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Introduction historique au droit

Introduction générale :

Partie première l’antiquité romaine : la constitution progressive d’un Empire juridiquement unifié (jusqu’au Ive siècle).

Introduction : Les expériences juridiques dans l’Antiquité.

                I) La question de l’oralité et de l’écriture.

Droit =/= que écrit, en antiquité et au moyen âge de nombreuses coutumes n’étaient que orales et pourtant donnaient lieu si transgression à des sanctions

                II) La Mésopotamie.

Hammourabi fait une stèle, trace de droit la plus ancienne connue, le pouvoir du roi était légitimisé par les dieux (Shamash représenté) / !/ pas que des règles religieuses, avant tout pour organiser société

                III) La Grèce

Grece fractionnée en cités états, citoyens soumis aux lois (nomos, nomoi) de leur cité. Dès 5e : démocratisation mais pouvoir politique limité à une élite restreinte (5 à 10% de la pop totale) -.. loi devient légitime car adoptée par les citoyens à la suite d’une procédure respectée.

                IV) Bilan : quels critères permettent de parler de l’apparition d’un droit ?

Différents types de droit : écrit, oral, voulu, subi

Pour Aldo Schiavone, le droit (juridique) n’a pris de sens qu’à rome, ailleurs ce sont des regles sociales, mais suel à rome y’a des individus qui se spécialisent dans la technique juridique :

Les règles primaires ne peuvent etre modifiées

Les règles secondaires on a prévu leur révision.

Chronologie générale de l’Histoire romaine :

  • De 753 av. Jc à 509 av. Jc : Royauté

  • De 509 av. Jc à 27 av. Jc : République

  • De 27 av. Jc à 476 ap. Jc : Empire

Chapitre 1 : créer et interpréter le droit dans l’Antiquité romaine (du Ve siècle av. Jc jusqu’au IIe siècle apr. Jc)

Rome est située au centre de la péninsule italienne, durant la royauté et les premiers temps de la République, elle n’est qu’une cité parmi d’autres, son cadre géographique est assez limité. Rome se trouve entouré d’une multitude de peuples dont les Grecques (installés au Sud) et les Etrusques (au nord), par lesquelles elle se fera soumettre sous la Royauté, à plusieurs reprises, et s’inspirera culturellement (alphabet).

De ce temps reculée, le Lapis Niger (pierre noire) nous est parvenu. Cette stèle, datant du VIe siècle avant Jésus-Christ, nous témoigne de la proximité entre le droit religieux et le droit civil. En effet, il n’était pas rare de voir des sentences de justice intégrant du mysticisme (condamnation à la malédiction : en pratique mise au ban) et même, organisant la vie religieuse des romains (nombreux rituels). Dès cette époque, le vocabulaire latin va distinguer le « fas » (faste : ce qui respecte le droit religieux) ou l’ensemble des rituels et prescriptions religieuses organisant la vie religieuse et le rapport entre les citoyens et les dieux (dont certaines perdurèrent jusque l’Empire), du « ius » ou règles sur la vie sociale de la cité dans son ensemble.

                I) Les XII tables : affirmer l’autorité de la loi écrite (Ve siècle av. Jc).

                                1) L’élaboration de la loi des XII tables (451-449 av. Jc)

A partir de -509, à Rome le pouvoir est organisé de manière collégiale par des magistrats exerçant une fonction publique. Les consuls, personnages centraux de la vie politique romaine, exercent une multitude de fonction, notamment militaire, mais également la fonction de « jurisdictio » (dire et énoncer le droit). Ainsi, lors d’un procès, ils choisissent la règle de droit qui doit s’appliquer et ne sont liés par aucun texte pour la fixer. Le consul ne sanctionne pas, il nomme un juge qui va étudier la situation pour décider de la décision de justice. Le consul, la plupart du temps, dans le cadre de leur pouvoir de juridiction, énonçait le droit à partir d’une règle coutumière, toutefois, ils avaient la possibilité de modifier cette règle à leur bon vouloir.

L’enjeu de la rédaction des XII tables est de fixer les règles du jeu car, bien qu’il y ait une rotation effective des magistratures, la rotation se faisait au sein d’un même milieu dirigeant très restreint, le patricia, désignant l’ensemble des personnes, essentiellement des familles riches, qui avaient le droit d’accéder aux fonctions de magistratures, opposés, à une autre composante de la société romaine : la plèbe (les exclus dans les premières années de la République). Cela générait une série de conflits d’intérêt et c’est dans ce contexte d’affrontements entre les deux groupes sociaux (-494, -462 Lex Terentilia) qu’il fut décidé de mettre par écrit des règles juridiques applicables à Rome : la loi des XII tables résultant donc d’une exigence des plébéiens de limiter le pouvoir des magistrats. Il fut inscrit que le consul ne pourra désormais plus inventer de nouvelles règles mais sera tenu par un cadre juridique écrit et publiquement fixé.

La principale source de cette époque nous vient des écrits de Tive-Live (début du Ie siècle), écrits postérieurs aux évènements. Le texte lui-même des XII tables n’est conservé que de manière fragmentaire. Dans son récit, Tite-Live nous dit que cette rédaction est jugée tellement importante que l’on va modifier le fonctionnement institutionnel normal de la cité : on va nommer en -451 des magistrats extraordinaires, les decemvirs, pour rédiger cette loi. Il nous apprend également qu’une ambassade fut envoyé à Athènes pour s’inspirer des lois athéniennes ( Cicéron : Lois de Solon, sans doute tiré de la légende mais témoigne du prestige de la cité grecque). Enfin, Tite-Live évoque que, lorsque les decemvirs eurent terminé la rédaction première du texte, ils recherchèrent l’approbation des citoyens (lesquels les forcèrent à modifier leur texte : mariage mixte), première trace de l’existence des assemblées du peuple, bien plus tardives. Pour Tite-Live donc, une loi, comme celle des XII tables, c’est un texte nécessairement adopté par le peuple : on appelle loi (lex), le texte voté par les citoyens.

                                2) La diffusion de la loi des XII tables

Celle-ci passa par un affichage public sur des panneaux de pierre exposés au forum mais également, à cause du fort taux d’analphabétisme, par un apprentissage oral. Cicéron raconte alors dans le Traité des Lois que les enfants romains avaient pour coutume de les apprendre en chanson (fort lien entre oralité et écriture). Pour les romains, la loi des XII tables est un l’un des éléments fort de leur identité.

                                3) La procédure des actions de la loi.

Entre la fin de la République et le début de l’empire, Tite-Live, dans « Histoire Romaine » disait « de nos jours encore, parmi cet amas immense de lois entassées les unes sur les autres, les XII tables sont la source de tout le droit public et privé ». Des siècles après son adoption, elle est toujours en vigueur et continue de jouer un rôle fondamental dans le droit romain : celui du point d’origine (certaines durèrent jusqu’à la fin de l’Antiquité). Est fait également mention de lois postérieures, adoptées directement par le peuple mais qui, pourtant, restent subordonnées aux premières.

Les tables sont construites de la manière suivante : si A fait quelque chose, que l’on fasse B [verbe à l’impératif], formulation commune aux textes juridiques de l’Antiquité. Par exemple, elle nous dit « Si le père a vendu trois fois son fils, que le fils soit libéré de son père » (dans le droit romain la relation père-fils est semblable à celle d’un maitre-esclave). Dans ce cas les juristes, eurent l’idée plus tard de transformer cette règle de contrainte en quelque chose de volontaire en créant l’émancipation de l’enfant, ceci en détournant la loi originelle. La réinterprétation des lois des XII tables sera la base du droit romain impérial.

Dans Institutes, manuel destiné aux étudiants en droit, Gaïus disait « Les actions qui étaient en usage chez les anciens s’appelaient action de la loi (legis actiones), soit parce qu’elle étaient prévues par des lois (les édits du préteurs qui introduisirent plusieurs nouvelles actions, n’étaient bien sûr par encore en usage), soit parce qu’elles correspondaient aux paroles des lois elles-mêmes et étaient donc immuables tant que les lois étaient observées. On répondait ainsi à celui qui agissait en réparation de vignes coupées contre un autre, qu’il perdait l’affaire, puisqu’il avait parlé de vignes dans son action, alors qu’il aurait dû parler d’arbre parce que la loi des XII tables qui donne une action en cas de vignes coupées, parle de façon générale des arbres coupés ». Au temps de Justinien on disait « l’action judiciaire n’est rien d’autre que le droit de poursuivre en jugement ce qui nous est du ».

La procédure des actions de la loi permettait, à ceux qui savaient s’y conformer, de porter devant un magistrat une affaire pour laquelle ils estimaient qu’ils étaient lésés. Il existait cinq formes de procédure d’action de la loi :

  • Per sacramentum

  • Per judicis postulationem

  • Per condictionem

  • Manu injectio

  • Pignoris capio

Chacune devait être utilisée dans des cas précis et demandait nombres gestes et formules rituels à respecter sous peine de nullité. Par exemple, la manu injectio autorisait le créancier, après avoir récité une formule main posée sur la tête de son débiteur, à l’emprisonner pendant 60 jours, puis, si la somme manquante n’avait toujours pas été recouvrée, de le vendre comme esclave au marché ou de le mettre à mort.

Ce formalisme strictement respecté aux premiers siècles avait pour but de limiter le pouvoir des magistrats qui ne devait en fait que contrôler le respect de la procédure fortement liée à la religion. Toutefois, ce système avait ses inconvénients et, comme en convient Gaïus, perdre son procès parce qu’on s’est trompé de mot semble injuste. De plus, l’évolution du contexte politique liée à l’expansion considérable du territoire romain à partir des grandes conquêtes va provoquer une évolution dans la manière de penser le droit à Rome.

                II) Le rôle du préteur (à partir du IIe av. Jc) : la production des règles de droit par le magistrat.

