de conséquence, l’immobilisation par destination a vocation à cesser dès lors que le lien est rompu.  Cette coupure du lien entre les deux ne peut être que le fait du propriétaire unique. Concrètement, si le bien attaché à perpétuelle demeure est arraché de l’immeuble par nature, il cesse d’être un immeuble par destination pour redevenir un meuble. De même, si le tracteur n’est plus utilisé pour l’exploitation agricole, il cessera d’être un immeuble par destination et redeviendra un meuble puisqu’ il n’est plus affecté à l’exploitation économique (rupture du lien intellectuel). Même si l’agriculteur décide de vendre ses poules, il va rompre le lien existant entre les poules et les fermes faisant ainsi des poules des biens meubles. 

En conclusion, au fond, la technique de l’immobilisation par destination a exactement la même finalité que la technique de l’accessoire dans la mesure où on vise l’unité de traitement. En droit français, on cherche parfois à qualifier d’accessoire d’une chose principale pour que tout ce qui touche le principal se répercute sur l’accessoire. En cédant le principal, je cède l’accessoire qui le suit d’où la règle « l’accessoire suit le sort du principal » (accessorium sequitur principale). 

Mais l’immobilisation par destination va plus loin que la règle de l’accessoire. La conséquence de la règle de l’accessoire est que les éléments affectant le principal se répercutent de plein droit sur l’accessoire. Or, dans l’immobilisation par destination, l’élément principal ne va pas seulement se contenter d’étendre mais va donner sa propre nature juridique à l’élément subalterne. 

                                                c) Les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent 

Prévus à l’art.526 c.civ, les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent visent tous les droits et actions qui sont relatifs aux choses immobilières. On y trouve le droit d’usufruit d’un immeuble, le droit de servitude ou l’action en revendication d’un immeuble. Or, hormis les actions, les droits ne sont pas des choses mais des biens. À proprement parler, il n’existe pas de choses qui soient immeubles par l’objet auquel elles s’appliquent. Cependant, on peut y ranger certains éléments qui se rapportent à des immeubles mais qui ne sont ni des immeubles par nature ni des immeubles par destination. C’est ainsi que la Cour de cassation a décidé qu’une autorisation administrative d’exploiter une source d’eau, parce qu’elle se rapporte à un immeuble, est elle-même un immeuble. 

 

                                    2) La détermination des meubles

 

S’agissant de la détermination des meubles, 3 observations méritent d’être faites. D’abord, la catégorie des meubles constitue une catégorie par défaut. Concrètement, si une chose n’est pas susceptible d’être qualifiée d’immeuble, alors elle est forcément meuble (en vertu de la summa divisio). Ensuite, principalement, cette catégorie des meubles se détermine par le critère physique de fixité. En l’occurrence, tout ce qui n’est pas fixe et peut être déplacé constitue un meuble. Enfin, ce critère physique n’est pas suffisant parce qu’il est parfois impossible à mettre en œuvre et d’autres fois il est spécifiquement écarté si bien qu’à l’arrivée, on a 3 types de choses différentes : les meubles par nature, les meubles par détermination de la loi et les meubles par anticipation. 

 

                                                a) Les meubles par nature

Les meubles par nature sont ceux qui répondent au critère physique de non-fixité, choses mobiles résultant de l’art.528 c.civ. L’article est mal rédigé parce qu’il parle de choses qui peuvent se transporter et suppose que la chose peut se déplacer elle-même. Cette catégorie de meubles par nature appelle trois observations. D’abord, elle ne peut englober que des choses corporelles, i.e. des choses dotées d’une certaine consistance physique. Comme disait un auteur, « les choses incorporelles sont partout et nulle part à la fois ».  En outre, l’importance et le régime de la chose importent peu.  On trouve parmi les meubles par nature des meubles qui présentent une importance considérable et qui, au demeurant, sont soumis à un régime très ressemblant à celui applicable aux immeubles. Pour autant, s’agissant de choses mobilières, elles restent des biens meubles. Le code civil donne deux exemples : les bateaux et les navires mais on pourrait ajouter les avions. Enfin, la provenance des choses importe peu. On peut trouver dans la catégorie des meubles par nature des choses qui ont toujours été et seront toujours des meubles mais on peut aussi trouver des choses anciennement immeubles (récoltes, matériaux de bâtiments détruits). 

                                                b) Les meubles par détermination de la loi

Les meubles par détermination de la loi sont visés à l’art. 529 c.civ. Mais la lettre de l’article est à la fois trop large et trop étroite. Elle est trop large car elle vise les rentes et les créances qui sont relatives aux choses mobilières. Or les rentes et les créances ne sont pas des choses mais des droits. Elle est trop étroite lorsqu’elle vise les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d’industrie. Il s’agit fondamentalement de tous les titres de société. En réalité, il existe d’autres meubles par détermination de la loi, essentiellement des choses incorporelles qui se sont développées considérablement à partir de la fin du XIXe siècle. Il en va ainsi des choses incorporelles simples (brevets, marques, logiciels) mais aussi des choses incorporelles complexes que sont les universalités de fait (fonds de commerce).

 

                                                c) Les meubles par anticipation 

La catégorie des meubles par anticipation n’est pas visée par le législateur. Elle a été créée par la pratique et consacrée par la Cour de cassation. Cependant, la position adoptée par la Cour de cassation est paradoxale. D’un côté, elle a reconnu la catégorie des meubles par anticipation non visée par le législateur, mais de l’autre, elle a également affirmé que la qualification juridique des choses est d’ordre public. 

Le meuble par anticipation présente fondamentalement trois caractéristiques. D’abord, il s’agit d’un immeuble par nature, fondamentalement une chose fixe. Ensuite, il s’agit d’un immeuble par nature ayant vocation dans un avenir proche à devenir un meuble. Enfin, il s’agit d’une chose que les parties à un contrat décident de traiter comme un meuble avant qu’elle ne le soit véritablement. 

On trouve dans cette catégorie les récoltes pendantes, les matériaux à extraire d’une carrière ou d’une mine. L’intérêt pour les parties est d’avoir un contrat portant sur des choses mobilières et non pas sur des choses immobilières. Le contrat va suivre le régime des contrats sur les meubles et non le régime des contrats sur les immeubles. Par exemple, lors de la vente d’un immeuble, il existe une obligation de publication de la vente au fichier immobilier. Cela dit, cette catégorie pose un problème redoutable lorsque sont en conflit deux personnes dont l’une prétend avoir un droit sur l’immeuble tandis que l’autre prétend avoir un droit sur le meuble par anticipation. Exemple type, le propriétaire d’un champ qui vend la récolte comme meuble par anticipation et vend le champ à son voisin. Qui a le droit à la récolte ?  

 

                                    3) La portée de la distinction 

La distinction des meubles et des immeubles présente une importance considérable en droit des biens mais également au-delà. Il s’agit d’une distinction cardinale que l’on retrouve dans de très nombreuses branches du droit. 

                                                a) L’importance de la distinction en droit des biens 

D’abord, en droit des biens, il existe des droits réels qui ne peuvent porter que sur des immeubles. C’est notamment le cas des servitudes foncières, de la mitoyenneté ou des droits d’usage et d’habitation. Pour savoir si on peut créer un tel droit, encore faut-il savoir si l’assiette est un meuble ou un immeuble, sachant qu’il ne peut porter que sur un immeuble. 

En outre, la distinction présente un intérêt quant au mode d’opposabilité aux tiers des droits réels. En effet, pour rendre opposable aux tiers un droit réel immobilier, il faut le faire publier sur un registre appelé fichier immobilier. Au contraire, lorsque le droit réel porte sur un meuble corporel, l’opposabilité ne dépend pas du mécanisme de la publicité mais du mécanisme de la possession. Lorsqu’il s’agit de meubles incorporels, il existe parfois un système de publicité mais qui se fait sur autre fichier (le registre du commerce et des sociétés s’agissant des fonds de commerce). 

Enfin, la distinction présente un intérêt quant au mode d’acquisition des droits réels. En droit français, il existe un mécanisme tout à fait original pour acquérir des droits réels qui se dénomme l’usucapion. L’usucapion est un mode acquisitif de droits réels par l’effet de la possession. Selon que le droit réel porte sur un meuble ou au contraire sur immeuble, la durée de la possession requise pour prescrire n’est pas la même. En outre, il existe le mécanisme de l’accession. Le régime de l’accession immobilière est totalement différent du régime de l’accession mobilière. Au titre de ces modes d’acquisition, on peut observer que certains modes d’acquisition des droits réels sont propres aux choses mobilières et d’autres modes sont propres aux choses immobilières. S’agissant des choses sans maitre, on ne peut s’emparer de leur propriété que par le mécanisme de l’occupation.  L’occupation est un mode d’acquisition de la propriété réservée aux choses mobilières. Inversement, il existe un mode d’acquisition de la propriété spécifique aux choses immobilières, que l’on appelle la propriété apparente. 

                                                b) L’importance de la distinction au-delà du droit des biens

La distinction entre les meubles et les immeubles constitue la summa divisio d’autres branches du droit privé notamment le droit des sûretés réelles classées selon qu’elles portent sur des meubles ou des immeubles. En droit des procédures civiles d’exécution, il existe des règles pour les saisies des choses meubles et pour les saisies des choses immeubles. Cette division reste fondamentale en droit des régimes matrimoniaux, en droit des successions, en droit des contrats spéciaux, ou en droit international privé. En droit fiscal, on trouve l’impôt sur la fortune immobilière. 

 

            §2. Les choses corporelles et les choses incorporelles

 

La présentation de la distinction

Les choses incorporelles n’étaient pas totalement absentes dans le Code de 1804. Cette présence devrait néanmoins être doublement relativisée. Le code visait aussi les droits réels sur la chose d’autrui. Or nous savons que les droits ne constituent pas des choses. Les droits sont des biens, ce ne sont pas des choses. Fondamentalement, le droit civil des biens a été conçu en contemplation des choses corporelles. Même si elles sont absentes dans le Code de 1804, les choses incorporelles existaient tout de même. S’il en est ainsi c’est précisément parce que les choses incorporelles ne se sont vraiment développées qu’à partir de la fin du XIX. En effet, on s’est aperçu que certaines représentations intellectuelles pouvaient être dotées d’une certaine valeur. Il est apparu nécessaire de les regarder comme de véritables choses afin de permettre leur cession ou leur mise en garantie. Il a donc fallu les chosifier. 

Néanmoins, cette reconnaissance des choses incorporelles s’est faite au cas par cas. Il en résulte qu’aujourd’hui en droit positif, la notion de chose incorporelle ne correspond pas à une véritable qualification juridique dont découlerait un régime unitaire. Certes, elles sont soumises au droit civil des bien mais l’essentiel de leur régime juridique a été déterminé au cas par cas (il existe des règles pour les marques, les brevets, les logiciels, etc.). Il s’agit d’un droit éclaté. 

Ce que l’on appelle chose corporelle est une chose dotée d’une consistance physique et qui, à ce titre, est susceptible d’une appréhension matérielle. À l’opposé, une chose incorporelle est une chose sans consistance physique, ni corps et qui est insusceptible de faire l’objet d’une appréhension matérielle. Par exemple, le fonds de commerce et la clientèle civile. 

La portée de la distinction

Cette distinction entre choses corporelles et choses incorporelles présente un certain nombre d’intérêts du point du vue du droit des biens.  

En premier lieu, lorsque le législateur crée des outils juridiques, il prend parfois en compte cette distinction. Il en va ainsi des sûretés réelles (garanties assises sur un bien) portant sur un meuble. Lorsque la sûreté réelle porte sur un meuble corporel, elle se dénomme le gage.  À l’opposé, elle se dénomme nantissement lorsqu’elle porte sur une chose incorporelle. Deux outils différents à finalité identique (garantie de paiement) suivant que l’assiette est corporelle ou incorporelle. 

En deuxième lieu, le code civil est fondamentalement rédigé par rapport aux choses corporelles. Mécaniquement, sur un certain nombre de points, la lettre du code est inadaptée aux choses incorporelles. Certes, on peut concevoir des droits réels sur les choses incorporelles. Néanmoins, ce droit réel, lorsqu’il porte sur une chose incorporelle va subir l’influence de l’incorporabilité de la chose et présenter des caractéristiques que l’on ne retrouve pas lorsque ce même droit porte sur une chose corporelle. En d’autres termes, on aura quelques anomalies de régime. 

En troisième lieu et enfin, mécanisme fondamental en droits des biens, la possession suppose toujours à son origine une appréhension matérielle de la chose. Par voie de conséquence, puisque les choses incorporelles ne sont pas susceptibles d’appréhension matérielle, elles ne sont pas non plus susceptibles de possession. Les choses incorporelles sont, en réalité, une petite spécificité du droit à laquelle certains auteurs s’intéressent particulièrement. Or, ces auteurs ont toujours une très fâcheuse tendance à considérer que les choses incorporelles sont susceptibles de possession. Une partie de la doctrine essaie de démontrer que la possession peut porter sur une chose incorporelle. Mais on observe que tous ces auteurs se heurtent à une difficulté dans la mesure où ils ne peuvent pas appliquer la véritable possession aux choses incorporelles. Néanmoins, ils reconnaissent qu’en matière incorporelle, la possession doit être adaptée. Les choses incorporelles vont être soumises à un régime différent de celui des choses corporelles. 

Cette distinction, quoique importante, doit être relativisée pour 3 raisons. 

D’abord, la distinction du gage et du nantissement n’est pas pertinente car dans le code civil, le droit commun du nantissement est fixé par renvoi aux règles du gage. On a deux mécanismes différents mais soumis de toute façon au même régime juridique. À l’arrivée, la distinction entre choses corporelles et incorporelles doit être relativisée. 

Ensuite, il existe des choses qui sont à la frontière du corporel et de l’incorporel. Certaines choses fondamentalement incorporelles n’existent en réalité qu’à travers un support corporel. Par exemple, un logiciel sur une clé USB.  Le logiciel est parfaitement incorporel mais intégré dans une clé, il acquiert un support matériel. Autre exemple, les titres au porteur qui sont des documents qui incorporent la chose qui en est l’objet. Autrement dit, la chose n’existe que par son titre. C’est celui qui a le document qui est regardé comme le propriétaire de la chose. 

Enfin, il existe au moins une chose qui peut à la fois être corporelle et incorporelle : cette chose c’est la monnaie. La monnaie est dite fiduciaire lorsqu’elle prend la forme de pièces et de billets. Elle est donc parfaitement corporelle. Mais la monnaie peut également être scripturale, en ce sens qu’elle possède une ligne d’écriture sur un bien et peut devenir pour cela incorporelle. Certains auteurs, dont un en particulier, considèrent que la monnaie est toujours une chose corporelle, qu’il s’agisse des pièces et des billets (monnaie fiduciaire) ou des lignes d’écriture (monnaie scripturale). Néanmoins, d’autres considèrent que la monnaie est toujours incorporelle. L’idée est que la monnaie est fondamentalement une création de l’esprit. Intellectuellement, on a créé des unités monétaires, toutes incorporelles, que l’on a représenté par des pièces, billets et lignes d’écriture en compte. 

 

            §3. Les corps certains et les choses de genre 

 

                        A) La présentation de la distinction 

Le corps certain est une chose qui présente une certaine individualité, qui peut être identifiée. Pour cela, on ne peut pas la confondre avec une chose identique. Sont des corps certains des immeubles par nature, des bijoux de famille ou des tableaux d’art. Les choses de genre ou choses fongibles sont des choses qui sont déterminées par leur nature et par leur quantité. À proprement parler, ce sont des choses sans individualité propre. Constituent des choses de genre, les matières premières, la monnaie et tous les biens de consommation courante. 

                        B) La portée de la distinction

Cette distinction des corps certains et des choses fongibles présente un double intérêt. 

Le premier intérêt qui découle de la distinction entre les corps certains et les choses de genre concerne le pouvoir de libération du débiteur lorsque celui-ci est tenu de livrer une chose. En effet, lorsque l’obligation de livrer la chose porte sur un corps certain, le débiteur ne peut valablement se libérer qu’en fournissant la chose qui fait l’objet de l’obligation. À l’opposé, lorsque l’obligation porte sur une chose de genre, le débiteur peut valablement se libérer en fournissant n’importe quelle quantité de cette chose. Ce pouvoir de libération du débiteur explique une règle selon laquelle les choses de genre ne périssent jamais (genera non pereunt). Cela veut dire que le débiteur qui est tenu de livrer une quantité de choses fongibles ne pourra jamais invoquer la force majeure pour s’exonérer de son obligation. Pour preuve, n’importe quel évènement qui surviendrait ne pourra pas rendre irrésistible l’exécution de son obligation. 

Le second intérêt est relatif à l’attribution du droit de propriété. En guise d’observation générale, pour qu’un droit réel puisse valablement exister, il est nécessaire que l’on sache précisément son assiette. À l’opposé, lorsqu’un droit réel n’a pas une assiette, on ne peut pas reconnaitre l’existence de ce droit. Autrement dit, le droit réel disparait lorsque son assiette n’est plus suffisamment identifiable. Cette circonstance aura une conséquence sur le droit de propriété. La première illustration en ce qui concerne le droit de propriété tient au fait qu’en droit civil des contrats, lorsqu’un contrat est translatif de propriété, on applique le principe du transfert immédiat. Dès la conclusion du contrat, on considère que la propriété est passée du patrimoine d’une partie vers celui de l’autre partie indépendamment de la livraison de la chose.  Or, ce transfert de propriété immédiat n’est concevable que lorsque l’assiette du droit réel est parfaitement identifiée. De ce fait, le principe du transfert immédiat s’applique très bien pour les corps certains.  

S’agissant des choses fongibles, la démarche est différente. En effet, tant que la quantité de choses fongibles cédées n’a pas été identifiée, on ne peut pas concevoir qu’il y ait transfert de propriété. Par voie de conséquence, tant que la quantité cédée n’est pas individualisée, le cédant reste le propriétaire. Dès lors, les créanciers du cédant peuvent saisir la chose au titre de leur droit de gage général. À l’opposé, le cessionnaire n’est donc que le créancier du débiteur et sa situation est totalement différente. Dans l’hypothèse des corps certains, le cessionnaire acquiert immédiatement la propriété. Il en résulte que si le propriétaire ne lui livre pas la chose, il pourra la revendiquer en cas de besoin. Or, si la chose est fongible, l’acquéreur (cessionnaire) n’étant que créancier va se retrouver en concours avec les autres créanciers du cédant. 

Par ailleurs, dans l’hypothèse où une personne est créancière de la restitution d’une chose, la position du créancier va à nouveau être totalement différente selon que la chose est un corps certain ou une chose fongible. S’il s’agit d’un corps certain, le créancier de la restitution est demeuré propriétaire de cette chose. Par voie de conséquence, les autres créanciers du débiteur ne peuvent pas la saisir au titre de leur droit de gage général. Le créancier de la restitution, propriétaire, va pouvoir revendiquer la chose et être satisfait totalement. En présence de choses fongibles, le créancier peut n’être pas propriétaire de la quantité de choses qui peut appartenir au débiteur de l’obligation de restituer.  Dans ce cas, le débiteur étant resté propriétaire de la chose, ses autres créanciers ont le droit de saisir la chose et de se faire payer sur le prix au titre de leur droit de gage général. Le créancier de la restitution, n’étant pas propriétaire mais simplement créancier, devra entrer en concours pour obtenir désintéressement. 

Cette distinction, quoique importante, doit être relativisée pour 3 raisons :

D’abord, la fongibilité d’une chose ne produit pas nécessairement des conséquences. En réalité, la fongibilité ne fait perdre la propriété que si la quantité de la chose est incluse dans une quantité plus grande de choses semblables. Mais tant que la quantité de la chose reste parfaitement individualisée, on doit reconnaitre le droit de propriété sur cette quantité. À cet égard, on peut admettre que son transfert est immédiat et que sa remise ne fait pas perdre au remettant sa propriété. Si au moment de la remise, la chose reste individualisée, le remettant reste le propriétaire. L’art.2341 c.civ relatif au gage avec dépossession (le constituant remet la chose au créancier) portant sur des choses fongibles l’illustre très bien. Aux termes de ce texte, le créancier qui reçoit la chose a l’obligation de la maintenir à l’écart des choses semblables qui lui appartiennent. Mais si le contrat l’autorise à les mélanger, il y a disparition de l’individualité et par suite, transfert de propriété. 

Ensuite, la fongibilité n’est parfois qu’un état temporaire. De nombreuses choses sont fongibles à l’origine mais deviennent par la suite des corps certains. Il en va ainsi de la majorité des choses de consommation courante. Initialement la chose fait partie d’un stock et lorsqu’elle est vendue au consommateur, elle devient parfaitement individualisée. Chose fongible au départ, elle devient corps certain à l’arrivée. 

Enfin, le législateur a parfois retenu qu’une personne puisse exercer une action en revendication (sanction du droit de propriété) sur des choses fongibles. Il s’agit de la clause de réserve de propriété, clause stipulée à titre de garantie de paiement et incluse dans un contrat (notamment le contrat de vente), qui subordonne le transfert de propriété au paiement intégral du prix. Lorsque la réserve porte sur une chose fongible, même si elle a été livrée à l’acheteur, le créancier du prix pourra revendiquer la chose alors même que ce n’est pas forcément celle qu’il a livrée.  Exemple : un pharmacien achète des stocks de médicaments à des fournisseurs différents. Or, certains stocks avaient été vendus avec une clause de réserve de propriété. Le pharmacien a fait l’objet d’une procédure collective. Un des fournisseurs revendique des boites de médicament. 

 

            §4. Les choses consomptibles et les choses non consomptibles

 

                        A) La présentation de la distinction

La chose consomptible est une chose qui se consomme par le premier usage que l’on en fait. Autrement dit, dès son premier usage, la chose disparait. À l’opposé, la chose non consomptible ne se consomme pas par son premier usage mais lui survit. Certes, elle peut s’user mais elle ne se consomme pas. Constitue une chose consomptible le gel hydroalcoolique, l’eau ou l’argent. Constitue une chose non consomptible l’ordinateur ou le téléphone portable. 

Très souvent, les choses consomptibles sont également des choses de genre (argent, bouteille d’eau) et inversement, les choses non consomptibles sont des corps certains (immeuble par nature, terrain). Néanmoins, il existe des choses de genre non consomptibles (les stocks de produits manufacturés) et des corps certains consomptibles (bouteille de vin exceptionnel). 

 

                        B) La portée de la distinction

La distinction entre choses consomptibles et choses non consomptibles a une portée considérable. Avec une chose consomptible, sa simple utilisation aura pour conséquence de la faire disparaitre soit parce qu’elle sera anéantie, soit parce qu’elle sera aliénée au profit d’un tiers. Or, ce pouvoir de faire disparaitre, de détruire ou d’aliéner la chose est une prérogative réservée à une personne qui est propriétaire. Ce pouvoir de consommer est un attribut propre au droit de propriété. Il en résulte que pour avoir le simple usage d’une chose consomptible, dans la mesure où elle disparaitra dès le premier usage, il faut forcément en être le propriétaire. C’est ce qui explique que, en droit français, lorsqu’on reconnait le droit qui confère la jouissance d’une chose d’autrui à quelqu’un, il va falloir faire systématiquement de cette personne le propriétaire à chaque fois que la chose sera consomptible. 

Dans le code civil, il existe deux types de prêts : le prêt à usage (commodat) et le prêt de consommation. Lorsque le prêt porte sur une chose non consomptible, il s’agit d’un prêt à usage. L’une des caractéristiques de ce prêt est que pendant toute la durée du prêt, le prêteur reste le propriétaire de la chose. Le prêt à usage ne transfère pas la propriété car, s’agissant d’une chose non consomptible, on peut conférer l’usage sans la propriété. 

À l’opposé, lorsque le prêt porte sur un chose consomptible, il s’agit d’un prêt de consommation. La caractéristique de ce prêt est d’opérer un transfert de propriété de la chose prêtée au profit de l’emprunteur. Le prêt peut être translatif de propriété. En effet, le prêteur, pour conférer la jouissance d’une chose consomptible doit obligatoirement transmettre la propriété. Le contrat de prêt d’une chose consomptible est nécessairement translatif de propriété. 

Cette conséquence trouve une application en matière d’usufruit. L’usufruit est un droit réel qui confère à son titulaire la jouissance de la chose d’autrui. Concrètement, l’usufruitier va avoir l’usage d’une chose qui ne lui appartient pas. Lorsqu’il s’agit d’une chose non consomptible, il n’y pas de difficulté. D’un côté, on a le propriétaire de la chose (nu- propriétaire) et, de l’autre, le titulaire du droit réel d’usufruit (usufruitier). L’usufruitier n’a pas besoin d’être propriétaire. 

Mais lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible, l’usufruitier ne pourra faire usage de la chose qu’à la condition d’en être le propriétaire. Par voie de conséquence, ce type d’usufruit présente la caractéristique de faire de l’usufruitier le propriétaire de la chose. Inversement, le propriétaire originaire perd son droit de propriété pendant toute la période de l’usufruit. Lorsqu’il porte sur une chose consomptible, on parle de quasi-usufruit.

CHAPITRE III : LES DIFFÉRENTES CLASSIFICATIONS DES DROITS RÉELS 

De façon générale, il existe trois grandes façons de distinguer les droits réels par rapport aux autres. Cette distinction exercera une influence sur le régime juridique de ce droit réel : distinction des droits réels principaux et droits réels accessoires, droit de propriété et droits réels sur la chose d’autrui, droits immobiliers et droits mobiliers.   

 

SECTION I : Droits réels principaux et droits réels accessoires

 

            §1. La présentation de la distinction

Quel qu’il soit, le droit réel constitue uniquement un outil juridique qui permet d’appréhender certaines caractéristiques d’une chose. Cet outil va permettre à son titulaire de satisfaire ses besoins, des plus primaires aux plus futiles. Or, précisément, en fonction des caractéristiques qui seront appréhendées par le droit réel, on pourra distinguer les droits réels principaux et les droits réels accessoires. 

Le droit réel principal est celui qui s’intéresse aux utilités matérielles de la chose. Relèvent de cette catégorie, le droit de propriété, le droit de servitude et droit d’usufruit. À l’opposé, le droit réel accessoire se désintéresse de l’utilité de sa chose pour s’intéresser à la valeur de la chose. Il est fondamentalement une garantie de paiement car ce qui intéresse le créancier est d’obtenir le paiement qui lui est dû. 

            §2. La portée de la distinction 

La distinction des droits réels principaux et les droits réels accessoires présente 3 intérêts.  

Le premier intérêt concerne l’exercice du droit de préférence. En effet, le droit de préférence n’existe pas dans les droits réels principaux mais se retrouve dans les droits réels accessoires. Comme vu précédemment, pour certains auteurs, tous les droits réels sont dotés d’un droit de préférence. Or, pour les droits réels principaux, le droit de préférence n’est ni plus ni moins qu’une question d’opposabilité du droit aux tiers. Concrètement, s’agissant des droits réels principaux, le droit de préférence n’a pas de consistance. À l’opposé, dans certains droits réels accessoires, il y a effectivement un droit de préférence dans la mesure où ce droit réel va permettre à son titulaire de se faire payer par priorité aux autres créanciers sur la valeur de la chose qui constitue l’assiette du droit réel accessoire (gage, nantissement, hypothèque). 

Le deuxième intérêt concerne le pouvoir de la volonté de créer des droits réels. De longue date, la Cour de cassation reconnait aux individus le pouvoir de créer par un contrat des droits réels qui ne sont pas prévus par le législateur. Mais ce pouvoir de la volonté ne concerne, à proprement parler, que les droits réels principaux. En effet, les droits réels accessoires présentent la caractéristique d’amoindrir les droits des tiers. Raison pour laquelle en droit français, il existe un principe selon lequel il n’existe pas de privilège (droit de préférence) sans texte. Pour être titulaire d’un droit réel accessoire, il faut forcément se fondre dans le moule de la loi. Par conséquent, les particuliers ne peuvent pas créer des droits réels accessoires non prévus par le législateur. En ce sens, les droits réels accessoires sont soumis à un numerus clausus (liste limitative). 

Le troisième intérêt tient aux prérogatives du titulaire du droit réel. En rappel, le droit réel principal s’intéresse aux utilités de la chose. Par voie de conséquence, le titulaire d’un tel droit réel principal trouve dans son droit des prérogatives qui lui permettent d’utiliser voire de jouir de la chose. À l’opposé, lorsque le droit réel est accessoire, il ne s’intéresse qu’à la valeur de la chose. Cela explique que même si le titulaire du droit réel accessoire a la chose entre ses mains, il n’a en principe pas le droit de l’utiliser ni d’en jouir. 

 

            §3. Les limites de la distinction

Cette distinction doit être maniée avec une certaine précaution. En effet, certains droits réels principaux sont également des droits réels accessoires. Il en existe de 2 catégories : 

La première catégorie concerne les droits réels principaux qui sont l’accessoire d’un droit de propriété. Par exemple, les servitudes ou la mitoyenneté qui sont accessoires à la propriété du fonds auquel ils profitent. Bien qu’accessoires, ces droits réels restent fondamentalement des droits réels principaux. Pour preuve, ils ne s’intéressent qu’à l’usage de la chose. 

La seconde catégorie concerne les droits réels principaux qui, comme les droits réels accessoires, sont l’accessoire d’une créance (l’accessoire d’un droit personnel). Il en va ainsi lorsqu’un droit réel principal est détourné de sa fonction première pour servir à des fins de garantie de paiement. Exemple de l’usage du droit de propriété à titre de garantie. Dans cette hypothèse, le droit de propriété « cesse » d’être un droit réel principal pour devenir un droit réel accessoire en cas de clause de réserve de propriété. Parmi ces droits réels accessoires, certains sont effectivement dotés d’un droit de préférence tandis que d’autres ne le sont pas. Lorsqu’on utilise la propriété à des fins de garantie, elle devient un droit réel accessoire dénué de droit de préférence. Pour preuve, le propriétaire n’est pas en concours avec d’autres créanciers. En sa qualité de propriétaire, il est dans une situation d’exclusivité.

SECTION II : Droit de propriété et droits réels sur la chose d’autrui

Fondamentalement, seule l’analyse classique du droit réel permet de rendre compte du droit de propriété. À l’opposé, pour tous les autres droits réels en ce qu’ils s’exercent sur la chose d’autrui, l’analyse néo personnaliste l’emporte. De fait, le droit de propriété et les autres droits réels ne présentent absolument pas la même structure. En effet, le droit de propriété met en relation le titulaire du droit avec sa chose tandis que les droits réels sur la chose d’autrui mettent en relation le titulaire du droit réel avec le propriétaire de la chose. Il en découle 3 conséquences : 

D’abord, le droit de propriété constitue le premier des droits réels. Tant qu’une chose n’est pas appropriée, elle ne peut pas faire l’objet d’un autre droit réel. L’existence du droit de propriété subordonne l’existence des autres droits réels. 

Ensuite, il existe en droit français des modes d’acquisition des droits réels qui sont spécifiques au droit de propriété. Ces modes permettent d’acquérir la propriété sans acquérir un autre droit réel. Par exemple, l’occupation pour les meubles, la propriété apparente pour les immeubles et l’accession à la fois pour les meubles et les immeubles. Le droit de propriété, en tant que premier des droits réels mettant en relation le sujet actif directement avec la chose, constitue le droit réel le plus complet car il offre toutes les prérogatives à son titulaire. Les seules limites à la propriété sont, d’une part, le respect de l’ordre public et, d’autre part, les contraintes de la vie en société qui interdisent de nuire injustement à autrui (neminem laedere). À l’opposé, celui qui est titulaire d’un droit réel sur la chose dispose de prérogatives considérablement limitées parce que le titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui doit non seulement respecter l’ordre public et les contraintes de la vie en société mais aussi le droit du propriétaire. Par conséquent, le titulaire d’un droit réel a forcément moins de prérogatives que le propriétaire. 

Enfin, le droit de propriété est le droit le plus complet parce qu’il confère à son titulaire toutes les prérogatives qui ne sont pas interdites. Le propriétaire peut tout faire sauf alors que le titulaire d’un droit réel sur sa chose bénéficie d’une liste de prérogatives prédéfinies. 

Néanmoins, cette distinction doit être relativisée. Il est vrai, en effet, que le propriétaire jouit des prérogatives les plus étendues sur sa chose alors le titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui doit respecter le droit du propriétaire. Mais la situation du propriétaire qui a toutes les prérogatives implique qu’il soit seul. À partir du moment qu’une autre personne a un droit réel sur la chose du propriétaire, ce droit réel mécaniquement amoindrira les prérogatives du propriétaire sur sa chose. 

 

SECTION III : Droits mobiliers et droits immobiliers 

Le droit réel est mobilier lorsqu’il porte sur un meuble et immobilier lorsqu’il porte sur un immeuble. Selon la catégorie, il sera soumis à des règles différentes. 

La première règle concerne l’existence du droit réel. En effet, il existe des droits réels qui ne peuvent porter que sur des immeubles. On peut citer la servitude, la mitoyenneté et les baux réels (contrat de bail). À l’opposé, l’usufruit ou la propriété peut indistinctement porter sur des meubles et des immeubles. 

La deuxième règle a trait à l’opposabilité du droit réel. En effet, le mode d’opposabilité des droits réels varie selon que l’on est en présence d’un immeuble ou d’un meuble. Pour rendre opposable aux tiers un bien immobilier, il faut procéder à sa publication au fichier immobilier. À l’opposé, en matière de droit réel mobilier portant sur un meuble corporel, l’opposabilité dépend du mécanisme de la possession. Mais lorsque le droit réel mobilier porte sur des choses incorporelles, son opposabilité est souvent soumise à une mesure de publicité au même titre que les droits réels immobiliers. Simplement, le registre qui accueille ces droits est spécifique. Il s’agit du RCS pour les fonds de commerce ou de l’INPI pour les brevets et les marques. Il est vrai que les droits réels immobiliers, pour être rendus opposables aux tiers, doivent être publiés au fichier immobilier. Néanmoins cette règle ne concerne pas tous les droits réels immobiliers. Lorsque le droit réel immobilier est légal (créé par la loi), il est en principe opposable de plein droit. La raison est en que nul n’est censé la loi. Par voie de conséquence, les tiers qui sont censés connaitre la loi doivent savoir que le droit réel a été créé. 

La troisième et dernière règle concerne l’acquisition du droit réel. Les modes d’acquisition sont relativement nombreux et certains d’entre eux sont très originaux. Ils sont susceptibles de varier dans leur existence ou dans leurs modalités selon que l’on est en matière de droit réel immobilier ou de droit mobilier. Ainsi, il existe des modes d’acquisition propres au droit réel immobilier (la propriété apparente) et d’autres propres au droit réel mobilier (l’occupation). Quoique identiques, ces modes d’acquisition varient en fonction de leur régime.  Il en va ainsi notamment de l’usucapion (prescription acquisitive), mode d’acquisition de droit réel en conséquence de la possession. Mais suivant que le droit réel est immobilier ou mobilier, les conditions requises pour acquérir ne seront pas toutes les mêmes. 

TITRE II : LES CARACTÈRES DU DROIT RÉEL

 

Les droits réels, quels qu’ils soient obéissent à des institutions, chacune étant dotée d’un corps de règles. Il existe une sorte de droit commun du droit réel au même titre que le droit commun des contrats. Cela appelle 3 observations. 

D’abord, certains de ces caractères généraux du droit réel sont spécifiques à la catégorie des droits réels tandis que d’autres se retrouvent à l’identique dans les droits personnels. Ensuite, une même institution, un même caractère du droit réel est susceptible de donner lieu à des règles différentes suivant la nature du droit réel. Enfin, le droit commun n’a qu’une simple vocation à s’appliquer aux droit réels car il arrive que pour un droit réel déterminé son régime juridique prévoit une sorte de dérogation à son droit commun par le droit spécial (specialia generalibus derogant).

 

CHAPITRE I : LA POSSESSION

La possession est un élément du régime des droits réels que l’on ne retrouve pas dans les droits personnels. Il s’agit d’une institution spécifique aux droits réels. Cependant, certains auteurs considèrent que la possession s’applique également aux droits personnels. 

La possession est une situation de fait dans laquelle une personne exerce un pouvoir matériel sur une chose (corpus) et entend se comporter comme le titulaire d’un droit réel (animus) sur cette chose. Cela appelle 4 observations : 

D’abord, la possession est une situation de pur fait. Lorsque l’on parle de possession, on ne parle pas de droit mais de fait. Ensuite, ce qui caractérise la possession est que le possesseur va se comporter comme le titulaire d’un droit réel à la fois d’une façon matérielle et intellectuelle. En outre, la bonne foi du possesseur n’est pas exigée. Autrement dit, un possesseur peut indistinctement être de bonne foi (il croit être le titulaire du droit réel) ou de mauvaise foi (il sait pertinemment qu’il n’est pas le titulaire du droit réel). Enfin, la possession se moque complètement de la réalité juridique des choses. Il importe peu que le possesseur soit le véritable titulaire du droit réel. La seule question est de savoir s’il est le possesseur. 

Cette possession produit des conséquences juridiques dans la mesure où elle a des conséquences très attractives pour le possesseur qui peut protéger sa situation de fait. Des justifications sérieuses permettent d’expliquer la situation favorable du possesseur. 

D’abord, dans la majorité des cas, lorsqu’on protège la situation de fait, on protège également la situation de droit dans la mesure où il y a concordance parfaite entre la possession et la titularité du droit réel. En général, le possesseur est souvent le propriétaire de la chose. 

Ensuite, la possession a aussi le mérite de récompenser le possesseur parce qu’il est celui qui va utiliser la chose. À l’opposé, le véritable titulaire du droit réel laisse perdurer la situation et se désintéresse de la chose. Lorsque le véritable propriétaire se désintéresse de sa chose, le législateur peut en confier l’exploitation à un tiers en guise de récompense. 

Enfin, la possession, poussée à l’extrême, peut avoir pour but de récompenser le possesseur par le mécanisme de l’usucapion. Autrement dit, la possession va permettre au possesseur d’acquérir le droit réel qu’il n’avait pas initialement. La possession dans cette fonction acquisitive consolide des situations de fait. En effet, quand la situation de fait a duré suffisamment longtemps, il faut la remettre en adéquation avec la situation de droit. 

 

SECTION I : Les conditions de la possession

Il existe deux types de conditions : les conditions d’existence de la possession et les conditions d’efficacité de la possession. 

            §1. Les conditions d’existence de la possession

Selon l’art. 2255 c.civ « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-même ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en d’autres mains ». Depuis 1804, on considère que la possession repose fondamentalement sur deux conditions : il faut à la fois un corpus et un animus. 

                        A. Le corpus
                                    1) La notion de corpus 

Le corpus est l’exercice par une personne d’un pouvoir matériel sur une chose. Fondamentalement, c’est le fait d’avoir une chose entre ses mains et de l’utiliser. Cette définition permet de délimiter le domaine de la possession. 

                                    2) Le domaine du corpus 

Comme vu précédemment, le corpus est un pouvoir matériel. Par conséquent, il ne saurait y avoir de possession toutes les fois où il n’y a pas de pouvoir matériel. Les choses incorporelles, qui ne peuvent pas faire l’objet d’un exercice de pouvoir matériel, ne sont pas susceptibles de possession. La Cour de cassation, dans un arrêt de 2006, considère que « le fonds de commerce est une chose incorporelle et en tant que tel n’est pas susceptible de possession ». En outre, s’agissant de circonscrire le domaine de la possession, certains droits réels, même portant sur des choses corporelles, ne mettent pas la chose entre les mains du titulaire du droit réel. C’est le cas du droit réel d’hypothèque. Le créancier qui est titulaire d’une hypothèque sur l’immeuble de son débiteur n’a pas cet immeuble entre ses mains. C’est le débiteur qui continue d’avoir son immeuble. En clair, la corporalité de la chose ne suffit pas à la rendre susceptible de possession.  Par voie de conséquence, les droits réels qui s’exercent sans mainmise sur la chose, même corporelle, ne peuvent pas être susceptibles de possession. Dès lors, on peut être possesseur d’un droit de propriété, d’un droit d’usufruit mais on ne pas être possesseur d’un droit d’hypothèque parce qu’on n’a pas la chose entre nos mains. 

                                    3) L’acquisition du corpus 

Le corpus est une appréhension matérielle de la chose. Par conséquent, l’acquisition du corpus se fait par cette appréhension matérielle et plus précisément par l’accomplissement d’actes matériels et licites sur la chose. D’abord, il doit s’agir d’actes matériels (le fait de tirer les usages de la chose) en ce sens que c’est l’utilisation de la chose qui fait naitre le corpus. Parfois, ce corpus peut s’acquérir de façon purement symbolique. Il en en va ainsi du corpus d’immeuble. À proprement parler, pour qu’il y ait possession d’immeuble, il faut l’utiliser. Toutefois, la jurisprudence considère qu’il est possible d’entrer en possession de l’immeuble par la simple possession de la clé. Le fait d’exercer les actes matériels sur les clés permet de réputer que la possession porte sur l’immeuble lui-même. Ensuite, ces actes matériels sont absolument indispensables à la naissance du corpus. À ces actes matériels peuvent s’ajouter des actes juridiques en ce sens que non seulement la personne utilise la chose mais elle conclut aussi des contrats relatifs à cette chose. Néanmoins, la Cour de cassation considère que le corpus ne peut s’acquérir uniquement par des actes juridiques dans la mesure où ces actes peuvent être conclus par plusieurs personnes et qu’on ne sait pas qui accomplit les actes matériels. Enfin, ces actes matériels doivent être licites. Concrètement, l’acte matériel donnant naissance au corpus doit être valable au regard du droit. Pour la Cour de cassation, le fait d’exploiter un atelier en contravention avec des règles sur les établissements insalubres ne constitue pas un fait licite et à ce titre ne peut pas fonder une possession.  

 

                                    4) L’exercice du corpus 

Ce corpus peut être exercé de deux façons différentes. D’une part, le corpus peut être exercé par le possesseur lui-même. D’autre part, le corpus peut être exercé par l’intermédiaire d’une tierce personne. Dans ce dernier cas de figure, la personne qui a la chose entre ses mains, celle qui accomplit les actes matériels n’est pas le possesseur. Elle exerce ces actes pour le compte de l’autre. On parle de possession corpore alieno (par le biais d’autrui) visée à l’art. 2255 c.civ aux termes duquel « la possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom. »

Même si son emprise matérielle sur la chose est directe, le détenteur précaire ne peut pas acquérir. Il en est ainsi à chaque fois qu’une personne a sur la chose une détention précaire. Le détenteur précaire est celui qui a une chose entre ses mains et qui est tenu à terme de la restituer mais, surtout et essentiellement, ne se prétend pas titulaire d’un droit réel sur cette chose. Autrement dit, le détenteur précaire ne se comporte pas comme un possesseur. Par exemple, le locataire d’une chose qui exerce le corpus pour le compte de son bailleur, est un détenteur précaire alors que le bailleur est le possesseur. Le même mécanisme se retrouve dans le contrat de prêt. L’emprunteur ne se prétend pas titulaire de droit réel sur la chose. Il a la chose entre les mains mais il exerce le corpus pour le compte du prêteur qui, lui, est le véritable possesseur. Souvent, on a une concordance entre celui qui a la chose entre les mains et la qualité de possesseur mais de temps en temps, on peut avoir une dissociation des deux de sorte que l’un a le corpus et l’autre est le possesseur. 