Si à l’époque de la royauté le territoire de Rome était extrêmement restreint, au temps de la République, il s’étend sur toute la méditerranée suite d’un processus de conquête fulgurant. Entre le Ve et IIIe, elle passe d’une cité moyenne du centre de l’Italie à la force principale d’Europe et d’Afrique du Nord. Les romains se retrouvent alors en contact avec des populations extrêmement diverses et des droits extrêmement divers (cohabitation des droits coutumiers). Rome devient un endroit de rencontre avec les commerçants venus de toutes les contrées ce qui pose rapidement des problèmes juridiques nouveaux qui n’étaient pas prévus par la loi des XII tables, faites, au départ, pour une petite société agricole.

                                1) L’apparition de la procédure formulaire à l’initiative du préteur.

Créé en -367 pour s’occuper de la charge de jurisdictio du consul, le prêteur, nommé pour un an, va rapidement devenir l’un des magistrats les plus importants de Rome. Vers la fin du III siècle et de façon certaine à partir du IIe siècle avant notre ère, le prêteur va commencer à se donner des prérogatives dont il ne devait pas disposer. Pour répondre aux besoins juridiques sortis des conquêtes romaines, il va se mettre à autoriser l’ouverture de procès dans des cas non prévus par la procédure des actions de la loi et, de fait, créer la « procédure formulaire ». C’est ainsi que ce nouveau droit honoraire va être créateur du principe de l’action de dépôt : « S’il parait que A, a déposé une table d’argent auprès de N et que celui-ci par dol ne l’a pas restituée à A [alors une action est ouverte à A] ». Ici, le prêteur rédige directement la formule d’action qu’il apporte au juge pour éviter que de simples erreurs de formes empêchent un procès. Dans le cas où il n’y a pas de loi sur laquelle baser le jugement, le prêteur va lui-même décider quelle sanction le juge peut donner.

Ce nouveau pouvoir semble faire revenir l’organisation juridique dans son état avant les XII tables, mais ce pas un retour total pour autant. En effet, les textes écrits continuent d’être appliquées et le pouvoir du prêteur n’est pas absolu. Les actions de la loi sont reprises dans le cadre de la procédure sous le nom « d’action civile », il s’agit ici, pour les romains, des actions de droit civil, c’est-à-dire qui reposent sur le droit des citoyens romains tirant leurs fondements de la loi des XII tables.

En plus des actions civiles, il existe désormais les « actions prétoriennes », soit créées de toute pièce, soit en extension de règles préexistantes. Par exemple, on retrouve la possibilité de conférer une citoyenneté temporaire aux pérégrins par une fiction juridique pour pouvoir les assigner en devant les tribunaux romains dans les affaires les opposants à un citoyen romain (les XII tables affirment ne concerner que les citoyens romains). La procédure formulaire se fit reconnaitre officiellement par la loi Aebutia votée entre -150 et -100. A l’époque d’Auguste, la lex Julia la laissera seule en supprimant les actions de la loi et elle ne prendra fin qu’en 342 sous Constance II (317-361)

                                2) L’édit annuel du préteur, principal instrument de création de droit (IIe siècle av. Jc – IIe siècle ap. Jc)

Rapidement après l’apparition informelle de la procédure formulaire, on ressent le besoin de connaitre à l’avance les actions qui vont être admises et celles qui ne vont pas l’être. Les actions prétoriennes sont ici visées puisqu’elles ne se reposent sur aucun droit écrit. C’est pour cela que, dans le courant du IIe siècle avant notre ère, le préteur commence à publier un édit annuel, premier acte qu’il prend comme magistrat contenant la liste de toutes les actions en justice qu’il acceptera de reconnaitre au cours de son mandat. Affiché sur le forum, cet édit du préteur devient obligatoire et le préteur se réserve le droit d’en modifier le contenu pendant sa mandature, suivant sa volonté ou, plus fréquemment, les recommandations des jurisconsultes. Les édits d’une année à l’autre ne changent que peu et, en 130, sur l’ordre de l’empereur Hadrien, il est définitivement fixé dans sa forme finale, perdant sa nature de source créatrice du droit.

                III) L’originalité romaine : le rôle des jurisprudents, juristes spécialisés.

Si la fonction de préteur et la procédure formulaire n’ont aucun équivalent dans l’Antiquité, c’est véritablement la jurisprudence qui singularise le droit romain. Au sens actuel, elle désigne soit les décisions des cours suprêmes avec l’idée qu’elles vont établir des règles appliquées par tous les autres juges (Cours de cassation, Conseil d’état, Conseil constitutionnel) soit pour parler des décisions des juges en général. Au sens romain et ce, jusqu’au XIXe siècle, la jurisprudence désignait une activité intellectuelle de connaissance et d’interprétation du droit, une analyse du droit plutôt qu’une prise de décision. Etymologiquement, jurisprudence se traduit en « prudence du droit » (prudence du jus) à comprendre « science du droit », elle n’appartenait alors pas à des praticiens mais à des savants : les « jurisprudents » ou « jurisconsultes » (celui qui connait la jurisprudence), ce qui se rapproche de l'activité doctrinale d’aujourd’hui. A Rome, une partie de la population, comme nulle part ailleurs, va se spécialiser dans l’interprétation du droit et rendre des décisions que la société va considérer, en particulier pendant la période impériale, comme une autorité avec une véritable portée juridique.

                                1) L’apparition des jurisprudents (III-Ier siècle av. Jc)

Par manque de source (les premières datent de Justinien au VIème siècle), on ne connait pas la date précise d’apparition des jurisprudents, mais l’on sait qu’au cours du IIIème siècle avant notre ère, la population va se mettre à aller poser des questions juridiques à des citoyens dont ils pensent qu’ils ont une bonne connaissance du droit. Ces derniers, les jurisprudents de la fin de la République, en retour, leur donnent leur avis, le « responsum, responsa » (réponse), contrairement aux décisions judiciaires qui sont établis lors d’un procès, elle demeurent dans un cadre purement privé, ce n’est au final qu’un conseil. Ces réponses, du moins au début, ne reposent sur aucune certification ou diplôme officiel, leur valeur se fonde sur le prestige du jurisconsulte. On est ici très proche de l’activité contemporaine des avocats qu’on va consulter à titre privé, parce qu’on estime qu’il connait mieux la matière que nous, lorsque on a un problème juridique.

Il existe à Rome des avocats, qui vont représenter les partis aux procès mais les jurisconsultes se différencient d’eux par le fait que ces derniers parlent, non pas en fonction de l’intérêt de celui qui les consulte, mais au nom du droit : les responsa ne permettent pas de décider qui a raison mais indiquent ce que dit le droit, la marche à suivre pour trancher le litige. Avant leur institutionnalisation sous l’Empire, les jurisprudents exerçaient à titre gratuit, ce qui implique qu’ils n’en avaient pas besoin, et étaient donc riches et membre de l’élite de la cité, ce qui, bien souvent, les menaient à exercer des activités magistrales ou prétoriennes. Les avocats eux, s’inscrivaient dans un réseau d’obligation sociales, ils ne touchaient pas de solde et en étaient interdit par la loi Cincia datant de -204 (même si durant l’Empire la pratique se généralisa).

Progressivement, on chercha à rassembler les responsa des plus réputés jurisprudents dans des manuscrits qui vont, dans un premier temps, le faire sous forme chronologique puis, à partir du Ier siècle, être organisés par grande catégorie juridique. Celui de Quintius Mucius Scaevola, juriste du Ier siècle av. Jc et contemporain de Cicéron en est un exemple. Cette opération qu’on retrouve également dans la codification du droit de la fin de l’antiquité, peut nous paraitre évidente, mais suppose de quitter le domaine particulier (casuistique) pour gagner en abstraction. Il est nécessaire d’identifier dans une réponse juridique quelle grande question juridique, abstraite et générale est concernée.

Le cas du Digeste est pertinent : recueillit sous Justinien, il regroupe les avis des plus grands jurisprudents depuis la fin de la République jusqu’au début de l’empire, c’est la principale source de jurisprudence romaine dont nous disposons. Dans cet écrit, on retrouve un responsum proposé par Alfenus Varus, jurisprudent et consul du Ier siècle avant notre ère : « Le long d’un petit chemin, la nuit, un boutiquier avait posé une lampe sur une pierre. Un passant l’avait emporté. Après avoir poursuivi celui-ci, le boutiquier lui réclama sa lampe tout en essayant de la retenir dans sa fuite. L’autre avec un fouet se mit à le frapper pour qu’il le lâche. La rixe dégénèrera et le boutiquier arracha un œil au voleur de la lampe. Il demandait (consulebat) s’il ne fallait pas exclure sa responsabilité puisqu’il avait été frappé le premier par le fouet. Je répondis que le dommage ne devait pas lui être imputé, étant donné qu’il n’avait pas arraché l’œil avec l’intention de le faire. Si en revanche le boutiquier n’avait pas reçu des coups le premier et qu’il avait commencé la rixe dans le but d’arracher à l’autre la lampe, il aurait alors fallu lui attribuer ».

Dès le début, la formulation présente le responsum comme une réponse juridique à un cas particulier. On plante d’abords le « décors », puis, vient la question qu’on adresse au jurisprudent : l’enjeux juridique auquel il droit répondre. Enfin, arrive la réponse apportée qui ne se trouve que dans les deux dernières phrases.

Dans ce cas, l’enjeux juridique est un cas de responsabilité, on cherche à déterminer à qui doit on imputer l’obligation de réparer le dommage de l’œil arraché. Le vol ici est secondaire parce que la réponse est évidente, ce qui nous intéresse c’est seulement là ou l’incertitude subsiste. L’application de la règle peut différer du point de vue ou l’on se place : de l’extérieur on voit deux personnes qui se battent et l’un qui arrache l’œil de l’autre. L’analyse juridique se substitue au déroulement des faits. Alfenus Varus considère que s’il y avait intention d’arracher l’œil alors il y a faute mais que si il n’a été arraché qu’en réaction à une attaque, c’est une sorte de réflexe. Pour ce dernier, parce que le voleur a frappé le premier, le boutiquier n’est pas responsable des dommages causés. Il y a une imbrication des notions, l’intention caractérise la faute et la faute la responsabilité. La question de proportionnalité n’est ici pas abordé. Ce texte correspond à une question juridique posée à propos de l’interprétation de la loi Aquilia sur la répression des dommages, votée pendant la République entre -289 et -286, reconnaissant le principe de responsabilité dans le cas de dégâts causés intentionnellement à l’esclave ou le quadrupède d’un autre. Le fait de parler d’analyse juridique implique que le jurisprudent sélectionne dans les cas particuliers, des éléments pertinents juridiquement : selon que cet élément soit ou ne soit pas produit des effets juridiques différent. D’une situation matérielle, on crée plusieurs situations juridiques. Ce travail de distinction, extrêmement fréquent chez les jurisprudents, s’est ensuite transmis dans les raisonnements des juristes suivants.

Les jurisconsultes sont d’une certaine manière les ancêtres des juristes, ils sont à l’origine du raisonnement juridique tel qu’il a été pratiqué à l’époque romaine puis réutilisé par les juristes occidentaux du Moyen Âge.

                                2) L’intégration progressive des jurisprudents au service de l’Empire (à partir d’Auguste)

Avec l’Empire, on observe une double tendance : d’une part les responsa acquièrent progressivement une autorité juridique jusqu’à obtenir force de loi, d’une autre l’activité des jurisprudents devient de plus en plus contrôlée par l’empereur.

D’après Pomponius (IIème siècle), cité dans le Digeste : « avant l’époque d’Auguste, le droit de répondre publiquement (publice respondendi jus) n’était pas donné par les Princes, mais ceux qui avaient confiance dans leurs propres connaissances répondaient à ceux qui leurs demandaient conseil. Et leur réponses (responsa) n’étaient en tout cas pas scellées, mais, la plupart du temps, ils écrivaient eux-mêmes aux juges ou servaient de témoins à ceux qui leur demandaient conseil. Le premier, le divin Auguste décida, pour renforcer l’autorité du droit, qu’ils répondraient en vertu de son autorité (ex auctoritate eius). A partir de ce moment on commença à demander cela comme un bienfait du Prince ». 

Ainsi, avec Auguste, le « droit de répondre publiquement » est donné par l’empereur aux jurisprudents qu’il considère arbitrairement compétents. La portée des avis de ceux disposant de ce droit se trouve considérablement renforcée. Evidemment, les juristes hostiles à l’empereur n’en disposaient pas et, comme naturellement on se dirigeait vers les « officiels », ils étaient marginalisés. L’accentuation de leur autorité est liée au contrôle grandissant de l’empereur. Ce renforcement va jusqu’à donner à leurs avis une pleine valeur juridique, pour certains dès le IIème siècle, de manière sûre en 426 par « la Loi des Citations », après quoi, lorsque plusieurs jurisprudents officiels étaient du même avis sur un même sujet, leur conseil avait valeur de règle juridique s’imposant aux juges.

Sous le règne d’Hadrien, le conseil impérial, composé principalement de jurisprudents disposant du droit de répondre publiquement, devient le premier organe qui conseil l’empereur sur toutes les questions juridiques et qui, dans les faits, prépare les textes juridiques qui vont être adoptés au nom de l’empereur. Ce qui était une simple activité privée devient une fonction publique, créatrice de droit.

Néanmoins, déjà sous la République, les jurisprudents, proches par leurs origines sociales des milieux dirigeants, influençaient déjà les décisions politiques. C’est parce que les préteurs ont été conseillés par des jurisprudents, dont ils reprirent les idées (liens indirects) ou que les jurisprudents ayant accédés aux fonctions dirigeantes ont appliqué leurs idées (liens directs), que la procédure formulaire s’est développée et le droit romain a autant évolué.

De plus, l’institutionnalisation de la profession s’accompagne du développement d’une formation spécialisée et d’écoles de droit dans les grandes villes impériales dont les plus réputées sont Rome, Constantinople et Beyrouth.

Chapitre 2 : l’accaparement des pouvoirs juridiques par l’empereur.

En instaurant l’Empire, Auguste conserve les institutions républicaines, reste qu’elles sont désormais soumises à la charge d’empereur, nouvellement créée. Ses successeurs chercheront à justifier la concentration des pouvoirs et l’inféodation du système institutionnel romain. Ulpien écrivait ainsi, au début du IIIe siècle « ce que le Prince a décidé a force de loi (quod principi placuit legis habet vigorem), puisque avec la loi royale, qui a été votée sujet de l’empire, le peuple lui a conféré tout son pouvoir et toute sa puissance ». Exemple parfait de la tentative des élites impériales de créer une continuité entre la République et l’Empire (les premiers empereurs garderont cette tradition de faire voter formellement par l’Assemblée du peuple leur « loi d’investiture »).

Ainsi, dans la loi d’investiture de l’empereur Vespasien (lex de imperio Vespasinoi) rédigée entre 69 et 70 il est inscrit « qu’il possède le droit et le pouvoir d’accomplir et de faire tout ce qu’il pensera utile au bien public et à la majesté des choses divines, humaines, publiques ou privées, de même que ce droit a été accordé au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste et à Tibère Claude César Auguste Germanicus ». On retrouve le souci des empereurs d’établir juridiquement leur pouvoir pour les renforcer, supposant une arrivée légale et régulière.

                I) Les Constitutions impériales

Aujourd’hui, une constitution est un texte juridique, à valeur suprême, organisant le fonctionnement de l’état. A Rome, cela désignait tout acte juridique émanant de l’empereur. Son étymologie renvoi à l’idée d’établir quelque chose de façon stable et insiste sur le fait que l’établissement résulte de la décision volontaire de l’empereur. La constitution peut organiser l’état mais ne s’y limite pas. On retrouve 3 catégories : le rescrit, l’édit et le décret.

                                1) Le rescrit (rescriptum, epistula, subscriptio)

Encore parfois utilisé dans le domaine fiscal, le rescrit est, de manière générale, propre au droit romain. Il faisait référence à une réponse de l’empereur, par écrit (epistula : lettre, subscriptio : fait d’écrire dessous), à une demande qui lui avait été adressée par un citoyen, un agent impérial ou autre. Cette pratique apparait dès le règne d’Auguste : les romains se réfèrent directement à l’empereur lorsqu’ils ont une question juridique, ou qu’ils veulent se faire confirmer des exemptions ou avantages. Ainsi, bien souvent, les rescrit ne concernent que les demandeurs et leur valeur repose principalement sur l’autorité propre de l’empereur.

La lettre de Vespasien aux habitants de Vanacini (cité en Corse) : « L’empereur César Vespasien Auguste aux magistrats et aux sénateurs de Vanacini, salut ! Il me plait qu’Octalius Sagitta, mon ami et procurateur, vous commande, de sorte que votre témoignage soit pris en compte. Vous avez un litige sur les limites de territoire avec les habitants de la cité de Maria, qui découle des champs que vous avez achetés à mon procurateur Publius Memorialis ; j’ai écrit à mon procurateur Claudius Clemens pour qu’il y mette un terme et j’ai envoyé un arpenteur. Je confirme les privilèges (beneficia) qui vous ont été accordés par le divin Auguste après son septième consulat et que vous avez conservés à l’époque de Galba ».

Certains rescrits, au contraire, vont avoir une portée bien plus importante et sortir du cas d’espèce :

Vers 112, Pline le Jeune, gouverneur du Pont-Bithynie, demande à Trajan le traitement à réserver aux communautés chrétiennes de sa région. La flatterie employée révèle le mécanisme du rescrit, on va consulter l’empereur non parce qu’on est obligé mais parce qu’on considère que c’est l’autorité suprême dont les décisions ne peuvent être contestées.

« I. Maitre, c’est une règle pour moi de te soumettre tous les points sur lesquels j’ai des doutes : qui pourrait mieux me diriger quand j’hésite ou m’instruire quand j’ignore ?
Je n’ai jamais participé à des informations contre les chrétiens : je ne sais donc à quels faits et dans quelle mesure s’appliquent d’ordinaire la pleine ou les poursuites. 2. Je me demande non sans perplexité s’il y a des différences à observer selon les âges ou si la tendre enfance est sur le même pied que l’adulte, si l’on pardonne au repentir ou si qui a été tout à fait chrétien ne gagne rien à se dédire, si l’on punit le seul nom de chrétien en l’absence de crimes ou les crimes qu’implique le nom [… Pline expose ensuite la procédure qu’il a suivie contre les chrétiens et demande à Trajan s’il doit la modifier.] ».

Réponse (rescrit de Trajan à Pline) « I. Mon cher Pline tu as suivi la conduite que tu devais dans l’examen des causes de ceux qui t’avaient été dénoncés comme chrétiens. Car on ne peut instituer une règle générale qui ait pour ainsi dire une forme fixe. Il n’y a pas à les poursuivre d’office. S’ils sont dénoncés et convaincus, il faut les condamner, mais avec la restriction suivante : celui qui aura nié être chrétien et en aura par les faits eux-mêmes s’il a été suspect en ce qui concerne le passé, obtiendra le pardon comme prix de son repentir.
II Quant aux dénonciations anonymes, elles ne doivent jouer aucun rôle dans quelque accusation que ce soit ; c’est un procédé d’un détestable exemple et qui n’est plus de notre temps. »

D’un cas particulier, Pline fait une règle qui interdit toute procédure pénale sur délation anonyme. Parce qu’on les sollicite très souvent et qu’ils édictent des règles générales, les empereurs deviennent peu à peu la source principale du droit.