Naturellement, n’étant pas possesseur, le détenteur précaire ne peut absolument pas bénéficier des effets de la possession. Par exemple, on sait que la possession permet l’usucapion. Par conséquent, le détenteur précaire ne pourra jamais usucaper (lat. usucapere, prendre par l’usage). En revanche, celui pour le compte duquel il exerce le corpus pourra usucaper car il est le véritable possesseur. Mais grâce au mécanisme de l’interversion de titre, le détenteur précaire peut acquérir la qualité de possesseur.  

 

                        B. L’animus

 

                                    1) La notion d’animus

Élément psychologique de la possession, l’animus est la volonté du possesseur de se comporter comme le titulaire du droit réel sur la chose. Il ne peut donc y avoir d’animus pour les personnes dépourvues de capacité de discernement (enfants, adultes déficients mentalement).

                                    2) La preuve de l’animus   

L’animus étant un élément psychologique, sa preuve est très difficile à rapporter. Pour cette raison, le législateur pose 2 présomptions à l’art.2256 c.civ : « On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre ». En premier lieu, l’art.2256 c.civ établit une présomption d’animus au bénéfice de celui a le corpus. À partir du corpus, il n’est nul besoin de démontrer l’animus. Il appartient à celui qui conteste la possession de démonter l’absence d’animus. En second lieu, l’animus présumé est l’animus domini (animus d’un propriétaire) i.e. l’intention de se comporter comme le propriétaire de la chose. Celui qui a le corpus entre ses mains est présumé avoir la volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose. 

Ces deux présomptions sont simples et sont susceptibles de preuve contraire rapportable par tout moyen. D’une part, il faut parvenir à rapporter la preuve que celui qui a la chose n’est en réalité qu’un détenteur précaire par le biais d’un titre qui oblige à terme le détenteur à restituer la chose, seul de nature à établir mécaniquement la détention précaire. D’autre part, il faut parvenir à démontrer l’état d’esprit du titulaire d’un droit réel en établissant que celui qui a la chose entre ses mains entend se comporter comme un usufruitier et non comme un propriétaire. Ce renversement de présomption est excessivement difficile car dans la très grande majorité des cas, les possesseurs se comportent comme des propriétaires. 

 

                                    3) L’acquisition de l’animus

Il ressort de l’art.2256 c.civ. que, par principe, l’animus s’acquiert concomitamment au corpus. En d’autres termes, à partir du moment où une personne accomplit des actes matériels et licites, elle est regardée instantanément comme ayant l’animus. Néanmoins, cette règle de principe souffre un tempérament dans la mesure où il existe des hypothèses dans lesquelles l’animus va être acquis plus tard que le corpus. Dans ce cas de figure, il s’agit, à l’origine, d’un détenteur précaire (corpus sans animus) qui va devenir plus tard possesseur (corpus et animus) par le jeu du mécanisme de l’interversion de titre. L’interversion de titre consiste, pour le détenteur précaire, à devenir un véritable possesseur. Autrement dit, au corpus qu’il avait initialement va s’ajouter un animus de sorte que le détenteur précaire va devenir un véritable possesseur. Cette interversion peut avoir deux origines distinctes. 

En premier lieu, l’interversion de titre peut être l’œuvre d’un tiers.  Il s’agit d’une hypothèse dans laquelle une tierce personne donne au détenteur précaire un titre lui permettant d’acquérir l’animus et de devenir possesseur. Par exemple, une personne se prétend propriétaire d’une chose. Elle prête la chose à une autre personne. Dans ce cas de figure, le prêteur est le possesseur, l’emprunteur le détenteur précaire. Mais il arrive qu’une tierce personne, qui se prétend elle-aussi propriétaire de la chose, décide de céder son droit de propriété putatif au détenteur précaire. Dans ce cas, l’emprunteur pourra acquérir le droit de propriété de façon légitime de sorte qu’il aura désormais la volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose. Alors qu’il n’avait que le corpus, grâce au titre que lui confère le tiers, le détenteur précaire va acquérir un animus faisant de lui le nouveau possesseur de la chose. 

En second lieu, l’interversion de titre peut dériver de la contradiction au droit du possesseur. En ce cas, l’interversion de titre a pour seule origine le comportement du détenteur précaire lui-même. C’est le détenteur qui, pour n’importe quelle raison, décide du jour au lendemain de se comporter comme le titulaire du droit réel. En d’autres termes, le détenteur précaire va se fabriquer à lui-même l’animus. 

Pour que ces deux hypothèses soient considérées comme des interversions de titre, il faut la réunion de deux conditions : 

En premier lieu, il faut chez le détenteur précaire un nouveau comportement totalement non équivoque. Il ne doit y avoir aucun doute sur la raison pour laquelle le détenteur précaire se comporte désormais comme le titulaire d’un droit réel. Par conséquent, lorsque le détenteur précaire, censé rendre une chose, ne la restitue pas à son auteur, son comportement ne constitue pas une interversion de titre. En effet, le défaut de restitution peut avoir plusieurs causes : soit le détenteur précaire a interverti son titre (pour devenir possesseur), soit il n’est pas en mesure de restituer la chose, soit il prétend avoir toujours le droit de conserver la chose même sans interversion de titre.  Dans ce cas, il y a une équivocité qui fait obstacle à la reconnaissance de la qualité de possesseur au détenteur précaire. 

En second lieu, l’interversion doit être connue du véritable possesseur. La raison en est que le possesseur initial a le droit de faire protéger sa possession. Or, par hypothèse, pour protéger sa possession, encore faut-il qu’il sache qu’un autre que lui entend désormais être le possesseur. Concrètement, le possesseur initial doit être mis à même de réagir même s’il ne le fait. 

                                 4) La permanence de l’animus 

Le corpus est nécessaire pour permettre l’animus. En principe, le corpus fait naitre immédiatement l’animus et dans l’interversion de titre, l’animus apparait plus tard. Mais l’animus se forme toujours sur la base du corpus. Une fois établi, l’animus est suffisant pour maintenir la possession. Autrement dit, même si le possesseur n’accomplit plus d’actes matériels sur la chose, son seul animus lui permet de conserver sa possession. On dit que la possession s’exerce solo animo (par le seul animus). Cette possession durera jusqu’à ce qu’elle soit interrompue par une autre. 

Toutefois, il existe un cas dans lequel une personne peut perdre son animus sans perdre son corpus. En cas de dissociation entre le corpus et l’animus, on parle de constitut possessoire notamment lorsque le possesseur vend la chose dont il considère être propriétaire. Le constitut possessoire est la modification de titre résultant d’un transfert de propriété non accompagné d’une remise matérielle de la chose à l’acquéreur, en vertu de laquelle l’ancien propriétaire détenteur précaire (et non possesseur) de la chose qu’il conserve pour autrui (Vocabulaire juridique Cornu). Par exemple, un vendeur qui garde pour son client la chose vendue, mais non encore livrée. Dans ce cas, si le contrat de vente prévoit une délivrance à terme, une dissociation entre le corpus et l’animus s’opère parce que le contrat de vente est un contrat translatif de propriété. Or, en principe en droit civil des contrats, la propriété se transmet immédiatement dès l’accord de volontés. À compter de la vente, le vendeur cesse de se reconnaitre propriétaire tandis que l’acquéreur se considère désormais comme le propriétaire. Parce que la délivrance est à terme, la chose reste dans les mains du vendeur et ne sera remise à l’acquéreur que plus tard. Pendant un temps, le vendeur n’aura plus son animus mais aura toujours la chose entre ses mains (donc le corpus). En d’autres termes, l’acquéreur aura acquis l’animus mais il n’aura pas encore la chose entre les mains (donc sans le corpus). Dans ce cas, l’acquéreur sera immédiatement considéré comme possesseur mais va exercer sa possession, à l’origine, corpore alieno et c’est le seul animus qui permet sa possession (possession solo animo).  

 

            §2. Les conditions d’efficacité de la possession 

La seule existence d’une possession ne suffit pas à lui faire produire forcément des effets. Pour qu’elle produise des effets, la possession doit remplir certaines conditions. Des deux choses l’une : ou bien, la possession ne remplit pas toutes les conditions d’efficacité et ne produit pas ses effets (possession viciée). Ou bien la possession remplit toutes les conditions et produira alors ses effets (possession utile). Elles sont visées à l’art 2261 c.civ aux termes duquel « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire » Ce texte comporte deux malfaçons : 

En premier lieu, le texte sous-entend que la possession ne doit être utile que pour pouvoir prescrire. Or, la prescription (acquisitive) n’est que l’un des effets de la possession. Mais pour les autres effets, il faut également que la condition soit utile. Les conditions d’utilité de la possession ne sont pas spécifiques à la prescription. Elles valent pour tous les effets de la possession. 

En second lieu, le texte indique que la possession doit être à titre de propriétaire. Il sous-entend que la possession ne peut produire d’effets que si le possesseur a un animus domini. Ce qui évidemment est faux. En réalité, toutes les possessions, peu importe l’animus, produisent des effets dès lors qu’elles sont utiles. 

Sous ces deux réserves, l’art.2261 énumère les 4 conditions que doit remplir la possession pour être utile : la possession doit être continue, paisible, publique et non équivoque. 

 

                        A) La continuité 

La condition de continuité est une condition relative au corpus. Elle exige l’accomplissement d’actes matériels sur la chose, non pas en permanence mais à fréquence régulière. Or, la possession peut s’exercer solo animo. On a donc l’impression que, d’un côté, on peut être possesseur avec le seul animus mais, d’un autre côté, il faut accomplir le corpus. Il importe peu que le possesseur accomplisse des actes matériels. En revanche, il ne doit pas y être empêché pour une raison quelconque. La condition n’est pas le fait d’accomplir des actes matériels mais d’en être empêché. 

La difficulté avec cette continuité concerne la preuve au titre de la prescription acquisitive. Dans certains cas, la prescription acquisitive suppose que la possession ait duré très longtemps (30 ans). Comment prouver que la possession a été continue pendant 30 ans ? C’est la raison pour laquelle l’art.2264 c.civ pose une présomption simple selon laquelle « le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire, sauf la preuve contraire ». Concrètement, lorsqu’une personne possède aujourd’hui et qu’elle démontre avoir possédé dans le passé, elle est présumée avoir possédé durant tout le temps entre les deux périodes. La preuve contraire à cette présomption réfragable consiste à démontrer que la possession a été soit interrompue, soit suspendue. 

 

                        B) La paisibilité

La condition de paisibilité concerne également le corpus. Une possession est dite paisible lorsque l’acquisition initiale du corpus s’est faite sans force ni violence physique ou morale (art. 2263 c.civ). Autrement dit, la possession paisible s’oppose à la possession violente. Cette condition de paisibilité s’apprécie au moment de l’acquisition du corpus. En d’autres termes et, a contrario, une possession ne devient pas violente, sauf en présence d’une voie de droit, si en cours de possession, le possesseur protège son corpus par la force. C’est seulement si on entre en possession par la force que le vice de violence sera caractérisé. 

Ce vice de violence présente une double caractéristique :  

En premier lieu, le vice de violence est temporaire. Cela signifie que lorsqu’il y a violence, la possession sera viciée mais ne le sera que durant le temps de la violence. Lorsque la violence prend fin, la possession redevient paisible. 

En second lieu, le vice de violence est relatif. Cela signifie qu’avec la violence, la possession n’est viciée qu’à l’égard de la victime de la violence, seule à même d’invoquer le vice. Vis-à-vis de toute autre personne qui ne souffre pas de cette violence, la possession va être regardée comme paisible. 

                        C) La publicité

La condition de publicité s’applique au corpus. La possession est publique dès lors qu’elle s’exerce à la vue de tous. Elle s’oppose à la possession clandestine. En effet, la publicité de la possession vise à permettre à un éventuel titulaire du droit réel de contester la possession et de faire reconnaitre son droit. Mais comme pour le vice de violence, le vice de clandestinité est à la fois temporaire et relatif. Le vice de clandestinité est temporaire dans la mesure où il ne vicie la possession que durant le temps où celle-ci était clandestine. Pour preuve, le jour où la possession devient publique, la possession devient utile. Le vice de clandestinité est également relatif dans la mesure où la clandestinité n'empêche la possession de produire ses effets qu’à l’égard de ceux auxquels elle est cachée. Vis-à-vis des personnes à l’égard desquelles la possession est publique, la possession est utile et peut produire ses effets. 

                        E) L’univocité

La condition d’univocité porte sur l’animus. Une possession est univoque lorsque la raison pour laquelle une personne accomplit des actes matériels sur la chose ne fait aucun doute et que cette raison réside dans la volonté de la personne de se comporter comme le titulaire d’un droit réel sur la chose. En revanche, dès lors qu’il existe un doute sur la raison de cet acte matériel, la possession devient équivoque et ne peut produire d’effet. Exemple de la cohabitation entre deux personnes : colocataires qui accomplissent des actes matériels sur la chose mais on ne sait pas s’ils entendent se comporter comme le propriétaire de l’immeuble. 

 

SECTION II : Les effets de la possession

Lorsque la possession existe et présente toutes les conditions de son efficacité, elle peut produire deux types d’effets distincts : la possession utile peut produire des effets probatoires mais aussi des effets acquisitifs. Elle va agir sur le terrain de la preuve mais aussi sur le fond du droit. 

 

            §1. L’effet probatoire de la possession

L’effet probatoire est que la possession permet de présumer la titularité du droit réel possédé. Cette présomption correspond à ce qu’on appelle le plerumque fit i.e. l’hypothèse la plus fréquente. En effet, dans la très grande majorité des cas, celui qui est possesseur est effectivement le titulaire du droit réel d’où une adéquation parfaite entre situation de fait et situation de droit. Naturellement, il est normal que l’on présume la situation de droit de la situation de fait. Cette présomption joue indépendamment de la question de savoir si le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi. Autrement dit, il est des cas où le possesseur n’est pas titulaire du droit réel, ou peut croire être le titulaire du droit réel ou sait pertinemment qu’il ne l’est pas. Quoi qu’il en soit, la présomption de titularité du droit a vocation à s’appliquer. La présomption posée est simple et est susceptible de recevoir la preuve contraire en démontrant que le possesseur n'est pas le titulaire du droit réel. 

Néanmoins, l’effet probatoire prend une tournure particulière en matière de possession mobilière. En matière de meuble, la présomption dont bénéficie le possesseur sera renforcée. En matière immobilière, le possesseur est présumé être le titulaire du droit. Si tel n’est pas le cas, le véritable titulaire du droit réel doit simplement démontrer sa titularité pour que son droit soit reconnu. En matière mobilière, la présomption de titularité est renforcée par le jeu de l’art.2276 c.civ : « en fait de meubles, la possession vaut titre ». L’article constitue à la fois une règle de preuve et une règle de fond. 

En application de ce texte, le possesseur présumé titulaire du droit réel est également présumé avoir un titre pour conserver la chose. Celui qui veut renverser la présomption devra rapporter deux preuves : il doit prouver non seulement qu’il est le véritable titulaire mais aussi que le possesseur n’a aucun titre pour conserver la chose. En particulier, le demandeur devra faire la preuve que le possesseur est un détenteur précaire d’une chose sujette à restitution. 

En conclusion, l’effet probatoire de la possession place le possesseur dans une situation confortable. Dès lors que le droit est présumé sur la tête du possesseur, il ne lui incombe pas la charge de la preuve. Le doute sur les éléments de preuve apportés par le demandeur profite au possesseur. 

            §2. L’effet acquisitif de la possession

L’effet acquisitif de la possession n’est susceptible de se produire si, à l’origine, le possesseur n’est pas le véritable titulaire d’un droit réel. N’étant pas un plerumque fit, la possession peut produire deux effets acquisitifs : l’acquisition du droit réel possédé (le possesseur qui à l’origine n’a pas ce droit réel pourra l’acquérir) et l’acquisition des fruits générés par la chose. 

                        A. L’acquisition de la titularité du droit réel
 

Ce que l’on appelle acquisition de droit réel par l’effet de la possession n’est rien d’autre que l’usucapion (prescription acquisitive). Dans son principe, cette usucapion est prévue à l’art.2258 c.civ aux termes duquel «la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou sans qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Deux remarques méritent d’être faites au sujet de cet article : 

En premier lieu, il résulte clairement de la lettre du texte que la preuve de la mauvaise foi du possesseur est indifférente aux fins de la prescription acquisitive. Néanmoins, l’éventuelle bonne foi du possesseur va faciliter la prescription acquisitive. 

En second lieu, dans le code de 1804, la prescription reposait sur l’écoulement du temps. Pour pouvoir acquérir le droit par prescription, il fallait nécessairement que la possession dure un certain temps. Mais le droit de la prescription a été réformée par la loi du 17 juin 2008. Depuis, dans la partie du code consacrée à la prescription figure l’art.2276. Or, lorsque ce texte joue comme règle de fond, il permet une acquisition instantanée des droits réels mobiliers et l’écoulement du temps n’est plus une condition de la prescription. Depuis 2008, la prescription acquisitive est simplement un effet de la prescription extinctive, peu importe l’écoulement du temps. 

L’acquisition du droit par le possesseur va mécaniquement faire perdre son droit à son véritable titulaire et ce, sans aucune indemnité. Ce mécanisme repose sur 3 considérations essentielles : 

D’abord, lorsque l’usucapion requiert l’écoulement du temps, il permet de remettre en adéquation la situation de fait avec la situation de droit. On assure par ce biais, la sécurité juridique du possesseur. Ensuite, l’usucapion permet à la fois de sanctionner le titulaire du droit qui néglige de l’exercer et de récompenser le possesseur qui a mis la chose en valeur, l’a exploitée et a accepté d’en supporter tous les vices et toutes les charges. Enfin, en matière immobilière, l’usucapion est le seul mode de preuve de la propriété qui soit totalement incontestable. En matière mobilière, l’effet acquisitif de la possession permet de garantir la sécurité des transactions. En effet, les meubles circulent plus vite que les immeubles.  

Le mécanisme de l’usucapion est attentatoire au droit du véritable titulaire du droit réel dans la mesure où il perd son droit sans indemnisation et dans l’intérêt d’une personne privée. Ainsi, récemment, s’est posée la question de la compatibilité de l’usucapion avec les normes supranationales. En 2005, la CEDH affirme que l’usucapion est une atteinte aux droits. Après un renvoi devant la grande chambre, la CEDH déclare que l’usucapion est finalement conforme à la CESDH. Saisie dès 2011 d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’usucapion, la Cour de cassation refuse de la renvoyer au Conseil constitutionnel au motif que la question n’était pas suffisamment sérieuse. Or, elle aurait dû le faire.  Par voie de conséquence, l’usucapion est conforme au bloc conventionnel (art. 1er du premier protocole additionnel à la CESDH) et au bloc de constitutionnalité (art.2 et 17 de la DDHC). 

 

                                    1) Les conditions de l’usucapion

Qu’elle intervienne en matière immobilière ou mobilière, l’usucapion répond à des conditions générales mais aussi à des conditions spéciales, certaines sont propres à la matière immobilière et, d’autres à la matière mobilière. 

                                                a) Les conditions générales 

Pour pouvoir prescrire, il faut la réunion de trois conditions générales : 

La première condition est relative à l’existence de la possession. En effet, pour pouvoir prescrire, il faut nécessairement être possesseur. Seule la possession peut conduire à la prescription acquisitive. A contrario, les détenteurs précaires ne peuvent pas prescrire (art.2246 et 2247 c.civ). Il en est de même pour les héritiers. Ne peuvent pas non plus prescrire ceux qui bénéficient d’un acte de pure faculté ou de tolérance. Il s’agit d’une sorte de service d’amis où une personne autorise quelqu’un à utiliser sa chose. 

La seconde condition concerne l’utilité de la possession. Pour que le possesseur puisse prescrire, il faut que sa possession soit utile (absence de vice de violence ni de clandestinité), notamment vis-à-vis du titulaire du droit réel. Lorsque la prescription repose sur l’écoulement du temps, la possession doit être continue. Or, la continuité de la possession peut être remise à cause en cas d’interruption ou de suspension de la prescription. D’emblée, il faut observer que les causes de suspension et d’interruption de la prescription sont les mêmes que celles de la prescription acquisitive. Une cause d’interruption est une cause qui fait cesser la prescription qui est en cours. Si le cours de la prescription reprend, une nouvelle prescription naitra. Exemple de cause d’interruption, l’assignation en justice du possesseur. La cause de suspension ne fait que suspendre le cours de la possession.  Pendant tout le temps que dure la cause, on cesse de computer les délais. Si la cause cesse, alors la prescription peut reprendre là où elle s’était arrêtée. Exemple : le délai ne court pas en cas d’incapacité du véritable titulaire du droit (contra non valentem agere non currit praescriptio). En matière de prescription acquisitive, il existe une cause d’interruption, qui n’existe pas en matière de prescription. L’art. 2271 c.civ dispose que « la prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d'un bien est privé pendant plus d'un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ». Dans ce cas, on considère que le cours de la prescription est interrompu car si le possesseur n’a pas réagi, on présume qu’il a voulu abandonner sa possession actuelle (nouveau délai qui va courir s’il décide d’agir à nouveau).

La troisième et dernière condition d’ordre général a trait à la computation des délais.  Le cours de la prescription se calcule toujours par jours. En outre, dans ce calcul, on ne tient pas compte du dies a quo mais du dies ad quem. Le dies a quo est le jour où débute la prescription. Ce jour n’est pas comptabilisé. Il court le lendemain. En revanche, on prend en compte le dies ad quem, le dernier jour de la prescription à minuit. Enfin, les délais de prescription sont longs. Or, le possesseur peut être amené à perdre la possession de la chose, ou à mourir. Systématiquement, le possesseur aura un ayant cause. La question est de savoir si l’actuel possesseur peut joindre sa propre possession avec celle de son auteur (jonction de possessions), question à laquelle l’art.2265 c.civ répond que « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux. » Il faut se demander si l’ayant cause est à titre universel (reçoit une quote-part) ou à titre particulier (reçoit un bien en particulier).  

L’ayant cause est toujours considéré comme poursuivant la personne de son auteur. Il peut toujours continuer la possession de son auteur et joindre sa propre possession à celle de son auteur. En présence d’un ayant cause à titre particulier, il faut distinguer selon que l’auteur prescrivait selon le délai de droit commun ou un délai plus court. Lorsque l’auteur prescrivait selon le droit commun, l’ayant cause peut poursuivre la même prescription. Si l’ayant cause remplit les conditions pour bénéficier d’un délai plus court, il peut choisir de prescrire suivant ce délai mais dans ce cas il ne peut pas procéder à la jonction. 

Si l’auteur prescrivait suivant un délai spécial, la jonction peut toujours avoir lieu mais l’ayant cause ne peut bénéficier du délai spécial que s’il remplit lui aussi les conditions. 

                                                b) Les conditions spéciales

En matière immobilière, la possession ne confère jamais une acquisition instantanée d’un droit. Il faut un certain temps pour que s’opère le mécanisme de l’usucapion. Le délai de droit commun est de 30 ans et le délai spécial de 10 ans. Le délai de droit commun bénéficie par principe à tous les possesseurs d’un immeuble. Mais à certaines conditions, on peut ramener le délai à 10 ans. On parle de prescription abrégée. Dans le code de 1804, la prescription abrégée pouvait donner lieu à 2 délais : un délai de 10 ans et un délai de 20 ans. Pour déterminer le délai applicable, il fallait rechercher la localisation de l’immeuble ou du véritable titulaire du droit réel. Lorsque les deux étaient dans le ressort d’une même cour d’appel, le délai était de 10 ans.  Si les deux étaient dans le ressort de plusieurs cours d’appel, le délai était de 20 ans. La prescription courant au détriment du titulaire du droit, il importe de lui permettre de réagir à la situation. Si le titulaire était plus éloigné de l’immeuble, moins il était en mesure de connaitre la situation et moins en mesure de protéger son droit. Mais lors de la réforme de 2008, on a pris en compte les évolutions techniques qui facilitent les transports. Désormais, quel que soit le lieu de situation de l’immeuble et le domicile du titulaire du droit, la prescription abrégée est de 10 ans. 

Différentes conditions sont exigées pour bénéficier de la prescription abrégée :

En premier lieu, la condition de bonne foi du possesseur. Pour bénéficier de la prescription abrégée, le possesseur doit être de bonne foi. Il faut rappeler au demeurant que la bonne foi facilite mais n’est pas une condition de la prescription acquisitive. La bonne foi signifie que le possesseur croit être le véritable titulaire du droit réel. En droit français, la bonne foi est toujours présumée et il appartient à celui qui la conteste de rapporter la preuve contraire. Par ailleurs, la bonne foi s’apprécie en une seule fois au moment de l’entrée en possession du possesseur. Si par la suite, il devient de mauvaise foi, il bénéficie du délai de 10 ans. 

En second lieu, la condition de juste titre. Pour bénéficier du délai de 10 ans, le possesseur doit être en mesure de fournir un juste titre. On appelle juste titre un acte juridique valable, translatif ou constitutif de droit réel qui aurait investi l’ayant cause du droit qu’il possède si son auteur avait été admis juridiquement à le lui conférer. Exemple d’un un acte juridique qui réalise une acquisition a non domino i.e. une acquisition d’un non-propriétaire (vendre une chose qui ne nous appartient pas). Qu’est-ce qu’un juste titre ? D’abord, le juste titre est un acte juridique qui établit un rapport entre un auteur et un ayant cause. Par voie de conséquence, ne constituent pas un juste titre, des meubles d’acquisition qui ne reposent pas sur un acte juridique. Le fait d’hériter d’un bien ne constitue pas un juste titre (la succession est un fait juridique et non pas un acte juridique). Un titre putatif n'est pas un acte juridique car il n’existe que dans l’esprit du possesseur. Ensuite, le juste titre est un acte qui a vocation à transmettre (translater) ou à créer (constituer) un droit réel. Ne sont donc pas des justes titres, les actes qui créent des droits personnels ainsi que les actes déclaratifs de droit. Enfin, le juste titre est également un acte juridique valable : la seule nullité susceptible de frapper l’acte est l’absence de titularité de droit de l’auteur lui permettant de conférer la chose à l’ayant cause. 

 

                                                c) Les règles propres à la matière mobilière

Depuis la loi du 17 juin 2008, on ne sait plus quel est le délai de prescription acquisitive de droit commun qui s’applique en matière mobilière. D’un côté, l’art.2272 c.civ prévoit un délai de 30 ans pour la prescription acquisitive immobilière. De l’autre, l’art. 2224 c.civ prévoit que les actions mobilières se prescrivent par 5 ans. Or, l’art.2224 c.civ est relative à la prescription extinctive et non acquisitive. En outre, l’art.2259 c.civ qui, pour la prescription acquisitive, renvoie à un certain texte de la prescription extinctive. En fin de compte, le délai de 5 ans prévu à l’art. 2224 c.civ est spécifique à la prescription extinctive. 

Cette question est théorique car dans la grande majorité des cas, le délai n’a aucune importance. Pour preuve, en matière mobilière, la possession permet une acquisition instantanée du droit. On bascule dans le droit spécial. La possession vaut titre. La règle aura vocation à jouer toutes les fois qu’un possesseur d’un meuble aura acquis un droit a non domino (d’un non-propriétaire). 

Pour déclencher le jeu de l’art.2276 c.civ comme règle de fond, il faut deux conditions. En premier lieu, il faut qu’on soit en présence d’un meuble corporel. En second lieu, il faut que le possesseur entre en possession de bonne foi (sachant que la bonne foi est toujours présumée).

Dans cette fonction acquisitive, l’art.2276 c.civ renvoie à l’art.1198 c.civ qui règle le conflit entre acquéreurs successifs. En matière mobilière, le conflit se règle par la possession. En outre, il existe des cas où la mauvaise foi du possesseur peut être aisément établie. Il en va ainsi lorsque la chose porte elle-même la marque du véritable titulaire du droit réel. Dans ce cas, le possesseur ne peut ignorer à qui appartient la chose. Il est considéré comme étant de mauvaise foi. Enfin, la règle de l’art.2276 c.civ est écartée lorsque la chose mobilière est une chose perdue ou volée. Dans ce cas, le véritable propriétaire conserve le droit de revendiquer la chose pendant un délai de 3 ans à compter de la perte ou du vol. En principe, lorsque le propriétaire revendique dans ce délai de 3 ans, il n’est pas tenu au versement d’une indemnité au possesseur sauf si ce dernier a acquis la chose auprès d’un marchand de choses pareilles (antiquaire). 

 

                                    2) Les effets de l’usucapion 

Le premier effet de l’usucapion consiste à faire perdre au titulaire du droit réel le droit qui lui appartenait. Parallèlement, le possesseur va acquérir le droit réel possédé. Cette acquisition du droit par le possesseur présente 3 caractéristiques : elle est désirée, originaire et rétroactive.

                                                a) Une acquisition désirée 

L’acquisition désirée signifie que le possesseur n’est jamais obligé de demander que le droit possédé lui appartienne. Plus précisément, s’il n’invoque pas la prescription acquisitive, le droit ne lui sera pas reconnu. Il faut donc de la part du possesseur une volonté de s’affirmer comme le nouveau titulaire du droit réel. 

Cette volonté peut se manifester de deux façons. Le cas de figure le plus fréquent consiste pour le possesseur à invoquer l’usucapion en défense face une demande du véritable titulaire du droit réel qui prétendrait le faire valoir. Ainsi, si le possesseur est assigné en revendication par le propriétaire, il peut faire échec à cette action en invoquant l’usucapion. 

L’autre possibilité pour le possesseur de faire reconnaitre son droit est de faire constater spontanément dans un acte juridique établissant que toutes les conditions de l’usucapion sont réunies. C’est l’acte de notoriété généralement établi par un notaire qui vérifie non seulement que les conditions de l’usucapion immobilière sont réunies mais aussi le cas échéant dresse l’acte afin de le faire publier au fichier immobilier. De cette façon, le droit réel acquis par le possesseur sera opposable aux tiers. 

                                                b) Une acquisition originaire

L’acquisition originaire signifie que le possesseur va acquérir un droit réel nouveau qui n’est pas le même que celui qui appartenait à l’ancien titulaire. Autrement dit, le droit de l’ancien titulaire va véritablement s’éteindre tandis que le droit du possesseur va prendre naissance. A contrario, le possesseur ne recueille pas dans son patrimoine le droit qui avait appartenu à son propriétaire. Autrement dit, l’usucapion ne réalise pas une transmission de droit. 

Pour le possesseur, cela présente un avantage et un inconvénient. Comme avantage, le droit qu’il acquiert, en ce qu’il est nouveau, n’est pas affecté par tous les vices qui pouvaient affecter le droit de l’ancien titulaire. Comme inconvénient, à partir du moment où le possesseur ne tient pas son droit de l’ancien titulaire, il ne peut réclamer à ce dernier notamment une obligation de délivrance ou le bénéfice d’une garantie de vices cachés. 

 

                                                c) Une acquisition rétroactive

L’acquisition rétroactive signifie que le droit acquis par le possesseur va être considéré comme le sien, non pas depuis le jour où les conditions de l’usucapion ont été remplies mais depuis le jour où sa possession a débuté. Cette rétroactivité permet de consolider toutes les situations juridiques créées avant la réalisation de l’usucapion. 

Ainsi, par exemple, tous les actes que le possesseur a pu conclure relativement à la chose seront rétroactivement validés parce que rétroactivement le possesseur sera regardé comme ayant toujours eu le droit réel. De la même façon, tous les fruits que le possesseur a pu percevoir de bonne ou de mauvaise foi pendant la possession lui sont reconnus à titre définitif. 

 

                        B. L’acquisition des fruits générés par la chose

Ce que l’on appelle les fruits d’une chose constituent toute chose générée par une autre chose sans porter atteinte à la substance de cette dernière. Par exemple, une pomme est un fruit au sens juridique. De façon générale, les fruits sont les revenus matériels ou financiers pouvant être tirés d’une chose. Par exemple, le loyer d’un immeuble mis en location est un fruit. 

La possession peut parfaitement porter sur une chose frugifère i.e. une chose qui génère des fruits. Tant que dure la possession, c’est généralement le possesseur qui va recueillir ses fruits. Ces fruits appartiennent-ils au possesseur ou au véritable titulaire du droit réel ? 

L’art.549 c.civ dispose en substance que « seul le possesseur de bonne foi peut faire les fruits siens ». A contrario, lorsque le possesseur est de mauvaise foi, les fruits ne peuvent pas lui appartenir.  La bonne foi joue un rôle central dans l’acquisition des fruits. Cette condition posée par l’article appelle trois observations.  

D’abord, le possesseur est de bonne foi lorsqu’il a acquis en vertu d’un titre dont il ignorait les vices. Cette définition renvoie à celle de juste titre qui existe en matière d’usucapion immobilière abrégée. Pour autant, en matière d’acquisition des fruits, le juste titre n’est pas une condition autonome de la bonne foi. Ainsi, un possesseur peut être de bonne foi en vertu d’un titre putatif alors que ce n’est pas un juste titre. 

Ensuite, la bonne foi en matière d’acquisition des fruits s’apprécie de façon continue. Autrement dit, elle ne s’apprécie pas uniquement au moment de l’entrée en possession mais pendant tout le temps que dure la possession. Si à un moment donné, le possesseur cesse d’être de bonne foi, il perd le droit d’acquérir les fruits à partir de ce moment-là. Il en va ainsi à chaque fois que le possesseur sera assigné en justice par le véritable titulaire du droit réel. Tous les fruits perçus en étant de bonne foi appartiennent au possesseur. En revanche, s’il les a perçus en étant de mauvaise, ces fruits ne lui appartiennent pas. 

Enfin, la bonne foi du possesseur est toujours présumée. Si le véritable titulaire veut récupérer les fruits perçus par le possesseur, il lui incombera la charge de la preuve de la mauvaise foi. S’il y parvient, le possesseur sera tenu de restituer tous les fruits perçus pendant sa mauvaise foi. En principe, la restitution doit s’opérer en nature et à défaut en valeur. 

 

SECTION III : La protection de la possession 

Même si la possession est une pure situation de fait, même si elle ne correspond pas forcément à la situation de droit et même si le possesseur est de mauvaise foi, la possession est protégée. Cette protection repose sur deux considérations. En premier lieu, le plus souvent, la situation de fait correspond à la situation de droit si bien qu’en protégeant la situation de fait, on protège aussi la situation de droit. En second lieu, en protégeant la possession pour elle-même, on évite en quelque sorte que les individus se fassent justice à eux-mêmes et ce faisant on préserve ainsi l’ordre public en évitant les actes de violence. 

 

            §1. L’étendue de la protection possessoire 

L’étendue de protection possessoire dépend de la fonction essentielle que l’on attribue à la possession. Sur ce point, la possession est susceptible de deux conceptions différentes : la conception subjective et la conception objective. 

La conception subjective, défendue au XIXe siècle par l’auteur allemand Savigny, considérait que la fonction essentielle de la possession est de protéger l’intérêt particulier du possesseur. Parce que le possesseur accepte d’exploiter la chose et en supporte les risques, il doit être protégé. Dans cette conception subjective, l’élément principal de la possession est l’animus. Ainsi, la protection possessoire doit être réservée exclusivement au possesseur, à l’exclusion du simple détenteur précaire. 

À l’opposé, la conception objective, défendue au XIXe siècle par l’auteur allemand Ihering, considère que la possession a pour but principal de protéger la paix publique en s’opposant aux actes de violence. Or, fait-il valoir, la personne qui peut être victime de violence peut indifféremment être un véritable possesseur ou un simple détenteur précaire. Dans cette conception, le point central de la possession est le corpus. Ainsi, la protection possessoire doit être accordée aussi bien au véritable possesseur qu’au détenteur précaire. Les deux doivent pouvoir se prévaloir de la protection possessoire. 

Dans le Code civil de 1804, la protection n’était accordée qu’au véritable possesseur. Si le détenteur précaire souffrait un trouble, il n’avait pas le droit d’agir directement. Il devait en référer au possesseur qui, lui, pouvait agir pour protéger la possession. En clair, le Code de 1804 avait adopté la conception subjective. 

Mais une loi du 9 juillet 1975 a permis au détenteur précaire d’engager lui-même une action pour protéger la possession. Par cette loi, le bénéfice de la protection possessoire a été étendu au détenteur précaire par l’art.2278 c.civ aux termes duquel « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace. La protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits. »

            §2. Les modalités de la protection possessoire

Pendant très longtemps, la protection possessoire prenait la forme d’actions en justice spéciales. Elles étaient au nombre de 3 :  la complainte, la dénonciation de nouvel œuvre et la réintégrande. Ces trois actions spécifiques à la matière immobilière étaient dotées de règles procédurales spéciales qui faisaient en sorte que l’on appliquait une règle de non-cumul entre le possessoire (ce qui a trait à la possession) et le pétitoire (ce qui a trait au fond du droit). Dans une action possessoire, on ne pouvait jamais connaitre du fond du droit. 

Le droit français a évolué fin XXe siècle. On s’aperçoit que le nombre d’actions possessoires intentées chaque année était modeste (environ 400). En outre, la Cour de cassation avait admis qu’à la place d’une action possessoire, le possesseur pouvait protéger sa possession avec l’action en référé de droit commun. En effet, l’action en référé peut être intenté en cas de trouble manifestement illicite (ce qu’est le trouble possessoire) et elle interdit au juge saisi de statuer sur le fond du droit. Par conséquent, la loi du 16 février 2015 abroge les actions possessoires. Depuis cette loi, la protection de la possession passe uniquement par l’action en référé de droit commun 

CHAPITRE II : LA CRÉATION des droits réels

 

Avant tout propos, il faut faire un double constat. D’abord, en matière de droits personnels, règne une certaine forme de liberté. Les parties peuvent créer les obligations de leur choix sous réserve de l’ordre public. En matière de droits personnels, il existe un principe de libre création. De plus, le législateur nomme et réglemente un très grand nombre de droits réels.  Mais les parties à un contrat disposent-elles en matière de droits réels de la même liberté qu’en matière de droits personnels ? Les parties peuvent-elles valablement créer un droit réel qui ne serait pas prévu par la loi ? Les droits réels innommés sont-ils valables ? La liste légale des droits réels est-elle indicative ou limitative ?  Existe-il un numerus clausus des droits réels ? 

La question du numerus clausus du droit réel ne peut se poser que concernant les droits réels principaux. A contrario, elle ne se pose pas pour les droits réels accessoires d’une créance. Si le droit réel accessoire est préférentiel, il a pour effet d’amoindrir les droits des tiers, des créanciers chirographaires. Dès lors, il est soumis à la règle selon laquelle « pas de privilège sans texte ». Les droits réels accessoires préférentiels ne peuvent être que ceux prévus par le législateur (les droits réels accessoires préférentiels sont nécessairement nommés). Le droit réel accessoire exclusif est celui qui utilise le droit de propriété à des fins de garantie d’une obligation. Or, le droit de propriété est nommé et réglé par le législateur. 

Historiquement, cette question est très ancienne mais connait aujourd’hui un très fort regain d’actualité. 

 

SECTION I : Le principe de libre création des droits réels 

 

            §1. Les termes du problème

L’origine de la question du numerus clausus des droits réels réside dans l’art.543 c.civ qui dispose que l’« on peut avoir sur les biens ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance ou seulement des services fonciers à prétendre ».

Suivant une première interprétation, cet article présente un véritable contenu normatif en limitant les droits réels que l’on peut créer. L’art.543 c.civ serait le siège d’un numerus clausus des droits réels. Les partisans de cette vision avancent deux arguments. Le premier argument est d’ordre historique puisque l’article, en limitant les droits réels, auraient pour but d’empêcher les individus de recréer la propriété féodale (domaine éminent et domaine utile sous l’Ancien droit). De même, à la différence du droit des obligations, le droit des biens concernerait beaucoup plus les tiers et serait à ce titre une branche de droit essentiellement d’ordre public. Par conséquent, la volonté des parties ne saurait créer des droits réels dès lors que l’art.543 établit un numerus clausus. 

Suivant une autre interprétation, cet article ne présenterait pas de véritable contenu normatif mais serait une simple annonce de plan puisqu’il porte sur le titre II portant sur la propriété, le titre III portant sur les droits de jouissance et le titre IV portant sur les services fonciers. Les partisans de cette interprétation avancent trois arguments. D’abord, ils évoquent le régime historique du texte qui peut être vrai mais n’a plus aucun intérêt aujourd’hui car il est improbable que la féodalité puisse renaitre de ses centres. Ensuite, la lettre du texte emploie une formule affirmative mais non pas une formule négative. Or, en droit, c’est la formule négative qui est la marque d’un caractère limitatif. Le texte ne dit pas « on ne peut avoir sur les biens que… ». Enfin, en refusant le numerus clausus, on permet aux individus de maximiser l’exploitation des choses ce qui est bon socialement et économiquement. 

Derrière cette dernière interprétation se cache une chose plus simple. Lorsque les parties à un contrat veulent créer un droit ayant pour but de saisir les utilités d’une chose, doivent-elles se contenter du simple droit personnel ou peuvent-elles utiliser la technique du droit réel ? En effet, le droit réel est beaucoup plus stable car il confère un droit de suite qui permet de suivre la chose en quelque main ou patrimoine qu’elle se trouve. Or, le droit personnel ne confère pas de droit de suite car le propriétaire en cédant sa chose conserve le droit personnel qui la grève. 

            §2. La solution du problème 

La Cour de cassation s’est prononcée très tôt au XIXe siècle. Par l’arrêt Caquelard du 13 février 1834, la Cour considère qu’« aucune loi n’interdit ni n’exclut les diverses modifications et décompositions dont le droit ordinaire de propriété est susceptible ». Autrement dit, la Cour reconnait aux volontés individuelles le pouvoir de créer des droits réels nouveaux. Dès 1834, la Cour rejette le numerus clausus des droits réels et offre aux parties la même liberté dans la création des droits personnels. 

150 ans après, la Cour de cassation reprend cette position de façon implicite. Effectivement, elle est saisie de droits réels nouveaux et accepte de statuer sur leur régime sans s’interroger sur leur validité. Dans l’esprit de la Cour, il y a bien un présupposé selon lequel ce droit nouveau était forcément valable. Parmi les droits réels nouveaux, on peut citer le droit de pâturage et d’usage de bois, le droit de chasser et de pêcher ou encore le droit d’affichage sur un immeuble. 