                                2) L’édit

Initialement, un édit désigne un acte juridique public d’un magistrat (édit annuel du préteur), ce terme s’applique également à l’empereur, considérant qu’il n’est qu’un magistrat s’inscrivant dans la continuité de l’époque républicaine. L’édit se différencie de la « loi » en ce qu’il n’est pas voté par le peuple. Les juristes consacrent à l’empereur le droit de faire la loi pour l’empire, mais ne donnent à ses décisions le nom de loi qu’à la fin de l’Antiquité (IVe, Ve) alors même, que les dernières datent de 90. Si le fond et la portée est semblable, la procédure diffère. Les édits sont permanents et s’appliquent jusqu’à ce qu’un autre les abroge. Leur emploi est plus tardif que les rescrits, symbole de l’autorité grandissante de l’empereur.

                                3) Le décret

Aujourd’hui, un décret renvoi à un acte administratif adopté par le Président ou le Premier ministre. Sous l’empire le décret désigne les décisions de l’Empereur qui tranchent un litige dans un procès ou décident d’une affaire pénale (l’empereur a décrété que...). Les origines de cette compétence sont mal connues, mais on pense qu’ils vont unilatéralement se donner le pouvoir d’intervenir lorsqu’une partie le leur demandera ou, lorsqu’ils le voudront, de leur propre chef (procédure d’auto-saisie extraordinaire). En plus de se constituer juge selon sa volonté, l’empereur crée le pouvoir inquisitoire : les juges, en bénéficiant au nom de l’empereur, ne sont plus restreints à rendre des décisions selon les éléments apportés par les parties (république) mais peuvent directement enquêter.

Au vue des nombreuses nouvelles prérogatives impériale, se pose alors la question des limites du pouvoir de l’empereur. Il semble qu’à un moment elle ne furent plus que politique : l’empereur se limite pour maintenir un équilibre et limiter l’opposition.

                II) Le pouvoir juridique du prince

Peu à peu, au fil des 2 premiers siècle, l’empereur monopolise la capacité de créer le droit. Certains, comme Gaïus dans ses Institutes de 160, tentèrent de le justifier : « Les droits du peuple romain se fondent sur les lois, les plébiscites, les sénatus-consultes, les constitutions des princes, les édits de ceux qui ont le droit d’en publier et les réponses des jurisprudents. La loi est ce que le peuple ordonne et établit. […] La constitution du prince est ce que l’empereur a décidé par décret, par édit ou par lettre. Et l’on n’a jamais douté quelle ait force de loi, puisque l’empereur lui-même reçoit son pouvoir (imperium) par la loi ».

La vie juridique romaine décrite comme telle laisse croire à une multitude de source. En réalité, depuis Auguste, le Sénat est paralysé, les Assemblée ne se rassemblent plus (dernière loi : 90), l’édit du préteur est fixé (130, Hadrien) et les jurisprudents sont placés sous le contrôle directe de l’Empereur (droit de répondre publiquement, consilium principis : Auguste). Ainsi, la seule source du droit active qui demeure à l’époque,  sont les Constitutions impériales. En admettant ce changement, on va se demander si le pouvoir impérial peut être limité juridiquement.

Ulpien au IIIe siècle affirmait « Ce que le Prince a décidé a force de loi, puisque par la loi royale votée au sujet de l’empire, le peuple lui a conféré tout son pouvoir et toute sa puissance », « Le Prince est affranchi des lois (Princeps legibus solutus est : solutus, absolutus, absolutisme) ». La seule volonté de l’empereur pourrait créer le droit, aucune limite n’existe véritablement, tout ce qu’il voudra faire obtiendra valeur juridique. De même, créateur du droit, expression de la volonté générale, il n’est soumis à rien, même pas ses propres commandements.

Au contraire, la Constitution de Théodose II et Valentinien III de 429 clamait « C’est une parole digne de la majesté de celui qui règne que le prince se déclare lié par les lois : de sorte que c’est de l’autorité du droit que dépend notre propre autorité ». L’argument est de dire que l’empereur, premier exemple pour le peuple, n’est qu’un voyou s’il ne respecte pas ses lois. S’y soumettre est preuve d’intégrité et de morale. C’est une autolimitation, ça se produit parce qu’il l’accepte, il n’est cependant forcé en rien.

Obligatoirement, la concentration du pouvoir impérial amène le développement d’une administration forte. Le conseil impérial, à partir d’Hadrien (117-138), va rassembler les jurisprudents en charge de préparer les décisions de l’empereurs, rédigeant les rescrits, instruisant les affaires judiciaires et doués d’une grande autonomie, ils ne consultent l’empereur qu’au moment de la décision finale. Néanmoins, l’empereur garde la mainmise sur le tout, sans lui, rien ne peut se faire, l’empereur couronne la hiérarchie administrative.

Chapitre 3 : Un système juridique progressivement unifié

L’empire romain désigne également le territoire dominé par Rome, espace habité par un certain nombre de peuples divers. A son apogée, au IIe siècle sous Hadrien et Trajan, il couvre l’ensemble de la méditerranée et compte environ 60 millions d’habitants. Mais alors, y a-t-il un droit unique et est-ce que le droit romain est applicable à tous ? Pendant des siècles, plusieurs droits cohabitent.

                I) La diversité des droits locaux, résultat de la conquête romaine.

                                1) Le maintien des droits locaux dans les provinces créées par Rome

La conquête s’accompagne de la création de provinces, dirigées par des gouverneurs, représentants Rome et jouant un rôle juridique semblable à celui du préteur. Rome ne supprime pas les structures politico-juridiques antérieure à son arrivée. En Grèce, les cités états survivent et conservent leurs droit, leur citoyenneté comme partout ailleurs. Le processus d’intégration n’est pas automatique, dans l’empire coexistent une multitude de citoyennetés. Un romain vivant à Athènes est jugé par le droit romain et inversement. Cette situation crée une complexité juridique forte, il faut rapidement organiser la manière de juger deux sujets ne relevant pas du même droit. Le droit romain est supplétif, il remplace et complète quand il y a absence de règles. Ainsi, la Lex Irnitana de 93 dit au sujet de la cité d’Irni en Espagne « Pour les affaires pour lesquelles ce texte ne prévoit ou ne précise rien quant aux règles que les habitants du municipe flavien d’Irni suivent pour agir en justice, qu’ils agissent en justice entre eux en se servant du droit par lequel les citoyens romains agissent ou agiront selon le droit civil, tant que cela ne s’oppose pas à ce texte ».

                                2) Le droit des gens (ius gentium), droit commun

La loi des XII tables prévoit que le droit romain ne soit appliqué qu’aux citoyens romains. A partir de -242, le préteur urbain se charge des affaires entre romains et le préteur pérégrin, nouvellement créé, va, par une fiction juridique, octroyer aux étrangers une citoyenneté temporaire pour qu’ils puissent être jugés selon le droit romain, si leur affaire implique un citoyen romain. Un étranger peut se faire poursuivre par un romain et inversement. Peu à peu, se crée des règles communes, notamment en matière économique (contrats de vente, prêts, etc.) qui vont être jugées sous le droit romain. Le droit civil (famille, succession), quant à lui, reste aux mains des droits locaux. Avec les constitutions impériales et les décisions des gouverneurs, le « droit des gens », ou l’ensemble des règles applicables dans l’empire romain à tous les habitants quel que soit leur citoyenneté, s’étoffe encore plus.

Gaïus, Institutes « Tout peuple régi par le droit écrit et par la coutume suit en partie un droit qui lui est propre, en partie un droit qui lui est commun avec l’ensemble du genre humain. En effet, le droit que chaque peuple s’est donné lui-même lui est propre et s’appelle droit civil, c’est-à-dire droit propre à la cité, tandis que le droit que la raison naturelle établit entre tous les hommes est observé de façon semblable chez tous les peuples et s’appelle droit des gens, c’est-à-dire droit dont toute la gent humaine fait usage ».

Ce texte présuppose des règles communes à tous les peuples du monde et oublie que, le ius gentium n’a de sens que pour le droit à l’intérieur de l’empire romain. Dans la réalité, le droit romain n’est pas universel. Pour Gaius, si le droit des gens ne dépend pas de la citoyenneté, il dépend de l’appartenance au genre humain. C’est sans doute lié au fait que l’empire se considère comme le centre du monde.

Plus tard dans ses institutes, Gaius nous dit « Les esclaves sont au pouvoir des maitres. En effet, ce pouvoir relève du droit des gens : car nous pouvons remarquer que les maitres ont dans tous les peuples exactement le même pouvoir de vie et de mort sur les esclaves, et que tout ce qui est acquis par l’esclave revient en réalité au maitre ». Parce que l’esclavage est commun à tous, il relève du droit des gens et donc les décisions impériales s’appliquent à tous.

                II) L’extension de la citoyenneté romaine comme facteur d’unification juridique.

A Rome, il existe plusieurs manières d’obtenir la citoyenneté :

  • Par transmission héréditaire : elle reste dans le même groupe d’origine.

  • Par affranchissement : l’esclave obtient le statu de son maitre, ses enfants nés antérieurement ne sont pas libérés.

  • Par octroie ponctuel ou automatique : sous décision impériale pour service rendu, soit par le service militaire d’une durée de 20 à 25 ans, soit par l’exercice de charges publiques locales.

Les femmes romaines ont la citoyenneté et la transmettent à leurs enfants même en dehors du mariage, toutefois c’est une forme de citoyenneté réduite sans certains droits.

Cette situation perdure jusqu’en 212 ou l’édit de Caracalla reconnait la citoyenneté à tous les habitants libres de l’empire, on y lit « [L’Empereur César] Marc Aurèle Sévère Antonin Auguste proclame [= Caracalla] : je donne donc à tous [les pérégrins qui sont dans] l’Empire le droit de cité romaine, étant entendu [que sont maintenues les cités de toutes sorte]. Il se doit en effet que [la multitude… non seulement…] tout, mais qu’elle soit des maintenant associée aussi à la victoire. Et le présent édit augmentera (?) la majesté du [peuple] romain. […] ».

Ainsi, les statuts juridiques préexistant se maintiennent, on est citoyen romain tout en conservant notre appartenance à notre cité d’origine. Tandis que certains affirment que cette double citoyenneté a pour conséquence la survie des droits locaux, d’autres pensent que seul le droit romain subsiste. En tout cas, si au long termes, l’effet a été l’application uniforme du droit romain, dans un premier temps, les deux cohabitent. Ulpien, conseiller de Caracalla disait « ceux qui habitent dans l’Empire romain, sont citoyens romain en vertu de la constitution de l’empereur Caracalla » sans plus préciser.

A partir du IIIe ou IVe siècle, on commence à voir apparaitre les termes de « droit romain », expression significative de l’évolution sentie par les romains qui, pendant très longtemps, considéraient que le « droit civil » était lié à la citoyenneté, privilège dont seuls quelques-uns bénéficiaient. Celle-ci étant commune à tous, il n’y a plus besoin de marquer cette caractéristique. En plus de l’unification juridique, l’édit de Caracalla provoqua plusieurs effets indirects :

  • Si la langue administrative était le latin, après 212, beaucoup d’hellénophones vont accéder aux charges politiques de sorte qu’il va se produire le déplacement du centre politique de l’empire vers l’orient, la fondation en 330 par Constantin de Constantinople (Byzance, Istanbul), la « nouvelle Rome » en est la manifestation la plus flagrante.

  • En 312, après la bataille du point Milvius, Constantin se converti au christianisme, choix qui sera suivi systématiquement par presque tous les empereurs suivants. L’édit de Thessalonique de Théodose 1er (380), interdisant de fait tout autre culte traditionnel que le christianisme, fait de celui-ci la religion d’état.

  • L’apparition dans les derniers siècles de l’idée que tous les peuples de l’empire sont unis par une même civilisation, la civilisation gréco-romaine, marquée par une unité religieuse reposant sur le christianisme.

Chapitre 4 : La codification du droit (IIIe – VIe siècles)

                Introduction :

Il nous faut préciser certains éléments de chronologie :
L’année 395 marque la mort de Théodose 1er, dernier empereur unique de l’empire, le territoire est proche de celui du IIe siècle avec comme différence la division en deux parties : occidentale administrée depuis Rome (ou d’autres comme Milan) où l’on parle le latin et orientale dirigée depuis Constantinople ou l’on parle le grec. Dès 285, pour administrer ce territoire vaste, Dioclétien divise le pouvoir en deux empereur (duumvirat, un pour chaque partie, dans le même état uni (deux noms dans les constitutions : Théodose II et Valentinien III).
En 476, l’enfant empereur Romulus Augustule est déposé par Odoacre, général d’armée, qui renvoie les insignes impériaux à Constantinople, sans se prononcer Empereur d’Occident puisqu’il préfère fonder son propre royaume d’Italie à la manière des peuples germaniques qui contrôlent nombre régions anciennement romaines. En effet, depuis 439, autour de Carthage, les Vandales sont au pouvoir, en Espagne et au Sud-Ouest de la France ce sont les Wisigoths, en Italie les Ostrogoths, en Angleterre les Anglo-Saxons, dans les Alpes (Bourgogne) les burgondes, en galice les Suèves et en Gaule les Francs à partir de 480, conséquence des invasions barbares au cour du Ve siècle, faites-en partie par les armes (franchissement du Rhin : 406) et en partie par intégration au moyen des foedus (382 Goths les premiers). Se produit alors le remplacement d’une structure politique unifiée par une multitude de différents royaumes constitués sur les parties de l’ancien empire romain d’occident. Ceux-ci n’abandonnent toutefois entièrement pas le système administratif et juridique romain.

I) La notion de codification

Le mot « codification », inventé en 1815 par Jeremy Bentham (1748-1832), juriste anglais, auteur du terme droit international, avant droit des gens, et traduit en français en 1819, désigne : le processus juridique par lequel on rédige des code. Lorsqu’il l’invente, Bentham le fait dans une période où le recours au code est redevenu quelque chose de courant (code civil de 1804) et l’applique à des expérimentations historiques bien plus anciennes (codification de Justinien).

Le « codex romain » désigne un livre reliant plusieurs feuilles, différent du rouleau appelé « Volumen ». Celui-ci présente l’avantage de permettre une lecture discontinue, particulièrement adaptée aux textes juridiques, auquel on va ajouter une table des matières et des titres de parties de couleur pour en faciliter l’usage.

En droit, le code rassemble les dispositions juridiques applicables dans un territoire donné, il y a une volonté d’exhaustivité. La codification est alors le processus par lequel on va grouper en un seul ouvrage toutes les règles juridiques applicables. Le code n’est pas créé ex nihilo, mais bien à partir d’une sélection de textes déjà existants à laquelle on en ajoute de nouveaux. Pour le code civil et les codifications contemporaines, des deux derniers siècles, on va parler de « codification par systématisation ».

Entre la fin du IIIe et le Ve siècle on va voir, dans l’empire, puis, dans certains royaumes germanique, une succession relativement rapide de codifications faites : (1 : raison technique) pour faciliter l’accès et la compréhension du droit mais aussi (2 : raison politique) comme moyen pour le gouvernement d’affirmer son rôle d’unique autorité juridique dans son territoire (codification de Justinien).

                II) Les premières compilations romaines (fin du IIIe siècle – Ve siècle).

Les premiers sont les codes Grégoriens (292) et Hermogéniens (295) sous Dioclétien (244-312). Ceux-ci recueillaient les rescrits impériaux depuis Hadrien (76-138), point de repère du début de la concentration définitive des pouvoirs juridiques entre les mains de l’empereur, accessibles seulement aux hauts fonctionnaires impériaux (archives impériales), réalisés donc, dans un milieux officiel. Ces codifications ne compilent pas tous les textes existants mais sélectionnent les textes toujours en vigueurs, considérés comme suffisamment important. Ces textes ont une fonction pratique, ils facilitent le travail des fonctionnaires du conseil impérial, ce pourquoi, leur diffusion est limitée.

Le Code Théodosien promulgué en 438, ordonné par Théodose II (408-450), agit sur l’ensemble de l’empire et, à l’instar des précédents, rassemble les constitutions impériales depuis Constantin 1er (272-337), prenant la suite des période couvertes par les précédents. Si les seules traces qui nous en restent se tirent du Bréviaire d’Alaric (506, résumé) on connait sa structure, il était divisé en 16 livres. Ce code est remplacé en 530 par la compilation de Justinien, mais qui, en occident, ne sera que découverte que bien plus tard.

                III) La codification de Justinien au VIe siècle

L’ivoire Barberini représente Justinien (527-565) en militaire, accompagné de l’allégorie de la victoire, vainqueur des barbares lui apportant leurs richesses. Le but ici n’est pas de coller à la réalité mais de représenter la majesté de la fonction. Justinien est plus grand et plus en reliefs que les autres personnages et est surmonté du Christ, moyen de montrer que les guerres justiniennes, et son pouvoir, sont approuvés par Dieu. En effet, Justinien avait pour projet politique de restaurer la puissance militaire, politique et territoriale de l’Empire romain notamment, par ses nombreuses guerres extrêmement violentes qu’il mena en Italie et dans les anciennes provinces tombées sous le contrôle des royaumes germaniques (Afrique du Nord, Italie, Espagne). Le résultat de cette politique va être la récession de ces territoires frappés par les destructions et la maladie (peste justinienne), qui pourtant, avaient relativement résistés à l’effondrement de l’empire occidental. Les guerres justiniennes marquent la fin de la période romaine.

Justinien, préface de la Compilation : « Le maintien de l'intégrité du gouvernement dépend de deux choses, à savoir, la force des armes et le respect des lois: et, pour cette raison, l'heureuse race des Romains a obtenu le pouvoir et la préséance sur toutes les autres nations dans les temps anciens, et le fera pour toujours, si Dieu est propice; puisque chacun d'eux a toujours exigé l'aide de l'autre, car, de même que les affaires militaires sont assurées par les lois, les lois le sont aussi par la force des armes ».

La codification de Justinien doit se comprendre dans le contexte d’une volonté de restauration de la puissance romaine se répercutant, à l’intérieur de l’empire, par une réorganisation du droit pour servir le pouvoir impérial. Pour ce faire, Tribonien (500-547), l’un des plus proches conseillers de Justinien, est chargé de mener la commission devant édicter la nouvelle codification officielle de l’empire. Celle-ci, plus ambitieuse que les précédentes comporte 3 parties :

  • Le Code (Codex) en décembre 534 ou Volonté de l’empereur : réunion d’une sélection des constitution impériales depuis Hadrien (s’étend sur 4 siècles).

  • Les Institutes en janvier 533 ou l’éducation du juriste : court manuel destiné à introduire de manière générale au droit dont le contenu est déterminé par l’empereur avant d’être transmis aux étudiants.

  • Le Digeste ou Pandectes (grec) en 533 ou le savoir des jurisprudents : recueil d’avis, d’opinions et de commentaires des plus grands jurisprudents romains (Ulpien est le plus cité) du Ier siècle av. Jc au IIIe siècle.

Bien qu’en Orient on parle majoritairement grec, dans un premier temps, avant d’être traduit, la compilation fut rédigée en Latin dans le but de faire apparaitre la continuité avec le droit romain.