En 2009, est rendu public l’avant-projet de réforme du droit des biens qui contient quelque chose de particulier. Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le droit d’usufruit qui est le droit pour une personne de jouir de la chose d’autrui. Or, à certains égards, ce droit d’usufruit présente des imperfections au niveau de son régime juridique. Ce régime empêche parfois la pratique de pouvoir l’utiliser pleinement. Parmi ces éléments on peut citer sa durée (30 ans).  Lorsque l’usufruitier est une personne physique, il s’éteint nécessairement au décès de cette personne. S’il s’agit d’une personne morale, la durée se limite à 30 ans. 

Pour cela, l’avant-projet imaginait un nouveau droit réel concurrent de l’usufruit avec un régime juridique différent. Ce droit ne serait pas enfermé dans les durées de l’usufruit. En l’occurrence, l’avant-projet le nommait le droit réel de jouissance spéciale.  Puisque le projet n’a pas abouti, ce droit reste à ce jour un droit innommé. 

Mais la Cour de cassation a été amenée à dire si les parties pouvaient créer un tel droit réel de jouissance alors que le législateur ne l’a pas prévu. La Cour s’est prononcée pour la première fois le 31 octobre 2012. Elle réaffirme le principe selon lequel les parties à un contrat peuvent valablement créer un droit réel nouveau, en l’occurrence un droit réel de jouissance spéciale. (3e Civ., 31 octobre 2012, Maison de poésie). Cet arrêt va recevoir plusieurs confirmations. En effet, la Cour réaffirme le principe de libre création des droits réels (3e Civ., 28 janvier 2015, ERDF ). Dans un arrêt, la Cour confirme les solutions de 2012 et 2015 (3e Civ., 8 septembre 2016, Maison de poésie 2).

Mais un arrêt rendu par la 3e chambre civile en date 6 juin 2019 dénote par rapport aux autres. En l’espèce, un droit réel créé par une convention ressemblait beaucoup à un droit de servitude. Si l’on qualifiait ce droit de servitude, il encourrait la nullité. Pour essayer de sauver le droit réel, le pourvoi prétendait qu’il ne s’agissait pas d’une servitude mais d’un droit réel de jouissance spéciale. Mais la Cour refuse de reconnaitre qu’il s’agit d’un droit de jouissance spéciale et affirme que c’est une servitude, qui encourt nécessairement la nullité (3e Civ., 1re 6 juin 2019). 

La solution est très largement partagée par la doctrine mais des divergences subsistent quant à l’étendue de la marge de manœuvre qu’il faut laisser aux parties. 

 

SECTION II : Les limites

Une fois les principes admis, il reste à savoir quelle est exactement la marge de manœuvre des parties. Il est bien évident que plus les limites seront importantes moins les marges de manœuvre le seront. S’il y a moins de limites, la volonté pourra s’exprimer librement. 

            §. 1. L’exposé des limites

Dans les arrêts rendus, la Cour ne pose qu’une seule limite au pouvoir de la volonté de créer des nouveaux droits réels qui réside dans l’ordre public. En réalité, il y a deux limites dont la première d’entre elles tient au fait que le droit réel créé par les parties doit forcément être un droit réel nouveau. Si le droit réel créé ressemble à un droit réel nommé par le droit, il faudra, à peine de nullité, le revêtir de la qualification légale. Comment mesurer le degré de nouveauté d’un droit réel par rapport à ceux qui existent ? 

Positivement, pour savoir si un droit réel est véritablement nouveau, il faut s’attacher à son contenu. L’examen du contenu du droit va consister à s’interroger sur les prérogatives que le droit réel confère à son titulaire et qui doivent être originales.  Négativement, il ne faut pas, pour qu’un droit réel soit nouveau, que l’on soit simplement en présence d’un aménagement du régime juridique d’un droit réel nommé. Les droits réels nommés par le législateur sont soumis à des règles qui sont parfois impératives ou supplétives de volonté. 

Si la règle aménagée par les parties est impérative, cela signifie que les parties en contractant ont méconnu l’ordre public. Le droit réel qu’elles instituent encourt nécessairement la nullité. Si elles aménagent une règle supplétive, alors on est simplement en présence du droit réel nommé avec un aménagement de régime accepté par le législateur. Il n’y a pas véritablement de degré de nouveauté. En définitive, pour savoir si un droit réel institué par les parties est nouveau, il faut s’intéresser à son contenu et non à son régime juridique. 

En outre, selon la Cour de cassation, le pouvoir de la volonté des parties de créer le nouveau droit réel s’arrête également aux frontières de l’ordre public général que l’on retrouve classiquement en droit des contrats (le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but). Par exemple, on ne peut pas créer un droit réel de jouissance spéciale afin de contourner le statut des baux commerciaux, ce statut étant impératif. 

Mais il existe aussi un ordre public des biens qui est beaucoup moins bien défini que l’ordre public classique. Cet ordre public des biens se manifeste doublement. La première manifestation s’observe sur la notion de servitude. Par exemple, et pour des raisons historiques, la servitude se définit impérativement comme une charge imposée à un fonds au profit d’un autre fonds. A contrario, il ne peut pas y avoir de servitude entre un meuble et un immeuble ou entre deux meubles ou à la charge et/ou au profit d’une personne. Par conséquent, si le droit réel nouveau s’analyse en une telle servitude interdite, il encourt nécessairement la nullité pour contrariété à l’ordre public des biens. 

L’autre exemple tient à la protection de la propriété individuelle. En effet, il existe une sorte de règle mathématique suivant laquelle l’étendue matérielle d’un droit réel sur la chose d’autrui est toujours inversement proportionnelle à sa durée. Autrement dit, plus le droit réel confère de prérogatives à son titulaire, moins il peut durer et inversement. Pourquoi ? 

Lorsque le droit réel absorbe beaucoup d’utilités de la chose grevée, il retire ces utilités au propriétaire. Or, s’il dure longtemps, le droit de propriété serait une coquille vide. Au contraire, lorsque le droit réel confère certaines utilités mais en laisse beaucoup d’autres au propriétaire, il peut durer beaucoup plus longtemps parce que la propriété a toujours une certaine consistance. Par exemple, le droit d’usufruit est celui qui confère toute la jouissance de la chose à l’usufruitier. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de la jouissance de sa chose. Pour cela, le droit d’usufruit est un droit réel temporaire qui a vocation à s’éteindre à plus ou moins brève échéance. 

Mais les servitudes ne confèrent à leur titulaire que l’une des utilités de la chose. Autrement dit, le droit de propriété continue de s’exercer. Ainsi, les servitudes ont vocation à la perpétuité car elles ne vident pas la propriété de sa substance. Lorsqu’une servitude absorbe toute l’utilité d’une chose, elle devient incompatible avec la perpétuité et encourt donc la nullité. Par conséquent, on ne pourrait pas créer de droit réel de jouissance spéciale à perpétuité. 

            §2. L’appréciation du droit positif

3e Civ., 31 octobre 2012, Maison de poésie : il s’agissait d’un droit de jouissance d’un immeuble conféré à une association pour la durée de cette association. Ce droit réel constitue-t-il un usufruit auquel cas limité à 30 ans ou un droit réel de jouissance spéciale ? La Cour décide que, pour éviter d’appliquer le délai trentenaire de l’usufruit qui est d’ordre public, on qualifie le droit de droit réel de jouissance spéciale. En substance, la Cour nous dit que les parties peuvent créer des droits réels en respectant l’ordre public mais en créant ce droit réel elles peuvent contourner l’ordre public. En s’attachant au contenu du droit, on s’aperçoit qu’il s’agissait d’un droit de jouissance, fondamentalement un droit d’usufruit qui ne respecterait pas le délai impératif.  La Cour de cassation permet aux parties de contourner l’ordre public en jouant sur la qualification de droit réel de jouissance spéciale qui n’est rien d’autre qu’un droit d’usufruit. Le raisonnement de la Cour est erroné.  

3e Civ., 28 janvier 2015, ERDF : l’analyse du contenu du droit réel conféré permet de mettre en évidence un droit d’usage. Or, le droit d’usage est presque un droit d’usufruit et est soumis au régime de l’usufruit et notamment au délai trentenaire lorsque le titulaire est une personne morale. Encore une fois, au lieu d’affirmer que c’est un droit d’usage qui méconnait l’ordre public et encourt la nullité, la Cour accepte la qualification de droit réel de jouissance spéciale. 

3e Civ., 6 juin 2019 : la question était de savoir s’il s’agissait d’une servitude ou d’un droit de jouissance spéciale. En l’espèce, il s’agissait d’une servitude qui absorbait toute la jouissance de la chose (le propriétaire du fonds servant était privé de toute jouissance). De ce fait, elle encourait la nullité pour méconnaissance des règles de l’ordre public. Ici, la Cour refuse la qualification de droit réel de jouissance spéciale. 
 

CHAPITRE III : LA DISPOSITION 

 

Disposer, c’est affecter, porter atteinte de façon durable voire de façon définitive à quelque chose. Il existe deux formes de dispositions suivant l’objet de celles-ci. En droit, on peut disposer soit de la chose, soit du droit. La disposition de la chose est habituellement appelée abusus matériel. Cet abusus matériel, qui consiste à pouvoir modifier, transformer et même détruire une chose, est la principale caractéristique du droit de propriété. Cette prérogative n’appartient qu’au propriétaire.

Outre la chose, il est également possible de disposer du droit (abusus juridique). La disposition du droit consiste à aliéner ou à démembrer le droit dont on est titulaire. Cet abusus juridique concerne tous les droits, qu’ils soient personnels ou réels. Il prend toujours la forme d’une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droits. Il s’agit toujours d’un acte juridique, qui présente la particularité d’être un acte de disposition, par opposition aux actes de conservation et d’administration.

L’abusus juridique est régi à l’art.537 c.civ aux termes duquel « les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent sous les modifications établies par les lois». Ce texte appelle 3 observations. 

D’abord, il vise les particuliers c’est-à-dire toute personne physique ou morale qui relève du droit privé. A contrario, le texte ne vise pas les personnes morales de droit public, régies spécifiquement par le CGPPP. Ensuite, il vise les biens. Or, les biens sont des droits. Par conséquent, le principe posé par le texte vaut tout autant pour les droits réels que pour les droits personnels. Pour preuve, le droit personnel peut faire l’objet d’une cession (cessions de créance). Enfin, le texte pose un principe de liberté.  Par conséquent, la disposition des droits relève de la liberté individuelle sauf exceptions prévues par la loi. 

La disposition peut prendre plusieurs formes. D’abord, la disposition peut consister en l’aliénation de ce droit, i.e. sa cession à un autre. Ensuite, elle peut consister en la création d’un droit réel au profit d’autrui. Ce droit réel ainsi créé peut indistinctement être principal (démembrement de la propriété) ou accessoire (affectation d’un bien en garantie). Enfin, la disposition peut résider dans la renonciation du droit. 

 

SECTION I : La disposition au bénéfice d’autrui 

Disposer d’un droit au bénéfice d’autrui consiste à conférer à une autre personne les utilités et les avantages que l’on peut retirer d’une chose au moyen d’un acte juridique. Cette disposition peut prendre 2 formes différentes. 

La disposition peut consister à transférer un droit qui se trouve initialement dans le patrimoine du disposant et qui se retrouve in fine dans le patrimoine du bénéficiaire. Par exemple dans la vente, le vendeur transfère son droit de propriété à l’acquéreur de sorte que le bien se retrouve dans le patrimoine de celui-ci. 

Mais la disposition peut également consister à créer un droit. Dans ce cas, le disposant est initialement titulaire d’un droit qui lui permet de créer un autre droit dans le patrimoine du bénéficiaire. En ce cas, le disposant conserve son droit de propriété tout en reconnaissant au bénéficiaire un droit relatif à la chose. Par exemple, le propriétaire qui grève sa chose d’un droit d’usufruit. Le propriétaire disposant reste propriétaire mais le bénéficiaire devient titulaire d’un droit d’usufruit. Dans ce cas, le droit du bénéficiaire n’est pas transmis mais nait dans son patrimoine sans pour autant être une acquisition originaire au même titre que l’usucapion. 

Il ne saurait y avoir de disposition lorsque le droit réel ne trouve pas sa source dans un acte juridique. Par conséquent, les droits réels qui naissent sur autorité de la loi ou sur ordre du juge ainsi que les droits réels transmis, non pas par un acte juridique, mais par un fait juridique sont hors de propos. La transmission successorale résulte d’un fait juridique qui est le décès et ne peut s’analyser en une disposition.  

 

            §1. Le principe de libre disposition 

Il ressort de l’art.537 c.civ que la libre disposition des biens constitue le principe. Ce principe peut s’appuyer sur deux arguments historiques et sur deux autres grands principes tirés du droit positif. 

S’agissant des arguments historiques, le Code civil a voulu abolir le système de la propriété féodale. Or, dans ce système, le titulaire du droit éminent pouvait exercer un contrôle sur la cession du domaine utile. Le titulaire du domaine utile n’avait pas la libre disposition de son droit car il ne pouvait en disposer que sous le contrôle d’une autre personne. Par ailleurs, le Code civil de 1804 a consolidé l’abolition des biens de mainmorte, biens affectés durablement à une certaine communauté. Puisqu’ils profitaient à la communauté, ils étaient en principe incessibles. C’était notamment le cas pour tous les biens du clergé. 

Les grands principes en droit positif qui permettent la mise en œuvre de la libre disposition sont le principe de la liberté contractuelle et le principe de la liberté testamentaire.  

Le principe de libre disposition se décompose en 3 règles principales.  D’abord, il permet de choisir de disposer ou de ne pas disposer. Ensuite, il permet de choisir la personne au profit de qui on souhaite disposer choisir le bénéficiaire de la disposition. Enfin, le principe permet de choisir les modalités de l’acte juridique par lequel s’opère la disposition les caractéristiques de l’acte de la disposition. La mise ne oeuvre du principe repose ne effet tohujours sur un acte de volonté, sur des actes juridiques. Il n’y a donc pas libre disposition lorsque les droits réels sont créés par la seule autorité de la loi, ou alors par un fait juridique. Sans acte de volonté, il n’y a pas de libre disposition.

 

L’acte de idposition s’oppoose toujours à ceux conservatoire et d’administration. 

                        A. Les caractéristiques des actes de disposition

L’acte de disposition peut varier selon la nature et selon qu’il intervient entre vifs (inter vivos) ou à cause de mort (mortis causa). La disposition entre vifs prend presque toujours la forme d’un contrat qui peut être indistinctement un contrat translatif (vente, donation, apport en société,) ou constitutif (usufruit, création d’une servitude) d’un droit réel. À l’opposé la disposition à cause de mort prend toujours la forme d’un legs testamentaire, acte jurididuqe unilatéral. Fondamentalement, le contrat est doté de la force obligatoire tandis que le legs est toujours librement révocable jusqu’au décès de la personne. 

 

L’acte de disposition peut varier en fonction de son objet. Lorsqu’elle porte sur un objet particulier ou sur un droit réel défini, le bénéficiaire de ce droit est un ayant cause à titre particulier. Or cet ayant cause ne reçoit que le droit réel attribué et jamais de plein droit les obligations personnelles de son auteur. Cette disposition à titre particulier peut indistinctement intervenir entre vifs ou à cause de mort. À l’opposé, lorsque la disposition porte sur une universalité, le bénéficiaire est une ayant-cause universel (toute l’universalité) ou à titre universel (une quote-part de l’universalité). Puisqu’il s’agit d’une universalité de droit, le bénéficiaire reçoit les droits et les dettes du disposant. Sauf une exception en droit des sociétés, la transmission universelle ou à titre universel ne peuvent intervenir qu’à cause de mort. 

Parfois, l’acte de disposition porte sur un bien isolé. Dans ce cas, on parle de disposoiton à titre particulier, dans lequel le bénéficiaire ne reçoit qu’un bien ou un droit isolé, sans recevoir de passif qui reste personnel au disposant. 

La disposition peut aussi porter sur une universalité de droit (uniquement lorsque la disposition est à cause de mort, car on ne peut disposer de tout ou partie de son patrimoine), on parle de disposition universelle, lorsqu’elle porte sur toute l’universalité, ou de disposition à titre universelle, lorsqu’elle porte sur une quote-part de l’universalité. Dans ce cas, le bénéficiaire reçoit à la fois les biens, et à la fois le passif. Dans celle à titre particulier, il n’y a que de l’actif. 

Modalité 

L’acte peut être à titre onéreux (donc unilatéral ou sinalagmatique) ou à titre gratuit.

Effets de l’acte

Certains actes au profit d’autrui vont avoir pour effet de transmettre un droit réel. Dans ces actes, le droit réel va prééxister à l’acte et va passer d’un patrimoine à un autre patrimoine. 

L’autre possibilité est que l’acte va créer un droit réel, ce sont les actes constitutifs de droit réel. Dans ce cas, le droit réel ne prééxiste pas à l’acte. La particularité de ce dernier est que le droit réel qui va être créé par l’acte jruidique va prendre directement naissance dans le patrimoine du bénéficiaire. 

                        B.  Le régime de l’acte de disposition 

Le régime juridique des actes de disposition consiste à s’interroger sur le droit à acquérir par le bénéficiaire de la disposition. Ce droit peut être appréhendé d’un triple point de vue : l’étendue du droit conféré au bénéficiaire, le moment de l’acquisition du droit et l’opposabilité du droit au tiers. 

 

                                    1) L’étendue du droit conféré au bénéficiaire 

Quel que soit l’acte de disposition (translatif ou constitutif de droit réel) le bénéficiaire tient son droit de celui qui le lui a conféré (acquisition dérivée, il tient son droit d’une autre personne). En tout état de cause, avec l’acte de disposition, entre l’auteur de la disposition et son bénéficiaire s’établit un rapport d’auteur à ayant cause. Selon les cas on aura affaire à un ayant cause à titre particulier, universel, ou à titre universel. Or, l’ayant-cause ne peut jamais avoir plus de droits que n’en avait son auteur lui-même. Autrement dit, l’auteur ne peut pas conférer plus de droits qu’il n’en a (nemo plus iuris, nul ne peut donner ce qu’il n’a pas). Concrètement, les droits du bénéficiaire sont forcément limités par ceux qu’avait le disposant. Tous les vices et limites que l’auteur avait, sont tramsis.

                                    2) Le moment de l’acquisition du droit 

Pour déterminer le moment de l’acquisition du droit, il faut distinguer suivant que l’acquisition a lieu entre vifs ou à cause de mort. 

Entre vifs, l’acte prenant la forme d’un contrat. Or, le contrat produit tous ses effets dès sa conclusion. En principe, le droit que l’acte confère au bénéficiaire va lui échoir immédiatement après la conclusion du contrat. C’est le principe de transfert immédait de propriété. Par exception, dans certains cas, le bénéficiaire n’acquiert son droit que plus tard après la conclusion du contrat. D’abord, l’acquisition du droit par son bénéficiaire peut être retardée par ordre de la loi. De plus, l’acquisition peut être retardée par la nature des choses. Il en va ainsi lorsque l’acte de disposition porte sur une chose future (tant qu’elle est future, soit parce qu’elle n’existe pas ou n’appartient pas encore au disposant, le disposant ne peut pas conférer ce droit réel au bénéficiaire) ou une chose fongible dont la quantité n’est pas encore individualisée. Enfin, la volonté des parties peut retarder l’acquisition du droit par le bénéficiaire par le jeu d’un terme suspensif de sorte que les effets du contrat dépendent de la réalisation d’un évènement futur et certain. 

Lorsque la disposition est retardée à cause de mort, le bénéficiaire d’un legs n’obtient son droit que lorsque les héritiers procèdent à la délivrance du legs. Or il peut s’écouler un certain temps entre la date du décès du disposant et la date de délivrance par les héritiers. En tout état de cause, comme le bénéficiaire tient son droit du défunt et non des héritiers, l’acquisition du droit par le légataire au jour de la délivrance du legs par les héritiers agit rétroactivement à la date du décès du disposant. 

                                    3) L’opposabilité du droit aux tiers 

L’opposabilité du droit aux tiers se pose en cas d’acquisition par des personnes différentes (pluralité d’ayants cause) d’un droit réel concurrent de la part du même auteur. C’est l’hypothèse d’une personne qui cède son bien à une personne puis la cède à une autre ou bien constitue un droit réel sur le bien qu’il a cédé à quelqu’un. Les modalités de cette opposabilité varient selon que l’on se trouve en matière immobilière, en matière de meubles corporels, ou en matière de meubles incorporels. 

                                                a) En matière immobilière 

Pour déterminer l’opposabilité en matière immobilière, il faudrait a priori raisonner par rapport à la date respective des actes (nemo plus iuris). Suivant cette logique, l’acte le plus ancien devrait l’emporter sur les autres. Mais, en réalité, seule compte la date à laquelle le droit acquis par l’ayant-cause est devenu opposable aux tiers. Or, l’opposabilité des droits réels immobiliers n’existe pas de plein droit et suppose une publicité au fichier immobilier. Par conséquent, c’est le premier ayant-cause qui publie son droit au fichier immobilier  qui devra l’emporter sur l’autre. Mais cette règle souffre un aménagement dans le cas particulier où le second bénéficiaire en date qui publie en premier a acquis de mauvaise foi. Dans ce cas, la mauvaise foi lui interdit de bénéficier des règles de la publicité foncière (art.1198, al. 2 c.civ qui intéresse le conflit entre acquéreurs successifs). 

                                                b) En matière de meubles corporels 

À nouveau, le raisonnement nemo plus juris doit être écarté car ce qui compte c’est la possession. On peut faire jouer l’art.2276 c.civ si bien que le premier ayant-cause à entrer en possession de bonne foi l’emportera sur l’autre. Si le second ayant-cause entre en possession de mauvaise foi, il ne pourra plus bénéficier du jeu de l’art.2276. 

                                                c) En matière de meubles incorporels 

Il n’existe pas de réponse générale puisque le régime des choses incorporelles est établi au cas par cas par le législateur. Dans certains cas, il faut se référer à une mesure de publicité (fonds de commerce) et dans d’autres cas, il faut se référer à la notification faite à la société (parts sociales) et, dans d’autres cas on revient à la logique primaire nemo plus juris. 

 

            §2. Les limites au principe de libre disposition

Comme tout autre, le principe de libre disposition est assorti de limites. Toutes ces limites sont très variables et différentes les unes des autres. D’abord, certaines limites sont subies par le titulaire du droit réel tandis que d’autres sont librement consenties par lui. Par ailleurs, certaines limites portent une atteinte très profonde au principe tandis que d’autres sont légères. Enfin, ces limitent se justifient tantôt par des considérations d’intérêt général tantôt par des considérations d’intérêt individuel. 

Mais toutes ces limites concernent les trois dimensions du principe de libre disposition : la liberté de disposer ou de ne pas disposer, la liberté de choisir le bénéficiaire de la disposition et la liberté de choisir les modalités de la disposition. 

                        A. Les limites à la liberté de disposer ou de ne pas disposer

Par définition, dans ces limites, le titulaire d’un droit réel perd sa liberté de disposer. Cela recouvre deux hypothèses différentes. Dans certains cas, le titulaire du droit réel sera obligé de disposer tandis que dans d’autres, il aura l’interdiction de disposer.  

                                    1) La disposition obligatoire ou l’obligation de disposer

La disposition obligatoire recouvre l’hypothèse dans laquelle le titulaire d’un droit réel se retrouve tenu de disposer de ce droit, soit en le transférant, soit en constituant un droit réel au profit d’autrui. Il faut distinguer cette hypothèse d’une autre hypothèse qui est celle dans laquelle le droit réel acquis par une autre personne présente une source légale. En effet, il arrive que la loi crée des droits réels. Par exemple, le conjoint survivant a un droit d’usufruit sur les biens de la succession. Dans ce cas, le tiers acquiert son droit réel non pas en vertu d’un acte juridique mais sur ordre de la loi. Il ne s’agit pas d’une disposition obligatoire mais d’un droit réel de source légale. 

La disposition obligatoire est par principe strictement encadré par l’art.545 c.civ aux termes duquel « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ». Cet article appelle 3 observations. 

D’abord, il ne vise que la cession de la propriété mais il est applicable à toutes formes de disposition de tous les droits réels. En outre, ce texte qui présente une nature légale jouit d’un renforcement au niveau constitutionnel par les art.2 et 17 DDHC et au niveau international par l’art.1er du premier protocole additionnel à la CESDH. Enfin, ce texte subordonne la disposition obligatoire d’un droit réel à la réunion de 3 conditions : une cause d’utilité publique, une indemnisation juste au regard de la valeur du droit réel cédé, une indemnisation préalable à la cession. 

Parfois, cependant, il peut exister des expropriations pour cause d’utilité privée. Ainsi les clauses d’exclusion, contenues dans les status d’une société permettant, pour certaines raison, d’exclure l’un des associés (forcer à céder ses droits sociaux). La précision résidant en ce que ce dernier a préalablement accepté la clause et donc, est réputé avoir accepté de pouvoir devoir céder ses titres.

Ailleurs, on trouve l’article 661 du Cciv traitant les ouvrages séparatifs entre deux fonds. Lorsque l’appartenance est conjointe, c’est une mitoyenneté, ou un droit de mitoyenneté. Lorsque un seul voisin est propriétaire de l’ouvrage, l’autre peut le forcer à lui céder la mitoyenneté : celui qui avait la propriété exclusive, est obligé, pour cause d’utilité privée, à se retrouver dans une propriété partagée.

                                    2) L’interdiction de disposer 

L’interdiction de disposer empêche une personne de pouvoir disposer de son bien. Ces interdictions peuvent être regroupées en 2 catégories :  d’une part, les interdictions partielles et, d’autre part, les interdictions totales. 

                                                a) Les interdictions partielles 

Ici, le titulaire conserve le droit de disposer, mais certains actes lui sont interdit. Ainsi, l’hypothèque de l’hypothèque est illégal. Egalement, il existe certains cas ou l’acte de disposition n’est pas interdit, mais difficilement concevable. Ainsi, l’acte de disposition portant uniquement sur un droit réel accessoire (sûreté) parait déraisonnable. Ca n’a aucune utilité que de céder une servitude sans le fonds, ou le gage sans la créance. Enfin, la nature de certains droits s’oppose à certaines actes de disposoition. Ainsi, il n’est pas possible de constituer une servitude sur un meuble, la servitude et l’hypothèque ne pouvant porter que sur des immeubles. A l’inverse, un gage ne peut être constitué, que sur des meubles.

                                                b) Les interdictions totales 

On est dans des hypothèses où le titulaire du droit réel ne pourra absolument pas disposer de son droit car le bien en question est soumis à une inaliénabilité qui, le plus souvent, porte sur la propriété mais rien n’interdit de la faire porter sur un autre droit réel.  

                                                            i. La source de l’inaliénabilité

                                                                        *) La source légale

Le législateur interdit parfois au titulaire de droit réel d’en disposer. Le plus connu étant l’inaliénabilité du domaine public, un autre étant le droit d’usage et d’habitation, incessible puisque intitu personae.

                                                                        **) La source judiciaire (jugement)

Ce pouvoir judiciaire de paralyser la libre disposition est strictement encadré. Le juge doit disposer d’une autorisation législative et, d’autre part, limiter cette inaliénabilité d’une durée. On trouve cette hypothèque, par exemple en droit des procédures collectives, lorsque le tribunal adopte une plan de cession d’entreprise, il peut interdit le cessionnaire de disposer de certains de ses biens.

                                                                        ***) La source extrajudiciaire

Lorsque sa source réside dans un acte produit par un commissaire de justice (huissier), elle est extrajudiciaire. Il existe ainsi l’acte de saisie des biens du débiteur au profit de son créancier. La saisie emporte nécessairement l’indisponibilité, donc inaliénabilité, du bien saisi pour le débiteur, lequel sera tenu de conserver le bien dans l’intérêt du créancier saisissant. 

                                                                        ****) La source conventionnelle

Conventionnellement, deux parties peuvent s’entendre sur une clause d’inaliénabilité. En 1804, le CCiv ne comportait aucun texte relatif à celles-ci. Au départ, la Ccass les considérait illicite puisque contredisant le principe de libre disposition et risquant de faire revivre les biens de mainmorte abolis sous la révolution. Dans la seconde moitié du XIXe, elle les autorisa si celles-ci, étaient justifiée par un intérêt sérieux et légitime, mais également, étaient enfermées dans une certaine durée conditions reprises par le législateur en 1971 (900-1 Ccvi et s.). En pratique, le domaine de ces clauses se concentre dans les actes à titres gratuit. Elles ne sont pas pour autant interdites dans les actes à titre onéreux, mais peu utilisées. Elles jouent un rôle important dans les opérations de crédit ou elles servent de garantie : le débiteur s’engage à ne pas disposer de tel bien, tant qu’il n’aura pas remboursé le crédit. Le créancier sera assuré qu’il ne sortira pas de son droit de gage général, en cas d’impayé. Enfin, on les retrouve en droit des société pour fidéliser l’actionnariat des sociétés. Cette clause peut être contournée, la partie saisissant le juge doit, 

  • justifier que l’intérêt légitime ayant justifié la clause a disparu

  • démontrer qu’un intérêt supérieur à celui initialement utilisé, est né.

Cette autorisation vient lever l’effet de la clause d’inaliénabilité. Pour la Cour de cassation, ce droit de demander l’autorisation d’aliéner est un droit propre à la personne assujettie à la clause. Il en résulte que les créanciers de la personne ne peuvent pas l’exercer au nom et pour le compte du débiteur.  

                                                            ii. La portée de l’inaliénabilité 

Stricto sensu, l’inaliénabilité interdit toute forme de cession du bien entre vifs et ce faisant on vise non pas seulement la vente mais aussi tous les contrats translatifs du droit réel (vente, donation, apport en société). Mais l’inaliénabilité ne s’oppose pas aux transmissions à cause mort et en particulier aux transmissions testamentaires. 

Au-delà de la cession, la clause d’inaliénabilité interdit également la constitution de droits réels au profit d’autrui. Par exemple, si la propriété d’une chose est inaliénable, le propriétaire ne peut pas constituer une servitude ou un usufruit au bénéfice d’autrui. Si une personne est usufruitière, l’inaliénabilité lui interdit de constituer une hypothèque sur son usufruit. Sont également concernés par la clause, les actes qui s’apparentent à des actes de disposition. Ces actes dans leur nature ne sont pas actes de disposition mais compte tenu de leur régime seront assimilés aux actes de disposition. Par exemple, on peut citer les baux de longue durée (baux ruraux, baux commerciaux). 

À l’égard des tiers et précisément des créanciers de la personne assujettie, la Cour de cassation considère, de longue date, que l’inaliénabilité a pour conséquence l’insaisissabilité du bien par les créanciers de la personne assujettie à la clause au motif que les créanciers ne peuvent pas avoir plus de droits que leurs débiteurs. Si le débiteur ne peut pas disposer de son bien, ses créanciers ne peuvent pas le saisir au titre de leur droit de gage général. 

Lorsque l’inaliénabilité est conventionnelle, certains auteurs remarquent qu’en privant le créancier du droit de saisir le bien revient à faire produire effet à la clause d’inaliénabilité vis-à-vis de ce créancier qui est tiers à la stipulation. En d’autres termes, l’effet relatif du contrat s’en trouverait violé. La Cour de cassation n’a pas cédé à cette critique. Si l’inaliénabilité emporte insaisissabilité, la réciproque n’est pas vraie car un bien insaisissable demeure parfaitement aliénable par son titulaire.  

 

                                                            iii. La sanction de l’inaliénabilité

En cas de conclusion d’un acte de disposition par une personne assujettie à l’inaliénabilité avec un tiers en violation de la clause d’inaliénabilité, les sanctions applicables sont variables selon la source de l’inaliénabilité. 

D’abord, lorsque l’inaliénabilité présente une source légale ou judiciaire, la sanction de la violation de l’inaliénabilité réside toujours dans la nullité de l’acte conclu avec le tiers. La raison profonde est que même si la nullité porte atteinte à la sécurité juridique du tiers, le droit acquis par celui-ci ne constitue jamais un droit légitime qui mériterait protection. En effet, lorsque l’inaliénabilité est légale ou judiciaire, le tiers ne peut jamais l’ignorer de sorte qu’il est toujours de mauvaise foi. Le tiers est toujours de mauvaise foi car nul n’est censé ignorer la loi. Par ailleurs, les jugements prononçant une inaliénabilité font l’objet d’une publicité les rendant opposables à tous. Par conséquent, on peut anéantir le droit que le tiers a acquis par l’acte de disposition passé en méconnaissance de l’inaliénabilité de source légale ou judiciaire. 

Ensuite, lorsque l’inaliénabilité présente une source extrajudiciaire (actes de saisie), la sanction prévue par loi réside dans l’inopposabilité de l’acte au créancier saisissant. Concrètement, l’acte est parfaitement valable et est censé produire ses effets mais uniquement à l’égard du créancier, on fait comme si l’acte n’existait. Pour le créancier, le bien est toujours dans le patrimoine du débiteur et par suite peut toujours constituer l’assiette de son droit de gage général. Néanmoins, cette solution de principe est susceptible d’être infléchie dans deux hypothèses. Si le bien saisi est un immeuble, sous réserve de la mauvaise foi, il faut comparer les dates de publicité de l’acte de saisie et de l’acte d’acquisition du tiers. En effet, si l’acte d’acquisition est publié avant l’acte de saisie et que le tiers est de bonne foi, il devra l’emporter. Lorsque le bien est un meuble corporel et que le tiers entre en possession de bonne foi, il peut faire jouer l’art.2276 c.civ et l’emporter face au créancier saisissant. 

Enfin, s’agissant de l’inaliénabilité de source conventionnelle, la sanction varie suivant que le tiers a acquis son droit de bonne ou de mauvaise foi. Lorsque le tiers est de bonne foi, le droit qu’il a acquis est légitime et mérite protection. Par voie de conséquence, aucune sanction ne peut être dirigée contre ce tiers. En d’autres termes, le droit légitime du tiers constitue une impossibilité juridique de faire exécuter en nature le premier contrat.  S’agissant de la personne assujettie, la première sanction possible à son encontre réside dans la responsabilité contractuelle.  Si le débiteur de la clause a violé celle-ci, il peut engager sa responsabilité civile contractuelle à l’égard du créancier. La deuxième sanction peut résider dans la résolution du contrat.  À partir du moment où le débiteur n’a pas exécuté correctement le contrat, le créancier peut également demander la résolution du contrat, donc son anéantissement rétroactif qui ne peut avoir aucun impact sur la situation du tiers de bonne foi. 

Mais lorsque le tiers acquiert son droit en étant de mauvaise foi (notamment lorsque la clause est publiée au fichier immobilier), son droit cesse d’être légitime et il ne mérite plus de protection. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère que la sanction normale réside dans la nullité du contrat conclu avec le tiers mais en réalité il existe d’autres sanctions inférieures à la nullité. La deuxième sanction réside dans la responsabilité civile du tiers. En l’occurrence, le créancier de la clause, au lieu de demander la nullité de l’acte, pourrait préférer percevoir des dommages-intérêts. Il pourra bénéficier de deux actions distinctes. D’abord, il pourra engager la responsabilité contractuelle du débiteur et le tiers de mauvaise foi qui s’est rendu complice de la violation de la clause engage à ce titre sa responsabilité extracontractuelle. La troisième sanction réside dans la résolution du contrat contenant la clause pour inexécution. Eu égard à l’effet rétroactif de la résolution qui consiste en le retour du bien inaliénable dans le patrimoine du créancier, il aura des répercussions sur le contrat conclu avec le tiers qui encourt également la nullité. Cette règle prend la forme de l’adage latin resoluto iure dantis resolvitur ius accipientis (le droit du donateur étant résolu, le droit du donataire est résolu)

 

                        B. Les limites à la liberté de choisir le bénéficiaire 

Le principe de libre disposition permet au titulaire d’un droit de réel de choisir la personne envers laquelle il entend disposer. Mais parfois, ce choix n’est plus totalement libre puisque le bénéficiaire sera soit interdit soit imposé au disposant. 

                                    1) Le bénéficiaire interdit 

Ce sont les hypothèses où l’acte de disposition peut sans doute être passé par le titulaire du droit réel mais il ne le peut pas vis-à-vis de certaines personnes. Cette situation peut résulter de la loi ou du contrat. D’abord, il arrive que, dans certains cas, la loi puisse interdire à une personne de disposer vis-à-vis de certaines autres personnes. Ce sont des incapacités de jouissance spéciale qui empêchent précisément de pouvoir conclure certains actes avec certaines personnes. Par exemple, les personnes des établissements psychiatriques ne peuvent pas recevoir des biens de leurs pensionnaires. En outre, il existe des droits réels réservés à certaines personnes, ce qui exclut d’autres personnes. Par exemple, il n’est possible de constituer un droit d’usage et d’habitation qu’au profit d’une personne physique à l’exclusion des personnes morales. À l’occasion d’un contrat, il peut arriver que l’une des parties s’interdise de disposer avec une tierce personne. Logiquement, le débiteur de l’obligation a interdiction de disposer avec cette personne visée dans la clause. Par exemple, dans la jurisprudence, on trouve la trace d’un contrat de travail qui contenait une clause par laquelle la femme de ménage à domicile s’interdisait d’acquérir les biens de clients de la société. 

                                    2) Le bénéficiaire imposé 

C’est l’hypothèse dans laquelle une personne qui désire disposer de son bien est contrainte de le faire envers un bénéficiaire déterminé. Ce cas de figure peut se rencontrer soit sur ordre de la loi soit en raison d’un contrat. 

À l’occasion de certaines opérations, le législateur impose au disposant un candidat bénéficiaire par le mécanisme du droit de préemption. Le titulaire du droit de préemption peut passer l’acte au lieu et place du bénéficiaire choisi par le disposant. Le droit de préemption peut résulter de questions d’intérêt général ou de questions d’intérêts individuels. Par exemple, les communes ont un droit de préemption à l’occasion de la vente de locaux commerciaux localisés dans leur centre-ville. Le but de l’opération est de maintenir le commerce de proximité. En outre, le locataire d’habitation bénéficie d’un droit de préemption sur le local qu’il occupe. Si le bailleur veut vendre le local, il devra préalablement en faire l’offre au locataire. 

Dans certains cas, le contrat lui-même peut imposer un bénéficiaire au disposant. Il s’agit du pacte de préférence. Lorsqu’une personne s’engage dans un pacte de préférence, elle choisit d’ores et déjà le bénéficiaire au cas où elle déciderait de contracter. 

                        C. Les limites au libre choix des modalités de l’acte 

L’acte de disposition peut varier dans sa nature (parfois soit un contrat ou soit un legs) mais également dans son contenu (disposition à titre particulier, universel ou à titre universel, à titre gratuit ou à titre onéreux, inter vivos ou mortis causa). Le disposant est en mesure de choisir les modalités de son acte mais cette liberté de choix peut souffrir 3 exceptions. 

D’abord, les actes à titre gratuit (donation et legs) sont limités par l’ordre public successoral qui commande que certains héritiers (descendants) bénéficient d’une réserve héréditaire i.e. une fraction de la succession qui doit obligatoirement leur revenir. Or, lorsque le disposant a trop largement disposé à titre gratuit et qu’il a porté atteinte à la réserve héréditaire, on applique un mécanisme correctif que l’on appelle la réduction des libéralités. 

Ensuite, s’agissant des actes de disposition à titre universel ou même universel, ils ne peuvent être concédés qu’à cause de mort parce que la théorie du patrimoine s’oppose à ce qu’ils puissent intervenir entre vifs. Le patrimoine étant un et indivisible, on ne peut pas céder de son vivant une quotepart de son patrimoine. 

Enfin le disposant peut être limité dans sa disposition à cause de mort. Certains droits réels présentent la caractéristique d’être viagers. Le droit viager est un droit qui s’éteint avec le décès. Par conséquent, il est impossible de disposer d’un usufruit à cause de mort. 

SECTION II : La disposition sans bénéficiaire 

Disposer de son droit réel sans bénéficiaire consiste à abdiquer son droit réel (abandon du droit réel). Lorsque l’abandon porte sur des immeubles, on parle parfois de déguerpissement. Il peut arriver que l’abandon du droit réel profite à une autre personne. Lorsque l’auteur de l’abandon était titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui, le fait d’abandonner son droit réel va mécaniquement profiter au propriétaire de la chose, lequel retrouve toutes les utilités de sa chose. Mais l’abandon n’est pas fait dans l’intérêt du propriétaire. Ce n’est qu’un effet collatéral de l’abandon du droit réel si celui-ci profite à une autre personne. Il en va ainsi lorsque le disposant était titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui.

            §1. La mise en œuvre de l’abandon 

                        A. La nature juridique de l’abandon 

La nature juridique de l’abandon peut être précisée à un triple point de vue. D’abord, l’abandon constitue toujours un acte juridique. Autrement dit, il s’agit d’une manifestation de volonté ayant pour effet la perte du droit réel abandonné. À ce titre, il ne faut pas confondre l’abandon d’un droit réel avec les hypothèses dans lesquelles un droit réel est perdu de façon involontaire. Par exemple, lorsque la chose est perdue, le droit réel l’est aussi. Autre exemple, lorsque le droit réel fait l’objet d’une prescription acquisitive par une personne, il est réciproquement perdu par une autre personne. Encore une fois, la perte est involontaire et ne peut donc être un acte juridique. 

Ensuite, l’abandon est un acte juridique unilatéral, i.e. que l’auteur de l’abandon décide seul de perdre son droit réel et il n’a besoin de l’accord de personne d’autre. En particulier, lorsqu’il s’agit d’un droit réel sur la chose d’autrui, l’auteur de l’abandon n’a pas besoin de l’accord du propriétaire. Les droits réels obéissent à un régime différent des droits personnels. En matière de droits personnels, lorsque le créancier veut abandonner son droit, il doit faire une remise de dette qui est un contrat conclu avec son débiteur. Il est possible de renoncer seul à son droit réel mais pas seul à son droit personnel. 

Enfin, l’abandon constitue un acte juridique abdicatif qui a pour objet la renonciation à un droit. Or, en droit français, la renonciation suppose que l’acte remplisse deux conditions. En premier lieu, la renonciation doit d’abord être expresse. L’abdication doit résulter d’une déclaration en ce sens qu’elle ne peut se déduire d’un simple comportement. En second lieu, l’action de renonciation doit être univoque à savoir que la volonté abdicative de son auteur ne doit faire aucun doute. 

                        B. La raison d’être de l’abandon
 

Il peut paraitre surprenant que le titulaire d’un droit réel renonce à ce droit puisqu’il perd la valeur de son droit. Les raisons sont multiples mais en général l’auteur de l’abandon cherche à s’affranchir des obligations réelles positives. Les obligations réelles positives sont des obligations qui sont mises sur la tête du titulaire du droit uniquement en sa qualité. Ces obligations ont vocation à suivre le même sort que le droit réel lui-même. Si le droit réel est transmis, ses obligations réelles sont transmises de plein droit. Si le droit est abandonné, les obligations s’éteignent sur la tête de l’auteur. Par exemple, l’obligation de payer les charges de copropriété ou l’obligation d’entretenir la chose notamment en matière de servitude. 