La constitution Tanta (Digeste), refonder les lois dans une « nouvelle splendeur ». :

« Au nom du seigneur notre Dieu Jésus-Christ
L’empereur César Flavius Justinien, vainqueur des alamans, des goths, des Francs, des germains, des antes, des alains, des vandales, des africains, pieux, heureux, glorieux, vainqueur et triomphateur toujours auguste
Au Sénat et à tous les peuples.

[…] Dieu a permis que les lois anciennes, accablées sous le poids de leur vieillesse, soient par nos soins parées d’une nouvelle splendeur (in navam pulchritudinem) et réunies en un recueil d’une taille mesurée ; personne avant nous n’avait espéré pouvoir réussir ce qui paraissait tout à fait impossible à l’esprit humain. C’était en effet, un beau projet que celui de ramener à l’unité et d’harmoniser le droit de Rome, depuis la fondation de la Ville jusqu’à notre époque c’est-à-dire, pendant près de quatorze cents ans, un droit rongé par des luttes internes et englobant les constitutions impériales, afin qu’il ne s’y trouve aucune contradiction, aucune répétition, aucune ressemblance […] ».

Parce que Justinien veut diffuser sa codification le plus largement possible, dans l’optique de restaurer la puissance impériale, il s’adresse à tous les peuples, moyen de mettre en avant son rôle prestigieux de restaurateur. L’objectif de celle-ci est de ramener l’unité dans un droit, en compilant les règles dans un seul ouvrage et en supprimant les contradictions éventuelles. Pour cela il faut une personne exceptionnelle qu’incarne Justinien.

Ainsi, la commission étudia plus de 2000 ouvrages, desquels on sélectionna les passages ayant le plus d’intérêt pour l’époque, qu’on classa par thème dans le Digeste, preuve de l’importance de la jurisprudence dans le droit romain, qui parfois, peut exprimer de véritables règles juridiques (loi des citations). Sans en modifier le fond, ces fragments ont pu être sujet à l’interpolation pour les adapter aux réalités juridiques de l’époque, ils n’en perdent pas moins leur autorité puisque celle-ci est renforcée avec l’approbation impériale leur conférant à tous une semblable importance.

« Nous avons tant de respect pour l’antiquité que nous ne voulons en aucune manière que les noms de jurisconsultes soient ensevelis dans l’oubli. Le nom de chacun est inscrit au début de la loi dont il est l’auteur. Nous nous sommes simplement réservé la faculté, si nous trouvions dans leurs lois des choses superflues, imparfaites ou peu adaptées, d’ajouter ou de supprimer ce qu’il fallait, de les transmettre en règles très fermes, de choisir entre plusieurs textes semblables ou contraires celui qui nous a paru le plus juste ; en donnant la même autorité à tous les fragments, afin que tout ce qui est écrit dans ce recueil soit tenu pour nôtre et composé par nos ordres »

« 13. Nous avons cru nécessaire de donner à la publication de cette constitution une très grande diffusion, afin que tous les hommes sachent de, quelle confusion ils sont sortis, quelle était l’étendue du travail et comment ils ont obtenu un droit équilibré et sage. Qu’ils aient à l’avenir des lois simples et brèves, accessibles à tous et dont on puisse aisément se procurer les recueils. Que l’on, ne soit pas contraint d’acheter à grand prix les volumes d’une foule de lois inutiles ; mais que riches et pauvres puissent acquérir à peu de frais de grandes connaissance juridiques. »

La compilation amène plusieurs conséquences : le droit devient plus accessible grâce au système de codex et l’ancien droit est abrogé.

L’abrogation du droit antérieur : « 19. […] Que personne ne cite en justice ni dans les autres cas ou les lois sont nécessaires, d’autres livres que les Institutes, notre Digeste et les constitutions rassemblées ou promulguées par nous ; sinon coupables du crime de faux, lui et le juge qui aura accepté de l’entendre seront frappés des peines les plus lourdes ».

L’interdiction des interprétations et des commentaires : « 21. D’autre part, ce qui nous était apparu dès le début, lorsque avec l’aide de Dieu nous avons ordonné d’entreprendre ce travail, il nous semble opportun de le prescrire à nouveau maintenant : à savoir qu’aucun des jurisconsultes de notre temps, ni ceux qui viendront par la suite n’osent adjoindre des commentaires à ces lois ; nous permettons seulement de les traduire en grec, selon le même plan et en respectant l’ordre dans lequel se suivent les mots latin […] Mais nous ne voulons pas qu’on fasse d’autres interprétations, qui sont plutôt des perversions du texte. Nous craignons que le verbiage des interprètes ne jette la confusion dans nos lois […] »

Seul l’empereur peut modifier le droit : « Tanta, 18. Comme il n’y a que les choses divines qui soient parfaites, et que le sort du droit humain est de s’étendre à l’infini et de ne pouvoir rester immuable (car la Nature suscite sans cesse des formes nouvelles), nous pensons bien qu’à l’avenir surgiront des difficultés qui ne sont pas prévues dans les loi actuelles. Dans ce cas, faudra avoir recours à l’empereur : car Dieu lui-même a élevé le pouvoir impérial au-dessus de tous les hommes à l’effet de corriger, d’ordonner, de soumettre à des solutions convenables toutes les situations nouvelles ».

La codification est étroitement liée à l’affirmation du pouvoir impérial, l’empereur seul peut, par Dieu, modifier le droit. Justinien dès les années suivants la publication de sa codification va user de son droit et à sa mort, ses nouvelles constitutions, dont certaines rentraient en contradiction avec celles de son Code vont être compilées dans un 4e livre plus long que tous les autres, les Novelles (534-565). L’activité de création du droit perdure et l’autorité de l’empereur se renforce.

D’un côté la compilation de Justinien s’inscrit totalement dans l’histoire du droit romain en reprenant et en codifiant les textes apparus au fur et à mesure de l’histoire romaine, de l’autre cette compilation marque une rupture puisqu’elle abroge le droit antérieur. Elle représente la dernière étape importante de l’évolution du droit romain.

L’œuvre de Justinien n’aura de l’importance en Occident qu’à partir du XIe siècle, date à laquelle on abandonnera le Code Théodosien jusque-là toujours en pratique pour passer au nouveau, et la renaissance du droit romain, débutée depuis la péninsule italienne ou des compilations de Justinien furent envoyés au moment de la reconquête. En orient celle-ci sera transformée en 888 par les Basiliques de Léon VI, regroupant l’œuvre complète en un seul ouvrage en y ajoutant les compilations suivantes.

                IV) Les lois des royaumes germaniques, des codifications du droit ?

Si la codification impériale est liée à l’affirmation du pouvoir du chef politique, dans les royaumes germaniques des Ve et VIe siècles, le phénomène est semblable. Pour affirmer leur autorité, les rois barbares revendiquent leur monopole à créer le droit même si, dans leurs cas, ils devront composer avec d’autres figures d’autorité (loi salique). On parle désormais de loi des Burgondes, des Wisigoths, loi (lex) renvoyant aux textes décidés par les rois recueillant des dispositions juridiques divers. En ce sens les lois germaniques se rapprochent des codes romains.

                                1) Les leges des royaumes germaniques ; des lois romaines ou des lois germaniques ?

Après leur arrivée, les germains confronté aux restes des institutions politiques et juridiques romaines s’en inspirent pour fonder leur société (les loi germaniques ont été rédigé en latin). Dans le domaine juridique, on distingue 2 types de loi :

Les compilation de droit romain sont des abrégés des textes romains, repris et simplifiés pour former la loi d’un royaume germanique.


(1) Le plus connu est le Bréviaire d’Alaric II de 506 ou loi romaine des Wisigoths (lex romana wisigothorum). Régnant alors sur une grande partie de l’Espagne et de l’Aquitaine, le bréviaire abrège le code Théodosien, alors dernier stade connu et diffusé du droit romain applicable ainsi que d’autres textes. Son contenu est exclusivement des transformations du droit romain ce qui peut s’expliquer par une plus faible compétence juridique des wisigoths par rapport aux juristes romain (subtilités juridiques effacées). La diffusion de celui-ci et sa survie au Moyen-Age va passer par la conquête de l’Aquitaine après la bataille de Vouillé en 507 par les Francs et la décision de Clovis de rendre applicable le texte sur l’ensemble de son royaume en plus de l’Espagne wisigothique.


(2) La lex romana burgundionum ou la loi romaine burgonde, est l’alternative mise en place par Gondebaud entre 501 et 502 qui ne survivra pas à l’incorporation dans le royaume Franc en 534.

Les compilation destinées aux populations germaniques sont des textes dont le contenu ne viendrait pas du droit romain mais des coutumes des populations germaniques mises à l’écrit.                                                                                                                                                           
(1) En Wisigothie le Code d’Euric datant du début de l’installation des germains en Espagne (Ve) puis remplacé par le Liber Iudiciorum ou Livre des jugements, parallèlement appliqués au bréviaire d’Alaric.
(2) En Burgondie la loi Gombette rédigée en 502 par Gondebaud en latin organise la vie juridique.
(3) Dans le royaume des Francs la loi Salique s’applique, originellement créée pour mettre fin aux guerres privées, les Faides.

Au-delàs du fait que ces textes aient été rédigé en Latin, l’influence romaine se voit surtout au travers de l’utilisation du codex et la mise par écrit du droit qui, traditionnellement était retenu oralement. Les historiens expliquent la coexistence de ces deux droits par le principe de personnalité et territorialité des lois.

La personnalité des lois désigne un système juridique dans lequel le droit applicable dépend de l’origine, de la personnalité de l’individu auquel on va appliquer la règle. Ce principe suppose d’identifier si la personne à qui on veut appliquer la loi est d’origine romaine ou germanique et selon le cas on appliquera soit la compilation de droit romain, soit la compilation destinée aux populations germaniques.