                        C. Les conséquences de l’abandon

La première conséquence de l’abandon est de faire perdre à son auteur son droit réel.  Il en existe d’autres qui dépendent de la nature du droit réel abandonné. Lorsque le droit réel abandonné est un droit de propriété, la chose devient une res derelictae. Au contraire, lorsque le droit réel abandonné est un droit réel sur la chose d’autrui, le propriétaire retrouve toutes les utilités de sa chose. Par exemple, on peut citer la renonciation à l’usufruit qui permet au propriétaire de retrouver la pleine jouissance de la chose, effet collatéral de l’abandon. 

            §2. Les limites à l’abandon

Les limites à l’abandon sont relativement nombreuses mais on en donnera quelques exemples. D’abord, certaines limites tiennent à la nature de la chose sur laquelle porte le droit réel. Certaines choses empêchent l’abandon. Il en va par exemple ainsi des déchets que le code pénal et le code de l’environnement interdisent d’abandonner. Ensuite, il arrive aussi que l’utilité de la chose interdise l’abandon. Par exemple, en présence d’un droit réel de mitoyenneté, lorsque l’ouvrage mitoyen présente une utilité pour la personne, elle ne peut plus abandonner la mitoyenneté. En outre, une limite tient au comportement de l’auteur de l’abandon. L’abandon ne doit pas être un moyen pour la personne de s’affranchir des fautes qu’elle a pu commettre par le passé. Lorsque les fautes ont causé un dommage, la personne ne peut pas prétendre échapper à sa responsabilité en abandonnant son droit réel (par exemple, manque d’entretien d’une servitude). Enfin, il n’est pas possible de procéder à un abandon du droit réel dans le but de frauder les droits des tiers, en particulier les créanciers.

CHAPITRE IV : L’INDIVISION 

 

INTRODUCTION

 

            §1. La présentation générale du mécanisme de l’indivision 

L’indivision se définit comme la situation juridique dans laquelle plusieurs personnes (physiques ou morales) sont simultanément titulaires d’un même droit réel sur une même chose ou un même ensemble de choses. Cette définition appelle six observations : 

De première part, l’indivision constitue une spécificité des droits réels. En effet, en matière de droits personnels, lorsque plusieurs personnes sont créancières ou débitrices d’une même obligation, par principe cette obligation se divise. Concrètement, chaque créancier ne peut obtenir paiement que de sa part et chaque débiteur ne peut être poursuivi que pour réclamer sa part. On parle d’obligations conjointes. Mais lorsque l’obligation cesse d’être conjointe et devient solidaire, chaque créancier peut obtenir paiement de la totalité de l’obligation et chaque débiteur peut être tenu de payer toute l’obligation, à charge pour lui d’introduire un recours contre les autres. En cas de transmission universelle ou à titre universel, l’obligation solidaire continue de se diviser. Si l’un des créanciers a plusieurs héritiers au moment de son décès, l’obligation se divise entre les héritiers. À l’inverse, si l’un des débiteurs décède avec plusieurs héritiers, l’obligation se divise entre les héritiers. Mais il est possible qu’un droit personnel soit indivisible. D’abord, lorsque l’objet de l’obligation est indivisible (livraison d’une voiture) ou ensuite lorsque les parties elles-mêmes ont stipulé une indivision. 

De deuxième part, l’indivision est une notion à la fois très large et très restreinte. Elle est très large car elle est susceptible de s’appliquer à n’importe quel droit réel même si elle concerne la propriété dans les faits (il existe aussi l’usufruit indivis).  Elle est très restreinte parce que pour qu’il existe une indivision, il faut que les indivisaires soient titulaires d’un droit de même nature. Il ne peut exister d’indivision entre un nu-propriétaire et un usufruitier d’une même chose. Il n’est pas non plus d’indivision entre le propriétaire du fonds servant et le propriétaire du fonds dominant ni d’indivision entre les propriétaires voisins d’un ouvrage mitoyen, ni entre le superficiaire et le tréfoncier. 

De troisième part, l’indivision constitue la forme de droit commun de l’appropriation collective des choses. Il existe en droit français des institutions qui permettent à plusieurs personnes d’être cotitulaires d’un même droit réel. Il s’agit notamment de la mitoyenneté, la communauté entre époux ou encore les fonds communs de placement. L’indivision a vocation s’appliquer à chaque fois qu’il n’y a aucune forme spéciale existante. 

De quatrième part, l’indivision n’a pas la personnalité juridique. Concrètement, les droits réels n’appartiennent pas à une personne morale privativement mais appartiennent collectivement à l’ensemble des indivisaires. Deux conséquences en découlent. D’une part, il appartient aux indivisaires de procéder à la gestion des biens indivis. D’autre part, toutes les dettes relatives au bien indivis sont personnelles aux indivisaires. 

De cinquième part, l’indivision présente fondamentalement un caractère collectif parce que plusieurs personnes deviennent cotitulaires d’un même droit réel. Or, ce caractère collectif a une incidence essentielle en ce que les prérogatives de chacun des indivisaires seront nécessairement limitées par la présence des autres indivisaires. La principale illustration de cette idée concerne les actes juridiques collectifs sur les biens indivis. Par principe, les actes juridiques doivent être passés à l’unanimité des indivisaires.  Par voie de conséquence, chaque indivisaire possède un droit de veto (ius prohibendi). 

De sixième part, le caractère collectif de l’indivision n’empêche pas une certaine forme d’individualité. Le droit réel en lui-même appartient collectivement à tous les indivisaires mais chaque indivisaire est titulaire privativement d’une quote-part indivise qui correspond à sa quantité de droits dans l’indivision. 

 

            §2. L’approche historique du mécanisme de l’indivision

À l’époque romaine, l’appropriation des richesses était fondamentalement individuelle. Néanmoins, le droit romain connaissait des formes d’appropriation collective de richesses. Lorsqu’elle était voulue par les personnes, le régime applicable ressemblait à une société mais lorsqu’elle était subie, on était en présence d’une situation pathologique qui avait vocation à disparaitre à court terme. 

Sous l’Ancien droit, il existait beaucoup de formes d’appropriation collective. Par exemple, des biens pouvaient appartenir aux habitants d’un village ou aux membres d’une congrégation. 

Avec la Révolution et le Code de 1804, la propriété individuelle sera sacralisée. En effet, dans le Code de 1804, il n’existe qu’un texte relatif à l’indivision (art.815 c.civ) qui n’aborde l’indivision qu’à travers le droit de chaque indivisaire de demander le partage pour sortir de l’indivision. Le code ne voit dans l’indivision qu’une situation transitoire. 

Mais pendant les XIXe et XXe siècles, la pratique va s’opposer au code civil. On observe dans les faits que les indivisions, notamment successorales, durent très longtemps et peuvent parfois se superposer les unes sur les autres. Dans ce cas, la gestion des biens indivis devient extrêmement compliquée, d’où l’intervention de la loi et de la jurisprudence. 

La première loi est la loi du 31 décembre 1976 qui réalise 4 apports. D’abord, elle crée un corps de règles applicables à l’indivision. Ensuite, elle fait reculer la règle de l’unanimité dans les actes juridiques. En outre, elle permet aux indivisaires d’aménager conventionnellement leur indivision. On distinguera au sein du code l’indivision de droit commun et l’indivision conventionnelle. Enfin, elle permet dans certains cas l’intervention du juge dans la gestion de l’indivision.

La seconde loi est une loi du 23 juin 2006 qui réforme les successions. Elle fait à nouveau reculer la règle de l’unanimité. 

Aujourd’hui, on est face à un bien ou un ensemble de biens de plus en plus doté d’une organisation relativement stable, qui fonctionne souvent à la règle de la majorité et qui est dotée d’un intérêt dépassant l’intérêt individuel de l’indivisaire. Autrement dit, notre droit contemporain de l’indivision place l’indivision entre deux zones dans la mesure où elle présente tous les critères de la personnalité juridique sans toutefois qu’on la lui accorde. 

 

            §3. Les sources du mécanisme de l’indivision

L’indivision peut naitre de la loi. Dans certains cas, la situation d’indivision se crée uniquement sur ordre de la loi. Le premier cas de figure est celui dans lequel plusieurs personnes vont être ayants cause à titre universel d’une autre personne. Dans ce cas, les biens qui appartenaient privativement à l’auteur vont se retrouver en indivision entre les ayants cause à titre universel. Mais les parts de chacun des indivisaires sont susceptibles de varier en fonction du nombre d’indivisaires. Ce schéma se retrouve dans les successions ou dans les liquidations de société. Le second cas de figure est celui dans lequel une forme spéciale d’appropriation collective débouche sur une indivision. Par exemple, lorsque deux époux mariés sous la communauté décident de divorcer, la communauté (forme spéciale d’appropriation collective) devient une indivision (forme de droit commun d’appropriation collective). On parle d’indivision post-communautaire.  

L’indivision peut également être issue d’une convention. La convention peut faire naitre l’indivision (la règle de l’indivision légale s’applique) mais elle peut se superposer à une règle légale pour organiser l’indivision. C’est l’hypothèse dans laquelle plusieurs personnes acquièrent par un même acte un même droit réel (coacquéreurs). La part de chacun dans l’indivision est en principe abandonnée à leur volonté. Elle n’est pas nécessairement proportionnelle à son financement. Il est même possible qu’une personne finance la totalité tandis que l’autre obtient 80% de quote-part (possiblement une donation déguisée sanctionnée par le fisc). 

Néanmoins, il existe un cas dans lequel l’acquisition en commun ne génère pas d’indivision entre les coacquéreurs. C’est celui dans lequel les parties stipulent dans leur contrat une clause d’accroissement ou clause de tontine. La clause d’accroissement est la clause en vertu de laquelle le bien acquis collectivement appartiendra privativement et rétroactivement au dernier des survivants.  Dans ce cas de figure, la Cour de cassation rejette la qualification d’indivision dans le seul but d’éliminer un élément particulier du régime de l’indivision : le droit pour chaque indivisaire de demander le partage de l’indivision à tout moment. 

Puisque l’indivision n’a pas la personnalité juridique, les biens indivis appartiennent à chacun des indivisaires mais les dettes relatives à ces biens sont personnelles aux indivisaires. Il faut donc passer par la personne des indivisaires pour comprendre l’indivision. 

SECTION I : Les droits des indivisaires 

Les indivisaires sont en situation de concurrence sur les biens indivis. Cette situation a pour effet de générer à leur profit deux types de droit. Ils bénéficient de droits qui leur appartiennent privativement et de droits collectifs. 

            § 1. Les droits propres des indivisaires

Les droits propres des indivisaires sont de deux ordres et dépendent à la fois de la structure de l’indivision (quotepart) et de la précarité de l’indivision (droit de demander le partage).  

                        A. Les droits sur la quotepart indivise 

L’indivision est une situation collective où chacun à une quotepart qui lui revient. Or, cette quotepart présente deux caractéristiques. Au niveau de son étendue, la quotepart dépend de la quantité de droits dont dispose le titulaire dans l’indivision. Au niveau de son assiette, elle est impossible à déterminer avant le partage. Concrètement, un indivisaire ne peut pas désigner un bien ou une fraction d’un bien qui lui appartiendrait durant l’indivision, l’assiette de la quotepart étant flottante au stade de l’indivision jusqu’au partage.  

Parce que la quotepart indivise appartient privativement à l’indivisaire, il en a la gestion exclusive. Mais, même si la quotepart n’appartient qu’à l’indivisaire, elle s’inscrit nécessairement dans un ensemble. Par conséquent, la gestion de la quotepart doit prendre en compte la dimension collective de l’indivision. Raison pour laquelle le législateur a prévu que la gestion de la quotepart ne permette pas à un tiers de rentrer dans l’indivision puisque cette entrée peut ne pas être désirée par les autres indivisaires. Dès lors, en cas de disposition de quotepart indivise par un indivisaire, les autres indivisaires disposent d’un droit de préemption, d’acquérir par priorité la quotepart pour éviter qu’une tierce personne ne s’introduise dans l’indivision. Ce droit de préemption est prévu à l’art.815-14 c.civ. Ce droit de préemption ne s’applique qu’en cas de disposition envers un tiers ; la préemption ne s’applique pas en cas de disposition envers un autre indivisaire. Par ailleurs, ce droit ne s’applique qu’aux actes juridiques dans lesquels les indivisaires sont en mesure d’offrir au cédant la contrepartie que celui-ci attend du tiers. Par conséquent, ce droit ne s’applique que pour les cessions à titre onéreux assorties d’un prix. 

Lorsque plusieurs indivisaires souhaitent exercer leur droit de préemption, ils vont acquérir la quotepart à proportion des droits qu’ils détiennent déjà dans l’indivision. Enfin, il peut arriver que le droit de préemption ne puisse pas être mis en œuvre. Il en va ainsi lorsque la quotepart est vendue judiciairement (aux enchères) puisque le prix de cession n’est fixé qu’a posteriori. Il est donc remplacé par un droit de substitution qui joue une fois la vente aux enchères finie et qui permet à l’indivisaire de se substituer à l’enchérisseur. 

B. Le droit au partage résultant de la précarité de l’indivision

Ce droit au partage résulte de la précarité de l’indivision. Historiquement, l’indivision est un état transitoire, voire pathologique puisque l’appropriation collective du droit doit laisser progressivement place à l’appropriation individuelle. Ce passage se traduit par l’acte de partage. Ce partage constitue un véritable droit pour les indivisaires et résulte de l’art.815 c.civ selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Cet article permet à tout indivisaire en principe de provoquer le partage à n’importe quel moment afin de récupérer sa part dans les biens indivis et de transformer le droit réel indivis en une forme d’appropriation individuelle. 

 

                                    1) La réalisation du partage 

                                                a) L’étendue du partage 

Le plus souvent le partage porte sur la totalité des biens indivis de telle sorte qu’il met fin à la situation d'indivision. Chaque indivisaire va recevoir une quantité de biens dont la valeur est proportionnelle à sa quote-part indivise (droit détenu dans l’indivision) et dont il sera le seul titulaire. Le partage met fin complètement à l’indivision.

Mais il peut arriver que le partage ne soit que partiel et ne porte que sur certains biens de l’indivision. Concrètement, le législateur prévoit 3 hypothèses. 

D’abord, s’agissant des fruits et revenus qui peuvent être tirés des biens indivis, ils ont vocation à accroître l’indivision car ils y tombent (ils accroissent l’assiette de l’indivision). En particulier, chaque indivisaire, s’il le souhaite, peut demander chaque année sa part dans les fruits et revenus qui sont tombés dans l’indivision. Dans ce cas, une partie des fruits lui sera attribuée et il en sera tenu compte au moment du partage global. 

 Ensuite, le partage partiel, s’il s’agit d’une avance en capital consentie à un indivisaire (part prélevée dans l’indivision par avance pour donner à un indivisaire), il faut distinguer deux situations. L’avance en capital peut être une part prélevée dans l’indivision et consentie par les autres indivisaires. Dans ce cas, sa qualification juridique suivra la volonté des parties selon qu’il s’agira d’un partage des biens ou d’un contrat de prêt. Mais lorsque le partage partiel (avance en capital) est décidé par un juge, la Cour de cassation refuse toujours d’y voir un partage partiel.

Enfin, le partage partiel peut résulter d’une attribution éliminatoire. Il s’agit d’une hypothèse dans laquelle un indivisaire demande le partage de l’indivision tandis que les autres indivisaires souhaiteraient la maintenir. Dans ce cas, ils ont la possibilité de demander en justice une attribution éliminatoire qui consiste à donner sa part à celui qui souhaite le partage et maintenir l’indivision sur le reste des biens entre les autres indivisaires. L’attribution éliminatoire ne se conçoit qu’en présence d’une indivision avec plus de 2 indivisaires.

 

                                                b) Les modalités du partage

Il existe 3 modalités de partage de l’indivision. 

La première modalité a trait au principe d’égalité. On dit souvent que « l’égalité constitue l’âme des partages ». Mais il ne s’agit pas d’une égalité absolue car chaque indivisaire ne recevra pas forcément la même part que l’autre. Il s’agit d’une égalité relative en ce sens que la part reçue par chaque indivisaire doit être exactement proportionnelle à sa quote-part indivise (ses droits dans l’indivision). Cette égalité est tellement fondamentale que le législateur admet exceptionnellement que le partage puisse être annulé lorsqu’un des indivisaires est lésé de plus d’1/4 par rapport à ce qui devait lui revenir (alors qu’en principe la lésion n’est pas une cause de nullité en droit des contrats). 

Les partages peuvent avoir lieu en nature ou en valeur. D’abord, le partage a lieu en nature lorsque ce sont les biens mêmes de l’indivision qui sont répartis entre les indivisaires. Mais ce partage en nature n’est pas possible et toujours se heurte à un obstacle lorsqu’il n’existe qu'un seul bien à partager (une indivision sur une même voiture). Le plus souvent, il est impossible à atteindre parce qu'il faut supposer que les biens aient une valeur qui permettent de exactement remplir chacun des lots attribués à chacun (les droits de chacun des indivisaires). 

Ensuite, le partage peut avoir lieu en valeur et s’opère alors sous 2 formes. Parfois, le partage en valeur passe par la licitation des biens indivis (vente aux enchères) de sorte qu’il porte sur le prix et non sur le bien lui-même. D’autres fois, il prend la forme du mécanisme de la soulte, des obligations mises à la charge de certains de payer une somme d’argent envers les autres pour compenser la différence entre les lots (un indivisaire rachète leurs droits sur un bien aux autres). Par exemple, l’un prend la maison et reverse la moitié du prix de la maison à l’autre. 

En principe le partage est la chose des indivisaires, un contrat qui appartient aux parties. Il en résulte que les indivisaires doivent se mettre d’accord non seulement sur la composition de chacun des lots mais aussi sur l’attribution de ses lots à chacun d’entre eux. Si tel est le cas, leur volonté doit être respectée. On parle de partage conventionnel.  En cas de désaccord sur l’une ou l’autre, on est dans une situation de blocage qui peut être levée par un partage judiciaire (partage décidé en justice, le juge étant saisi par le plus diligent des indivisaires). Si le blocage porte sur la composition des lots, le juge désigne un tiers (souvent un notaire) pour procéder à sa décomposition. Lorsqu’il porte sur l’attribution des lots, la solution est radicale car ils sont attribués par tirage au sort (pur hasard). 

 

                                                c) Les effets du partage

Le partage emporte fondamentalement deux effets distincts. En premier lieu, il emporte un effet attributif puisque grâce au partage, chacun des indivisaires devient titulaire de droits privatifs sur certains biens indivis au lieu des droits partagés qu’il avait jusqu’à présent dans l’indivision. Il dispose d’une propriété individuelle et non plus collective. En second lieu, il emporte un effet déclaratif puisque le partage n’a pas d’effet translatif en ce qu’il ne fait que constater les droits dont les indivisaires étaient titulaires. Ainsi, entre les indivisaires, le partage n’établit aucun rapport d’auteur à ayant-cause. Par conséquent, le partage, en ce qu’il est déclaratif, présente un effet rétroactif. Chaque indivisaire est regardé comme titulaire exclusif de son bien non pas depuis la date du partage mais depuis la naissance de l’indivision. Autrement dit, avec le partage on déclare un droit de l’indivisaire qui est censé exister depuis le départ. 

Cette rétroactivité permet de déterminer le sort des actes conclus sous l’indivision. Si l’acte relatif à l’un des biens indivis (une maison indivise vendue par un indivisaire) est réalisé par l’indivisaire qui obtient ce bien, l’acte sera valable et pleinement efficace puisqu’il aura toujours été dans le patrimoine de l’indivisaire. Au contraire, si l’acte est accompli par un indivisaire qui n’a pas obtenu le bien au moment du partage, cet acte sera regardé comme ayant été conclu sur la chose d’autrui et à ce titre encourt selon les cas la nullité ou l’inopposabilité. 

                                    2) Les obstacles au partage 

On les appelle les sursis au partage, qui peuvent avoir une source judiciaire ou une source conventionnelle. 

Prévu à l’art.820 c.civ, le sursis judiciaire est un sursis au partage décidé par un juge dans deux cas seulement.  D’une part, lorsqu’un partage immédiat risque de porter atteinte à la valeur des biens indivis ou, d’autre part, lorsque, dans l’indivision, se trouve une entreprise devant être reprise par l’un des indivisaires mais ne peut pas être reprise immédiatement (l’indivisaire n’a pas eu son diplôme par exemple), le juge peut le différer. Dans tous les cas, le sursis judiciaire ne peut jamais excéder 2 ans. Il peut porter sur tous les biens indivis ou sur certains biens seulement selon la volonté du juge. 

Prévu à l’art 1873-3 c.civ, le sursis conventionnel est un sursis qui résulte d’une convention d’indivision conclue entre les indivisaires. Cette convention peut être conclue à durée déterminée ou indéterminée. Dans tous les cas, elle réduit le droit au partage. Lorsqu’elle est conclue à durée déterminée (max 5 ans), le partage ne peut pas avoir lieu pendant cette durée sauf pour juste motif. Lorsqu’elle est conclue à durée indéterminée, le partage peut toujours avoir lieu mais ne peut pas être demandée de mauvaise foi ou à contretemps par l’un des indivisaires.

 

            §2. Les droits partagés des indivisaires

Ce sont des droits collectifs résultant du fait que les indivisaires sont titulaires ensemble d’un même droit réel sur une même chose. En fonction de ces prérogatives, les droits partagés des indivisaires peuvent porter sur la valeur de la chose, sur la gestion de la chose ou sur la jouissance de la chose. 

                        A. Les droits relatifs à la valeur de la chose indivise

 

                                    1) Les variations de valeur de la chose 

Pendant toute la durée de l’indivision, la valeur de la chose indivise est susceptible d’évoluer à la hausse ou à la baisse. Or, la valeur devant être prise en compte lorsque les lots sont composés en vue du partage est la valeur au jour des lots, pas au jour de l’indivision. Par conséquent, les indivisaires profiteront ou souffriront toute variation de valeur subie par la chose. 

La valeur peut varier de manière fortuite, par exemple l’évolution des prix du marché. Dans ce cas, cette variation s’impose aux indivisaires sans que cela ne leur coûte rien. Mais, d’autres fois, cette variation peut résulter du comportement de certains indivisaires. L’indivisaire peut accroitre la valeur de la chose (travaux…) mais il peut aussi faire décroitre la valeur de la chose (dégradation). Dans tous les cas, cette variation donne lieu à une obligation entre les indivisaires. Obligation d’indemniser celui qui fait accroitre la valeur ou celui qui dégrade est obligé d’indemniser les autres. Cette obligation est inscrite dans un compte d’indivision et sera prise en compte au moment du solde du compte au moment du partage. 

                                    2) La subrogation réelle

De façon générale, la subrogation réelle est un mécanisme qui consiste à remplacer un bien par un autre bien en soumettant ce dernier au même régime juridique que le précédent. Cette subrogation a vocation à jouer en matière d’indivision, tantôt de plein droit, tantôt volontairement.

La subrogation réelle de plein droit vise l’hypothèse dans laquelle un bien indivis sera dégradé ou détruit. Si cela procède d’un cas fortuit et que le bien était assuré, l’indemnité d’assurance remplacera le bien dans l’indivision. Lorsque cela est lié à la faute d’un tiers, les dommages-intérêts seront subrogés au bien. 

La subrogation réelle volontaire vise l’hypothèse dans laquelle un bien est acquis en emploi ou en remploi de biens indivis avec le consentement unanime de tous les indivisaires. Par exemple, les indivisaires utilisent de l’argent indivis ou qui provient de la vente d’un bien indivis pour acquérir un nouveau bien. S’ils font une déclaration d’emploi ou de remploi, ils manifestent leur volonté que le bien nouveau remplace le bien ancien et s’opère une subrogation réelle.

                                    3) Les fruits de la chose 

La chose indivise peut être frugifère. Dans ce cas, les fruits tombent par principe dans l’indivision. Ce droit est soumis à la prescription quinquennale. Passé 5 ans, les indivisaires ne peuvent plus réclamer que les fruits tombent dans l’indivision, ce sont des fruits perdus. De plus, chaque année, chaque indivisaire dispose du droit de demander le partage des fruits (droit au partage annuel des fruits).

                        B. Les droits relatifs à la gestion de la chose indivise

Il s’agit de savoir à quelle(s) condition(s) les indivisaires peuvent accomplir des actes juridiques sur les biens indivis. 

                                    1) L’étendue des pouvoirs des indivisaires

L’indivision constitue une situation dans laquelle plusieurs personnes sont titulaires à un même moment d’un même droit sur une même chose. Naturellement, tous les actes relatifs au bien indivis doivent en principe être adoptés à l’unanimité. C’est la règle adoptée par le Code de 1804. Néanmoins, chaque indivisaire dispose d’un véritable droit de veto (ius prohibendi) qui peut paralyser la gestion de l’indivision.

Par conséquent, la jurisprudence a décidé que certains actes peuvent être passés par un indivisaire seul sur le fondement de la représentation. Puis le législateur infléchira directement l’exigence d’unanimité. En 1976 et en 2006, il décide que certains actes peuvent être passés par certains indivisaires et ce, sans représentation des autres. Ainsi, depuis l’intervention de la loi, le principe d’unanimité n’existe plus.

                                                a) Les actes conservatoires

Un acte conservatoire est un acte qui vise à préserver la chose indivise sans compromettre sérieusement le droit des indivisaires. Pendant très longtemps, l’acte conservatoire devait répondre à une condition d’urgence, il devait pallier un péril imminent. Cette condition est supprimée en 2006.

En présence d’un tel acte, un indivisaire seul peut le passer et il est opposable de plein droit à tous les autres indivisaires. Ainsi, les frais de l’acte conservatoire ont vocation à être supportés par la collectivité des indivisaires à proportion de leurs droits dans l’indivision. Si l’indivisaire qui agit peut prélever des deniers indivis dans l’indivision, il pourra en disposer pour financer l’acte et bénéficiera d’une présomption de pouvoir de libre disposition de ces deniers indivis à l’égard du tiers contractant. En revanche, si l’acte est financé par les deniers personnels de l’indivisaire qui agit, il peut contraindre les autres indivisaires à faire la dépense avec lui ou alors faire la dépense seul et se retourner ensuite contre les coïndivisaires. 

Mais, du moment où les coïndivisaires n’ont pas consenti à l’acte, le tiers n’a aucun droit contre les coïndivisaires de son cocontractant du fait de l’effet relatif des contrats. Dans tous les cas, à partir du moment où les autres n’ont pas consenti à l’acte, le tiers (cocontractant de l’indivisaire) n’a aucun droit à leur égard en vertu de l’effet relatif. 

                                                b) Les actes d’administration 

L’acte d’administration est un acte de gestion courante d’une chose et qui correspond à l’exploitation normale des biens. Traditionnellement, le bail est considéré comme un acte d’administration. Mais en ce qui concerne la conclusion ou le renouvellement des baux ruraux ou commerciaux, ils sont assimilés à un acte de disposition. Réciproquement, des actes de disposition sont rangés dans cette catégorie puisqu’ils correspondent à une exploitation normale : la vente des meubles indivis dans le but de payer les dettes et charges de l’indivision. 

Jusqu’en 2006, ces actes étaient soumis à l’unanimité. Mais le législateur est passé sur une logique de majorité. En l’occurrence, l’acte d’administration peut être passé par un ou plusieurs indivisaires représentant au moins 2/3 des droits indivis. Ainsi, la majorité se calcule par rapport à la valeur des quoteparts et pas par rapport au nombre d’indivisaires. De plus, par hypothèse, cette règle de majorité ne peut pas s’appliquer en présence de deux indivisaires à parts égales. 

Lorsque l’acte est passé à la majorité des 2/3 des droits indivis, il est opposable aux autres dès lors qu’ils en ont été informés. Encore une fois, l’acte lie les indivisaires qui ont agi avec les tiers mais n’engage pas les indivisaires qui n’ont pas agi à l’égard du tiers en vertu de l’effet relatif des contrats. 

                                                c) Les actes de disposition

Les actes de disposition sont les actes les plus graves car ils ont pour objet ou pour effet de modifier substantiellement et définitivement la composition de la masse indivise. Par exemple, la vente du bien. Pour ces actes, ils restent soumis au principe d’unanimité. Depuis une loi de 2009, il existe une exception puisqu’un bien indivis peut être vendu à la majorité des 2/3 sur autorisation judiciaire préalable.

                                    2) La sanction du dépassement des pouvoirs par un indivisaire 

Par définition, la question ne se pose que pour les actes d’administration et de disposition. La jurisprudence part du constat que le droit réel indivis est un droit partagé entre tous les coïndivisaires. Par conséquent, l’indivisaire qui agit n’est pas totalement dépourvu de droit mais il n’a pas un droit suffisant lui permettant d’agir seul. Sur la base de ces deux constats, la jurisprudence décide que le dépassement de pouvoir ne peut pas être sanctionné par la nullité de l’acte. Mais, comme il n’est pas le seul titulaire du droit réel, le dépassement de pouvoir ne peut pas non plus préjudicier à ses coïndivisaires. Ainsi, pendant tout le temps de l’indivision, l’acte conclu en dépassement de pouvoir sera inopposable aux autres indivisaires. 

Au moment du partage, le sort de l’acte sera décidé. Si le bien en question est placé dans le lot de l’indivisaire qui a passé l’acte, l’acte retrouvera rétroactivement toute son efficacité puisqu’il sera regardé comme ayant été conclu par une personne ayant toujours eu la pleine titularité du droit. Mais si le bien n’est pas dans le lot de l’indivisaire qui a passé l’acte, l’acte apparaitra rétroactivement comme ayant été passé sur la chose d’autrui. Dans ce cas, si l’acte porte transmission ou constitution de droit réel, il encourt nécessairement la nullité. En revanche, si l’acte porte seulement création d’obligations personnelles, il reste valable mais l’indivisaire qui obtient le bien ne devra rien au tiers, qui devra se retourner contre son propre cocontractant.

 

                                    3) L’aménagement des pouvoirs des indivisaires

                                                a) L’aménagement judiciaire 

Il existe 3 types d’aménagements procédant d’une décision du juge : la représentation, l’autorisation et les mesures diverses. 

D’abord, la représentation est prévue à l’art.815-4 c.civ. En effet, lorsque l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, cela risque de créer une paralysie dans la gestion de l’indivision. Ainsi, tout autre indivisaire peut demander en justice une habilitation à représenter l’indivisaire empêché. En raison de la représentation, l’acte passé par le représentant liera le représenté. Autrement dit, le représenté se retrouve engagé dans l’acte dont les effets se produiront dans son patrimoine. 

Ensuite, l’autorisation est prévue à l’art.815-5 c.civ et intervient dans l’hypothèse dans laquelle l’un des indivisaires dont le consentement est nécessaire refuse de consentir à l’acte et met en péril l’intérêt commun des indivisaires. Dans ce cas, tout autre indivisaire peut demander en justice à conclure l’acte en passant outre le refus. Il en résulte que l’indivisaire qui refuse de consentir ne sera pas lié par l’acte mais l’acte passé par les autres indivisaires lui sera pleinement opposable.

Il existe une autorisation particulière, dans laquelle les indivisaires titulaires des 2/3 des droits indivis veulent conclure une vente du bien indivis. Ils peuvent saisir le juge pour se voir délivrer une autorisation. On est en présence d’un acte de disposition qui atteint le droit de certaines personnes sans leur consentement, proche d’une expropriation pour cause d’utilité privée. Certains auteurs considèrent donc que ce mécanisme peut être contesté par voie de QPC ou devant la CEDH. 

Enfin, les mesures diverses prévues à l’art.815-6 et 815-7 c.civ donnent au juge, saisi par un ou plusieurs indivisaires, le pouvoir de prendre toute mesure urgente que requiert l’intérêt commun des indivisaires. Par exemple, le juge peut interdire la passation de certains actes ou nommer un indivisaire en qualité d’administrateur de l’indivision ou un séquestre… 

                                                b) L’aménagement conventionnel

L’indivision peut avoir une source légale ou une source conventionnelle. Par principe, le régime applicable est le régime de l’indivision légale (art.815 et s.). Mais les indivisaires peuvent remplacer ce régime par une convention d’indivision régie par les art.1873-1 et s. c.civ. Le but de cette convention est d’assurer à la fois la stabilité et la gestion de l’indivision. Au niveau de la stabilité, le droit au partage des indivisaires est limité. Au niveau de la gestion, les indivisaires peuvent nommer un gérant parmi eux ou en dehors d’eux, ce gérant disposant seul du pouvoir de passer tous les actes de conservation et d’administration au nom et pour le compte des indivisaires. Pour les actes qui excèdent les pouvoirs du gérant, les indivisaires eux-mêmes doivent les passer. 

                        C. Les droits relatifs à la jouissance de la chose indivise

La nature du droit réel indivis est susceptible de conférer la jouissance de la chose (propriété et usufruit). On se demande alors si les indivisaires peuvent exercer eux-mêmes la jouissance en tant que cotitulaires du droit indivis. Le droit positif répond positivement car chaque indivisaire peut prétendre à la jouissance de la chose indivise. En cas de conflit de jouissance, il doit être réglé par le président du tribunal judiciaire.

Mais cette jouissance est strictement encadrée. La jouissance est en principe à titre onéreux. Ainsi, l’indivisaire doit indemniser les autres indivisaires de cette jouissance soit par le versement immédiat d’une indemnité soit par l’inscription dans le compte d’indivision d’une dette de celui qui jouit de la chose envers ses coïndivisaires. Mais l’onérosité de la jouissance n’est pas obligatoire puisque les indivisaires peuvent, à l’unanimité, décider que la jouissance sera gratuite.

De plus, dans la jouissance, l’indivisaire doit respecter la cotitularité du droit par les autres indivisaires. Il doit alors respecter la destination de cette chose, entretenir la chose et respecter les actes des autres indivisaires dès lors qu’ils lui sont opposables.

 

SECTION II : Les dettes des indivisaires

Le passif externe désigne les dettes des indivisaires envers les tiers. Le passif interne désigne les dettes des indivisaires entre eux.

            §1. Le passif externe des indivisaires

Le passif externe des indivisaires est réglé pour l’essentiel par l’art.815-17 c.civ qui est un texte cardinal. Il se décompose, d’une part, des dettes relatives à l’indivision et, d’autre part, les dettes étrangères à l’indivision. 

 

                        A.  Les dettes relatives à l’indivision

Une distinction doit s’opérer entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette. 

L’obligation à la dette désigne la relation des débiteurs avec le créancier. On se demande contre quel débiteur le créancier peut agir, quels sont les biens qu’il peut saisir et quel montant peut-il réclamer à chaque débiteur. 

La contribution à la dette désigne les relations entre les codébiteurs eux-mêmes. On se demande alors quelle est la part que chaque débiteur doit supporter dans la dette et s’il existe des recours entre des codébiteurs lorsque l’un d’eux a payé le créancier.

 

                                    1) Les dettes préexistantes à la naissance de l’indivision

 

                                                a) L’obligation à la dette 

Ce sont les dettes qui se retrouvent dans la masse indivise au moment de la naissance de l’indivision (dettes du défunt). Pour ces dettes, le créancier a le droit de saisir directement les biens indivis sans provoquer préalablement le partage. Cela lui évite que son droit de gage général soit modifié par la naissance de l’indivision. De plus, si le créancier se désintéresse directement sur les biens indivis, le poids de la dette sur les indivisaires se divise automatiquement et proportionnellement entre eux. 

Mais le créancier peut aussi décider de saisir les biens personnels de chacun des indivisaires. Or il est titulaire d’un droit personnel et l’indivision est la marque des droits réels puisque les droits personnels se divisent de plein droit. Ainsi, lorsque le créancier entend agir contre les indivisaires, il ne peut réclamer à chacun que sa part de la dette sauf si l’obligation est indivisible ou solidaire. 

 

                                                b) La contribution à la dette 

Pour les dettes préexistantes à la naissance de l’indivision, chaque indivisaire doit supporter proportionnellement à sa quotepart. Ainsi, si un indivisaire paie plus que sa part, il dispose d’un recours contre ses coïndivisaires.

 

                                    2)  Les dettes qui naissent de la gestion des biens indivis 

 

                                                a) L’obligation à la dette 

Lorsque l’obligation à la dette est relative au bien indivis, le créancier a le droit de saisir directement le bien indivis sans provoquer préalablement le partage. Mais chacun des indivisaires peut être poursuivi personnellement par les créanciers. Si les indivisaires se sont engagés conjointement, il ne peut poursuivre un indivisaire que pour sa part. S’ils se sont engagés solidairement, le créancier peut poursuivre n’importe lequel pour toute la dette. 

 

                                                b) La contribution à la dette

Pour les dettes qui naissent de la gestion du bien indivis, chaque indivisaire doit supporter proportionnellement à sa quotepart. Ainsi, si un indivisaire paie plus que sa part, il dispose d’un recours contre ses coïndivisaires.

 

                        B. Les dettes étrangères à l’indivision

La dette, dans cette hypothèse, incombe à un seul des indivisaires sans aucun rapport avec l’indivision. Cet indivisaire est seul tenu à la dette aussi bien au stade de l’obligation que de la contribution à la dette. Son créancier n’a de droit de gage général que sur les biens appartenant à cet indivisaire. En théorie, le créancier ne peut pas saisir les biens indivis puisqu’ils n’appartiennent pas exclusivement à son débiteur. En revanche, il pourrait théoriquement saisir la quotepart indivise de son débiteur.

Mais pour le législateur, la saisie de la quotepart conduit un tiers à entrer dans l’indivision. Ainsi, en matière d’indivision légale, la quotepart indivise du débiteur est insaisissable par son créancier. Pour autant, en contrepartie de l’insaisissabilité de cette quotepart, le créancier a le pouvoir de faire provoquer le partage de l’indivision. Il pourra alors saisir le lot obtenu par son débiteur. Trois observations : 

  • Le créancier intente une action oblique : il agit au nom et pour le compte de son débiteur, c’est un mécanisme de représentation.

  • Le créancier est obligé de faire provoquer le partage pour exercer ensuite sa poursuite : il devra alors s’incliner face aux créanciers qui peuvent saisir directement les biens indivis.

  • Les autres indivisaires qui ne souhaitent pas le partage peuvent toujours désintéresser le créancier et ensuite se faire rembourser en exerçant un prélèvement sur la masse indivise. 

 

En matière d’indivision conventionnelle, le droit au partage peut être limité. Dans ce cas, le législateur considère que le créancier ne peut pas avoir plus de droits que son débiteur. Par conséquent, si le débiteur ne peut pas demander le partage, son créancier ne le pourra pas non plus. C’est la raison pour laquelle la quotepart indivise du débiteur redevient saisissable en matière conventionnelle. Mais les autres indivisaires disposent toujours de leur droit de préemption ou de substitution. 

 

            §2. Le passif interne des indivisaires

La situation d’indivision est susceptible de générer un certain nombre d’obligations. 5 exemples de dettes internes à l’indivision : des indivisaires peuvent être tenus d’en indemniser d’autres pour les dépenses d’amélioration ou de conservation engagés par ces derniers. Un indivisaire peut être tenu d’indemniser les autres s’il dégrade le bien indivis. Un indivisaire peut être tenu de verser une indemnité de jouissance. Un indivisaire peut être indemnisé s’il gère l’indivision. Enfin, lorsque l’avance en capital prend la forme d’un prêt, l’indivisaire emprunteur est tenu de restituer ce prêt envers ses coïndivisaires. 

En principe, toutes les dettes sont inscrites sur un compte d’indivision. Ces dettes et créances se compensent au sein du compte. Au moment du partage, il ne reste dans le compte de l’indivision qu’un solde, une créance de certains envers d’autres. Le solde sera pris en compte dans l’attribution des lots. Concrètement, ce n’est pas un règlement en argent liquide au cours de l’indivision mais au moment du partage en attribuant les lots. 

CHAPITRE II : LES PROPRIÉTÉS SPÉCIALES 

Le Code de 1804 a sacralisé la propriété individuelle. Néanmoins, ce droit est susceptible présenter des physionomies particulières. On peut citer la copropriété des immeubles bâtis (appropriation collective) ou encore la propriété fiduciaire ou la propriété apparente. Nous étudierons seulement la propriété fiduciaire et la propriété apparente. 

 

SECTION I : La propriété fiduciaire 

La fiducie désigne un contrat translatif de propriété dont découle pour l’ayant cause une propriété particulière appelée propriété fiduciaire. Elle est particulière parce qu’il s’agit d’une propriété temporaire. Le fiduciaire n’a pas vocation à rester propriétaire de la chose mais à la transférer à une autre personne. De plus, elle est une propriété finalisée qui s’oppose à l’absolutisme. Le fiduciaire ne pourra exercer son droit de propriété que dans un but déterminé. Les finalités de la fiducie sont de 3 ordres. 

D’abord, la fiducie peut avoir une fonction de gestion. En ce cas, le fiduciaire reçoit la propriété de la chose dans le but de la gérer pendant un certain temps afin de la remettre plus tard à une autre personne. Ensuite, la fiducie peut avoir une fonction libérale. Elle peut être utilisée pour consentir une libéralité à une tierce personne. Pendant un temps, on permet au fiduciaire d’avoir la propriété avant qu’il ne la transmette au gratifié. Enfin, la fiducie peut avoir une fonction de garantie i.e. qu’elle permet de garantir le paiement d’une créance. Le débiteur (constituant) transmet la propriété de l’un de ses biens au fiduciaire pour garantir sa dette, de sorte que si le débiteur est défaillant, le créancier (bénéficiaire) sera déjà propriétaire. 

Historiquement, la fiducie était largement connue du droit romain. Pourtant, on en trouve aucune trace dans le Code de 1804 puisque la propriété individuelle et absolue est sacralisée. Mais en droit français, ce silence crée une longue période d’hostilité à l’égard de la fiducie. Elle était reconnue dans quelques hypothèses particulières mais il n’existait pas de régime général. À chaque fois que la Cour de cassation était saisie d’un mécanisme fiduciaire, elle requalifiait l’opération. 

Il a fallu attendre la loi du 19 février 2007 pour que la fiducie soit consacrée de façon générale. Elle est régie par les arts. 2011 et s. c.civ et fait partie du droit des contrats spéciaux. Le but principal de cette loi est de créer en droit français avec les notions de droit français un mécanisme qui se rapproche du trust anglo-américain. En effet, le trust permettait d’attirer des capitaux étrangers. 

Le législateur avait néanmoins deux craintes. En premier lieu, par crainte de la fraude fiscale, il a interdit la fiducie de libéralité. De plus, il a craint le blanchiment des capitaux. Ce régime est excessivement strict. Par ailleurs, dans cette loi, le législateur a ajouté quelque chose à la fiducie qui n’est pas de son essence, à savoir le patrimoine d’affectation puisque le fiduciaire reçoit le bien non pas dans son propre patrimoine mais dans un patrimoine fiduciaire distinct de son patrimoine personnel. 