La territorialité des lois au contraire désigne un système sur lequel on va se baser sur le territoire pour choisir quelle loi appliquer (lois modernes).

On a longtemps considéré que, globalement, au même moment, les lois germaniques qui suivaient toutes le principe de personnalité des lois évoluèrent vers un système reposant sur la territorialité. Or, des études récentes montrent que la situation est variable d’un royaume à l’autre et que, si les wisigoths changèrent rapidement, dans les autres domaines il fallut attendre plus de temps. Également, si les textes de droits romains sont relativement longs et détaillés, les recueils de droit germaniques sont bien plus courts, il faudrait donc voir une complémentarité entre les deux textes plutôt qu’une véritable concurrence (le droit romain comblant les lacunes du droit germanique).

                                2) L’exemple de la loi salique.

L’apparition de la loi salique se contextualise dans une période d’importants changements. Les Francs, peuples germaniques d’outre-rhin, profitant du relâchement du Limes romain, s’établissent en gaulle où ils fondent leur royaume qui deviendra indépendant à la suite de la chute de l’empire d’occident en 476. Clovis 1er, premier des rois se lança dans une politique de conquête territoriale (Tolbiac 496) qui le mena jusqu’à la bataille de Vouillé en 507 durant laquelle il battu les wisigoths d’Alaric II. Vivant dans une société de plus en plus peuplée, vint la nécessité d’organiser le droit et les relations entre les individus. En effet, dans cette société vivaient ensemble des germains et des gallo-romains plus anciennement établis. Clovis récupéra le Bréviaire d’Alaric, compilation de droit romain, qu’il appliqua à l’ensemble de son territoire, ce à quoi s’ajouta le Pacte de la loi Salique, à destination des francs. Le termes de pacte suggère que celle-ci fut adoptée avec l’accord conjoint des grands du royaume. Elle reprend des disposition juridique coutumières des francs, il s’agit d’un « tarif de composition » qui liste les prix à payer en fonction des infractions commises, dans l’idée de mettre une fin définitive aux conflits et rompre le cercle de la violence (faide). Elle fait la distinction entre différentes classes d’individus, valant plus ou moins cher (romain < francs < leudes).

« Titre LIII de la loi salique : De celui qui veut racheter sa main de l’épreuve de l’eau bouillante. I. Si celui qui a été assigné pour fournir la preuve par l’eau bouillante est demeuré d’accord avec son adversaire de racheter sa main de cette épreuve, en présentant des témoins qui affirment son innocence avec serment, il paiera pour ce rachat une somme de 120 deniers ou 3 sous d’or, s’il s’agit d’un délit à raison duquel il eut du payer une composition de 600 deniers, ou 15 sous d’or, s’il en eut été légalement convaincu ». 

La loi Salique intégrait plusieurs manières d’établir la culpabilité de l’individu dont l’ordalie (soit intégrant les 2 parties dans un duel, soit n’en concernant qu’une sous la forme d’une épreuve). L’ordalie n’est pas la sanction infligée mais uniquement le moyen d’établir l’innocence ou la culpabilité. La possibilité d’y échapper par le rachat prouve la place que la négociation avait dans les procès. Le procès franc est différent de celui de Rome, en effet le juge ne dispose plus de l’autorité inquisitoire (le droit de mener une enquête, d’user de la torture réapparait avec la renaissance du droit romain des XIe et XIIe siècles), il doit composer avec les éléments que lui apportent les parties.

Les sanctions exclusivement pécuniaires (wergeld : prix du sang) créent des déséquilibres relatives entre riches et pauvres, dans ces procès les familles sont souvent concernées car l’affrontement n’est pas le cas particulier d’un individu avec un autre mais répond à des mécaniques de clan (p91 livre). En cas d’impossibilité à payer des moyens de substitutions sont proposés (dépendance, soumission, services rendus) ce qui est souvent le cas puisqu’étant dans une période de recul monétaire par rapport à l’époque romaine

Le droit est rendu dans des tribunaux périodiques (mallus ou malberg) par une assemblée de notables locaux, aisée et libre. Ces individus ne sont pas des spécialistes du droit, ce qui explique le but du procès, on recherche la pacification sociale plutôt que l’application stricte du droit. Il n’y a alors progressivement plus un groupe de spécialistes du droit intervenant dans les tribunaux, faute de formation appropriée.

Transition : le lent effacement du droit romain et l’éclatement juridique de l’Europe (VIe – XIe siècle)

Le droit romain en occident perdure après la chute de l’empire par l’utilisation d’adaptation du Code Théodosien (438) simplifiées (Bréviaire d’Alaric). La compilation de Justinien (533) se cantonnera à l’empire d’orient et aux régions de la péninsule italienne reconquises sous son règne. Dans l’ensemble, on remarque surtout au travers des sources de l’époque (actes notariés, archives de monastères, villes) que dans les siècles suivant les références au droit romain se font de plus en plus vague : « conformément à la loi romaine ». Cela traduit le fait que de moins en moins de personnes en maitrisent le contenu. Seule l’Église développe un droit avec des bases romaines et encourage l’apprentissage de l’ancien droit dans ses universités. Néanmoins, les écoles séculières quant à elles disparaissent et les Institutes ne sont plus usités, les principaux centres de formation intellectuels sont liés aux monastères mais rien de spécifique puisqu’aux enseignements juridiques s’ajoutent des leçons théologiques, mathématiques ou encore géographiques. Le droit romain survit dans des formes abrégées (Isidore de Séville). Les lois germaniques dépendent du pouvoir politique de la figure gouvernante en place. Avec l’Empire carolingien on assiste à une nouvelle période de création de droit (capitulaires) qui va prendre fin à la mort de l’empereur. Peu à peu,  les règles juridique vont se déporter de l’autorité royale à la coutume.

La formation de coutumes (consuetudo) locales (à partir du IXe siècle)
A la fin IXe siècle, l’unité politique se fragmente. Les royaumes se scindent en une multitude d’autorités de plus en plus locales et limitées. Les seigneurs, relevant théoriquement du roi, profitent, en pratique d’une très grande autonomie. Ceux-ci vont faire appliquer un droit particulier au sein de leur domaine pouvant être différent de celui en vigueur dans les seigneuries voisines. Les coutumes se forment en parti d’après les droits et obligations seigneuriales (taxes, devoirs) et en parti d’après les pratiques locales formant l’essentiel du droit applicable. On estime alors que dans la France du IXe siècle existe près de 2000 droits différents, chacun n’étant connu et admis que dans sa zone d’application. Il n’y a plus de droit commun pour tous.

Isidore de Séville, évêque espagnol, va définir, dans l’une de ses encyclopédies (ouvrage regroupant l’ensemble des connaissances de l’époque) que « La coutume est le droit mis en place par les usages, qui est invoqué à la place de la loi lorsque celle-ci fait défaut ; cela ne change rien qu’elle soit écrite ou procède seulement de la raison, puisque la raison détermine également la loi. »

Deuxième partie : les luttes en vue de la domination universelle moteurs de la « renaissance » juridique (XIe-XVIIIe siècles).

Introduction :

                I) La reconstitution de l’Empire romain en Occident par les Carolingiens.

La renaissance juridique à partir des XIe et XIIe siècles est marquée par la redécouverte du droit romain et le gain d’influence de celui-ci dans l’organisation juridique européenne au cœur d’un contexte de conflit entre les Papes et les Empereurs germaniques.

La restauration de la qualité impériale se réalise au profit de Charlemagne, alors roi des Francs. En l’an 800 le Pape Léon III, en tant que chef politique des états de l’église le couronne en remerciement de son soutien militaire. Charlemagne porte désormais le titre d’Empereur en occident, situation nouvelle depuis 476. Pour Charlemagne c’est le signe de la reconnaissance de l’importance de son pouvoir politique : il peut être Empereur parce qu’il règne sur le royaume le plus puissant d’Europe et est, de fait, chef de file de la chrétienté. Pour le Pape, il s’agit de mettre en avant son pouvoir de décider qui est Empereur : Charlemagne devient empereur parce que le Pape le veut bien. A sa mort, son seul fils en vie, Louis le Pieux est à nouveau couronné, mais à son décès, l’empire est divisé en trois royaumes en 843 (traité de Verdun) : la Francie occidentale pour Charles le Chauve, la Francie médiane pour Lothaire et la Francie orientale pour Louis le Germanique. Le titre perdure quelques temps, passant d’une famille régnante, puis disparait à la mort de Béranger 1er en 925 avant d’être repris en 962 par Otton 1er, roi de Francie orientale puis empereur du Saint Empire Romain Germanique incluant l’essentiel de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, d’une partie de l’Italie et de la France actuelle. Parce que son territoire est directement en contact avec les états pontificaux, l’empereur joue un rôle très important dans l’élection du Pape.

                II) La « réforme grégorienne » et la querelle des Investitures.

Le Pape, évêque de Rome, acquiert progressivement une certaine prééminence au sein de l’église, notamment dans le cadre de la réforme grégorienne, né comme une réaction à l’emprise de l’empire sur l’église (choix des papes entre le Xe et XIe) et d’une volonté de réformer l’église (mieux la séparer de la société). Celle-ci va conduire à organiser la sélection papale au sein de l’église (cardinaux), la mise en place de règles spéciales (célibat des prêtre, etc.) par Grégoire VII (1073-1085), acteur central d’un conflit l’opposant à l’empire d’Henri IV dans le cadre de la querelle des Investitures (1075-1122, Canossa en 1077, concordat de Worms en 1122) au sujet de la nomination des évêques au sein de l’empire.

L’empereur affirmait que celles-ci relevaient de son autorité en tant que chef de l’empire ; le Pape, de son coté, comme détenteur d’une supériorité politique et juridique sur l’Europe chrétienne ; les deux aspirant à un pouvoir de nature universelle et fondant leurs revendications sur le droit romain.