La loi de 2007 a été plusieurs fois modifiée dans un sens d’élargissement. En outre, le législateur a adopté des dispositions spécifiques pour la fiducie-sûreté. Enfin, le législateur a créé de nouvelles fiducies spéciales en autorisant la cession de créances de droit commun et de sommes d’argent à titre de garantie. Ce sont fondamentalement des mécanismes de fiducie spéciale mais qui obéissent à leur propre régime et ne génèrent pas de patrimoine d’affectation. 

 

            § 1. Les conditions de la fiducie

Le législateur a été frileux sur la question. D’une part, la fiducie de libéralité est strictement interdite et, d’autre part, le contrat de fiducie a été enfermé dans des conditions strictes. 

                        A. Les conditions de fond de la fiducie
                                    1) Les conditions relatives aux personnes

                                                a) Le constituant

Le mécanisme de la fiducie fait généralement intervenir 3 personnes : le constituant (auteur de la fiducie), le fiduciaire (l’ayant cause, celui qui reçoit la propriété de la chose) et le bénéficiaire (qui bénéfice de la retransmission de propriété à l’issue de la fiducie, généralement un tiers au contrat). 

Dans sa version initiale, la fiducie est exclusivement réservée aux personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés. Mais une loi de 2008 a ouvert la fiducie à toute personne. Le constituant peut être une personne morale ou physique soumise à l’ISS ou l’ISR. Lorsque la fiducie porte sur des biens communs, il faut l’accord des deux époux et lorsque la fiducie porte sur les biens indivis, il faut l’accord unanime des indivisaires. 

                                                b) Le fiduciaire

Ne pouvaient être fiduciaires que les établissements de crédit, les compagnies d’assurance et les compagnies d’investissements. La loi de 2008 exclut toute autre catégorie mais l’ouvre aux avocats. 

                                                c) Le bénéficiaire

Le bénéficiaire n’est pas nécessairement partie au contrat. Il peut parfois être le constituant lui-même, le fiduciaire ou une tierce personne. Ce peut être toute personne. 

                                    2) Les conditions relatives aux biens

La fiducie est susceptible de porter sur tout type de droit réel ou personnel y compris sur des sûretés mais elle ne peut porter sur des dettes. Ces biens peuvent être transférés à titre isolé ou de façon globale en étant inclus dans un ensemble. Dans ce cas, la fiducie porte sur une universalité de fait. Ces biens ainsi transférés peuvent être indifféremment des biens présents ou futurs. S’ils sont futurs, ils doivent être suffisamment déterminables. 

                        B. Les conditions de forme 

Le contrat de fiducie est un contrat solennel. Il requiert un écrit à peine de nullité. Cette exigence d’écrit n’est pas prévue expressément par les textes mais se déduit de l’art.2018 c.civ qui énumère un certain nombre de mentions obligatoires. Ce sont l’identification des biens, la durée du transfert de propriété (max 99 ans, donc temporaire), l’identité du constituant, l’identité ou le mode de détermination du bénéficiaire et l’étendue des pouvoirs du fiduciaire. En principe, tout type d’écrit est suffisant qu’il s’agisse d’un acte sous seing privé ou un acte contresigné par un avocat ou un acte notarié. Mais, l’acte authentique est obligatoire lorsque la fiducie porte sur des immeubles, les biens communs à deux époux ou sur des biens indivis. 

Il existe aussi des conditions de publicité de la fiducie. D’abord, le contrat de fiducie doit être enregistré auprès de l’administration fiscale dans un délai de 30 jours à compter de sa conclusion à peine de nullité du contrat. Ensuite, le contrat doit être publié sur le registre national des fiducies mais aucune sanction n’est encourue. Enfin, une dernière mesure dépend de la nature du bien mis en fiducie. Lorsque le bien mis en fiducie relève d’un régime de publicité, ce régime doit être observé. Par exemple, si la fiducie porte sur un fonds de commerce, il faudra la publier sur le RCS. 

 

            §2. Les effets de la fiducie

                        A. Les effets en cours de fiducie
                                    1) Les effets entre les parties 

Entre le constituant et le fiduciaire, les effets sont dominés par les limites apportées au droit de propriété du fiduciaire. Il est sans doute propriétaire mais pas un propriétaire comme les autres. 

Le fiduciaire, lorsqu’il gère la fiducie, doit toujours agir en qualité de propriétaire. Il doit également respecter les limites et les pouvoirs que le contrat lui confère. Tout propriétaire qu’il est, le fiduciaire doit rendre compte de sa mission auprès du constituant. Enfin, il est responsable pour les fautes qu’il commet dans la gestion de la fiducie.

Le constituant, pendant toute la durée de la fiducie, a le droit de désigner un tiers pour veiller à la bonne exécution du contrat de fiducie. Il peut faire superviser le fiduciaire alors que celui-ci est propriétaire. Il peut même décider de remplacer le fiduciaire, autrement dit, d’exproprier le fiduciaire actuel pour qu’un nouveau fiduciaire devienne propriétaire. 

                                    2) Les effets à l’égard des tiers

                                                a) Les tiers cocontractants du fiduciaire 

Le fiduciaire n’a de pouvoirs que sur les biens mis en fiducie et sur ceux que lui donne le contrat de fiducie. Néanmoins, vis-à-vis des tiers, il est présumé avoir tous les pouvoirs d’un propriétaire. Autrement dit, peu importe l’acte passé par le fiduciaire, il sera en principe valable et opposable au constituant. 

Cette présomption trouve une limite dans la mauvaise foi du tiers. Si, au moment de la conclusion de l’acte, le tiers avait connaissance de la réalité des pouvoirs du fiduciaire, la présomption de pouvoir cesse de produire son effet. Dans ce cas, l’acte peut être contesté. Les textes sont silencieux sur la sanction. D’abord, le dépassement serait une cause de nullité de l’acte. Ensuite, il serait une cause d’inopposabilité de l’acte au constituant. Il semble que ce soit l’inopposabilité qui doive s’appliquer. En effet, on ne comprendrait pas la nullité d’un acte accompli par un propriétaire. 

 

                                                b) Les créanciers 

                                                            i. Les créanciers personnels du constituant

Les créanciers personnels du constituant doivent subir les effets du contrat de fiducie. En effet, le contrat de fiducie présente un effet translatif de propriété. Concrètement, à compter du jour, où il devient opposable aux tiers, les créanciers du constituant ne peuvent pas saisir les biens fiduciaires qui sont sortis du patrimoine de leur débiteur sauf l’hypothèse où le créancier est titulaire d’une sûreté sur un bien mis en fiducie. 

                                                            ii. Les créanciers personnels du fiduciaire 

Dans la loi de 2007, la fiducie crée chez le fiduciaire un patrimoine d’affectation. Le fiduciaire est placé sur son patrimoine personnel et fiduciaire, deux patrimoines hermétiques en principe. Il en résulte que les créanciers personnels du fiduciaire n’ont de droits que sur les biens personnels du fiduciaire. Cette césure entre les deux patrimoines fonctionne également lorsque le fiduciaire fait l’objet d’une procédure collective. 

                                                            iii. Les créanciers du fiduciaire dont le droit est relatif à la fiducie

La règle de principe est dictée par la théorie du patrimoine. Puisque ce sont les créanciers du patrimoine fiduciaire, ils n’ont en principe de droits que sur le patrimoine fiduciaire. Ils n’ont pas le droit de saisir les biens personnels du fiduciaire. Mais, sous réserve d’aménagement conventionnel, lorsque les biens fiduciaires sont insuffisants pour désintéresser ces créanciers, ils ont le droit de saisir les biens personnels du constituant. 

                        B. Les effets à l’expiration de la fiducie

Les causes d’extinction de la fiducie sont nombreuses. D’abord, la fiducie peut s’éteindre par la révocation de celle-ci par le constituant. En effet, le constituant a le pouvoir de révoquer la fiducie à tout moment pourvu qu’elle n’ait pas été acceptée par le bénéficiaire. C’est le même mécanisme que la stipulation pour autrui. Pour les fiducies de gestion, la fiducie s’éteint par le décès du constituant. En outre, la fiducie s’éteint par la survenance de son terme mais également en cas de réalisation du but poursuivi avant l’arrivée du terme (extinction prématurée). De plus, elle s’éteint encore par la renonciation du bénéficiaire. Enfin, elle s’éteint pour certains évènements qui affectent la personne du fiduciaire comme une dissolution, liquidation judiciaire, absorption ou, s’agissant des avocats, interdiction d’exercer ou une radiation. 

Lorsque la fiducie s’éteint, elle est susceptible de se dénouer de feux façons différentes. D’une part, les biens mis en fiducie sont transférés au bénéficiaire. D’autre part, les biens peuvent retourner au constituant ou dans sa succession s’il est décédé. Dans tous les cas, l’extinction de la fiducie aura pour conséquence de faire disparaitre le patrimoine d’affectation.  Peu importe la personne qui recueille les biens, qu’il s’agisse du constituant ou du tiers bénéficiaire, ces biens entrent dans leur patrimoine personnel. 

 

SECTION II : La propriété apparente

La théorie de l’apparence permet de constituer des situations de droit à partir de situations de fait qui sont particulièrement trompeuses. Elle vise à protéger les tiers qui ont été victimes de l’apparence trompeuse. Le législateur la consacre en matière de mandat de sorte que le tiers cocontractant du mandataire est protégé par le mandat apparent. De même, lorsque le débiteur paie le créancier apparent, ce paiement est libératoire pour le débiteur. 

Mais, pour la Cour de cassation, l’apparence est une théorie plus générale ayant vocation à s’appliquer dans d‘autres hypothèses. La théorie vise à valider un acte translatif de propriété conclu par un propriétaire qui n’était qu’un propriétaire apparent. La théorie de l’apparence consolide une acquisition a non domino. 

 

            §1. Les conditions de la propriété apparente

Le but de la propriété apparente est de protéger un tiers et plus précisément un acquéreur a non domino. L’apparence permet de reconnaitre au profit de cet acquéreur le droit de propriété qui n’a pas pu lui être transmis puisque le propriétaire n’était qu’un propriétaire apparent. Ce faisant, si l’on attribue la propriété au tiers, victime de l’apparence, on retire cette propriété au véritable propriétaire (verus dominus). C’est la raison pour laquelle la théorie de l’apparence ne peut jouer que dans les hypothèses où la protection du tiers apparait comme étant légitime. 

Pour qu’il y ait propriété apparente, il faut la réunion de 3 conditions cumulatives. D’abord, il faut que le tiers ait été victime d’une erreur commune et invincible. L’erreur consiste à avoir cru que l’auteur était le véritable propriétaire. L’erreur est dite commune lorsque n’importe quelle autre personne aurait commis exactement la même erreur. Par ailleurs, l’erreur est dite invincible lorsque par des moyens normaux, il n’était pas possible de découvrir la vérité. 

Ensuite, la victime de l’erreur doit être de bonne foi. Autrement dit, elle doit avoir réellement cru que le propriétaire apparent était le véritable propriétaire. Cette condition explique que la propriété apparente joue principalement voire exclusivement en matière immobilière. En effet, en matière mobilière, la bonne foi est susceptible de déclencher l’usucapion instantanée (art.2276 c.civ).

Enfin, il faut que l’acte d’acquisition par le tiers soit un acte à titre onéreux. Si le tiers reçoit la propriété à titre gratuit, il est préférable de protéger le véritable propriétaire que le tiers acquéreur a non domino. En effet, le tiers ne subira qu’un manque à gagner alors que le propriétaire subira une perte. 

            §2. Les effets de la propriété apparente

La théorie a pour effet de valider l’acte d’acquisition conclu par le tiers et qui réalise une acquisition a non domino. La consolidation de l’acte a pour effet que le tiers, victime de l’apparence, est reconnu comme propriétaire de la chose acquise. Parallèlement, le verus dominus perd son droit de propriété et ne peut récupérer sa chose par l’action en revendication. 

L’acquisition de la propriété par le tiers se produit instantanément. Ce mécanisme joue comme l’usucapion. Mais cette propriété apparente est-elle bien conforme au texte de l’usucapion ? On sait que l’usucapion permet d’acquérir la propriété. En matière d’usucapion, le législateur pose des conditions de durée et qu’il est interdit d’acquérir par la théorie de l’apparence. La propriété apparente semble contraire aux textes de l’usucapion. De plus, cette théorie permet de spolier le véritable propriétaire au profit de la victime de l’apparence. Cela ressemble étrangement à une expropriation pour cause d’utilité privée sans aucune indemnité. Cette solution jurisprudentielle est donc très critiquable. 

CHAPITRE II : LES PROPRIÉTÉS SPÉCIALES 

Le Code de 1804 a sacralisé la propriété individuelle. Néanmoins, ce droit est susceptible présenter des physionomies particulières. On peut citer la copropriété des immeubles bâtis (appropriation collective) ou encore la propriété fiduciaire ou la propriété apparente. Nous étudierons seulement la propriété fiduciaire et la propriété apparente. 

 

SECTION I : La propriété fiduciaire 

La fiducie désigne un contrat translatif de propriété dont découle pour l’ayant cause une propriété particulière appelée propriété fiduciaire. Elle est particulière parce qu’il s’agit d’une propriété temporaire. Le fiduciaire n’a pas vocation à rester propriétaire de la chose mais à la transférer à une autre personne. De plus, elle est une propriété finalisée qui s’oppose à l’absolutisme. Le fiduciaire ne pourra exercer son droit de propriété que dans un but déterminé. Les finalités de la fiducie sont de 3 ordres. 

D’abord, la fiducie peut avoir une fonction de gestion. En ce cas, le fiduciaire reçoit la propriété de la chose dans le but de la gérer pendant un certain temps afin de la remettre plus tard à une autre personne. Ensuite, la fiducie peut avoir une fonction libérale. Elle peut être utilisée pour consentir une libéralité à une tierce personne. Pendant un temps, on permet au fiduciaire d’avoir la propriété avant qu’il ne la transmette au gratifié. Enfin, la fiducie peut avoir une fonction de garantie i.e. qu’elle permet de garantir le paiement d’une créance. Le débiteur (constituant) transmet la propriété de l’un de ses biens au fiduciaire pour garantir sa dette, de sorte que si le débiteur est défaillant, le créancier (bénéficiaire) sera déjà propriétaire. 

Historiquement, la fiducie était largement connue du droit romain. Pourtant, on en trouve aucune trace dans le Code de 1804 puisque la propriété individuelle et absolue est sacralisée. Mais en droit français, ce silence crée une longue période d’hostilité à l’égard de la fiducie. Elle était reconnue dans quelques hypothèses particulières mais il n’existait pas de régime général. À chaque fois que la Cour de cassation était saisie d’un mécanisme fiduciaire, elle requalifiait l’opération. 

Il a fallu attendre la loi du 19 février 2007 pour que la fiducie soit consacrée de façon générale. Elle est régie par les arts. 2011 et s. c.civ et fait partie du droit des contrats spéciaux. Le but principal de cette loi est de créer en droit français avec les notions de droit français un mécanisme qui se rapproche du trust anglo-américain. En effet, le trust permettait d’attirer des capitaux étrangers. 

Le législateur avait néanmoins deux craintes. En premier lieu, par crainte de la fraude fiscale, il a interdit la fiducie de libéralité. De plus, il a craint le blanchiment des capitaux. Ce régime est excessivement strict. Par ailleurs, dans cette loi, le législateur a ajouté quelque chose à la fiducie qui n’est pas de son essence, à savoir le patrimoine d’affectation puisque le fiduciaire reçoit le bien non pas dans son propre patrimoine mais dans un patrimoine fiduciaire distinct de son patrimoine personnel. 

La loi de 2007 a été plusieurs fois modifiée dans un sens d’élargissement. En outre, le législateur a adopté des dispositions spécifiques pour la fiducie-sûreté. Enfin, le législateur a créé de nouvelles fiducies spéciales en autorisant la cession de créances de droit commun et de sommes d’argent à titre de garantie. Ce sont fondamentalement des mécanismes de fiducie spéciale mais qui obéissent à leur propre régime et ne génèrent pas de patrimoine d’affectation. 

 

               § 1. Les conditions de la fiducie

Le législateur a été frileux sur la question. D’une part, la fiducie de libéralité est strictement interdite et, d’autre part, le contrat de fiducie a été enfermé dans des conditions strictes. 

                              A. Les conditions de fond de la fiducie
                                             1) Les conditions relatives aux personnes

                                                            a) Le constituant

Le mécanisme de la fiducie fait généralement intervenir 3 personnes : le constituant (auteur de la fiducie), le fiduciaire (l’ayant cause, celui qui reçoit la propriété de la chose) et le bénéficiaire (qui bénéfice de la retransmission de propriété à l’issue de la fiducie, généralement un tiers au contrat). 

Dans sa version initiale, la fiducie est exclusivement réservée aux personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés. Mais une loi de 2008 a ouvert la fiducie à toute personne. Le constituant peut être une personne morale ou physique soumise à l’ISS ou l’ISR. Lorsque la fiducie porte sur des biens communs, il faut l’accord des deux époux et lorsque la fiducie porte sur les biens indivis, il faut l’accord unanime des indivisaires. 

                                                            b) Le fiduciaire

Ne pouvaient être fiduciaires que les établissements de crédit, les compagnies d’assurance et les compagnies d’investissements. La loi de 2008 exclut toute autre catégorie mais l’ouvre aux avocats. 

                                                            c) Le bénéficiaire

Le bénéficiaire n’est pas nécessairement partie au contrat. Il peut parfois être le constituant lui-même, le fiduciaire ou une tierce personne. Ce peut être toute personne. 

                                             2) Les conditions relatives aux biens

La fiducie est susceptible de porter sur tout type de droit réel ou personnel y compris sur des sûretés mais elle ne peut porter sur des dettes. Ces biens peuvent être transférés à titre isolé ou de façon globale en étant inclus dans un ensemble. Dans ce cas, la fiducie porte sur une universalité de fait. Ces biens ainsi transférés peuvent être indifféremment des biens présents ou futurs. S’ils sont futurs, ils doivent être suffisamment déterminables. 

                              B. Les conditions de forme 

Le contrat de fiducie est un contrat solennel. Il requiert un écrit à peine de nullité. Cette exigence d’écrit n’est pas prévue expressément par les textes mais se déduit de l’art.2018 c.civ qui énumère un certain nombre de mentions obligatoires. Ce sont l’identification des biens, la durée du transfert de propriété (max 99 ans, donc temporaire), l’identité du constituant, l’identité ou le mode de détermination du bénéficiaire et l’étendue des pouvoirs du fiduciaire. En principe, tout type d’écrit est suffisant qu’il s’agisse d’un acte sous seing privé ou un acte contresigné par un avocat ou un acte notarié. Mais, l’acte authentique est obligatoire lorsque la fiducie porte sur des immeubles, les biens communs à deux époux ou sur des biens indivis. 

Il existe aussi des conditions de publicité de la fiducie. D’abord, le contrat de fiducie doit être enregistré auprès de l’administration fiscale dans un délai de 30 jours à compter de sa conclusion à peine de nullité du contrat. Ensuite, le contrat doit être publié sur le registre national des fiducies mais aucune sanction n’est encourue. Enfin, une dernière mesure dépend de la nature du bien mis en fiducie. Lorsque le bien mis en fiducie relève d’un régime de publicité, ce régime doit être observé. Par exemple, si la fiducie porte sur un fonds de commerce, il faudra la publier sur le RCS. 

 

               §2. Les effets de la fiducie

                              A. Les effets en cours de fiducie
                                             1) Les effets entre les parties 

Entre le constituant et le fiduciaire, les effets sont dominés par les limites apportées au droit de propriété du fiduciaire. Il est sans doute propriétaire mais pas un propriétaire comme les autres. 

Le fiduciaire, lorsqu’il gère la fiducie, doit toujours agir en qualité de propriétaire. Il doit également respecter les limites et les pouvoirs que le contrat lui confère. Tout propriétaire qu’il est, le fiduciaire doit rendre compte de sa mission auprès du constituant. Enfin, il est responsable pour les fautes qu’il commet dans la gestion de la fiducie.

Le constituant, pendant toute la durée de la fiducie, a le droit de désigner un tiers pour veiller à la bonne exécution du contrat de fiducie. Il peut faire superviser le fiduciaire alors que celui-ci est propriétaire. Il peut même décider de remplacer le fiduciaire, autrement dit, d’exproprier le fiduciaire actuel pour qu’un nouveau fiduciaire devienne propriétaire. 

 

                                             2) Les effets à l’égard des tiers

                                                            a) Les tiers cocontractants du fiduciaire 

Le fiduciaire n’a de pouvoirs que sur les biens mis en fiducie et sur ceux que lui donne le contrat de fiducie. Néanmoins, vis-à-vis des tiers, il est présumé avoir tous les pouvoirs d’un propriétaire. Autrement dit, peu importe l’acte passé par le fiduciaire, il sera en principe valable et opposable au constituant. 

Cette présomption trouve une limite dans la mauvaise foi du tiers. Si, au moment de la conclusion de l’acte, le tiers avait connaissance de la réalité des pouvoirs du fiduciaire, la présomption de pouvoir cesse de produire son effet. Dans ce cas, l’acte peut être contesté. Les textes sont silencieux sur la sanction. D’abord, le dépassement serait une cause de nullité de l’acte. Ensuite, il serait une cause d’inopposabilité de l’acte au constituant. Il semble que ce soit l’inopposabilité qui doive s’appliquer. En effet, on ne comprendrait pas la nullité d’un acte accompli par un propriétaire. 

 

                                                            b) Les créanciers 

                                                                           i. Les créanciers personnels du constituant

Les créanciers personnels du constituant doivent subir les effets du contrat de fiducie. En effet, le contrat de fiducie présente un effet translatif de propriété. Concrètement, à compter du jour, où il devient opposable aux tiers, les créanciers du constituant ne peuvent pas saisir les biens fiduciaires qui sont sortis du patrimoine de leur débiteur sauf l’hypothèse où le créancier est titulaire d’une sûreté sur un bien mis en fiducie. 

                                                                           ii. Les créanciers personnels du fiduciaire 

Dans la loi de 2007, la fiducie crée chez le fiduciaire un patrimoine d’affectation. Le fiduciaire est placé sur son patrimoine personnel et fiduciaire, deux patrimoines hermétiques en principe. Il en résulte que les créanciers personnels du fiduciaire n’ont de droits que sur les biens personnels du fiduciaire. Cette césure entre les deux patrimoines fonctionne également lorsque le fiduciaire fait l’objet d’une procédure collective. 

                                                                           iii. Les créanciers du fiduciaire dont le droit est relatif à la fiducie

La règle de principe est dictée par la théorie du patrimoine. Puisque ce sont les créanciers du patrimoine fiduciaire, ils n’ont en principe de droits que sur le patrimoine fiduciaire. Ils n’ont pas le droit de saisir les biens personnels du fiduciaire. Mais, sous réserve d’aménagement conventionnel, lorsque les biens fiduciaires sont insuffisants pour désintéresser ces créanciers, ils ont le droit de saisir les biens personnels du constituant. 

                              B. Les effets à l’expiration de la fiducie

Les causes d’extinction de la fiducie sont nombreuses. D’abord, la fiducie peut s’éteindre par la révocation de celle-ci par le constituant. En effet, le constituant a le pouvoir de révoquer la fiducie à tout moment pourvu qu’elle n’ait pas été acceptée par le bénéficiaire. C’est le même mécanisme que la stipulation pour autrui. Pour les fiducies de gestion, la fiducie s’éteint par le décès du constituant. En outre, la fiducie s’éteint par la survenance de son terme mais également en cas de réalisation du but poursuivi avant l’arrivée du terme (extinction prématurée). De plus, elle s’éteint encore par la renonciation du bénéficiaire. Enfin, elle s’éteint pour certains évènements qui affectent la personne du fiduciaire comme une dissolution, liquidation judiciaire, absorption ou, s’agissant des avocats, interdiction d’exercer ou une radiation. 

Lorsque la fiducie s’éteint, elle est susceptible de se dénouer de feux façons différentes. D’une part, les biens mis en fiducie sont transférés au bénéficiaire. D’autre part, les biens peuvent retourner au constituant ou dans sa succession s’il est décédé. Dans tous les cas, l’extinction de la fiducie aura pour conséquence de faire disparaitre le patrimoine d’affectation.  Peu importe la personne qui recueille les biens, qu’il s’agisse du constituant ou du tiers bénéficiaire, ces biens entrent dans leur patrimoine personnel. 

 

SECTION II : La propriété apparente

La théorie de l’apparence permet de constituer des situations de droit à partir de situations de fait qui sont particulièrement trompeuses. Elle vise à protéger les tiers qui ont été victimes de l’apparence trompeuse. Le législateur la consacre en matière de mandat de sorte que le tiers cocontractant du mandataire est protégé par le mandat apparent. De même, lorsque le débiteur paie le créancier apparent, ce paiement est libératoire pour le débiteur. 

Mais, pour la Cour de cassation, l’apparence est une théorie plus générale ayant vocation à s’appliquer dans d‘autres hypothèses. La théorie vise à valider un acte translatif de propriété conclu par un propriétaire qui n’était qu’un propriétaire apparent. La théorie de l’apparence consolide une acquisition a non domino. 

 

               §1. Les conditions de la propriété apparente

Le but de la propriété apparente est de protéger un tiers et plus précisément un acquéreur a non domino. L’apparence permet de reconnaitre au profit de cet acquéreur le droit de propriété qui n’a pas pu lui être transmis puisque le propriétaire n’était qu’un propriétaire apparent. Ce faisant, si l’on attribue la propriété au tiers, victime de l’apparence, on retire cette propriété au véritable propriétaire (verus dominus). C’est la raison pour laquelle la théorie de l’apparence ne peut jouer que dans les hypothèses où la protection du tiers apparait comme étant légitime. 

Pour qu’il y ait propriété apparente, il faut la réunion de 3 conditions cumulatives. D’abord, il faut que le tiers ait été victime d’une erreur commune et invincible. L’erreur consiste à avoir cru que l’auteur était le véritable propriétaire. L’erreur est dite commune lorsque n’importe quelle autre personne aurait commis exactement la même erreur. Par ailleurs, l’erreur est dite invincible lorsque par des moyens normaux, il n’était pas possible de découvrir la vérité. 

Ensuite, la victime de l’erreur doit être de bonne foi. Autrement dit, elle doit avoir réellement cru que le propriétaire apparent était le véritable propriétaire. Cette condition explique que la propriété apparente joue principalement voire exclusivement en matière immobilière. En effet, en matière mobilière, la bonne foi est susceptible de déclencher l’usucapion instantanée (art.2276 c.civ).

Enfin, il faut que l’acte d’acquisition par le tiers soit un acte à titre onéreux. Si le tiers reçoit la propriété à titre gratuit, il est préférable de protéger le véritable propriétaire que le tiers acquéreur a non domino. En effet, le tiers ne subira qu’un manque à gagner alors que le propriétaire subira une perte. 

               §2. Les effets de la propriété apparente

La théorie a pour effet de valider l’acte d’acquisition conclu par le tiers et qui réalise une acquisition a non domino. La consolidation de l’acte a pour effet que le tiers, victime de l’apparence, est reconnu comme propriétaire de la chose acquise. Parallèlement, le verus dominus perd son droit de propriété et ne peut récupérer sa chose par l’action en revendication. 

L’acquisition de la propriété par le tiers se produit instantanément. Ce mécanisme joue comme l’usucapion. Mais cette propriété apparente est-elle bien conforme au texte de l’usucapion ? On sait que l’usucapion permet d’acquérir la propriété. En matière d’usucapion, le législateur pose des conditions de durée et qu’il est interdit d’acquérir par la théorie de l’apparence. La propriété apparente semble contraire aux textes de l’usucapion. De plus, cette théorie permet de spolier le véritable propriétaire au profit de la victime de l’apparence. Cela ressemble étrangement à une expropriation pour cause d’utilité privée sans aucune indemnité. Cette solution jurisprudentielle est donc très critiquable. 

TITRE II : LES DROIT RÉELS SUR LA CHOSE D’AUTRUI

Dans l’analyse néo-personnaliste du droit réel, le droit réel sur la chose d’autrui met toujours en relation deux individus, le sujet actif (titulaire du droit réel) et le sujet passif (propriétaire de la chose). 

L’art.543 c.civ décompose les droits réels sur la chose d’autrui en deux grandes catégories : les droits de jouissance et les services fonciers. L’ordre public général n’interdit pas de créer des droits réels sui generis mais l’ordre public des biens impose pour ces droits de trouver un juste équilibre entre l’étendue des prérogatives conférées et la durée du droit réel.

 

CHAPITRE I : LES DROITS RÉELS DE JOUISSANCE 

Ces droits réels de jouissance ont pour caractéristique de conférer à leur titulaire la jouissance d’une chose qui appartient à une autre personne. Le code civil en connait deux types : l’usufruit et le droit d’usage et d’habitation. Ce dernier constitue un diminutif de l’usufruit. En d’autres termes, pour l’essentiel, il obéit au même régime juridique que l’usufruit sauf quelques particularités tenant à leur inaliénabilité légale (caractère alimentaire) contrairement au droit d’usufruit qui peut s’aliéner. 

Mais d’autres codes prévoient des droits réels de jouissance, notamment les baux immobiliers qui confèrent au locataire un droit réel sur la chose louée. On peut citer le bail emphytéotique, le bail à construction ou encore le bail réel immobilier. En marge de la loi, ces droits réels de jouissance peuvent procéder du seul contrat conclu entre les parties, notamment le droit réel de jouissance spéciale. 

SECTION UNIQUE : L’usufruit 

L’usufruit est régi par les art.578 et suivants c.civ. 

               §1. La notion d’usufruit 

                              A. Les caractéristiques de l’usufruit

L’usufruit est défini à l’art. 578 c.civ comme étant « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même mais à charge d’en conserver la substance ». Ce texte permet de cerner certains caractères dont 4 : l’usufruit est un droit de jouissance ; l’usufruit est un droit réel ; l’usufruit est un droit temporaire ; l’usufruit est un droit réel sur la chose d’autrui. 

                                             1) Un droit de jouissance

L’usufruit est un droit de jouissance. Positivement, cette caractéristique a pour conséquence de conférer à l’usufruitier à la fois l’usus et le fructus de la chose. Ils sont exactement comparables à ceux d’un propriétaire. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de la jouissance de sa chose. La jouissance de la chose par l’usufruitier est exclusive de celle du propriétaire. Lorsque la chose grevée d’usufruit est une chose frugifère (arbre fruitier), les fruits générés par cette chose ont vocation à appartenir en pleine propriété et à titre définitif à l’usufruitier. Ils ne viennent pas augmenter l’assiette de l’usufruit de sorte que l’usufruitier n’aura pas à les restituer au propriétaire. Naturellement, le droit d’usufruit doit exister au moment de la perception des fruits. 

Négativement, l’’usufruitier n’a pas l’abusus de la chose puisqu’il est tenu d’en conserver la substance. Par conséquent, il est lui interdit de prélever la substance de la chose. 

L’absence d’abusus appelle 3 remarques. D’abord, le seul abusus dont est privé l’usufruitier est l’abusus matériel. En revanche, l’usufruitier dispose pleinement de son abusus juridique puisqu’il a la libre disposition de son droit d’usufruit. Ensuite, parfois, il peut arriver que l’usufruitier soit investi de l’abusus matériel lorsque son droit d’usufruit porte sur des choses consomptibles. Enfin, si l’usufruitier n’a pas l’abusus matériel, c’est parce qu’il continue d’appartenir au propriétaire de la chose. Pour autant, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus matériel du propriétaire se retrouve en sommeil puisque le propriétaire doit respecter le droit de l’usufruitier en s’abstenant de porter atteinte à l’assiette de l’usufruit. 

 

                                             2) Un droit réel

D’abord, parce que l’usufruit est un droit réel, il se distingue du droit d’un simple locataire. L’usufruitier peut saisir la jouissance de la chose sans passer par l’activité du propriétaire (sujet passif). Mais le propriétaire ne doit absolument rien à l’usufruitier, il n’est tenu d’aucune obligation positive à son égard. Or, le locataire n’a accès à la jouissance de la chose que par sa délivrance par le bailleur. 

Ensuite, en tant que droit réel, le droit d’usufruit confère à l’usufruitier un droit de suite. Si le propriétaire transmet son droit de propriété, l’usufruitier pourra continuer à faire valoir son droit à l’encontre de l’acquéreur de la propriété. L’acquéreur ne pourra pas expulser l’usufruitier pour exercer la jouissance d’une chose. Or, lorsque le bailleur transmet la propriété de la chose, l’acquéreur n’est tenu d’aucune obligation envers le locataire celui-ci ne pouvant se retourner que contre son débiteur sauf le cas du bail immobilier. 

On peut admettre que ce droit n’ait pas exclusivement une source volontaire. Certes, il peut naitre de la volonté par le truchement d’un acte juridique unilatéral ou d’un contrat. Mais il peut également naitre de la loi (usufruit du conjoint survivant sur les biens de la succession) ou alors d’un simple fait juridique (usucapion). A contrario, le contrat de bail ne peut naitre que d’un contrat puisque le droit du locataire contre le bailleur est un droit personnel, ce qui nécessite la volonté de ce dernier. 

 

                                             3) Un droit temporaire

Le caractère temporaire de l’usufruit signifie que l’usufruit a toujours vocation à s’éteindre autrement que par un non-usage prolongé. 

                                                            a) Les justifications du caractère temporaire 

Le caractère temporaire se justifie de deux façons différentes. En premier lieu, le droit d’usufruit confère à son titulaire toute la jouissance de la chose. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de cette jouissance. Par voie de conséquence, pour éviter que le droit de propriété ne soit qu’une coquille vide, il faut que l’usufruit s’éteigne à un moment donné pour que le propriétaire récupère la jouissance de sa chose. En second lieu, historiquement, le droit d’usufruit présentait une fonction alimentaire pour son titulaire. Le but de l’usufruit est de subvenir à certains besoins de son titulaire, notamment le conjoint survivant. Ainsi, lorsque l’usufruitier décède, l’usufruit n’a pas besoin de perdurer. 

b) Les manifestations du caractère temporaire

L’usufruit constitue toujours un droit à durée déterminée. Il faut ensuite distinguer suivant que l’usufruitier est une personne morale ou une personne physique. 

Lorsque l’usufruitier est une personne morale, la durée de vie est longue (99 ans renouvelable une fois). Par conséquent, l’usufruit des personnes morales est toujours enfermé dans un délai maximal de 30 ans. Lorsqu’on consent un usufruit pour une durée plus longue, doit-on annuler l’usufruit ou le limiter à 30 ans ? Pas de réponse jurisprudentielle. 

Lorsque l’usufruitier est une personne physique, l’usufruit peut être assorti d’un terme ou non. Lorsque l’usufruit n’est assorti d’aucun terme, il constitue un droit viager qui s’éteint au décès de l’usufruitier. Lorsqu’il est assorti d’un terme, il a vocation à s’éteindre à l’échéance du terme. Mais, même lorsqu’il est à terme, l’usufruit conserve son caractère viager. Si l’usufruitier décède avant le terme, l’usufruit s’éteint prématurément. Cette règle est absolue et ne souffre d’aucune exception.

                                                            c) La portée du caractère viager de l’usufruit des personnes physiques

                                                                           i. Les faiblesses

Le caractère temporaire de l’usufruit comporte 3 faiblesses. D’abord, la date d’extinction de l’usufruit est toujours soumise à un aléa. Même assorti d’un terme, il peut potentiellement s’éteindre plus tôt. Cette incertitude empêche son utilisation comme technique juridique. C’est la raison pour laquelle il a été proposé de créer un droit réel de jouissance spéciale. Ensuite, il ne se transmet pas à cause de mort. Il s’éteint au décès de l’usufruitier et ne peut pas être recueilli par un héritier ou un légataire. La pratique a imaginé le contournement de cet inconvénient en créant les usufruits successifs/ clauses de réversion d’usufruit. Il consiste pour une même personne à créer deux droits d’usufruit qui ont vocation à se succéder dans le temps. Autrement dit, le second droit ne prend naissance qu’à compter de l’extinction du premier. Les deux usufruitiers tiennent leur droit du constituant. Enfin, le droit d’usufruit est très difficile à évaluer pécuniairement. En effet, on ne se sait jamais combien de temps va durer l’usufruit. C’est la raison pour laquelle, en matière fiscale, il existe un texte qui calcule de façon forfaitaire la valeur de l’usufruit (art.669 CGI). Plus l’usufruitier est jeune, plus l’usufruit vaut cher. 

                                                                           ii. Les forces

Même si on ne sait pas à quel moment l’usufruit va s’éteindre, on sait très précisément quelle sera la situation au moment du décès de l’usufruit. Par voie de conséquence, au décès de l’usufruitier, le droit s’éteint et le propriétaire retrouve la jouissance de la chose. Il n’y a pas de rapport d’auteur à ayant cause. C’est la raison pour laquelle on utilise beaucoup l’usufruit afin de faciliter les transmissions patrimoniales dans les cadres successoraux. Si les parents sont usufruitiers et les enfants propriétaires, les enfants retrouveront leur pleine propriété au décès de leurs parents. Ainsi, les enfants ne devront pas payer de droits de succession sur la jouissance retrouvée. 

                                             4) Un droit réel sur la chose d’autrui

Le fait que l’usufruit s’exerce sur la chose d’autrui permet de comprendre 3 règles.  D’abord, pendant toute la durée de l’usufruit, l’usufruitier doit veiller à la conservation de la chose. Ensuite, en principe, au moment de l’entrée en jouissance, l’usufruitier doit fournir une caution au nu-propriétaire. Cette caution garantit la bonne conservation et la bonne restitution du bien à la fin de l’usufruit. Enfin, il n’y a pas d’indivision entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. Les droits s’exercent sur une même chose mais ils ne sont pas de même nature. 

                              B. L’assiette de l’usufruit 

Incontestablement, le Code de 1804 a été rédigé du point de vue de l’usufruit en contemplation des seuls immeubles. Le régime est parfaitement adapté aux immeubles et l’est beaucoup moins pour les meubles. Néanmoins, il ressort de l’art 580 c.civ que l’usufruit peut porter sur tout type de biens aussi bien meubles qu’immeubles. Il en découle 4 conséquences. 

D’abord, l’usufruit en tant que droit réel peut être mobilier ou immobilier. Ensuite, l’attribution du droit d’usufruit est totalement indifférente aux caractéristiques physiques de son assiette. Néanmoins, ces caractéristiques physiques sont susceptibles d’influencer le régime juridique de l’usufruit. C’est ainsi que l’on recense 4 types d’usufruits atypiques. 

En premier lieu, on trouve les usufruits qui s’exercent sur des choses incorporelles (fonds de commerce, titre de sociétés). Ces usufruits peuvent présenter certaines particularités. Dans certains cas, ils ne confèrent pas d’usus à proprement parler. L’usus l’est essentiellement à cause du fructus. L’incorporalité de l’assiette a pour conséquence d’accroitre la collaboration entre l’usufruitier et le propriétaire de la chose. C’est le cas lorsque l’usufruit porte sur un fonds de commerce. 

En deuxième lieu, l’usufruit des choses consomptibles. En rappel, les choses consomptibles sont des choses dont on ne peut en user sans en abuser. Pour avoir l’usus d’une telle chose, l’usufruitier doit en avoir l’abusus matériel. En ce que l’abusus (matériel) est la prérogative du propriétaire, on parle alors de quasi-usufruit lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible. Il est largement utilisé à des fins d’optimisation des transmissions patrimoniales et peut avoir pour conséquence de réduire considérablement l’imposition sur les successions. Prenons l’hypothèse dans laquelle des parents sont usufruitiers d’une somme d’argent tandis que les enfants en sont les nus-propriétaires. À la fin de l’usufruit, les parents doivent la restituer à leurs enfants. Au décès des parents, il y aura dans la succession une dette de restitution réduisant la masse taxable et donc l’imposition. Pendant tout le temps que dure l’usufruit, le nu-propriétaire n’est plus propriétaire de la chose si bien qu’à l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire qui doit retrouver sa propriété n’est qu’un simple créancier, de la restitution (chose fongible non individualisée). À ce titre, il peut se heurter à l’insolvabilité de l’usufruitier. 

En troisième lieu, l’usufruit qui porte sur une universalité de fait. L’universalité de fait est un bien à part mais composé d’une pluralité de biens (fonds de commerce et ses composants). En principe, l’usufruit porte sur l’universalité et non ses éléments. Or, dans certaines universalités, la simple gestion autorise à disposer des biens qui la composent. L’usufruitier qui gère l’universalité a un pouvoir de disposer. Il en va ainsi lorsque l’usufruit porte sur un portefeuille de valeurs mobilières. Dans ce cas, il peut les vendre à charge d’en acquérir d’autres pour les remplacer (1re Civ., 12 novembre 1998, Baylet ; 1re Civ., 3 décembre 2002, Mallet). 

En quatrième lieu, l’usufruit de droits sociaux (parts ou actions de société). Il pose 3 questions : qui du nu-propriétaire ou de l’usufruiter a la qualité d’associé ? Qui des deux a le droit de voter aux AG de la société ? Qui a le droit recevoir les dividendes versés par la société ?

Enfin, l’usufruit peut être à titre particulier, à titre universel voire universel. Lorsqu’il est constitué à titre particulier, l’usufruitier n’est tenu d’aucun passif autre que ceux générés par le droit de l’usufruit. Lorsqu’il est à titre universel voire universel, l’usufruitier, en plus de son droit d’usufruit, doit supporter une quotepart de passifs proportionnelle à son droit. 

 

               §2. Le régime juridique de l’usufruit

                              A. Les sources de l’usufruit

L’usufruit constitue fondamentalement un droit réel. À ce titre, il est susceptible de possession et peut s’acquérir par usucapion. Néanmoins, elle se révèle très rare en pratique, parce que le possesseur n’aura pas l’animus d’un usufruitier mais l’animus d’un propriétaire (animus domini qui est présumé). 

S’agissant des sources de l’usufruit, l’art.579 c.civ vise la loi et la volonté. En principe, a contrario, l’usufruit ne peut naitre d’une décision judiciaire. Par exception, le législateur peut autoriser le juge à créer un usufruit (prestation compensatoire).

 

                                             1) L’usufruit légal

L’usufruit légal présente la caractéristique d’exister de plein droit sans l’accord du propriétaire même s’il souhaitait s’y opposer. On peut citer l’usufruit des parents sur les biens de leurs enfants jusqu’à l’âge de 16 ans ou l’usufruit du conjoint survivant sur les biens de son défunt conjoint. Il présente certaines particularités. D’abord, l’opposabilité au tiers lorsqu’il porte sur un immeuble. Or, l’opposabilité des droit réels immobiliers suppose une publicité au fichier immobilier. Néanmoins, parce qu’il est légal, l’usufruit est opposable de plein droit au tiers dès lors que nul n’est censé ignorer la loi. En principe, l’usufruitier doit fournir au nu-propriétaire une caution. Le plus souvent, il est dispensé de caution. 


 

                                             2) L’usufruit conventionnelle

L’usufruit peut résulter de la volonté unilatérale du propriétaire qui entend grever d’un tel droit la chose qui lui appartient. Il peut s’agir d’un acte unilatéral dans le cadre d’une disposition testamentaire. Dans ce cas, il peut être consenti à titre particulier, à titre universel, et ce avec ou sans charge. 

L’usufruit peut également résulter d’un contrat qui intervient nécessairement entre vifs à titre onéreux et forcément à titre particulier en vertu de la théorie du patrimoine. Le contrat d’usufruit peut présenter deux techniques. La première consiste pour le propriétaire à consentir sur sa chose un usufruit au profit de son cocontractant. La seconde consiste pour le propriétaire à céder son droit de propriété en se réservant l’usufruit de la chose. Le propriétaire initial va devenir usufruitier de sa chose et son cocontractant va devenir le nu-propriétaire. Il y aura une dissociation des utilités de la chose : l’un aura l’usufruit et l’autre la nue-propriété. 

                              B. Le fonctionnement de l’usufruit

Généralement, l’usufruit est présenté comme un droit antiéconomique en raison précisément de ses caractéristiques qui peuvent conduire à une très mauvaise gestion de la chose. D’abord, l’usufruit étant un droit réel, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont relativement étrangers l’un par rapport à l’autre. De même, le nu-propriétaire ne doit rien à l’usufruitier. Il en résulte qu’il n’existe aucune collaboration ni d’effet de synergie entre les deux. Ensuite, l’usufruit étant un droit temporaire, il a vocation à s’éteindre autrement que par la prescription extinctive (le non-usage prolongé). Sachant que son temps est compté, l’usufruitier peut avoir tendance à surexploiter la chose pour en retirer le maximum de profits. Enfin, l’usufruit étant un droit de jouissance, le nu-propriétaire en est privé pendant toute la durée de l’usufruit. Le nu-propriétaire sera conduit à se désintéresser de sa chose. 

Néanmoins, très souvent, l’usufruit est utilisé dans un cadre familial. Il est utilisé comme un instrument d’optimisation fiscale. Or, au sein d’une même famille, on ne peut nier l’existence d’une collaboration de sorte que l’usufruitier n’a pas une vision à court mais à long terme ni n’est complètement étranger par rapport au nu-propriétaire. 

                                             1) La situation juridique de l’usufruitier

                                                            a) Les prérogatives de l’usufruitier 

Les prérogatives de l’usufruitier sont relativement nombreuses et disparates mais elles peuvent être divisées en deux catégories selon qu’elles se rapportent aux choses mêmes ou aux droits d’usufruit qui grèvent de telles choses. 

                                                                           i. Les prérogatives relatives à la chose

Toutes les prérogatives relatives à la chose procèdent de ce que le droit d’usufruit constitue un droit de jouissance. Ces prérogatives peuvent être d’ordre matériel ou d’ordre juridique.

S’agissant des prérogatives matérielles relatives à la chose, il faut examiner successivement le contenu, l’étendue et les modalités de ce droit de jouissance. 

En premier lieu, s’agissant du contenu du droit de jouissance, l’usus de la chose permet à l’usufruitier d’utiliser matériellement la chose pour son propre intérêt et pour son propre profit. Naturellement, l’utilisation de la chose a pour conséquence son usure. Or, l’usure normale de la chose n’incombe pas à l’usufruitier qui rendra au propriétaire la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. Néanmoins, l’usufruitier devra quelque chose au propriétaire s’il a causé à la chose une usure anormale. Le fructus consiste à percevoir les fruits de la chose. D’abord, l’usufruitier devient le plein propriétaire de la chose. A contrario, les fruits de la chose ne viennent pas accroitre l’assiette de l’usufruit ; ils lui sont acquis définitivement et par suite ne seront pas sujet à restitution. Ensuite, l’usufruitier a droit à tous les fruits de la chose mais rien que les fruits. Il n’a pas droit aux produits de la chose qui sont la substance de la chose et qui relèvent de l’abusus matériel. De plus, il n’a droit qu’aux fruits qui peuvent effectivement être perçus pendant la durée de son droit. Il faut distinguer les fruits naturels et industriels se percevant en une fois à maturité et les fruits civils se percevant au jour le jour (prorata temporis). Enfin, l’usufruitier n’a droit qu’aux fruits qu’il a effectivement perçus pendant la durée de son droit. A contrario, à la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire qui redevient propriétaire n’est tenu de verser aucune indemnité à l’usufruitier pour les fruits qu’il n’a pas perçus pendant son droit.

En deuxième lieu, s’agissant de son étendue, ce droit de jouissance porte sur la chose qui fait l’objet de l’usufruit mais également sur les accessoires matériels (tout ce qui est incorporé à la chose en cours d’usufruit) et juridiques (un droit de servitude sur un autre fonds ou un droit de mitoyenneté qui sont des droits accessoires à la propriété). 

En troisième lieu, s’agissant des modalités du droit de jouissance, l’usufruitier doit jouir de la chose comme le propriétaire lui-même, i.e. conformément à sa destination actuelle sans pouvoir la modifier. Par exemple, si l’usufruit s’ouvre sur un immeuble à usage d’habitation, l’usufruitier ne peut en faire un immeuble à usage commercial. Il doit jouir de chose de façon raisonnable et, autant que faire ce peu, accomplir une jouissance qui soit saine et équilibrée.

S’agissant des prérogatives juridiques relatives à la jouissance, l’usufruitier a le droit d’accomplir tous les actes juridiques qui relèvent de cette jouissance. Il peut s’agir d’actes de gestion, d’actes d’administration à l’exclusion des actes de disposition. L’usufruitier a le droit de consentir un bail relativement à la chose qui constitue l’assiette de son usufruit. En contrepartie du bail, il perçoit les loyers (fruits civils dont l’usufruitier a le droit de percevoir et qu’il n’est pas tenu de restituer à la fin de l’usufruit). 

Comment articuler la situation juridique du locataire avec celle du propriétaire au moment de l’extinction de l’usufruit ?

 Sur ce point, le raisonnement juridique emporterait des conséquences pratiques indésirables. En rappel, le bail de droit commun ne crée que des obligations personnelles. L’usufruitier est personnellement tenu de conférer la jouissance de la chose à son locataire. Donc, le droit du locataire qui s’exerce contre la personne de l’usufruitier est totalement indépendant du droit réel d’usufruit. Même si le droit d’usufruit s’éteint, le contrat de bail a vocation à survivre. L’extinction de l’usufruit n’emporte pas extinction de plein droit du contrat de bail mais le problème est que le contrat de bail est fondamentalement un contrat. Qui dit contrat dit aussi force obligatoire. Or, le contrat présente une certaine relativité. Il en résulte une très grande instabilité pour le locataire qui, du jour au lendemain, peut perdre la jouissance de la chose et être contraint à se contenter de dommages-intérêts. 

Le législateur a trouvé un point d’équilibre entre la protection du locataire et la préservation du droit du propriétaire. Pour ce faire, l’art.595c.civ distingue 3 hypothèses. 

La première hypothèse est celle dans laquelle le bail consenti par l’usufruitier a une durée inférieure ou égale à 9 ans. Dans ce cas, en premier lieu, au moment où s’éteint l’usufruit, si le bail n’a reçu aucun commencement d’exécution, le bail ne recevra jamais d’exécution. En second lieu, si au moment où s’éteint l’usufruit, le bail a reçu un commencement d’exécution, il doit être exécuté jusqu’à son terme. Autrement dit, le contrat de bail s’impose au propriétaire lequel devra la jouissance au locataire mais il percevra lui-même des loyers puisqu’il n’y a plus d’usufruitier. 

La deuxième hypothèse est celle dans laquelle le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans. Dans ce cas, le législateur invite à fragmenter le contrat de bail en autant de périodes de 9 ans que possible. Cette fragmentation permet au locataire d’achever la période de 9 ans qui était en cours. En revanche, le bail ne peut pas aller au-delà de 9 ans. 

La troisième hypothèse concerne les baux ruraux et commerciaux. À ce propos, le législateur a organisé une très grande stabilité pour le locataire. Il s’agit non seulement de baux relativement longs mais aussi et surtout des baux qui, au moment de leur extinction, confèrent au locataire un véritable droit au renouvellement. Cette protection des locataires ruraux et commerciaux a rendu nécessaire une adaptation du bail conclu par l’usufruitier. Pour être certain que le locataire pourra exercer son droit au bail jusqu’au bout et qu’il pourra invoquer le renouvellement de son bail, le législateur a subordonné la conclusion du bail par l’usufruitier à un accord du nu-propriétaire. La Cour de cassation considère que cet accord du nu-propriétaire est requis à peine de nullité du contrat. S’il ne donne pas son accord, l’usufruitier peut demander au juge de passer outre le refus du nu-propriétaire s’il existe un motif légitime. Si le nu-propriétaire est d’accord, le bail est conclu et s’imposera pleinement à lui à l’expiration de l’usufruit. Non seulement le locataire va poursuivre son bail jusqu’à son terme mais aussi à la fin de son bail il pourra en imposer le renouvellement au propriétaire. 

ii. Les prérogatives relatives au droit d’usufruit 

Certes, l’usufruitier n’est pas le propriétaire de la chose mais, pour autant, il est le plein et seul titulaire de son droit d’usufruit. Il n’existe aucune indivision entre l’usufruitier et le propriétaire. L’usufruitier dispose du droit de disposer et de protéger son usufruit. 

La libre disposition du droit d’usufruit n’est rien d’autre que l’abusus juridique. L’usufruitier peut accomplir seul tous les actes de disposition relatifs à son droit d’usufruit. Ces actes peuvent être indifféremment à titre onéreux ou à titre gratuit ou translatif ou constitutif d’un autre droit réel. 

Mais cette prérogative est tempérée par le principe même de libre disposition. Pour l’usufruitier, l’une des façons de disposer du droit lui est interdite. En l’occurrence, il ne peut disposer de son droit à cause de mort puisque le décès de l’usufruitier emporte extinction de son usufruit. Ensuite, l’usufruitier ne peut conférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même. En d’autres termes, les droits que peuvent acquérir les ayants cause de l’usufruitier sont enfermés dans les mêmes limites que le droit d’usufruit lui-même. L’extinction du droit de l’usufruitier emporte extinction concomitante du droit de l’ayant cause. Cette situation signifie que le droit acquis par l’ayant cause de l’usufruitier ne se reporte pas, au moment de l’extinction de l’usufruit, sur le droit de propriété. En d’autres termes, le propriétaire n’aura pas à souffrir le droit consenti par l’usufruitier à une autre personne. Dans le cas particulier où l’usufruitier aurait transmis à autrui son droit d’usufruit, la durée de l’usufruit demeure calquée sur la durée de vie de l’usufruitier initial. 

La protection du droit d’usufruit signifie naturellement que l’usufruitier a le droit de protéger son droit que ce soit en défense ou en demande. En défense, la protection de ce droit entend s’opposer à une demande d’une autre personne prenant la forme d’une action négatoire d’usufruit. En demande, c’est l’usufruitier qui agit en justice pour faire reconnaitre son droit à l’encontre d’un possesseur. On parle d’action confessoire d’usufruit. 

 

                                                            b) Les devoirs de l’usufruitier

Les devoirs de l’usufruitier sont intimement liés à la nature réelle temporaire de la jouissance sur la chose d’autrui. 

i. L’usufruit en tant que droit réel

En tant que droit réel, l’usufruit permet à son titulaire de saisir seul la jouissance de la chose. A contrario, le nu-propriétaire ne doit strictement rien à l’usufruitier. Or, dans le bail, le bailleur est tenu de conférer la jouissance de la chose. Le premier devoir de l’usufruitier est de (p)rendre la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. L’usufruitier ne peut pas exiger du propriétaire qu’il lui remette la chose en bon état. 

ii. L’usufruit en tant que droit temporaire

En ce que l’usufruit est un droit temporaire, le propriétaire dépossédé de la jouissance est protégé à tous les stades de l’usufruit. 

D’abord, à la naissance de l’usufruit, l’entrée en jouissance de l’usufruitier est subordonnée à deux conditions. D’une part, l’usufruitier avant son entrée en jouissance est en principe tenu de faire dresser un inventaire des meubles et un état des immeubles. Cela permettrait de comparer l’assiette de l’usufruit au moment de l’entrée en jouissance et cette même assiette au moment de la fin de la jouissance (comme un état des lieux dans un contrat de bail). Ces mesures sont toutes réalisées aux frais de l’usufruitier contrairement au nu- propriétaire. D’autre part, l’usufruitier doit également fournir au propriétaire une caution, une personne qui s’engage envers le propriétaire à payer en cas de défaillance de l’usufruitier. L’idée est de garantir le propriétaire contre une responsabilité éventuelle de l’usufruitier pour défaut de conservation de la chose (versement de dommages-intérêts).

Ensuite, pendant la durée de l’usufruit, l’usufruitier est tenu d’une obligation de conserver la chose. Cette obligation se manifeste de deux façons. D’une part, il doit s’abstenir de tout fait qui porterait atteinte à la substance de la chose. D’autre part, il doit entretenir à ses frais la chose. À partir de là, s’il manque à son obligation de conservation, il en est responsable à l’égard de son propriétaire et s’expose également à la déchéance de son usufruit. 

Enfin, à la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire est encore protégé puisque l’usufruitier ou ses héritiers s’il est décédé sont tenus de restituer la chose au propriétaire.  

iii. L’usufruit en tant que droit de jouissance 

L’usufruit en tant que droit de jouissance s’appréhende négativement et positivement. Négativement, en ce que l’usufruit est un droit de jouissance, l’usufruitier doit s’abstenir de tout fait ou acte relevant de l’abusus matériel. Ainsi, l’usufruitier ne peut pas prélever les produits de la chose, la transformer, en changer l’affectation ou la destination ni la détruire sauf s’il est titulaire d’un droit de quasi-usufruit. Positivement, il est tenu de supporter certaines dépenses qui sont, d’une part, les charges usufructuaires et, d’autre part, les dépenses d’entretien. 

Les charges usufructuaires sont toutes les dépenses qui constituent la contrepartie normale de la jouissance de la chose. Ce sont des dépenses réalisées grâce au revenu de la chose sans porter atteinte à sa substance. On peut citer les frais de procès qui concernent la jouissance de la chose. On constate parfois la notion d’autonomie du droit fiscal. Fiscalement, constituent nécessairement des charges usufructuaires, les impôts sur le revenu pour les revenus fonciers tirés par l’usufruit comme la taxe d’habitation. Mais cette autonomie du droit fiscal a conduit à considérer que l’usufruitier, au titre des charges usufructuaires, doit aussi supporter la taxe foncière alors qu’elle existe en raison de la propriété de la chose.

S’agissant des dépenses d’entretien, l’usufruitier doit les supporter pour la simple raison qu’il est tenu pendant toute la durée de l’usufruit d’une obligation de conserver la chose. Cette catégorie des dépenses d’entretien est large parce qu’elle est définie par défaut. L’art.606 c.civ distingue deux types de dépenses. D’un côté, les dépenses d’entretien qui doivent être supportées par l’usufruitier et, de l’autre, les grosses réparations qui doivent être assurées par le nu-propriétaire. Or ces grosses réparations sont limitativement énumérées. Parmi les dépenses d’entretien, on peut citer les ravalements de façade. S’il manque à son obligation d’engager les dépenses d’entretien, il s’expose au recours du nu-propriétaire qui peut, de première part, contraindre l’usufruitier à l’entretenir, de deuxième part, le faire condamner à verser des dommages-intérêts et, de troisième part, faire prononcer la déchéance du droit d’usufruit.  Il arrive que l’usufruitier loue la chose. Dans ce cas, il a une double casquette. Il est usufruitier et bailleur. En tant qu’usufruitier, il est tenu aux dépenses d’entretien de la chose. 

                                             2) La situation juridique du nu-propriétaire 

La nue-propriété constitue un véritable droit de propriété. Pour cela, on peut lui appliquer les attributs du droit de propriété et en particulier l’absolutisme et la perpétuité. À ce titre, le nu-propriétaire bénéficie d’un droit absolu en ce sens qu’il a vocation à la plénitude des pouvoirs (usus, fructus, abusus) au moment où s’éteint l’usufruit. La nue-propriété est imprescriptible au même titre que la propriété. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de la jouissance de la chose mais son droit ne se perd pas par le non-usage prolongé.

Par ailleurs, l’usufruit va voir pour conséquence d’instaurer une certaine forme d’autonomie entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Entre les deux, il n’existe pas de collaboration ni de communauté d’intérêts.

                                                            a) Les prérogatives du nu-propriétaire

 

                                                                           i. Les prérogatives matérielles du nu-propriétaire

Pendant toute la durée de l’usufruit, les prérogatives matérielles du nu-propriétaire sont excessivement réduites. D’un côté, le nu-propriétaire n’a pas ou n’a plus ni l’usus ni le fructus. D’un autre côté, le nu-propriétaire conserve son abusus matériel particulièrement limité par le droit d’usufruit. En effet, puisque le nu-propriétaire est tenu de respecter le droit de l’usufruitier, il ne peut rien faire qui vienne modifier, réduire ou anéantir l’assiette du droit d’usufruit. Dès lors, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus matériel du nu-propriétaire sera mis en sommeil. Par exception, l’abusus matériel peut trouver à s’appliquer lorsque, par un cas fortuit, la chose a libéré des produits. Puisque les produits font partie du capital de la chose, ils ont vocation à être prélevés par le propriétaire. Par exemple, si la forêt de haute futée est arrachée par une tempête, les arbres doivent revenir au propriétaire qui pourra les vendre et obtenir le prix. 

                                                                           ii. Les prérogatives juridiques du nu-propriétaire 

Les prérogatives juridiques concernent par définition son droit de nu-propriétaire. Comme l’usufruitier, il peut disposer et protéger son droit. 

Le nu-propriétaire peut librement disposer de son droit. Comme tout titulaire de droit réel ou personnel, il peut disposer de son droit de propriété pendant toute la durée de l’usufruit, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit, entre vifs ou à cause de mort (contrairement à l’usufruitier). Néanmoins, le nu-propriétaire ne peut pas conférer à son ayant cause plus de droits qu’il en a lui-même. Concrètement, si le nu-propriétaire cède son droit de propriété, l’ayant cause ne pourra pas devenir plein propriétaire mais seulement nu-propriétaire de sorte que l’usufruitier pourra exercer à l’encontre de l’acquéreur son droit de suite. 

Il peut également constituer de nouveaux droits réels sur la propriété. Par exemple, le nu-propriétaire peut constituer une hypothèque sur la nue-propriété. Mais il peut arriver que ce droit réel soit incompatible avec le droit d’usufruit. Par exemple le droit d’usage et d’habitation.  Dans ce cas, tout dépend des stipulations de l’acte. Si l’acte constitutif du droit réel qui est incompatible avec l’usufruit essaie de le rendre compatible avec le droit d’usufruit, il reçoit pleinement application. À l’opposé, s’il y a incompatibilité avec les deux droits (autre droit réel avec l’usufruit), ce sont les règles de conflits d’acquéreurs successifs qui trouvent à s’appliquer. 

Le nu-propriétaire peut également défendre son droit. En effet, le fait que le propriétaire ne soit qu’un nu-propriétaire ne lui interdit pas d’exercer d’actions relatives au droit de propriété. Par exemple, le propriétaire peut exercer une action en bornage ou une action en revendication.  Par ailleurs, parce qu’il existe un usufruit, le nu-propriétaire peut exercer une action en déchéance d’usufruit ou une action en nullité d’un bail rural ou commercial conclu par l’usufruitier avec un tiers sans son accord. 

 

                                                            b) Les devoirs du nu-propriétaire 

D’abord, pendant toute la durée de l’usufruit, le nu-propriétaire doit respecter le droit de l’usufruitier. Ce devoir se manifeste de deux façons. Ainsi, le nu-propriétaire ne doit pas empêcher la jouissance de la chose par l’usufruitier. À la naissance de l’usufruit, le nu-propriétaire doit laisser l’usufruitier entrer en jouissance sans troubler cette jouissance de quelque manière que ce soit. Au titre du respect du droit d’usufruit, le nu-propriétaire doit subir la mise en sommeil de son abusus matériel (obligation négative). 

Ensuite, le nu-propriétaire n’est tenu d’aucune obligation vis-à-vis de l’usufruitier. L’usufruit est un droit réel et non un droit personnel. À la différence du bailleur, la personne du nu-propriétaire n’est pas engagée de plein droit vis-à-vis de l’usufruitier. Cette absence d’obligation du nu-propriétaire vis-à-vis de l’usufruitier s’observe à tous les stades de l’usufruit. Au moment de l’entrée en jouissance, l’usufruitier doit prendre la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. En cours d’usufruit, le nu-propriétaire est « tenu » des charges extraordinaires et les grosses réparations.

 Les charges extraordinaires sont les charges regardées comme la contrepartie de la détention du capital. Il en est ainsi de l’impôt sur la fortune immobilière ou l’obligation de financer les charges de l’ouvrage mitoyen. Généralement, elles sont dues non pas à l’usufruitier mais à des tierces personnes (créanciers publics ou privés). Ce sont donc des tiers qui exigeront du nu-propriétaire qu’il s’acquitte de ses dépenses. Si le tiers ne réclame rien, l’usufruitier ne peut pas contraindre le nu-propriétaire à s’acquitter de la dépense. Mais il pourra le faire lui-même et se faire rembourser à l’expiration de l’usufruit. 

 Les grosses réparations sont toutes celles qui concernent la structure de la chose grevée du droit d’usufruit. Elles sont limitativement énumérées par l’art.606 c.civ et sont à la charge du nu-propriétaire à moins qu’elles n’aient été rendues nécessaires par l’usufruitier qui devra alors les supporter au titre de dommages-intérêts. Remarquablement, l’usufruitier n’a aucun pouvoir pour contraindre le nu-propriétaire à engager ces grosses réparations, en ce compris, lorsque le défaut d’entretien porte atteinte au droit de jouissance. L’usufruitier peut toujours engager la dépense lui-même mais n’aura droit au remboursement qu’à la fin de l’usufruit et à concurrence de la plus-value apportée à la chose. 

                              C. L’extinction de l’usufruit

En rappel, le droit d’usufruit présente la particularité de conférer toute la jouissance de la chose à l’usufruitier. Pendant toute sa durée, le propriétaire en est privé. C’est pour cela qu’il est un droit temporaire sinon le droit de propriété serait vidé de sa substance. 

Les causes de l’extinction de l’usufruit sont naturelles, accidentelles, communes à tous les droits réels ou spécifiques au droit d’usufruit. D’autres emportent des conséquences classiques et d’autres des conséquences particulières.

                                             1) Les causes d’extinction de l’usufruit

À titre liminaire, l’usufruit est susceptible de s’éteindre en raison de causes simplement tirées du droit commun. Par exemple, l’usufruit s’éteint en cas de nullité ou de résolution de l’acte qui en a donné naissance. De même, il s’éteint en cas de renonciation de l’usufruitier à son droit.  À côté des causes de droit commun, il existe 7 causes particulières d’extinction de l’usufruit prévues aux arts. 617 et 618 c.civ.

                                                            a) Le décès de l’usufruitier

En droit français, l’usufruit constitut l’un des rares droits à être viager. Ce caractère viager vise à permettre au propriétaire de retrouver la jouissance de sa chose. L’usufruit est donc insusceptible de se transmettre à cause de mort. Ce caractère viager qui semble concerner uniquement les personnes physiques peut être transposé par analogie aux usufruits des personnes morales. En effet, si la personne morale usufruitière est dissoute ou liquidée avant le terme de l’usufruit, l’usufruit s’éteint également à ce moment, de façon prématurée. Le caractère temporaire l’emporte toujours sur sa durée. Même lorsque l’usufruit est assorti d’un terme, dès lors que l’usufruitier décède avant l’arrivée du terme, l’’usufruit va prendre fin prématurément. Cette durée est calquée sur la durée de l’usufruitier et dépend toujours de l’usufruitier initial en cas de rapport d’auteur à ayant cause. Mais lorsque l’usufruit existe simultanément au profit de plusieurs personnes (usufruit indivis), à quel moment l’usufruit doit-il s’éteindre ? La règle de principe est que l’usufruit s’éteint au décès du dernier usufruitier. 

 

                                                            b) Le terme de l’usufruit

Ce terme peut avoir tantôt une source conventionnelle tantôt une source légale. Ainsi, par exemple, l’usufruit des père et mère sur les biens de l’enfant cesse à compter des 16 ans de l’enfant. Il faut différencier les usufruits consentis à des personnes physiques et ceux consentis à des personnes morales. S’il s’agit d’une personne physique, l’usufruit prend fin à son décès. S’il s’agit d’une personne morale, le terme est obligatoire car en raison de la durée de vie des personnes morales (99 ans renouvelable), il est enfermé dans un délai maximal de 30 ans. La Cour de cassation décide que cette durée trentenaire doit s’apprécier de façon globale aussi bien pour un usufruit unique que pour une somme d’usufruits distincts par la même personne.  

                                                            c) La consolidation de l’usufruit

La consolidation de l’usufruit réside dans le fait que le nu-propriétaire ou l’usufruitier va acquérir le droit concurrent. L’usufruitier acquiert la propriété et le propriétaire acquiert l’usufruit. Dans une telle situation, une seule personne réunit sur sa même tête la qualité de propriétaire et la qualité d’usufruitier. Or, l’usufruit est un droit réel sur la chose d’autrui. Par conséquent, s’il y a réunion des deux droits sur la même tête, le droit d’usufruit doit nécessairement s’éteindre. 

Cette réunion ne fonctionne pas de la même façon. Lorsque la réunion s’opère sur la tête de l’usufruitier, elle procède d’une transmission à son profit de la nue-propriété qui peut indifféremment avoir lieu entre vifs ou à cause de mort. Au contraire, lorsque que c’est le nu- propriétaire qui réunit les deux droits dans son patrimoine, la consolidation ne peut intervenir qu’entre vifs puisque le nu-propriétaire ne peut rigoureusement pas acquérir le droit d’usufruit à cause de mort (extinction automatique du droit).

 

                                                            d) La réunion sur la tête d’un tiers des qualités d’usufruitier et de nu-propriétaire

Cette hypothèse est très proche de la consolidation. La seule différence est que la réunion des droits se réalise dans le patrimoine d’un tiers. Il en va ainsi à chaque fois que l’usufruitier et le nu-propriétaire cèdent simultanément leurs droits à une même personne. Lorsque la cession a lieu à titre onéreux, on peut répartir le prix entre l’usufruitier et le nu-propriétaire chacun à proportion de la valeur de son droit. Dans ce cas, l’usufruit prend fin et chacun repart avec son droit. On peut aussi reporter le droit d’usufruit sur le prix par le mécanisme de la subrogation réelle où le prix remplace l’assiette de l’usufruit. Parce que le prix est subrogé à l’assiette, il est soumis au régime de l’usufruit. Entre ces deux solutions, l’art.621 c.civ retient en principe la première, chacun repart avec une fraction du prix. 

                                                            e) La prescription extinctive

Le droit d’usufruit n’est pas un droit de propriété. Par conséquent, il ne bénéficie pas de la perpétuité du droit de propriété. Le non-usage du droit d’usufruit peut conduire à l’extinction de ce droit. La prescription commence à courir à compter du jour où l’usufruitier a accompli son dernier acte de jouissance. Le droit d’usufruit déroge au droit commun de la prescription extinctive. Selon le droit commun, en matière immobilière, le délai de prescription est de 30 ans, et en matière mobilière, il est de 5 ans. L’art.617 c.civ n’a pas été modifié au moment de la réforme de la prescription extinctive. L’article ne distingue pas selon que l’assiette est mobilière ou immobilière de sorte que le délai de prescription pour l’usufruit est toujours de 30 ans. 

                                                            f) La perte de la chose

La perte de la chose est synonyme de sa destruction. L’origine de la perte n’a aucune importance sur l’effet extinctif de l’usufruit. La chose peut être détruite par un cas fortuit, par la faute d’un tiers ou même par la faute de l’usufruitier ou du nu-propriétaire. En tout état de cause, la perte a vocation à anéantir le droit d’usufruit. Néanmoins, cette perte doit être totale. Si la perte est partielle, l’usufruit est maintenu sur la portion subsistante de la chose. Dans ce cas, l’usufruitier ne peut pas exiger une reconstitution de l’assiette originaire par le propriétaire. 

Cependant, cette perte de la chose peut parfois s’accompagner d’une indemnité. Lorsqu’elle est imputable au nu-propriétaire ou à l’usufruitier, l’indemnité sera due par celui qui est à l’origine de la perte à l’égard de l’autre. Dans ce cas, celui qui reçoit l’indemnité en devient le plein propriétaire et l’usufruit disparait définitivement. De plus, l’indemnité peut également être due par une tierce personne soit par le tiers responsable de la perte de la chose ou par l’assureur de la chose. Le texte ne prévoit rien mais on peut raisonner par analogie conformément à l’art.512 c.civ. En principe, l’indemnité doit se répartir proportionnellement entre l’usufruitier et le nu-propriétaire mais s’ils veulent ils peuvent procéder à une subrogation réelle. 

                                                            g) La déchéance 

La déchéance constitue fondamentalement une sanction de l’usufruitier. Ce mécanisme permet de faire disparaitre le droit d’usufruit en guise de sanction infligée à l’usufruitier. En tant que sanction, la déchéance doit obligatoirement reposer sur une faute de l’usufruitier. Elle peut être de deux ordres. En ce que l’usufruit est un droit réel, la faute peut consister, d’une part, en un défaut d’entretien (manquement à l’obligation d’entretien) ou, d’autre part, en un abus de jouissance (par exemple lorsque l’usufruitier porte atteinte à la substance de la chose en prélevant les produits). 

Par ailleurs, cette déchéance ne peut être prononcée que par un juge.  Le nu-propriétaire doit donc demander la déchéance en justice. Le juge dispose, en l’occurrence, d’un large pouvoir d’appréciation reposant sur la gravité de la faute commise par l’usufruitier. D’abord, si le juge considère que la faute est suffisamment grave, il peut prononcer la déchéance. Ensuite, s’il considère qu’il n’y a pas de faute ou que la faute n’est pas suffisamment grave, il peut rejeter la demande. Enfin, lorsqu’il estime qu’il y a faute mais que la gravité ne justifie pas de priver l’usufruitier de tout droit, le juge peut convertir l’usufruit en une rente. En ce cas, le nu-propriétaire devra verser une rente à l’usufruitier durant toute la durée de l’usufruit en contrepartie de l’extinction de l’usufruit (pour conserver le caractère alimentaire de ce droit). 

                                             2) Les effets de l’extinction de l’usufruit

D’abord, l’extinction de l’usufruit emporte reconstitution de la pleine propriété sur la tête du propriétaire. On retrouve l’absolutisme du droit de propriété i.e. la vocation à la plénitude des pouvoirs. Le droit d’usufruit s’éteint véritablement. La jouissance de la chose que récupère le propriétaire ne lui est pas transmise par l’usufruitier. Il n’existe pas de rapport d’auteur à ayant cause entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. 

Lorsque le droit conféré à un tiers était un droit réel (hypothèque, droit d’usage et d’habitation), il a vocation à s’éteindre en même temps que l’usufruit dans la mesure où nul ne peut conférer plus de droits qu’il n’en a (nemo plus iuris). Le droit de jouissance n’étant pas transmis au nu-propriétaire, le titulaire du droit réel ne peut pas prétendre exercer un droit de suite. Cependant, les droits personnels ont vocation à survivre car ils engagent la personne de l’usufruitier indépendamment du droit réel sur la chose. Par conséquent, les titulaires de ces droits personnels conservent leurs droits même si l’usufruit s’éteint. En revanche, les titulaires de ces droits personnels sont soumis à l’effet relatif si bien qu’ils ne peuvent rien réclamer au propriétaire et ne peuvent agir que contre leur débiteur. 

Ensuite, l’extinction emporte obligation de l’usufruitier de rendre la chose au nu-propriétaire. En principe, elle doit avoir lieu en nature, i.e. que la chose constituant l’assiette de l’usufruit doit être rendu dans l’état dans lequel elle se trouve pourvu que son état corresponde à une usure normale. On pourra se servir de l’inventaire des meubles et de l’état des immeubles. S’il y a lieu, le cas échéant, le propriétaire pourra se retourner contre l’usufruitier ou la caution fournie avant la jouissance. Par exemple, la restitution a lieu en valeur à chaque fois que la restitution en nature est impossible. Il en va ainsi en cas de quasi-usufruit. 

Enfin, l’extinction emporte reddition des comptes. En premier lieu, l’usufruitier doit rendre des comptes au nu-propriétaire. Il doit tous les dommages-intérêts qui résulteraient de sa faute notamment pour abus de jouissance ou défaut d’entretien. En second lieu, l’usufruitier doit également rendre compte au propriétaire de tous les fruits qu’il aurait perçus indûment. En sens inverse, le nu-propriétaire doit rembourser toutes les charges extraordinaires et les plus-values de grosses réparations que l’usufruitier aurait acquitté lui-même. En revanche, le nu-propriétaire ne doit rien à l’usufruitier pour toutes les améliorations apportées à la chose. Cette solution est critiquée par la doctrine puisqu’on s’aperçoit que l’usufruitier est moins bien protégé qu’un locataire ou un simple possesseur. 

TITRE II : LES DROIT RÉELS SUR LA CHOSE D’AUTRUI

Dans l’analyse néo-personnaliste du droit réel, le droit réel sur la chose d’autrui met toujours en relation deux individus, le sujet actif (titulaire du droit réel) et le sujet passif (propriétaire de la chose). 

L’art.543 c.civ décompose les droits réels sur la chose d’autrui en deux grandes catégories : les droits de jouissance et les services fonciers. L’ordre public général n’interdit pas de créer des droits réels sui generis mais l’ordre public des biens impose pour ces droits de trouver un juste équilibre entre l’étendue des prérogatives conférées et la durée du droit réel.

 

CHAPITRE I : LES DROITS RÉELS DE JOUISSANCE 

Ces droits réels de jouissance ont pour caractéristique de conférer à leur titulaire la jouissance d’une chose qui appartient à une autre personne. Le code civil en connait deux types : l’usufruit et le droit d’usage et d’habitation. Ce dernier constitue un diminutif de l’usufruit. En d’autres termes, pour l’essentiel, il obéit au même régime juridique que l’usufruit sauf quelques particularités tenant à leur inaliénabilité légale (caractère alimentaire) contrairement au droit d’usufruit qui peut s’aliéner. 

Mais d’autres codes prévoient des droits réels de jouissance, notamment les baux immobiliers qui confèrent au locataire un droit réel sur la chose louée. On peut citer le bail emphytéotique, le bail à construction ou encore le bail réel immobilier. En marge de la loi, ces droits réels de jouissance peuvent procéder du seul contrat conclu entre les parties, notamment le droit réel de jouissance spéciale. 

SECTION UNIQUE : L’usufruit 

L’usufruit est régi par les art.578 et suivants c.civ. 

               §1. La notion d’usufruit 

                              A. Les caractéristiques de l’usufruit

L’usufruit est défini à l’art. 578 c.civ comme étant « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même mais à charge d’en conserver la substance ». Ce texte permet de cerner certains caractères dont 4 : l’usufruit est un droit de jouissance ; l’usufruit est un droit réel ; l’usufruit est un droit temporaire ; l’usufruit est un droit réel sur la chose d’autrui. 

                                             1) Un droit de jouissance

L’usufruit est un droit de jouissance. Positivement, cette caractéristique a pour conséquence de conférer à l’usufruitier à la fois l’usus et le fructus de la chose. Ils sont exactement comparables à ceux d’un propriétaire. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de la jouissance de sa chose. La jouissance de la chose par l’usufruitier est exclusive de celle du propriétaire. Lorsque la chose grevée d’usufruit est une chose frugifère (arbre fruitier), les fruits générés par cette chose ont vocation à appartenir en pleine propriété et à titre définitif à l’usufruitier. Ils ne viennent pas augmenter l’assiette de l’usufruit de sorte que l’usufruitier n’aura pas à les restituer au propriétaire. Naturellement, le droit d’usufruit doit exister au moment de la perception des fruits. 

Négativement, l’’usufruitier n’a pas l’abusus de la chose puisqu’il est tenu d’en conserver la substance. Par conséquent, il est lui interdit de prélever la substance de la chose. 

L’absence d’abusus appelle 3 remarques. D’abord, le seul abusus dont est privé l’usufruitier est l’abusus matériel. En revanche, l’usufruitier dispose pleinement de son abusus juridique puisqu’il a la libre disposition de son droit d’usufruit. Ensuite, parfois, il peut arriver que l’usufruitier soit investi de l’abusus matériel lorsque son droit d’usufruit porte sur des choses consomptibles. Enfin, si l’usufruitier n’a pas l’abusus matériel, c’est parce qu’il continue d’appartenir au propriétaire de la chose. Pour autant, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus matériel du propriétaire se retrouve en sommeil puisque le propriétaire doit respecter le droit de l’usufruitier en s’abstenant de porter atteinte à l’assiette de l’usufruit. 

 

                                             2) Un droit réel

D’abord, parce que l’usufruit est un droit réel, il se distingue du droit d’un simple locataire. L’usufruitier peut saisir la jouissance de la chose sans passer par l’activité du propriétaire (sujet passif). Mais le propriétaire ne doit absolument rien à l’usufruitier, il n’est tenu d’aucune obligation positive à son égard. Or, le locataire n’a accès à la jouissance de la chose que par sa délivrance par le bailleur. 

Ensuite, en tant que droit réel, le droit d’usufruit confère à l’usufruitier un droit de suite. Si le propriétaire transmet son droit de propriété, l’usufruitier pourra continuer à faire valoir son droit à l’encontre de l’acquéreur de la propriété. L’acquéreur ne pourra pas expulser l’usufruitier pour exercer la jouissance d’une chose. Or, lorsque le bailleur transmet la propriété de la chose, l’acquéreur n’est tenu d’aucune obligation envers le locataire celui-ci ne pouvant se retourner que contre son débiteur sauf le cas du bail immobilier. 

On peut admettre que ce droit n’ait pas exclusivement une source volontaire. Certes, il peut naitre de la volonté par le truchement d’un acte juridique unilatéral ou d’un contrat. Mais il peut également naitre de la loi (usufruit du conjoint survivant sur les biens de la succession) ou alors d’un simple fait juridique (usucapion). A contrario, le contrat de bail ne peut naitre que d’un contrat puisque le droit du locataire contre le bailleur est un droit personnel, ce qui nécessite la volonté de ce dernier. 

 

                                             3) Un droit temporaire

Le caractère temporaire de l’usufruit signifie que l’usufruit a toujours vocation à s’éteindre autrement que par un non-usage prolongé. 

                                                            a) Les justifications du caractère temporaire 

Le caractère temporaire se justifie de deux façons différentes. En premier lieu, le droit d’usufruit confère à son titulaire toute la jouissance de la chose. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de cette jouissance. Par voie de conséquence, pour éviter que le droit de propriété ne soit qu’une coquille vide, il faut que l’usufruit s’éteigne à un moment donné pour que le propriétaire récupère la jouissance de sa chose. En second lieu, historiquement, le droit d’usufruit présentait une fonction alimentaire pour son titulaire. Le but de l’usufruit est de subvenir à certains besoins de son titulaire, notamment le conjoint survivant. Ainsi, lorsque l’usufruitier décède, l’usufruit n’a pas besoin de perdurer. 

                                                            b) Les manifestations du caractère temporaire

L’usufruit constitue toujours un droit à durée déterminée. Il faut ensuite distinguer suivant que l’usufruitier est une personne morale ou une personne physique. 

Lorsque l’usufruitier est une personne morale, la durée de vie est longue (99 ans renouvelable une fois). Par conséquent, l’usufruit des personnes morales est toujours enfermé dans un délai maximal de 30 ans. Lorsqu’on consent un usufruit pour une durée plus longue, doit-on annuler l’usufruit ou le limiter à 30 ans ? Pas de réponse jurisprudentielle. 

Lorsque l’usufruitier est une personne physique, l’usufruit peut être assorti d’un terme ou non. Lorsque l’usufruit n’est assorti d’aucun terme, il constitue un droit viager qui s’éteint au décès de l’usufruitier. Lorsqu’il est assorti d’un terme, il a vocation à s’éteindre à l’échéance du terme. Mais, même lorsqu’il est à terme, l’usufruit conserve son caractère viager. Si l’usufruitier décède avant le terme, l’usufruit s’éteint prématurément. Cette règle est absolue et ne souffre d’aucune exception.

                                                            c) La portée du caractère viager de l’usufruit des personnes physiques

                                                                           i. Les faiblesses

Le caractère temporaire de l’usufruit comporte 3 faiblesses. D’abord, la date d’extinction de l’usufruit est toujours soumise à un aléa. Même assorti d’un terme, il peut potentiellement s’éteindre plus tôt. Cette incertitude empêche son utilisation comme technique juridique. C’est la raison pour laquelle il a été proposé de créer un droit réel de jouissance spéciale. Ensuite, il ne se transmet pas à cause de mort. Il s’éteint au décès de l’usufruitier et ne peut pas être recueilli par un héritier ou un légataire. La pratique a imaginé le contournement de cet inconvénient en créant les usufruits successifs/ clauses de réversion d’usufruit. Il consiste pour une même personne à créer deux droits d’usufruit qui ont vocation à se succéder dans le temps. Autrement dit, le second droit ne prend naissance qu’à compter de l’extinction du premier. Les deux usufruitiers tiennent leur droit du constituant. Enfin, le droit d’usufruit est très difficile à évaluer pécuniairement. En effet, on ne se sait jamais combien de temps va durer l’usufruit. C’est la raison pour laquelle, en matière fiscale, il existe un texte qui calcule de façon forfaitaire la valeur de l’usufruit (art.669 CGI). Plus l’usufruitier est jeune, plus l’usufruit vaut cher. 

                                                                           ii. Les forces

Même si on ne sait pas à quel moment l’usufruit va s’éteindre, on sait très précisément quelle sera la situation au moment du décès de l’usufruit. Par voie de conséquence, au décès de l’usufruitier, le droit s’éteint et le propriétaire retrouve la jouissance de la chose. Il n’y a pas de rapport d’auteur à ayant cause. C’est la raison pour laquelle on utilise beaucoup l’usufruit afin de faciliter les transmissions patrimoniales dans les cadres successoraux. Si les parents sont usufruitiers et les enfants propriétaires, les enfants retrouveront leur pleine propriété au décès de leurs parents. Ainsi, les enfants ne devront pas payer de droits de succession sur la jouissance retrouvée. 

                                                            4) Un droit réel sur la chose d’autrui

Le fait que l’usufruit s’exerce sur la chose d’autrui permet de comprendre 3 règles.  D’abord, pendant toute la durée de l’usufruit, l’usufruitier doit veiller à la conservation de la chose. Ensuite, en principe, au moment de l’entrée en jouissance, l’usufruitier doit fournir une caution au nu-propriétaire. Cette caution garantit la bonne conservation et la bonne restitution du bien à la fin de l’usufruit. Enfin, il n’y a pas d’indivision entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. Les droits s’exercent sur une même chose mais ils ne sont pas de même nature. 

                              B. L’assiette de l’usufruit 

Incontestablement, le Code de 1804 a été rédigé du point de vue de l’usufruit en contemplation des seuls immeubles. Le régime est parfaitement adapté aux immeubles et l’est beaucoup moins pour les meubles. Néanmoins, il ressort de l’art 580 c.civ que l’usufruit peut porter sur tout type de biens aussi bien meubles qu’immeubles. Il en découle 4 conséquences. 

D’abord, l’usufruit en tant que droit réel peut être mobilier ou immobilier. Ensuite, l’attribution du droit d’usufruit est totalement indifférente aux caractéristiques physiques de son assiette. Néanmoins, ces caractéristiques physiques sont susceptibles d’influencer le régime juridique de l’usufruit. C’est ainsi que l’on recense 4 types d’usufruits atypiques. 

En premier lieu, on trouve les usufruits qui s’exercent sur des choses incorporelles (fonds de commerce, titre de sociétés). Ces usufruits peuvent présenter certaines particularités. Dans certains cas, ils ne confèrent pas d’usus à proprement parler. L’usus l’est essentiellement à cause du fructus. L’incorporalité de l’assiette a pour conséquence d’accroitre la collaboration entre l’usufruitier et le propriétaire de la chose. C’est le cas lorsque l’usufruit porte sur un fonds de commerce. 

En deuxième lieu, l’usufruit des choses consomptibles. En rappel, les choses consomptibles sont des choses dont on ne peut en user sans en abuser. Pour avoir l’usus d’une telle chose, l’usufruitier doit en avoir l’abusus matériel. En ce que l’abusus (matériel) est la prérogative du propriétaire, on parle alors de quasi-usufruit lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible. Il est largement utilisé à des fins d’optimisation des transmissions patrimoniales et peut avoir pour conséquence de réduire considérablement l’imposition sur les successions. Prenons l’hypothèse dans laquelle des parents sont usufruitiers d’une somme d’argent tandis que les enfants en sont les nus-propriétaires. À la fin de l’usufruit, les parents doivent la restituer à leurs enfants. Au décès des parents, il y aura dans la succession une dette de restitution réduisant la masse taxable et donc l’imposition. Pendant tout le temps que dure l’usufruit, le nu-propriétaire n’est plus propriétaire de la chose si bien qu’à l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire qui doit retrouver sa propriété n’est qu’un simple créancier, de la restitution (chose fongible non individualisée). À ce titre, il peut se heurter à l’insolvabilité de l’usufruitier. 

En troisième lieu, l’usufruit qui porte sur une universalité de fait. L’universalité de fait est un bien à part mais composé d’une pluralité de biens (fonds de commerce et ses composants). En principe, l’usufruit porte sur l’universalité et non ses éléments. Or, dans certaines universalités, la simple gestion autorise à disposer des biens qui la composent. L’usufruitier qui gère l’universalité a un pouvoir de disposer. Il en va ainsi lorsque l’usufruit porte sur un portefeuille de valeurs mobilières. Dans ce cas, il peut les vendre à charge d’en acquérir d’autres pour les remplacer (1re Civ., 12 novembre 1998, Baylet ; 1re Civ., 3 décembre 2002, Mallet). 

En quatrième lieu, l’usufruit de droits sociaux (parts ou actions de société). Il pose 3 questions : qui du nu-propriétaire ou de l’usufruiter a la qualité d’associé ? Qui des deux a le droit de voter aux AG de la société ? Qui a le droit recevoir les dividendes versés par la société ?

Enfin, l’usufruit peut être à titre particulier, à titre universel voire universel. Lorsqu’il est constitué à titre particulier, l’usufruitier n’est tenu d’aucun passif autre que ceux générés par le droit de l’usufruit. Lorsqu’il est à titre universel voire universel, l’usufruitier, en plus de son droit d’usufruit, doit supporter une quotepart de passifs proportionnelle à son droit. 

 

               §2. Le régime juridique de l’usufruit

                              A. Les sources de l’usufruit

L’usufruit constitue fondamentalement un droit réel. À ce titre, il est susceptible de possession et peut s’acquérir par usucapion. Néanmoins, elle se révèle très rare en pratique, parce que le possesseur n’aura pas l’animus d’un usufruitier mais l’animus d’un propriétaire (animus domini qui est présumé). 

S’agissant des sources de l’usufruit, l’art.579 c.civ vise la loi et la volonté. En principe, a contrario, l’usufruit ne peut naitre d’une décision judiciaire. Par exception, le législateur peut autoriser le juge à créer un usufruit (prestation compensatoire).

 

                                             1) L’usufruit légal

L’usufruit légal présente la caractéristique d’exister de plein droit sans l’accord du propriétaire même s’il souhaitait s’y opposer. On peut citer l’usufruit des parents sur les biens de leurs enfants jusqu’à l’âge de 16 ans ou l’usufruit du conjoint survivant sur les biens de son défunt conjoint. Il présente certaines particularités. D’abord, l’opposabilité au tiers lorsqu’il porte sur un immeuble. Or, l’opposabilité des droit réels immobiliers suppose une publicité au fichier immobilier. Néanmoins, parce qu’il est légal, l’usufruit est opposable de plein droit au tiers dès lors que nul n’est censé ignorer la loi. En principe, l’usufruitier doit fournir au nu-propriétaire une caution. Le plus souvent, il est dispensé de caution. 

                                             2) L’usufruit conventionnelle

L’usufruit peut résulter de la volonté unilatérale du propriétaire qui entend grever d’un tel droit la chose qui lui appartient. Il peut s’agir d’un acte unilatéral dans le cadre d’une disposition testamentaire. Dans ce cas, il peut être consenti à titre particulier, à titre universel, et ce avec ou sans charge. 

L’usufruit peut également résulter d’un contrat qui intervient nécessairement entre vifs à titre onéreux et forcément à titre particulier en vertu de la théorie du patrimoine. Le contrat d’usufruit peut présenter deux techniques. La première consiste pour le propriétaire à consentir sur sa chose un usufruit au profit de son cocontractant. La seconde consiste pour le propriétaire à céder son droit de propriété en se réservant l’usufruit de la chose. Le propriétaire initial va devenir usufruitier de sa chose et son cocontractant va devenir le nu-propriétaire. Il y aura une dissociation des utilités de la chose : l’un aura l’usufruit et l’autre la nue-propriété. 

                              B. Le fonctionnement de l’usufruit

Généralement, l’usufruit est présenté comme un droit antiéconomique en raison précisément de ses caractéristiques qui peuvent conduire à une très mauvaise gestion de la chose. D’abord, l’usufruit étant un droit réel, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont relativement étrangers l’un par rapport à l’autre. De même, le nu-propriétaire ne doit rien à l’usufruitier. Il en résulte qu’il n’existe aucune collaboration ni d’effet de synergie entre les deux. Ensuite, l’usufruit étant un droit temporaire, il a vocation à s’éteindre autrement que par la prescription extinctive (le non-usage prolongé). Sachant que son temps est compté, l’usufruitier peut avoir tendance à surexploiter la chose pour en retirer le maximum de profits. Enfin, l’usufruit étant un droit de jouissance, le nu-propriétaire en est privé pendant toute la durée de l’usufruit. Le nu-propriétaire sera conduit à se désintéresser de sa chose. 

Néanmoins, très souvent, l’usufruit est utilisé dans un cadre familial. Il est utilisé comme un instrument d’optimisation fiscale. Or, au sein d’une même famille, on ne peut nier l’existence d’une collaboration de sorte que l’usufruitier n’a pas une vision à court mais à long terme ni n’est complètement étranger par rapport au nu-propriétaire. 

                                             1) La situation juridique de l’usufruitier

                                                            a) Les prérogatives de l’usufruitier 

Les prérogatives de l’usufruitier sont relativement nombreuses et disparates mais elles peuvent être divisées en deux catégories selon qu’elles se rapportent aux choses mêmes ou aux droits d’usufruit qui grèvent de telles choses. 

                                                                           i. Les prérogatives relatives à la chose

Toutes les prérogatives relatives à la chose procèdent de ce que le droit d’usufruit constitue un droit de jouissance. Ces prérogatives peuvent être d’ordre matériel ou d’ordre juridique.

S’agissant des prérogatives matérielles relatives à la chose, il faut examiner successivement le contenu, l’étendue et les modalités de ce droit de jouissance. 

En premier lieu, s’agissant du contenu du droit de jouissance, l’usus de la chose permet à l’usufruitier d’utiliser matériellement la chose pour son propre intérêt et pour son propre profit. Naturellement, l’utilisation de la chose a pour conséquence son usure. Or, l’usure normale de la chose n’incombe pas à l’usufruitier qui rendra au propriétaire la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. Néanmoins, l’usufruitier devra quelque chose au propriétaire s’il a causé à la chose une usure anormale. Le fructus consiste à percevoir les fruits de la chose. D’abord, l’usufruitier devient le plein propriétaire de la chose. A contrario, les fruits de la chose ne viennent pas accroitre l’assiette de l’usufruit ; ils lui sont acquis définitivement et par suite ne seront pas sujet à restitution. Ensuite, l’usufruitier a droit à tous les fruits de la chose mais rien que les fruits. Il n’a pas droit aux produits de la chose qui sont la substance de la chose et qui relèvent de l’abusus matériel. De plus, il n’a droit qu’aux fruits qui peuvent effectivement être perçus pendant la durée de son droit. Il faut distinguer les fruits naturels et industriels se percevant en une fois à maturité et les fruits civils se percevant au jour le jour (prorata temporis). Enfin, l’usufruitier n’a droit qu’aux fruits qu’il a effectivement perçus pendant la durée de son droit. A contrario, à la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire qui redevient propriétaire n’est tenu de verser aucune indemnité à l’usufruitier pour les fruits qu’il n’a pas perçus pendant son droit.

En deuxième lieu, s’agissant de son étendue, ce droit de jouissance porte sur la chose qui fait l’objet de l’usufruit mais également sur les accessoires matériels (tout ce qui est incorporé à la chose en cours d’usufruit) et juridiques (un droit de servitude sur un autre fonds ou un droit de mitoyenneté qui sont des droits accessoires à la propriété). 

En troisième lieu, s’agissant des modalités du droit de jouissance, l’usufruitier doit jouir de la chose comme le propriétaire lui-même, i.e. conformément à sa destination actuelle sans pouvoir la modifier. Par exemple, si l’usufruit s’ouvre sur un immeuble à usage d’habitation, l’usufruitier ne peut en faire un immeuble à usage commercial. Il doit jouir de chose de façon raisonnable et, autant que faire ce peu, accomplir une jouissance qui soit saine et équilibrée.

S’agissant des prérogatives juridiques relatives à la jouissance, l’usufruitier a le droit d’accomplir tous les actes juridiques qui relèvent de cette jouissance. Il peut s’agir d’actes de gestion, d’actes d’administration à l’exclusion des actes de disposition. L’usufruitier a le droit de consentir un bail relativement à la chose qui constitue l’assiette de son usufruit. En contrepartie du bail, il perçoit les loyers (fruits civils dont l’usufruitier a le droit de percevoir et qu’il n’est pas tenu de restituer à la fin de l’usufruit). 

Comment articuler la situation juridique du locataire avec celle du propriétaire au moment de l’extinction de l’usufruit ?

 Sur ce point, le raisonnement juridique emporterait des conséquences pratiques indésirables. En rappel, le bail de droit commun ne crée que des obligations personnelles. L’usufruitier est personnellement tenu de conférer la jouissance de la chose à son locataire. Donc, le droit du locataire qui s’exerce contre la personne de l’usufruitier est totalement indépendant du droit réel d’usufruit. Même si le droit d’usufruit s’éteint, le contrat de bail a vocation à survivre. L’extinction de l’usufruit n’emporte pas extinction de plein droit du contrat de bail mais le problème est que le contrat de bail est fondamentalement un contrat. Qui dit contrat dit aussi force obligatoire. Or, le contrat présente une certaine relativité. Il en résulte une très grande instabilité pour le locataire qui, du jour au lendemain, peut perdre la jouissance de la chose et être contraint à se contenter de dommages-intérêts. 

Le législateur a trouvé un point d’équilibre entre la protection du locataire et la préservation du droit du propriétaire. Pour ce faire, l’art.595c.civ distingue 3 hypothèses. 

La première hypothèse est celle dans laquelle le bail consenti par l’usufruitier a une durée inférieure ou égale à 9 ans. Dans ce cas, en premier lieu, au moment où s’éteint l’usufruit, si le bail n’a reçu aucun commencement d’exécution, le bail ne recevra jamais d’exécution. En second lieu, si au moment où s’éteint l’usufruit, le bail a reçu un commencement d’exécution, il doit être exécuté jusqu’à son terme. Autrement dit, le contrat de bail s’impose au propriétaire lequel devra la jouissance au locataire mais il percevra lui-même des loyers puisqu’il n’y a plus d’usufruitier. 

La deuxième hypothèse est celle dans laquelle le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans. Dans ce cas, le législateur invite à fragmenter le contrat de bail en autant de périodes de 9 ans que possible. Cette fragmentation permet au locataire d’achever la période de 9 ans qui était en cours. En revanche, le bail ne peut pas aller au-delà de 9 ans. 

La troisième hypothèse concerne les baux ruraux et commerciaux. À ce propos, le législateur a organisé une très grande stabilité pour le locataire. Il s’agit non seulement de baux relativement longs mais aussi et surtout des baux qui, au moment de leur extinction, confèrent au locataire un véritable droit au renouvellement. Cette protection des locataires ruraux et commerciaux a rendu nécessaire une adaptation du bail conclu par l’usufruitier. Pour être certain que le locataire pourra exercer son droit au bail jusqu’au bout et qu’il pourra invoquer le renouvellement de son bail, le législateur a subordonné la conclusion du bail par l’usufruitier à un accord du nu-propriétaire. La Cour de cassation considère que cet accord du nu-propriétaire est requis à peine de nullité du contrat. S’il ne donne pas son accord, l’usufruitier peut demander au juge de passer outre le refus du nu-propriétaire s’il existe un motif légitime. Si le nu-propriétaire est d’accord, le bail est conclu et s’imposera pleinement à lui à l’expiration de l’usufruit. Non seulement le locataire va poursuivre son bail jusqu’à son terme mais aussi à la fin de son bail il pourra en imposer le renouvellement au propriétaire. 

                                                                           ii. Les prérogatives relatives au droit d’usufruit 

Certes, l’usufruitier n’est pas le propriétaire de la chose mais, pour autant, il est le plein et seul titulaire de son droit d’usufruit. Il n’existe aucune indivision entre l’usufruitier et le propriétaire. L’usufruitier dispose du droit de disposer et de protéger son usufruit. 

La libre disposition du droit d’usufruit n’est rien d’autre que l’abusus juridique. L’usufruitier peut accomplir seul tous les actes de disposition relatifs à son droit d’usufruit. Ces actes peuvent être indifféremment à titre onéreux ou à titre gratuit ou translatif ou constitutif d’un autre droit réel. 

Mais cette prérogative est tempérée par le principe même de libre disposition. Pour l’usufruitier, l’une des façons de disposer du droit lui est interdite. En l’occurrence, il ne peut disposer de son droit à cause de mort puisque le décès de l’usufruitier emporte extinction de son usufruit. Ensuite, l’usufruitier ne peut conférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même. En d’autres termes, les droits que peuvent acquérir les ayants cause de l’usufruitier sont enfermés dans les mêmes limites que le droit d’usufruit lui-même. L’extinction du droit de l’usufruitier emporte extinction concomitante du droit de l’ayant cause. Cette situation signifie que le droit acquis par l’ayant cause de l’usufruitier ne se reporte pas, au moment de l’extinction de l’usufruit, sur le droit de propriété. En d’autres termes, le propriétaire n’aura pas à souffrir le droit consenti par l’usufruitier à une autre personne. Dans le cas particulier où l’usufruitier aurait transmis à autrui son droit d’usufruit, la durée de l’usufruit demeure calquée sur la durée de vie de l’usufruitier initial. 

La protection du droit d’usufruit signifie naturellement que l’usufruitier a le droit de protéger son droit que ce soit en défense ou en demande. En défense, la protection de ce droit entend s’opposer à une demande d’une autre personne prenant la forme d’une action négatoire d’usufruit. En demande, c’est l’usufruitier qui agit en justice pour faire reconnaitre son droit à l’encontre d’un possesseur. On parle d’action confessoire d’usufruit. 

 

                                                            b) Les devoirs de l’usufruitier

Les devoirs de l’usufruitier sont intimement liés à la nature réelle temporaire de la jouissance sur la chose d’autrui. 

i. L’usufruit en tant que droit réel

En tant que droit réel, l’usufruit permet à son titulaire de saisir seul la jouissance de la chose. A contrario, le nu-propriétaire ne doit strictement rien à l’usufruitier. Or, dans le bail, le bailleur est tenu de conférer la jouissance de la chose. Le premier devoir de l’usufruitier est de (p)rendre la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. L’usufruitier ne peut pas exiger du propriétaire qu’il lui remette la chose en bon état. 

                                                                           ii. L’usufruit en tant que droit temporaire

En ce que l’usufruit est un droit temporaire, le propriétaire dépossédé de la jouissance est protégé à tous les stades de l’usufruit. 

D’abord, à la naissance de l’usufruit, l’entrée en jouissance de l’usufruitier est subordonnée à deux conditions. D’une part, l’usufruitier avant son entrée en jouissance est en principe tenu de faire dresser un inventaire des meubles et un état des immeubles. Cela permettrait de comparer l’assiette de l’usufruit au moment de l’entrée en jouissance et cette même assiette au moment de la fin de la jouissance (comme un état des lieux dans un contrat de bail). Ces mesures sont toutes réalisées aux frais de l’usufruitier contrairement au nu- propriétaire. D’autre part, l’usufruitier doit également fournir au propriétaire une caution, une personne qui s’engage envers le propriétaire à payer en cas de défaillance de l’usufruitier. L’idée est de garantir le propriétaire contre une responsabilité éventuelle de l’usufruitier pour défaut de conservation de la chose (versement de dommages-intérêts).

Ensuite, pendant la durée de l’usufruit, l’usufruitier est tenu d’une obligation de conserver la chose. Cette obligation se manifeste de deux façons. D’une part, il doit s’abstenir de tout fait qui porterait atteinte à la substance de la chose. D’autre part, il doit entretenir à ses frais la chose. À partir de là, s’il manque à son obligation de conservation, il en est responsable à l’égard de son propriétaire et s’expose également à la déchéance de son usufruit. 

Enfin, à la fin de l’usufruit, le nu-propriétaire est encore protégé puisque l’usufruitier ou ses héritiers s’il est décédé sont tenus de restituer la chose au propriétaire.  

                                                                           iii. L’usufruit en tant que droit de jouissance 

L’usufruit en tant que droit de jouissance s’appréhende négativement et positivement. Négativement, en ce que l’usufruit est un droit de jouissance, l’usufruitier doit s’abstenir de tout fait ou acte relevant de l’abusus matériel. Ainsi, l’usufruitier ne peut pas prélever les produits de la chose, la transformer, en changer l’affectation ou la destination ni la détruire sauf s’il est titulaire d’un droit de quasi-usufruit. Positivement, il est tenu de supporter certaines dépenses qui sont, d’une part, les charges usufructuaires et, d’autre part, les dépenses d’entretien. 

Les charges usufructuaires sont toutes les dépenses qui constituent la contrepartie normale de la jouissance de la chose. Ce sont des dépenses réalisées grâce au revenu de la chose sans porter atteinte à sa substance. On peut citer les frais de procès qui concernent la jouissance de la chose. On constate parfois la notion d’autonomie du droit fiscal. Fiscalement, constituent nécessairement des charges usufructuaires, les impôts sur le revenu pour les revenus fonciers tirés par l’usufruit comme la taxe d’habitation. Mais cette autonomie du droit fiscal a conduit à considérer que l’usufruitier, au titre des charges usufructuaires, doit aussi supporter la taxe foncière alors qu’elle existe en raison de la propriété de la chose.

S’agissant des dépenses d’entretien, l’usufruitier doit les supporter pour la simple raison qu’il est tenu pendant toute la durée de l’usufruit d’une obligation de conserver la chose. Cette catégorie des dépenses d’entretien est large parce qu’elle est définie par défaut. L’art.606 c.civ distingue deux types de dépenses. D’un côté, les dépenses d’entretien qui doivent être supportées par l’usufruitier et, de l’autre, les grosses réparations qui doivent être assurées par le nu-propriétaire. Or ces grosses réparations sont limitativement énumérées. Parmi les dépenses d’entretien, on peut citer les ravalements de façade. S’il manque à son obligation d’engager les dépenses d’entretien, il s’expose au recours du nu-propriétaire qui peut, de première part, contraindre l’usufruitier à l’entretenir, de deuxième part, le faire condamner à verser des dommages-intérêts et, de troisième part, faire prononcer la déchéance du droit d’usufruit.  Il arrive que l’usufruitier loue la chose. Dans ce cas, il a une double casquette. Il est usufruitier et bailleur. En tant qu’usufruitier, il est tenu aux dépenses d’entretien de la chose.

 

                                             2) La situation juridique du nu-propriétaire 

La nue-propriété constitue un véritable droit de propriété. Pour cela, on peut lui appliquer les attributs du droit de propriété et en particulier l’absolutisme et la perpétuité. À ce titre, le nu-propriétaire bénéficie d’un droit absolu en ce sens qu’il a vocation à la plénitude des pouvoirs (usus, fructus, abusus) au moment où s’éteint l’usufruit. La nue-propriété est imprescriptible au même titre que la propriété. Pendant toute la durée de l’usufruit, le propriétaire est privé de la jouissance de la chose mais son droit ne se perd pas par le non-usage prolongé.

Par ailleurs, l’usufruit va voir pour conséquence d’instaurer une certaine forme d’autonomie entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Entre les deux, il n’existe pas de collaboration ni de communauté d’intérêts.

                                                            a) Les prérogatives du nu-propriétaire

 

                                                                           i. Les prérogatives matérielles du nu-propriétaire

Pendant toute la durée de l’usufruit, les prérogatives matérielles du nu-propriétaire sont excessivement réduites. D’un côté, le nu-propriétaire n’a pas ou n’a plus ni l’usus ni le fructus. D’un autre côté, le nu-propriétaire conserve son abusus matériel particulièrement limité par le droit d’usufruit. En effet, puisque le nu-propriétaire est tenu de respecter le droit de l’usufruitier, il ne peut rien faire qui vienne modifier, réduire ou anéantir l’assiette du droit d’usufruit. Dès lors, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus matériel du nu-propriétaire sera mis en sommeil. Par exception, l’abusus matériel peut trouver à s’appliquer lorsque, par un cas fortuit, la chose a libéré des produits. Puisque les produits font partie du capital de la chose, ils ont vocation à être prélevés par le propriétaire. Par exemple, si la forêt de haute futée est arrachée par une tempête, les arbres doivent revenir au propriétaire qui pourra les vendre et obtenir le prix. 

                                                                           ii. Les prérogatives juridiques du nu-propriétaire 

Les prérogatives juridiques concernent par définition son droit de nu-propriétaire. Comme l’usufruitier, il peut disposer et protéger son droit. 

Le nu-propriétaire peut librement disposer de son droit. Comme tout titulaire de droit réel ou personnel, il peut disposer de son droit de propriété pendant toute la durée de l’usufruit, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit, entre vifs ou à cause de mort (contrairement à l’usufruitier). Néanmoins, le nu-propriétaire ne peut pas conférer à son ayant cause plus de droits qu’il en a lui-même. Concrètement, si le nu-propriétaire cède son droit de propriété, l’ayant cause ne pourra pas devenir plein propriétaire mais seulement nu-propriétaire de sorte que l’usufruitier pourra exercer à l’encontre de l’acquéreur son droit de suite. 

Il peut également constituer de nouveaux droits réels sur la propriété. Par exemple, le nu-propriétaire peut constituer une hypothèque sur la nue-propriété. Mais il peut arriver que ce droit réel soit incompatible avec le droit d’usufruit. Par exemple le droit d’usage et d’habitation.  Dans ce cas, tout dépend des stipulations de l’acte. Si l’acte constitutif du droit réel qui est incompatible avec l’usufruit essaie de le rendre compatible avec le droit d’usufruit, il reçoit pleinement application. À l’opposé, s’il y a incompatibilité avec les deux droits (autre droit réel avec l’usufruit), ce sont les règles de conflits d’acquéreurs successifs qui trouvent à s’appliquer. 

Le nu-propriétaire peut également défendre son droit. En effet, le fait que le propriétaire ne soit qu’un nu-propriétaire ne lui interdit pas d’exercer d’actions relatives au droit de propriété. Par exemple, le propriétaire peut exercer une action en bornage ou une action en revendication.  Par ailleurs, parce qu’il existe un usufruit, le nu-propriétaire peut exercer une action en déchéance d’usufruit ou une action en nullité d’un bail rural ou commercial conclu par l’usufruitier avec un tiers sans son accord. 

 

                                                            b) Les devoirs du nu-propriétaire 

D’abord, pendant toute la durée de l’usufruit, le nu-propriétaire doit respecter le droit de l’usufruitier. Ce devoir se manifeste de deux façons. Ainsi, le nu-propriétaire ne doit pas empêcher la jouissance de la chose par l’usufruitier. À la naissance de l’usufruit, le nu-propriétaire doit laisser l’usufruitier entrer en jouissance sans troubler cette jouissance de quelque manière que ce soit. Au titre du respect du droit d’usufruit, le nu-propriétaire doit subir la mise en sommeil de son abusus matériel (obligation négative). 

Ensuite, le nu-propriétaire n’est tenu d’aucune obligation vis-à-vis de l’usufruitier. L’usufruit est un droit réel et non un droit personnel. À la différence du bailleur, la personne du nu-propriétaire n’est pas engagée de plein droit vis-à-vis de l’usufruitier. Cette absence d’obligation du nu-propriétaire vis-à-vis de l’usufruitier s’observe à tous les stades de l’usufruit. Au moment de l’entrée en jouissance, l’usufruitier doit prendre la chose dans l’état dans lequel elle se trouve. En cours d’usufruit, le nu-propriétaire est « tenu » des charges extraordinaires et les grosses réparations.

 Les charges extraordinaires sont les charges regardées comme la contrepartie de la détention du capital. Il en est ainsi de l’impôt sur la fortune immobilière ou l’obligation de financer les charges de l’ouvrage mitoyen. Généralement, elles sont dues non pas à l’usufruitier mais à des tierces personnes (créanciers publics ou privés). Ce sont donc des tiers qui exigeront du nu-propriétaire qu’il s’acquitte de ses dépenses. Si le tiers ne réclame rien, l’usufruitier ne peut pas contraindre le nu-propriétaire à s’acquitter de la dépense. Mais il pourra le faire lui-même et se faire rembourser à l’expiration de l’usufruit. 

 Les grosses réparations sont toutes celles qui concernent la structure de la chose grevée du droit d’usufruit. Elles sont limitativement énumérées par l’art.606 c.civ et sont à la charge du nu-propriétaire à moins qu’elles n’aient été rendues nécessaires par l’usufruitier qui devra alors les supporter au titre de dommages-intérêts. Remarquablement, l’usufruitier n’a aucun pouvoir pour contraindre le nu-propriétaire à engager ces grosses réparations, en ce compris, lorsque le défaut d’entretien porte atteinte au droit de jouissance. L’usufruitier peut toujours engager la dépense lui-même mais n’aura droit au remboursement qu’à la fin de l’usufruit et à concurrence de la plus-value apportée à la chose. 

                              C. L’extinction de l’usufruit

En rappel, le droit d’usufruit présente la particularité de conférer toute la jouissance de la chose à l’usufruitier. Pendant toute sa durée, le propriétaire en est privé. C’est pour cela qu’il est un droit temporaire sinon le droit de propriété serait vidé de sa substance. 

Les causes de l’extinction de l’usufruit sont naturelles, accidentelles, communes à tous les droits réels ou spécifiques au droit d’usufruit. D’autres emportent des conséquences classiques et d’autres des conséquences particulières.

                                             1) Les causes d’extinction de l’usufruit

À titre liminaire, l’usufruit est susceptible de s’éteindre en raison de causes simplement tirées du droit commun. Par exemple, l’usufruit s’éteint en cas de nullité ou de résolution de l’acte qui en a donné naissance. De même, il s’éteint en cas de renonciation de l’usufruitier à son droit.  À côté des causes de droit commun, il existe 7 causes particulières d’extinction de l’usufruit prévues aux arts. 617 et 618 c.civ.

                                                            a) Le décès de l’usufruitier

En droit français, l’usufruit constitut l’un des rares droits à être viager. Ce caractère viager vise à permettre au propriétaire de retrouver la jouissance de sa chose. L’usufruit est donc insusceptible de se transmettre à cause de mort. Ce caractère viager qui semble concerner uniquement les personnes physiques peut être transposé par analogie aux usufruits des personnes morales. En effet, si la personne morale usufruitière est dissoute ou liquidée avant le terme de l’usufruit, l’usufruit s’éteint également à ce moment, de façon prématurée. Le caractère temporaire l’emporte toujours sur sa durée. Même lorsque l’usufruit est assorti d’un terme, dès lors que l’usufruitier décède avant l’arrivée du terme, l’’usufruit va prendre fin prématurément. Cette durée est calquée sur la durée de l’usufruitier et dépend toujours de l’usufruitier initial en cas de rapport d’auteur à ayant cause. Mais lorsque l’usufruit existe simultanément au profit de plusieurs personnes (usufruit indivis), à quel moment l’usufruit doit-il s’éteindre ? La règle de principe est que l’usufruit s’éteint au décès du dernier usufruitier. 

                                                    b) Le terme de l’usufruit

Ce terme peut avoir tantôt une source conventionnelle tantôt une source légale. Ainsi, par exemple, l’usufruit des père et mère sur les biens de l’enfant cesse à compter des 16 ans de l’enfant. Il faut différencier les usufruits consentis à des personnes physiques et ceux consentis à des personnes morales. S’il s’agit d’une personne physique, l’usufruit prend fin à son décès. S’il s’agit d’une personne morale, le terme est obligatoire car en raison de la durée de vie des personnes morales (99 ans renouvelable), il est enfermé dans un délai maximal de 30 ans. La Cour de cassation décide que cette durée trentenaire doit s’apprécier de façon globale aussi bien pour un usufruit unique que pour une somme d’usufruits distincts par la même personne.  

                                                    c) La consolidation de l’usufruit

La consolidation de l’usufruit réside dans le fait que le nu-propriétaire ou l’usufruitier va acquérir le droit concurrent. L’usufruitier acquiert la propriété et le propriétaire acquiert l’usufruit. Dans une telle situation, une seule personne réunit sur sa même tête la qualité de propriétaire et la qualité d’usufruitier. Or, l’usufruit est un droit réel sur la chose d’autrui. Par conséquent, s’il y a réunion des deux droits sur la même tête, le droit d’usufruit doit nécessairement s’éteindre. 

Cette réunion ne fonctionne pas de la même façon. Lorsque la réunion s’opère sur la tête de l’usufruitier, elle procède d’une transmission à son profit de la nue-propriété qui peut indifféremment avoir lieu entre vifs ou à cause de mort. Au contraire, lorsque que c’est le nu- propriétaire qui réunit les deux droits dans son patrimoine, la consolidation ne peut intervenir qu’entre vifs puisque le nu-propriétaire ne peut rigoureusement pas acquérir le droit d’usufruit à cause de mort (extinction automatique du droit).

 

                                                    d) La réunion sur la tête d’un tiers des qualités d’usufruitier et de nu-propriétaire

Cette hypothèse est très proche de la consolidation. La seule différence est que la réunion des droits se réalise dans le patrimoine d’un tiers. Il en va ainsi à chaque fois que l’usufruitier et le nu-propriétaire cèdent simultanément leurs droits à une même personne. Lorsque la cession a lieu à titre onéreux, on peut répartir le prix entre l’usufruitier et le nu-propriétaire chacun à proportion de la valeur de son droit. Dans ce cas, l’usufruit prend fin et chacun repart avec son droit. On peut aussi reporter le droit d’usufruit sur le prix par le mécanisme de la subrogation réelle où le prix remplace l’assiette de l’usufruit. Parce que le prix est subrogé à l’assiette, il est soumis au régime de l’usufruit. Entre ces deux solutions, l’art.621 c.civ retient en principe la première, chacun repart avec une fraction du prix. 

                                                    e) La prescription extinctive

Le droit d’usufruit n’est pas un droit de propriété. Par conséquent, il ne bénéficie pas de la perpétuité du droit de propriété. Le non-usage du droit d’usufruit peut conduire à l’extinction de ce droit. La prescription commence à courir à compter du jour où l’usufruitier a accompli son dernier acte de jouissance. Le droit d’usufruit déroge au droit commun de la prescription extinctive. Selon le droit commun, en matière immobilière, le délai de prescription est de 30 ans, et en matière mobilière, il est de 5 ans. L’art.617 c.civ n’a pas été modifié au moment de la réforme de la prescription extinctive. L’article ne distingue pas selon que l’assiette est mobilière ou immobilière de sorte que le délai de prescription pour l’usufruit est toujours de 30 ans. 

                                                    f) La perte de la chose

La perte de la chose est synonyme de sa destruction. L’origine de la perte n’a aucune importance sur l’effet extinctif de l’usufruit. La chose peut être détruite par un cas fortuit, par la faute d’un tiers ou même par la faute de l’usufruitier ou du nu-propriétaire. En tout état de cause, la perte a vocation à anéantir le droit d’usufruit. Néanmoins, cette perte doit être totale. Si la perte est partielle, l’usufruit est maintenu sur la portion subsistante de la chose. Dans ce cas, l’usufruitier ne peut pas exiger une reconstitution de l’assiette originaire par le propriétaire. 

Cependant, cette perte de la chose peut parfois s’accompagner d’une indemnité. Lorsqu’elle est imputable au nu-propriétaire ou à l’usufruitier, l’indemnité sera due par celui qui est à l’origine de la perte à l’égard de l’autre. Dans ce cas, celui qui reçoit l’indemnité en devient le plein propriétaire et l’usufruit disparait définitivement. De plus, l’indemnité peut également être due par une tierce personne soit par le tiers responsable de la perte de la chose ou par l’assureur de la chose. Le texte ne prévoit rien mais on peut raisonner par analogie conformément à l’art.512 c.civ. En principe, l’indemnité doit se répartir proportionnellement entre l’usufruitier et le nu-propriétaire mais s’ils veulent ils peuvent procéder à une subrogation réelle. 

                                                    g) La déchéance 

La déchéance constitue fondamentalement une sanction de l’usufruitier. Ce mécanisme permet de faire disparaitre le droit d’usufruit en guise de sanction infligée à l’usufruitier. En tant que sanction, la déchéance doit obligatoirement reposer sur une faute de l’usufruitier. Elle peut être de deux ordres. En ce que l’usufruit est un droit réel, la faute peut consister, d’une part, en un défaut d’entretien (manquement à l’obligation d’entretien) ou, d’autre part, en un abus de jouissance (par exemple lorsque l’usufruitier porte atteinte à la substance de la chose en prélevant les produits). 

Par ailleurs, cette déchéance ne peut être prononcée que par un juge.  Le nu-propriétaire doit donc demander la déchéance en justice. Le juge dispose, en l’occurrence, d’un large pouvoir d’appréciation reposant sur la gravité de la faute commise par l’usufruitier. D’abord, si le juge considère que la faute est suffisamment grave, il peut prononcer la déchéance. Ensuite, s’il considère qu’il n’y a pas de faute ou que la faute n’est pas suffisamment grave, il peut rejeter la demande. Enfin, lorsqu’il estime qu’il y a faute mais que la gravité ne justifie pas de priver l’usufruitier de tout droit, le juge peut convertir l’usufruit en une rente. En ce cas, le nu-propriétaire devra verser une rente à l’usufruitier durant toute la durée de l’usufruit en contrepartie de l’extinction de l’usufruit (pour conserver le caractère alimentaire de ce droit). 

                                       2) Les effets de l’extinction de l’usufruit

D’abord, l’extinction de l’usufruit emporte reconstitution de la pleine propriété sur la tête du propriétaire. On retrouve l’absolutisme du droit de propriété i.e. la vocation à la plénitude des pouvoirs. Le droit d’usufruit s’éteint véritablement. La jouissance de la chose que récupère le propriétaire ne lui est pas transmise par l’usufruitier. Il n’existe pas de rapport d’auteur à ayant cause entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. 

Lorsque le droit conféré à un tiers était un droit réel (hypothèque, droit d’usage et d’habitation), il a vocation à s’éteindre en même temps que l’usufruit dans la mesure où nul ne peut conférer plus de droits qu’il n’en a (nemo plus iuris). Le droit de jouissance n’étant pas transmis au nu-propriétaire, le titulaire du droit réel ne peut pas prétendre exercer un droit de suite. Cependant, les droits personnels ont vocation à survivre car ils engagent la personne de l’usufruitier indépendamment du droit réel sur la chose. Par conséquent, les titulaires de ces droits personnels conservent leurs droits même si l’usufruit s’éteint. En revanche, les titulaires de ces droits personnels sont soumis à l’effet relatif si bien qu’ils ne peuvent rien réclamer au propriétaire et ne peuvent agir que contre leur débiteur. 

Ensuite, l’extinction emporte obligation de l’usufruitier de rendre la chose au nu-propriétaire. En principe, elle doit avoir lieu en nature, i.e. que la chose constituant l’assiette de l’usufruit doit être rendu dans l’état dans lequel elle se trouve pourvu que son état corresponde à une usure normale. On pourra se servir de l’inventaire des meubles et de l’état des immeubles. S’il y a lieu, le cas échéant, le propriétaire pourra se retourner contre l’usufruitier ou la caution fournie avant la jouissance. Par exemple, la restitution a lieu en valeur à chaque fois que la restitution en nature est impossible. Il en va ainsi en cas de quasi-usufruit. 

Enfin, l’extinction emporte reddition des comptes. En premier lieu, l’usufruitier doit rendre des comptes au nu-propriétaire. Il doit tous les dommages-intérêts qui résulteraient de sa faute notamment pour abus de jouissance ou défaut d’entretien. En second lieu, l’usufruitier doit également rendre compte au propriétaire de tous les fruits qu’il aurait perçus indûment. En sens inverse, le nu-propriétaire doit rembourser toutes les charges extraordinaires et les plus-values de grosses réparations que l’usufruitier aurait acquitté lui-même. En revanche, le nu-propriétaire ne doit rien à l’usufruitier pour toutes les améliorations apportées à la chose. Cette solution est critiquée par la doctrine puisqu’on s’aperçoit que l’usufruitier est moins bien protégé qu’un locataire ou un simple possesseur. 

CHAPITRE II : LES SERVICES FONCIERS 

Les services fonciers sont autrement appelés servitudes, lesquels sont régis par l’article 637 c.civ. Selon cet article, « une servitude est une charge imposée à un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage appartenant à un propriétaire différent ». Il ressort de cette définition que la servitude consiste simplement à mettre l’une des utilités d’un fonds au profit d’un autre fonds. Elle établit un rapport entre deux fonds différents : le fonds dominant (celui qui tire profit de la servitude) le fonds servant (celui qui subit la servitude).

Historiquement, l’origine des servitudes est très ancienne. Elles existaient déjà à l’époque romaine. Elles ont traversé le temps puisqu’elles se retrouvent au M-A et sous l’AR. Un point de rupture est marqué avec le Code de 1804. Il maintient les servitudes mais les assortit d’un régime relativement strict tenant compte des acquis de la Révolution. Il ne fallait pas que, par les servitudes, on puisse faire renaître la propriété féodale et les corvées. Aujourd’hui, d’une part, les servitudes sont des droits réels économiquement utiles parce qu’elles permettent de maximiser les utilisations d’une chose et, d’autre part, elles sont utiles socialement car elles fluidifient les relations de voisinage. 

Mais ce sont des droits réels difficiles à utiliser en raison du carcan législatif. Certains auteurs souhaiteraient réformer le droit de servitude pour les libéraliser. En effet, la crainte de voir renaitre la propriété féodale de nos jours relève du pur fantasme. 

 

SECTION I : La notion de servitude 

 

             §1. La nature juridique des servitudes 

Fondamentalement, la servitude présente une triple nature juridique. Elle est à la fois un droit réel, un droit immobilier et un droit accessoire. 

                          A. Un droit réel

L’art.637 c.civ prévoit que la servitude constitue une charge. Or, l’objet de cette charge pourrait toujours faire l’objet d’une obligation personnelle. La technique utilisée pour saisir l’utilité d’une chose pourrait être soit le droit réel soit le droit personnel. Or, le propre de la servitude est précisément d’utiliser le droit réel. La réalité (le caractère de droit réel) de la servitude lui confère plusieurs avantages. 

En premier lieu, en tant que droit réel, la servitude peut être constituée autrement que par une manifestation de volonté. Elle peut naitre de la loi, d'un fait juridique alors que le droit personnel ne peut naitre que d’un contrat. 

En second lieu, en tant que droit réel, la servitude confère à son titulaire une grande stabilité qui se manifeste à trois égards. D’abord, la servitude confère à son titulaire un droit de suite. Concrètement, même si le propriétaire du fonds servant aliène son droit de propriété, le propriétaire du fonds dominant pourra continuer à exercer sa servitude. Ensuite, la servitude est indivisible. En cas de division du fonds dominant, chaque partie issue de cette division bénéficie totalement de la servitude. En cas de division du fonds servant, chaque fraction de ce fonds supporte la totalité de la servitude. Enfin, la servitude peut avoir vocation à la perpétuité. Tant que la servitude est exercée, elle continue de produire ses effets. Il peut y avoir des servitudes dont la durée de vie est excessivement longue. 

Mais la nature de la servitude est aussi source de certains inconvénients.  Tout d’abord, elle ne peut pas être constituée a non domino. La servitude constituée par un non-propriétaire encourt la nullité. Ensuite, les servitudes ne sont pas opposables de plein droit aux tiers. Enfin, en tant que droit immobilier, son opposabilité aux tiers requiert une publicité au fichier immobilier. 

 

                          B. Un droit immobilier 

Selon l’art.637 c.civ, la servitude est une charge imposée sur un héritage. Le terme héritage est ici synonyme de fonds. La servitude ne peut jamais porter que sur un fonds (bâti ou non). L’assiette de la servitude est toujours un immeuble par nature. A contrario, il ne peut exister de servitude sur des immeubles par destination ou des meubles. Mais dans certaines hypothèses, il pourrait être utile de créer une servitude entre deux choses mobilières. Il en va ainsi à propos de la clause de non-concurrence que souscrivent deux propriétaires d’un fonds de commerce. La non-concurrence ne peut pas utiliser la technique de la servitude ; elle passe forcément par l’obligation personnelle mais ce faisant elle est beaucoup moins stable que ne le serait une servitude.

                          C. Un droit accessoire

Incontestablement, la servitude permet d’appréhender les utilités du fonds servant. Elle s’intéresse aux utilités et non à la valeur du fonds. Concrètement, la servitude n’est pas un droit réel accessoire à une créance mais un droit réel principal. Pour autant, la servitude est un droit accessoire mais elle est l’accessoire du droit de propriété du fonds dominant. 

Il en résulte deux grandes conséquences. Tout d’abord, le droit de servitude (droit accessoire) a vocation à suivre le même sort que le droit de propriété du fonds dominant (droit principal) car c’est le propre de l’accessoire que de suivre le principal (accessorium sequitur principale). Si la propriété du fonds dominant est cédée, le droit de servitude est transmis de plein droit au cessionnaire. Si le droit de propriété du fonds dominant est grevé par un usufruit ou une hypothèque, il s’étend au droit de servitude. En tant que droit accessoire à la propriété du fonds dominant, le droit de servitude ne peut pas exister de façon automne par rapport à la propriété du fonds dominant. C’est ce qui explique qu’on ne peut pas céder de façon isolée une servitude. 

 

             §2. Les caractères des servitudes

Les caractères des servitudes sont relativement nombreux et peuvent être regroupés en deux catégories, suivant qu’ils sont généraux ou spéciaux. Les caractères généraux sont ceux qui sont communs à toutes les servitudes tandis que les caractères spéciaux peuvent varier d’une servitude à une autre. 

 

                          A. Les caractères généraux des servitudes

Les caractères généraux sont directement tirés de la définition de la servitude (art.637 c.civ). Il en résulte que toutes les servitudes présentent 4 caractères distincts.

                                       1) Une charge 

La charge est l’objet même de la servitude et correspond à l’utilité prise sur le fonds servant au bénéfice du fonds dominant. On la dénomme charge car, mécaniquement, elle constitue une limite à la propriété du fonds servant. 

Ces charges peuvent être extrêmement variées. Ainsi, l’art.686 c.civ autorise les propriétaires à créer toutes les servitudes que bon leur semble. De façon générale, cette charge peut présenter deux aspects différents. Dans certains cas, la charge est positive en ce qu’elle permet au propriétaire du fonds dominant d’appréhender lui-même l’utilité du fonds servant. Par exemple, la servitude de passage, la servitude de puisage, la servitude de pacage (faire paître les animaux sur le fonds servant).  Dans d’autres cas, la charge est négative en ce qu’elle consiste à paralyser l’une des utilités du fonds servant sans que le propriétaire du fonds dominant reçoive en retour cette utilité. Il en va ainsi des servitudes de non-construction (non aedificandi) ou des servitudes non altius tollendi (interdiction de construire au-delà d’une certaine hauteur). 

Mais la charge que constitue la servitude ne saurait absorber la totalité des utilités du fonds servant car une telle charge combinée à la durée de la servitude aurait pour conséquence de vider de sa substance le droit de propriété sur le fonds servant. 

                                       2) Une charge imposée à un héritage

La charge dont il est question doit peser sur le fonds servant lui-même et pas sur le propriétaire de ce fonds. Sont interdites les servitudes personnelles qui sont une sorte de corvées (art.686 c.civ). De plus, le propriétaire du fonds servant doit souffrir l’existence de la servitude qui restreint ses droits mais il ne doit strictement rien au propriétaire du fonds dominant. 

Néanmoins, le propriétaire du fonds servant peut être tenu envers le propriétaire du fonds dominant de certaines obligations de faire. Ce sont les servitudes in faciendo. Ainsi, la réalisation de tous les aménagements nécessaires à la servitude n’est pas à la charge du propriétaire servant mais à la charge du propriétaire du fonds dominant. Mais cette règle souffre un tempérament. 

En effet, il peut arriver que le propriétaire du fonds servant soit tenu de certaines prestations envers le propriétaire du fonds dominant. Pour ce faire, il faut 3 conditions. D’abord, la prestation qui est due par le propriétaire du fonds servant ne doit pas constituer une servitude elle-même mais l’accompagner.  Ensuite, la prestation doit permettre ou renforcer l’usage de la servitude. Enfin, elle doit être acceptée par le propriétaire du fonds servant. Si les conditions sont réunies, on peut considérer que le propriétaire du fonds servant doit quelque chose au propriétaire du fonds dominant. Cette obligation qui incombe au propriétaire du fonds servant n’existe qu’en raison de l’existence de la servitude. Cette obligation va suivre la nature réelle de la servitude de sorte que lorsque la servitude se transmet, l’obligation se transmet avec elle.  C’est l’obligation réelle ou obligation propter rem. 

 

                                       3) Une charge imposée à un héritage pour l’usage et l’utilité du fonds dominant 

La servitude doit profiter au fonds dominant qui est un fonds déterminé. Elle a pour fonction de satisfaire l’intérêt individuel du propriétaire du fonds dominant. A contrario, lorsqu’une charge est imposée sur un fonds sans qu’il existe un fonds dominant, elle ne saurait constituer une servitude. Il en va ainsi des servitudes d’urbanisme ou administratives, charges imposées sur un fonds qui profitent à la collectivité et non pas à un autre fonds. Ce ne sont pas d’authentiques servitudes. Autre exemple, l’obligation réelle environnementale. 

Il faut que la servitude profite au fonds lui-même et non pas à son propriétaire. Fondamentalement, le fonds dominant ne constitue pas un sujet de droit, mais un objet de droit. Le titulaire du droit de servitude n’est pas le fonds dominant mais son propriétaire. Dire que la servitude doit profiter au fonds dominant revient à dire qu’elle profite au propriétaire de ce fonds de façon indirecte uniquement parce qu’il en a la propriété. Pour qu’il y ait servitude, il faut que la charge soit susceptible de procurer le même intérêt à toute personne qui deviendrait propriétaire du fonds dominant. 

Par ailleurs, la servitude par son objet doit permettre l’usage et l’utilité du fonds dominant. En ce que le fonds servant souffre de la servitude, il faut que cette souffrance soit justifiée (raison légitime). Cette raison n’est légitime que si la servitude renforce l’usage du fonds dominant. A contrario, il ne pourrait y avoir de servitude pour de simples considérations d’agrément ou d’esthétisme. Cela étant, la Cour de cassation a une conception relativement large de l’utilité et considère que la servitude est valable à chaque fois qu’elle améliore le fonds dominant ou accroit sa valeur économique. 

                                       4) Une dualité de propriétaires 

D’abord, la règle nemini res sua servit (nul ne peut asservir sa propre chose) interdit dans certaines circonstances que l’on puisse créer des servitudes. Il en va ainsi lorsque des servitudes rencontrent l’indivision. Les indivisaires, même à l’unanimité, ne peuvent pas créer de servitude entre deux immeubles indivis. De la même façon, un indivisaire ne peut pas créer de servitude entre ses immeubles personnels et un immeuble indivis. 

Ensuite, cette règle conduit à une cause d’extinction spécifique des servitudes. Elles ont vocation à s’éteindre lorsque le fonds dominant et le fonds servant deviennent la propriété d’une seule et même personne. 

Enfin, cette règle conduit à un mode de constitution de servitude tout à fait orignal : les servitudes par destination du père de famille. Il faut imaginer qu’une personne soit propriétaire de deux fonds et qu’elle aménage ses fonds de telle sorte qu’un soit mis au service de l’autre. Dans un second temps, ces deux fonds appartiennent à deux personnes différentes ce qui permet de reconnaitre l’existence de la servitude. 

                          B. Les caractères spéciaux des servitudes

Ces caractères spéciaux constituent des caractères qui sont susceptibles de varier d’une servitude à une autre. Ils permettent d’identifier et de classer les servitudes en différentes catégories. Il est d’abord possible de distinguer les servitudes positives des servitudes négatives. Or cette distinction, qui est mise en valeur par la doctrine, n’est pas visée par le Code civil. De plus, on peut distinguer les servitudes rurales des servitudes urbaines. Le Code civil prévoit que la servitude rurale est celle qui s’applique aux fonds de terre alors que la servitude urbaine s’applique aux bâtiments. Cette distinction n’emporte pas de grandes conséquences. On distingue enfin d’un côté les servitudes continues et les servitudes discontinues et de l’autre les servitudes apparentes et les servitudes non apparentes. 

                                       1) La présentation des caractères spéciaux

                                                    a) La distinction entre les servitudes continues et les servitudes discontinues 

On appelle une servitude continue une servitude qui s’exerce de façon permanente et sans le fait actuel de l’homme. C’est une servitude dont le propriétaire du fonds dominant bénéficie sans rien accomplir. Ce sont généralement des servitudes négatives. À l’opposé, une servitude discontinue est une servitude qui s’exerce par intermittence et qui suppose le fait actuel de l’homme. Le propriétaire du fonds dominant exerce positivement son droit de servitude bénéficiant des utilités du fonds servant. 

                                                    b) La distinction entre les servitudes apparentes et les servitudes non-apparentes 

Les servitudes apparentes sont celles qui se manifestent par la présence d’un ouvrage extérieur. Cet ouvrage montre l’existence de la servitude. Par exemple, une servitude de passage avec un chemin ou une servitude de vue avec une fenêtre qui donne sur le fonds voisin. À l’opposé, les servitudes non apparentes sont celles qui s’exercent sans ouvrage extérieur et qui ne se révèlent pas aux yeux des tiers. 

                                       2) La portée des caractères spéciaux

Toute servitude est soit continue, soit discontinue, soit apparente soit non-apparente. Ainsi, il n’existe que 4 types de servitudes possibles : les servitudes continues et apparentes (par exemple, la servitude de vue) ; les servitudes continues et non apparentes (servitude non altius tollendi) ; les servitudes discontinues et apparentes (la servitude de passage) ; les servitudes discontinues et non-apparentes (la servitude de pacage). 

Il en découle quelques conséquences : l’acquisition de la servitude par usucapion, l’acquisition de la servitude par destination du père de famille et le bénéfice de la garantie d’éviction. 

                                                    a) L’acquisition de la servitude par usucapion

En tant que droit réel immobilier, les servitudes devraient pouvoir s’acquérir par le mécanisme de la prescription acquisitive. Néanmoins, les art.690 et 691 c.civ limitent les mécanismes de l’usucapion, aux seules servitudes continues et apparentes. Pour toutes les autres servitudes, l’usucapion ne constitue pas un mode d’acquisition de droit réel. Les rédacteurs du Code civil ont essayé de faire une synthèse entre les coutumes existant en France. Mais, il n’existe aucune raison logique à cette différence de régime. Aujourd’hui, on se demande s’il ne serait pas plus simple de reconnaître l’usucapion comme mode général d’acquisition de la servitude. 

                                                       b) L’acquisition de la servitude par destination du père de famille

L’acquisition de la servitude par destination du père de famille est régie par deux textes qui sont apparemment contradictoires. En effet, l’art.692 c.civ réserve ce mode d’acquisition aux seules servitudes continues et apparentes mais l’art.694 c.civ prévoit que la destination du père de famille peut jouer pour toutes les servitudes apparentes. Pour résoudre la contradiction entre les deux textes, la Cour de cassation considère que ces textes posent un régime de preuve. En effet, lorsque la servitude est continue et apparente, son existence peut être présumée et c’est à celui qui la conteste de la prouver. À l’opposé, lorsqu’elle est discontinue et non-apparente, l’existence de la servitude ne se présume pas. Il appartient à celui qui veut l’établir de rapporter la preuve. La destination du père de famille est susceptible de jouer pour toutes les servitudes apparentes. 

                                                    c) Le bénéfice de la garantie d’éviction

En rappel, dans une vente, le vendeur est tenu envers l’acquéreur d’un certain nombre de garanties. Parmi ces garanties, il en est une que l’on appelle la garantie d’éviction. Au titre de cette garantie, le vendeur doit protéger l’acheteur contre toute prétention juridique émise par un tiers. Cette prétention peut être la « revendication » d’une servitude. Par exemple, l’acheteur acquiert un immeuble le croyant libre de toute charge mais quelque temps après une personne se présente à lui et fait valoir une servitude sur l’immeuble vendu. L’acheteur peut se retourner contre le vendeur sur le fondement de la garantie d’éviction. 

À propos des servitudes, la garantie d’éviction due par le vendeur ne concerne pas toutes les servitudes. Elle n’est due que pour les servitudes non apparentes. Si le tiers fait valoir une servitude apparente, l’acheteur n’a aucun recours contre le vendeur. Puisque la servitude apparente se manifeste par un ouvrage extérieur, l’acheteur a pu se convaincre par lui-même de l’existence de la servitude. Il ne pouvait pas l’ignorer. Étant censé en avoir eu connaissance, l’acheteur ne peut pas avoir de recours contre le vendeur. 

 

SECTION II : Le régime des servitudes

             §1. Les sources de la servitude 

Elles sont au nombre de 4. La servitude peut naitre de la loi, de la volonté, de l’usucapion et de la destination du père de famille. Ces sources peuvent être regroupées en deux catégories en opposant les servitudes légales et les servitudes du fait de l’homme. 

                          A. Les servitudes légales

Les servitudes légales naissent de plein droit par la seule autorité de la loi. Elles ne sont pas acceptées par le propriétaire du fonds servant, celui-ci ne pouvant d’ailleurs pas les refuser. Elles sont opposables de plein droit aux tiers car nul n’est censé ignorer la loi. Ces servitudes sont regroupées au tour des relations de voisinage puisqu’elles existent de fait entre des fonds voisins. Certaines sont négatives et générales. Concrètement, tous les fonds entre voisins sont à la fois des fonds dominants et des fonds servants. 

Mais il existe des servitudes positives et spéciales. Elles ne grèvent que certains fonds et ne profitent qu’à certains fonds. Elles sont au nombre de 4 : la servitude d’écoulement des eaux fluviales (art. 640 et suivants c.civ), les servitudes de distance (art.674 c.civ), les servitudes de vue (675 c.civ et suivants) et la servitude de passage (682 c.civ et suivants). 

 

                                       1) La servitude d’écoulement des eaux fluviales

La servitude d’écoulement des eaux existe à chaque fois que deux fonds ne sont pas placés au même niveau géographique. Lorsqu’un fonds est placé à un niveau supérieur à l’autre fonds, légalement le fonds inférieur qui constitue un fonds servant doit supporter l’écoulement des eaux qui proviennent du fonds supérieur qui est le fonds dominant. Le propriétaire du fonds servant ne peut rien faire qui empêcherait l’écoulement naturel des eaux. Par exemple, il ne peut pas construire une digue.  

Cette servitude mérite deux observations. Pour protéger le fonds servant, le propriétaire du fonds dominant est tenu de concevoir des toitures qui évacuent l’eau plutôt sur son propre fonds voire sur la voie publique. Sur cette servitude, le Code civil est très laconique et elle est beaucoup plus régie par les lois spéciales notamment le code rural. 

                                       2) Les servitudes de distance

Les plantations faites en ligne séparative de deux fonds ne doivent pas nuire au voisin.  Elles doivent être faites à une distance minimale par rapport à la ligne séparative. Les deux fonds sont à la fois fonds servant et fonds dominant. En théorie, cette servitude concerne à la fois les plantations et les constructions. Mais, en pratique, le Code civil régit principalement les plantations tandis que les constructions relèvent plutôt du code de l’urbanisme. 

                                       3) Les servitudes de vue 

Les servitudes de vue sont des servitudes générales puisqu’elles grèvent tous les fonds vis-à-vis des fonds voisins. Elles ont la finalité de protéger l’intimité du fonds dominant. Elles interdisent de construire des fenêtres à moins d’une certaine distance du fonds voisin. Cette servitude est écartée lorsque la fenêtre ne fait que créer un jour sans créer une vue. C’est d’abord une fenêtre à verre maillé (on ne voit pas à travers) ou dormant (qu’on ne peut pas ouvrir).

                                       4) La servitude de passage

La servitude de passage permet au propriétaire du fonds dominant de passer sur le fonds servant afin d’accéder à sa propriété. Cette servitude peut être créée conventionnellement mais lorsqu’elle existe légalement, elle requiert certaines conditions. 

La première condition est une situation d’enclave. Il faut que le fonds dominant soit enclavé. Autrement dit, il faut qu’il ait un accès trop insuffisant à la voie publique. En principe, la servitude légale de passage ne concerne que les enclaves relatives à l’exploitation commerciale, industrielle ou agricole du fonds enclavé ou ne concerne que la réalisation d’une construction. En dehors de ce cadre, l’enclave ne justifie pas la servitude. Néanmoins, la Cour de cassation adopte une conception large de l’enclave si bien que, en pratique, seule compte la situation d’enclave. 

La seconde condition tient à l’origine de l’enclave. Pour que l’enclave donne lieu à la servitude de passage, elle ne doit pas procéder du seul fait du propriétaire du fonds enclavé. Si une personne enclave par elle-même son fonds, elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même. Par ailleurs, lorsque l’enclave procède de la division d’un fonds, par un même propriétaire, la servitude de passage ne peut être exigée que sur les fonds qui proviennent de la division. 

S’agissant de l’assiette de la servitude de passage, le Code civil invite à trouver un équilibre entre deux impératifs : d’une part, l’accès à la voie publique doit emprunter le chemin le plus court et, d’autre part, il doit être le moins dommageable possible pour le fonds servant. Cet équilibre peut être trouvé par la volonté des propriétaires, ou à défaut par une décision de justice ou par usucapion. Ici, l’usucapion porte sur l’acquisition de la servitude légale et non pas sur son assiette. 

Cette servitude légale de passage est une servitude onéreuse. Le propriétaire du fonds dominant doit verser une indemnité au propriétaire du fonds servant. Cette contrepartie prend la forme d’une obligation personnelle. C’est le propriétaire du fonds dominant qui revendique de supporter l’indemnité. L’indemnité est un droit personnel susceptible de prescription extinctive. Le droit du créancier n’affecte pas l’existence de la servitude. En effet, même si le propriétaire du fonds servant omet de demander l’indemnité, cela ne remet pas en cause l’existence de la servitude. 

                          B. Les servitudes du fait de l’homme
                                       1) L’usucapion

Selon l’art.690 c.civ l’usucapion ne peut concerner que les servitudes continues et apparentes. Le point de départ du délai de la prescription acquisitive est fixé au jour où se manifeste la servitude pour la première fois i.e. le jour où il y a une construction de l’ouvrage. C’est une prescription trentenaire puisque la Cour de cassation a toujours refusé que s’applique la prescription abrégée. En effet, l’art.690 c.civ vise expressément un délai de 30 ans. 

                                       2) Le titre 

Le titre désigne l’acte juridique par lequel le propriétaire d’un fonds accepte de grever son fonds d’une charge au profit d’un autre fonds. Autrement dit, il s’agit d’une servitude créée par la volonté du propriétaire du fonds servant. Cet acte constitue toujours un acte de disposition. Cela étant, les propriétaires sont relativement libres dans la création d’une servitude. 

La servitude peut être créée par un acte unilatéral ou multilatéral, par un acte entre vifs ou à cause de mort, ou par un acte à titre gratuit ou à titre onéreux. Les propriétaires sont libres dans l’objet de la servitude sous réserve de respecter l’ordre public des biens i.e. la notion de servitude en ce sens qu’elle est établie entre deux fonds, ne doit pas être personnelle ou in faciendo et ne doit pas absorber toutes les utilités du fonds servant. Ces actes de disposition ne sont pas opposables de plein droit aux tiers mais passent forcément par la publicité au fichier immobilier. 

                                       3) La destination du père de famille

La destination du père de famille est un mode d’acquisition de la servitude qui fonctionne en deux temps. Dans un premier temps, on est en présence d’un propriétaire qui aménage ses deux fonds ou son fonds unique pour que l’un des fonds ou l’une des parties du fonds soit mis au service de l’autre fonds ou de l’autre partie du fonds. À ce stade, il ne peut y avoir de servitude car il s’agit d’un propriétaire unique. Dans un second temps, le propriétaire unique laisse ses fonds à une pluralité de propriétaires. Par exemple, il cède les deux fonds ou les deux parties du fonds à deux personnes différentes ou il cède un fonds ou une partie du fonds à une autre personne. Dans tous les ces cas, la dualité de propriétaires fait naitre la servitude par destination du père de famille. 

La destination du père de famille repose sur une présomption de volonté. On présume que la volonté du propriétaire initial a été de créer une servitude lorsqu’il a procédé à la division de la propriété. A contrario, si l’acte comporte une clause qui prévoit expressément qu’il y aurait une servitude, on est en présence d’un titre. En revanche, si l’acte s’oppose expressément à l’existence d’une servitude, la destination du père de famille ne jouera pas. En effet, la destination du père de famille n’a vocation à jouer que lorsque l’acte est totalement silencieux sur l’existence d’une servitude. 

Lorsque la servitude est continue et apparente, la présomption de volonté est relativement élevée. C’est la raison pour laquelle on présume, dans ce cas, que le propriétaire initial a voulu la création de la servitude. Il appartient donc à celui qui conteste la servitude de prouver que l’acte de division s’oppose à une telle servitude.  À l’opposé, lorsque la servitude est apparente mais discontinue, la présomption est moins forte. On présume que la servitude n’existe pas et il appartient à celui qui voudrait l’établir de prouver que l’acte ne s’oppose pas à la servitude. Si l’acte ne s’y oppose pas, on restaure la présomption de volonté et la destination du père de famille. 

             §2. Le fonctionnement des servitudes

Prévues aux arts. 696 et suivants c.civ par le législateur dans la partie du Code consacrée aux servitudes établies par titre, ces règles ont vocation régir toutes les servitudes quelle que soit leur source. Ces règles reposent sur le principe de fixité selon lequel les servitudes ne sont pas censées évoluer dans le temps ni dans leurs assiettes ni dans leurs modes d’exercice. Concrètement, elles ne peuvent être augmentées ou diminuées. 

Mais ce principe est relatif en ce qu’il souffre de tempéraments légaux. D’abord, la modification de la servitude peut être prévue par la loi ou réalisée par un accord de volontés entre le propriétaire du fonds dominant et le propriétaire du fonds servant. De plus, le principe de fixité est tenu en échec par l’usucapion qui permet la prescription acquisitive trentenaire pouvant aussi bien porter sur la nouvelle assiette que sur le nouveau mode d’exercice. 

                          A. La situation du propriétaire du fonds dominant (le titulaire de servitude)
                                       1) Les prérogatives du propriétaire du fonds dominant 

Les prérogatives du titulaire de la servitude sont de deux ordres selon quelle concerne la chose qui constitue l’assiette ou le droit de servitude lui-même. 

                                                    a) Les prérogatives relatives à la chose

Les prérogatives relatives à la chose consistent à retirer du fonds servant l’utilité que confère cette servitude. Le titulaire de la servitude peut l’utiliser de façon conforme à son objet et le cas échant à son assiette. C’est la liberté d’usage des servitudes. En effet, le titulaire doit toujours demeurer dans les limites de son droit. S’il excède les limites de la servitude, il se rend coupable d’un abus d’usage. 

Cette prérogative principale peut s’accompagner de deux prérogatives accessoires. En premier lieu, le titulaire de la servitude peut accomplir tous les ouvrages nécessaires à l’exercice de sa servitude en ce compris même quand elle porte sur le fonds servant lui-même.  Ces ouvrages ne peuvent être accomplis par le propriétaire du fonds servant puisqu’il ne doit rien au propriétaire du fonds dominant. Ces ouvrages doivent être conformes à l’usage de la servitude. En second lieu, le propriétaire du fonds dominant a le droit de tout faire pour user de la servitude conformément à son objet. Ainsi, elle s’étend de plein droit sur tous les actes sans lesquels la servitude ne pourrait être exercée utilement.  En présence d’une servitude de puisage, le propriétaire du fonds dominant a également le droit de pénétrer sur le fonds servant, d’où l’adage « puisage emporte passage ». 

                                                    b) Les prérogatives relatives au droit de servitude 

Le propriétaire du fonds dominant est le plein titulaire du droit de servitude. En tant que tel, il a le droit de disposer et de protéger de cette servitude.

                                                                 i. La disposition du droit de servitude

Le propriétaire du fonds dominant peut en disposer au profit d’un ayant cause mais cette disposition est tout à fait originale puisque la servitude est un droit accessoire qui ne se conçoit pas sans la propriété du fonds dominant. C’est la raison pour laquelle le propriétaire du fonds dominant ne peut accomplir aucun acte constitutif ou translatif de droit réel qui porterait uniquement sur le droit de servitude. Pour pouvoir disposer du droit de servitude, il faut disposer du droit de propriété du fonds dominant lui-même. Ainsi, les actes constitutifs ou translatifs de droit réel sur le fonds dominant sont de plein droit sur la servitude. Par exemple, si le propriétaire du fond dominant cède son droit de propriété, de plein droit le droit de servitude sera cédé en tant qu’accessoire. De même, si ce propriétaire constitue un usufruit ou une hypothèque sur le fonds dominant, cet usufruit ou cette hypothèque porteront de plein droit sur le droit de servitude, en raison de la règle de l’accessoire.  La disposition envers un ayant cause est originale car on ne peut pas disposer uniquement du droit de servitude sans disposer de la propriété du fonds dominant. 

En revanche, le propriétaire du fonds dominant peut disposer de son droit de servitude sans aucun ayant cause. En effet, comme tout titulaire de droit réel, le propriétaire du fonds dominant peut y renoncer notamment pour se libérer des charges qu’emporte la servitude. Cette forme de disposition peut porter uniquement sur la servitude et pas nécessairement sur la propriété du fonds dominant. Autrement dit, le propriétaire du fonds dominant conserve sa propriété mais abandonne son droit de servitude. 

                                                                 ii. La protection du droit de servitude

 

S’agissant de sa protection, le propriétaire de la servitude peut la protéger en demande par le biais de l’action confessoire de servitude (action réelle immobilière) ou en défense par l’action négatoire de servitude. 

 

                                       2) Les devoirs du propriétaire du fonds dominant

De façon générale, le propriétaire du fonds dominant supporte deux types de devoirs. Le premier devoir du titulaire de la servitude consiste à ne pas aggraver cette servitude. Ce devoir de ne pas aggraver la servitude s’explique par le fait que la servitude est un droit réel sur la chose d’autrui. Par voie de conséquence, le titulaire du droit de servitude doit préserver les intérêts du propriétaire du fonds servant. Cela étant, ce devoir est entendu strictement par la jurisprudence qui autorise le titulaire du droit de servitude à ne pas respecter son titre tant que la servitude ne s’en retrouve pas aggravée. Autrement dit, le titulaire de la servitude pourra la faire évoluer afin de la mettre en phase avec les nouvelles réalités. Par exemple, le titulaire d’une servitude de passage doit aujourd’hui pouvoir passer en voiture là où autrefois il ne passait qu’avec des animaux. 

Le second devoir est un devoir qu’on ne retrouve pas systématiquement. Il consiste pour le titulaire à payer une indemnité au propriétaire du fonds servant. L’indemnité est due en vertu de la loi ou de la convention stipulée entre les deux propriétaires. En tout état de cause, l’indemnité présente une nature personnelle en ce qu’elle est attachée à la personne du titulaire de la servitude. Il en résulte deux conséquences. En premier lieu, même si le titulaire de la servitude abandonne son droit de servitude, il sera tenu de l’obligation de payer l’indemnité. En second lieu, si le propriétaire du fonds dominant cède son droit de propriété en même temps que son droit de servitude, l’obligation de payer l’indemnité ne se transmet pas à l’ayant cause et reste attachée à la personne du cédant. C’est la marque de l’obligation personnelle que de ne jamais se transmettre de plein droit. En tant qu’obligation personnelle, l’obligation de payer l’indemnité est susceptible de prescription extinctive au bout de 5 ans. Encore une fois, cette prescription ne remet pas en cause l’existence de la servitude. Ainsi, le propriétaire du fonds servant ne peut pas se libérer de la servitude en ne réclamant pas le paiement de l’indemnité. 

                       B. La situation du propriétaire du fonds servant (celui qui subit la servitude)

Il faut distinguer les prérogatives puis les devoirs du propriétaire du fonds servant. 

De façon générale, les prérogatives du propriétaire du fonds servant s’articulent autour de deux idées. En premier lieu, l’existence de la servitude ne retire pas au propriétaire du fonds servant son droit de propriété. Par voie de conséquence, en dépit de la servitude, ce propriétaire conserve toutes les prérogatives relatives à son droit de propriété. En second lieu, la servitude qui pèse sur le fonds servant va conférer certaines prérogatives au propriétaire de ce fonds. Le propriétaire du fonds servant n’est pas le titulaire de la servitude mais va pouvoir bénéficier de certaines prérogatives.

                                 1) Les prérogatives du propriétaire du fonds servant

                                            a) Les prérogatives relatives au droit de propriété

Ces prérogatives reposent sur deux propositions. La première proposition est que le propriétaire du fonds servant, en dépit de la servitude, conserve son droit de propriété. Par voie de conséquence, il peut en disposer librement au profit de la personne de son choix. Ainsi, par principe, le propriétaire du fonds servant peut transférer son droit de propriété ou constituer un droit réel au profit d’une autre personne à condition qu’il soit compatible avec le droit de servitude. Naturellement, le propriétaire du fonds servant ne peut pas conférer à l’ayant cause plus de droits qu’il n’en a lui-même (nemo plus iuris). 

La seconde proposition est que l’ayant cause du propriétaire du fonds servant devra souffrir la servitude. En effet, le titulaire de la servitude va pouvoir exercer un droit de suite contre l’ayant-cause du propriétaire du fonds servant. Autrement dit, la servitude d’un point de vue passif va se transmettre à l’ayant cause du propriétaire du fonds servant. La servitude se transmet activement en qualité d’accessoire et passivement par le jeu du droit de suite.

                                            b) La prérogative relative au droit de servitude

La situation est très curieuse puisque c’est une personne autre que le titulaire du droit de servitude qui bénéficie d’une prérogative tirée de ce droit.  Cette prérogative s’explique par le fait que la servitude s’exerce sur le fonds servant et qu’elle est susceptible de nuire au propriétaire de ce fonds. Pour cela, le propriétaire du fonds servant a le droit d’imposer au propriétaire du fonds dominant un changement d’assiette de la servitude. Ce changement d’assiette doit obéir à deux conditions qui visent à articuler les intérêts du propriétaire du fonds servant et le propriétaire du fonds dominant. D’un côté, le changement d’assiette doit présenter un intérêt réel pour le propriétaire du fonds servant. Il en va ainsi lorsque l’assiette actuelle est devenue trop incommode ou empêche de réaliser des travaux. De l’autre côté, ce changement d’assiette ne doit pas priver la servitude de tout ou partie de son utilité. Autrement dit, pour le propriétaire du fonds dominant, le changement d’assiette doit être globalement neutre. Si les deux conditions sont réunies, le propriétaire du fonds servant pourra imposer le changement d’assiette au propriétaire du fonds dominant. De deux choses l’une : soit les deux propriétaires se mettent d’accord sur le changement d’assiette par la voie d’un contrat doté de la force obligatoire, soit les deux propriétaires ne se mettent pas d’accord. Dans ce dernier cas, la nouvelle assiette sera fixée par le juge saisi par le propriétaire du fonds servant. 

                                 2) Les devoirs du propriétaire du fonds servant

Ces devoirs peuvent être envisagés négativement et positivement. 

Négativement, le propriétaire du fonds servant ne doit rien faire qui porte atteinte au droit de servitude que ce soit directement ou indirectement. Sont donc interdits au propriétaire du fonds servant trois types d’actes. D’abord, le propriétaire du fonds servant ne peut pas accomplir des actes qui sont directement contraires à la servitude. Par exemple, il n’est pas possible de construire un ouvrage en présence d’une servitude non aedificandi. Ensuite, il ne peut pas accomplir des actes qui font obstacle à la servitude. Par exemple, il ne peut pas dresser un mur sur une fenêtre par laquelle s’exerce une servitude de vue. Enfin, il doit s’abstenir de tout acte qui viendrait réduire l’utilité de la servitude pour le fonds dominant. 

Positivement, le propriétaire doit accomplir toutes les prestations qui sont à sa charge et notamment les frais d’entretien des ouvrages nécessaires à la servitude. En rappel, le droit français prohibe les servitudes in faciendo qui consistent à mettre à la charge du propriétaire du fonds servant des obligations positives (obligations de faire). Par voie de conséquence, pour que de telles obligations existent, 3 conditions doivent être remplies. 

D’abord, l’obligation positive doit accompagner la servitude et ne doit pas constituer la servitude elle-même. Ensuite, l’obligation positive doit renforcer l’usage de la servitude pour le propriétaire du fonds dominant. Enfin, l’obligation positive doit avoir été acceptée par le propriétaire du fonds servant. Si toutes les 3 conditions sont remplies, le propriétaire du fonds servant devra supporter une obligation positive en vertu de la servitude. 

Mais cette obligation présente une nature et un régime particuliers puisqu’elle est strictement attachée à la servitude. Pour cela, elle présente une nature réelle (comme le droit réel de servitude) et on parle alors d’obligation propter rem. La conséquence de cette qualification est que l’obligation propter rem suivra le même sort que le droit de propriété du fonds servant. Autrement dit, en cas de transmission de la propriété, l’obligation propter rem se transmet de plein droit à l’ayant cause. De même, en cas d’abandon de son droit de propriété, le propriétaire du fonds servant se libère de l’obligation propter rem (contrairement à l’obligation personnelle). En plus d’avoir à respecter le droit de servitude, il peut arriver que le propriétaire du fonds servant ait à souffrir certaines obligations positives, obligations réelles, obligations de faire, obligations propter rem.  

 

           §3. L’extinction des servitudes

                      A. Les effets de l’extinction des droits de servitude

L’extinction des servitudes présente systématiquement deux effets. En premier lieu, l’extinction de la servitude fait perdre au propriétaire du fonds dominant l’utilité qu’il pouvait retirer du fonds servant. À compter de l’extinction de la servitude, la charge que représentait la servitude et l’intérêt que pouvait en retirer le propriétaire du fonds dominant disparaissent. En second lieu, l’extinction de la servitude va libérer le fonds servant de sa charge et permettre au propriétaire du fonds servant de retrouver la plénitude de ses pouvoirs sur sa chose. Au fond, c’est une conséquence de l’absolutisme du droit de propriété, la vocation à la plénitude des pouvoirs lorsque s’éteignent les restrictions au droit de propriété. 

                      B. Les causes d’extinction des droits de servitude
                                 1) Les causes d’extinction de droit commun

Comme en matière d’usufruit, il existe des causes d’extinction qui sont tirés du droit commun : l’anéantissement rétroactif de l’acte constitutif de la servitude soit en raison de sa nullité soit de sa résolution. Mais à côté de ces causes d’extinction de droit commun, il existe des causes spécifiques d’extinction énumérés à l’art. 703 et suivants c.civ. Elles sont au nombre de cinq. 

                                 2) Les causes spécifiques d’extinction

                                            a) L’impossibilité d’usage

La servitude doit s’éteindre lorsque les choses se trouvent dans un état tel, qu’elle ne peut plus être exercée. Par exemple, la servitude de puisage s’éteint lorsqu’il n’y a plus d’eau dans le puits. C’est l’état des choses qui va conduire à l’extinction de la servitude. 

Cette impossibilité d’usage suppose deux précisions. En premier lieu, la jurisprudence en adopte une conception stricte puisqu’elle refuse d’étendre cette cause d’extinction à l’hypothèse de l’inutilité de la servitude. Autrement dit, même lorsque la servitude devient inutile, elle continue d’exister.  C’est alors la prescription extinctive qui pourrait conduire à son extinction. Mais en tout état de cause, l’impossibilité d’usage ne se confond pas avec l’inutilité de la servitude. En second lieu, l’impossibilité d’usage n’emporte extinction de la servitude qu’à la condition que cette impossibilité ait une cause naturelle. A contrario, cela signifie que si l’impossibilité d’usage procède d’un fait illicite du propriétaire du fonds servant, il y aura lieu à remise en état voire à des dommages intérêts pour que la servitude puisse à nouveau être exercée. Par exemple, il n’y a pas impossibilité d’usage lorsque le propriétaire du fonds servant bloque volontairement le passage sur lequel s’exerce une servitude de passage. En troisième lieu, cette impossibilité d’usage suppose d’être définitive pour que la servitude soit définitivement éteinte. En effet, la Cour de cassation considère que lorsque l’impossibilité d’usage n’est que temporaire, la servitude ne s’éteint pas, elle est simplement mise en sommeil. Autrement dit, lorsque l’impossibilité cesse, la servitude va pouvoir se réveiller pour être à nouveau exercée, sauf lorsque l’impossibilité temporaire a duré trop longtemps au point que la servitude s’est éteinte par prescription extinctive.

                                            b) La prescription extinctive

La servitude constitue l’accessoire du droit de propriété du fonds dominant. De même, le droit de propriété est un droit imprescriptible. Pour autant, la servitude n’emprunte pas à la propriété, cette imprescriptibilité. La servitude est un droit prescriptible car elle s’exerce sur la chose d’autrui. 

Par ailleurs, la servitude a la vocation à la perpétuité car elle continue d’exister tant qu’elle est exercée. Mais à la différence de la propriété, le non-usage prolongé de la servitude emporte son extinction. Cette prescription extinctive concerne toutes les servitudes quels que soient leurs caractères spéciaux naturels. Or, la prescription acquisitive ne concerne que les servitudes continues et apparentes. 

Le délai de prescription en matière de servitude est un délai de 30 ans car la servitude constitue un droit réel immobilier. La computation du délai obéit au droit commun avec ses causes de suspension et d’interruption en prenant en compte le dies ad quem et pas le dies a quo. 

Toutefois, la difficulté que posent les servitudes est de fixer le point de départ du délai de prescription. Il faut distinguer selon que la servitude est discontinue ou continue. D’une part, la servitude discontinue s’exerce par intermittence avec le fait actuel de l’homme.  Par voie de conséquence, le délai de prescription extinctive commence à courir au dernier acte d’usage de la servitude. Par exemple, pour une servitude de passage, le délai de prescription commence à courir le dernier jour où le propriétaire du fonds dominant a emprunté le passage.

D’autre part, la servitude continue s’exerce continuellement sans le fait actuel de l’homme. De fait, le point de départ de la prescription extinctive est fixé au jour où a été accompli un acte qui contredit la servitude. Par exemple, dans une servitude de non-construction, le délai de prescription commence à courir le jour où une construction a été édifiée.

 

                                            c) La confusion 

La confusion vise l’hypothèse dans laquelle une seule et même personne devient propriétaire simultanément du fonds dominant et du fonds servant. Par exemple, il peut s’agir d’une acquisition du fonds servant par le propriétaire du fonds dominant. En sens inverse, il peut s’agir d’une acquisition du fonds dominant par le propriétaire du fonds servant. En outre, il peut s’agir d’une acquisition à la fois du fonds dominant et servant par une tierce personne. 

Dans tous les cas, les deux fonds vont être réunis dans un même patrimoine. Par voie de conséquence, en raison de l’adage nemini res sua servit, la servitude a vocation à s’éteindre puisqu’une personne ne peut pas asservir son propre fonds. Pour constituer une servitude, il faut une dualité de propriétaires. 

Néanmoins, la portée extinctive de cette servitude doit être parfaitement mesurée. En effet, d’après la jurisprudence, la servitude est susceptible de renaitre lorsque plus tard les deux fonds sont à nouveau séparés entre deux personnes distinctes. Autrement dit, la confusion conduit plutôt à une mise en sommeil de la servitude plutôt qu’à une extinction. L’extinction ne se produit véritablement qu’avec la prescription extinctive.

                                            d) La renonciation

La renonciation est une volonté expresse et non équivoque de la part du titulaire de la servitude (propriétaire du fonds dominant). Cette renonciation consiste à abandonner le droit réel de servitude. Elle peut avoir lieu à titre gratuit, sans contrepartie auquel cas elle prend la forme d’un acte juridique unilatéral. Mais elle peut avoir lieu à titre onéreux, avec contrepartie versée par le propriétaire du fonds servant auquel cas la renonciation prend la forme d’un contrat, un acte juridique multilatéral.

La renonciation a pour conséquence d’emporter un effet extinctif immédiat et définitif de la servitude. Simplement si l’acte juridique de renonciation est anéanti de façon rétroactive, il sera censé ne jamais avoir existé, de telle sorte que rétroactivement, il faudra considérer que la servitude n’a jamais été éteinte.

Mais en dehors de ce cas, la renonciation éteint immédiatement et définitivement la servitude. Cette renonciation va permettre au propriétaire du fonds dominant de se libérer des éventuelles charges qui lui incombait en raison de la titularité de la servitude.

 

                                            e) La perte de la chose

La perte de la chose vise la perte du fonds servant (assiette du droit de servitude) car c’est sur celui-ci que s’exerce la servitude. Il faut distinguer deux hypothèses : la perte matérielle de la chose et la perte juridique de la chose. 

La perte matérielle de la chose vise l’hypothèse dans laquelle, la chose elle-même, le fonds servant lui-même disparait en raison d’un cas fortuit ou pas. Cette perte matérielle ne constitue pas une cause d’extinction de la servitude. Pour le comprendre, il faut se souvenir que la servitude porte toujours sur des immeubles par nature. De deux choses l’une. Si la servitude porte directement sur le sol, la perte matérielle est inconcevable car le sol se transforme mais ne se perd pas. Si la servitude porte sur un ouvrage, la perte fortuite de cet ouvrage emporte extinction de la servitude par impossibilité d’usage. La perte matérielle de la chose n’est une pas une cause en elle-même d’extinction de servitude contrairement à la perte juridique de la chose. 

La perte juridique de la chose vise l’hypothèse dans laquelle le propriétaire du fonds servant perd son droit de propriété mais sans transmission de ce droit à une autre personne. Il en va ainsi lorsqu’un tiers entend se prévaloir d’un mode d’acquisition de la propriété originaire (l’usucapion). Lorsque le tiers acquiert une pleine propriété, franche de toutes charges, son acquisition du droit de propriété va avoir pour conséquence d’éteindre son droit de servitude. Par exemple, en cas d’usucapion du fonds servant, le bénéficiaire de l’usucapion va devenir le plein propriétaire de la chose tandis que la servitude s’éteindra. C’est la perte juridique de la chose. C’est une véritable cause d’extinction de la servitude. 

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