Chapitre 1 : l’affirmation du Saint-Empire romain et l’appui sur le droit romain (XI-XIIe siècles)

                I) La redécouverte du droit romain

La plus ancienne mention du Digeste dans des source occidentale remonte à 1076. A partir de là on observe une réutilisation de plus en plus fréquente des textes de Justinien et à la restauration d’un enseignement juridique spécialisé. Il s’agit plus d’un changement de regard sur des textes oubliés depuis la reconquête du VIe siècle plutôt qu’une découverte archéologique classique.

                II) L’utilisation du droit romain au service des prétentions impériales

Située aux frontières des états pontificaux et de l’Empire, Bologne va être la base de la redécouverte du droit romain en Europe. L’empereur Frédéric 1er Barberousse, faisant face à de nombreux opposants (papes, villes indépendantistes), fit appel, lors de la diète de Roncaglia de 1158, à quatre juristes bolonais (Bulgarus, Martinus, Hugo, Jacobus). Ceux-ci permirent l’agrandissement des prérogatives impériales par l’utilisation des compilations de Justinien. Le décalage chronologique est évincé, le titre d’empereur permettant de passer outre. De plus, cette diète s’est également traduite par un certain nombre de controverses juridiques portant sur l’interprétation de passages (« toutes choses appartiennent au Prince »). Le droit acquiert une utilité pratique, les politiques encouragent son apprentissage puisqu’il concourt à l’accroissement de leurs pouvoirs.

Chapitre 2 : L’affirmation de la papauté et la codification du droit canonique.

Le droit canonique désigne le droit de l’Église catholique qui régit l’organisation interne de l’Église (compétences des organes, tribunaux, etc.) et également la vie des fidèles chrétiens. Ce n’est pas une extension de la Bible qui en est une source (non pas un recueil de règles de droit comme le Coran ou la Torah). Le droit canonique est un droit religieux mais ne se résume pas à un contenu religieux. Au Moyen-âge un certain nombre de domaines comme le mariage sont contrôlés par le droit de l’Église. L’étendue de la compétence des tribunaux ecclésiastiques a varié, mais entre le XIe et le XVe siècle elle est très étendue. Il se compose d’une accumulation de textes dont font partie : les productions des conciles (Nicée : 325) appelées les « canons » (la règle en grec), les écrits des « Pères de l’Église » (saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire, saint Jérôme), etc. Du fait du rôle historique de Rome, le Pape va acquérir une forme de primauté dans l’Église. Dès le début du Moyen-âge, parce qu’on considère que son prestige spirituel et politique confère une certaine autorité à son avis, on va le solliciter par demandes écrites auxquelles il répondra, à la manière des rescrits impériaux, mais par des « lettres décrétales ». Celles-ci vont, peu à peu, être considérées comme une source de droit canonique. La réforme Grégorienne, parce qu’elle affirmera l’hégémonie papale réorganisera le droit canon en profondeur.

                I) L’affirmation du pouvoir juridique universel du Pape.

                                1) La volonté hégémonique du Pape : les Dictatus Papae (1075)

Aux débuts de l’Église, le Pape revendique une primauté mais n’est pas le chef incontesté. Cette idée commence à s’affirmer à partir de la réforme grégorienne du XIe siècle. Les Dictatus Papae rédigés vers 1075 sous Grégoire VII, représentent la vision interne du pouvoir pontifical, que reprendront les papes suivant. Elles traduisent ce que le Pape aspire à devenir.

Dictatus Papae :

« 2. Seule le pontife romain est dit à juste titre universel.
3. Seul le pape, peut déposer ou absoudre les évêques.
7. Seul, il peut, selon l’opportunité, établir de nouvelles lois, réunir de nouvelles paroisses, transformer une collégiale en abbaye ou l’inverse, diviser un évêché riche ou unir des évêchés pauvres.
8. Seul, il peut user des insignes impériaux.
9. Que tous les princes baisent les pieds du seul pape.
12. Il lui est permis de déposer les empereurs.
17. Aucun capitulaire ou texte canonique n’existe en dehors de son autorité.
19. Il ne doit être lui-même jugé par personne ».

Dans ce texte tenu secret, il revendique des droits lui assurant une place prépondérante au sein de l’église (le chef hiérarchique) et de la société). La réforme grégorienne promeut la centralisation des pouvoirs de l’église entre les mains du pape ainsi que la subordination des pouvoirs politiques temporels. On a l’idée qu’il faut distinguer le clergé du reste de la société et affirmer le rôle du pape pour mener l’Église et la communauté chrétienne dans son ensemble. Ce qu’on présente ici est le point de vue qu’un certain nombre de papes essayent d’établir, mais, heurtés à la résistance des princes,  ils ne vont jamais totalement s’appliquer. Il ne font qu’indiquer les conceptions qui orientent les Papes à partir de cette époque.

                                2) La plenitudo potestatis ou plénitude du pouvoir.

Termes utilisés la première fois par Innocent III (1198 – 1215), celui-ci s’applique exclusivement aux Papes et désigne le pouvoir qu’il exerce. L’idée est que le Pape est le seul à exercer un pouvoir entier là ou d’autres autorités non. C’est ce qui fonde sa légitimité à intervenir sur l’exercice de leurs pouvoirs.

Les Papes se reconnaissent le droit de distribuer des  « dispenses » à leur guise. Au départ disponibles pour tous les évêques, avec la réforme grégorienne, ils en deviennent la seule source d’émission. Les Papes sont alors sollicités par les particuliers souhaitant se soustraire à une règle canonique. Si ceux-là acceptent, la règle continue d’exister et de s’appliquer de manière générale, sauf pour ceux ayant reçu le privilège d’en être dispensés. Par exemple, dans le cadre des mariages, le droit canon admettait à certaines période des interdits remontant jusqu’à la filiation au 7e degrés, très handicapant pour les grandes familles s’unissant dans des cercles très endogames. Le Pape dispose alors à la fois du pouvoir d’instaurer une règle et de la limiter. Son influence va être si grande qu’on va lui accorder le droit de remettre en cause les coutumes « contra legem canonici ».

Décrétale de Grégoire IX : « Pape Alexandre III à l’archidiacre d’Ely. Puisque tu dois, sous le prétexte d’aucune coutume, aller à l’encontre des décisions des saints pères et réclamer ce qui n’appartient pas à ton officie, nous ordonnons que tu ne confies charge d’âme à personne sans autorisation au mandat de ton évêque. »

                II) La mise en ordre du droit canonique

Au fur et à mesure que le droit canonique s’étoffe il est rendu accessible avec la rédaction de plusieurs compilations qui permettent sa diffusion, servant la légitimation des prétentions politiques papales.

                                1) Le décret de Gratien

L’acte fondateur du droit canonique est le décret de Gratien ou « Concordia discordiantum canonum ». Un moine bolonais, formé au droit romain, publie en 1170 puis en 1190, un ouvrage dans lequel il met en relation des textes contradictoires et tente de les concilier. Il apporte une forme d’harmonie dans une situation d’accumulation désordonnée de nombreux textes en modifiant, supprimant les controverses et en ajoutant son interprétation pour les lier sur une même ligne. Il cite les textes qu’il a sélectionné, puis les résume en les adaptant pour pointer leurs points de rapprochement.

Figurent alors, des textes s’étendant de la fin de l’Antiquité jusqu’à son époque dont : des canons, des décrétales (humanum genus), des références à la Bible ainsi que de nombreux passages de droit romain tiré des Compilations de Justinien. Le droit canonique possède une base en commun avec le droit romain (notamment la procédure judiciaire très riche à Rome) et innove également.

                                2) Un exemple de la justification juridique des prétentions pontificales : la fausse Donation de Constantin.

Décret de Gratien, d. 96, c. 13-14 : « L’empereur Constantin a concédé la couronne et toute la dignité royale [impériale] dans la ville de Rome, en Italie et dans les parties occidentales de l’Empire au Siège apostolique [au pape]. Car dans l’histoire du bienheureux Sylvestre [pape de 314 à 335] (que le bienheureux pape Gélase rappelle avoir été lue dans le concile des 70 évêques par les catholiques, ce que, par un vieil usage, beaucoup d’églises font aussi d’après lui), on lit : L’empereur Constantin, quatre jours après son baptême, conféra ce privilège de l’Église romaine au pontife : dans tout l’empire romain, les prêtres doivent le tenir pour leur chef, comme les juges le font à l’égard du roi. Dans ce privilège, on lit entre autres ceci : « Nous jugeons utile, d’accord avec nos satrapes, et l’ensemble du Sénat ainsi que les meilleurs d’entre nous, et même avec tout le peuple soumis à l’empire de la gloire romaine, que, de même que le bienheureux Pierre semble avoir été fait sur terre vicaire du fils de Dieu, de même, les pontifes, qui sont les remplaçants du prince des apôtres, doivent obtenir de nous et de notre empire un pouvoir princier plus grand que celui dont dispose notre bienveillante sérénité impériale sur terre, en choisissant que le prince des apôtres ou ses remplaçants seront pour nous de constants intercesseurs auprès de Dieu. Et ainsi, nous décidons, dans la mesure de notre puissance impériale et terrestre, que l’Église romaine sacrosainte doit être honorée avec piété et que l’on doit glorifier, plus que le trône terrestre, le siège sacrosaint du bienheureux Pierre, et nous lui fournissons la puissance, et la dignité de la gloire et la force et les honneurs impériaux. […] »

                                3) Les collections de décrétales (XIIIe – XVe siècles)

On appelle « décrétale » une réponse du Pape à une question posée ayant valeur normative. Le droit de l’Église, au début du Moyen-Age, se compose alors des canons, des décrets conciliaires et des décrétales, dont les dernières, monopole du Pape, ne sont qu’une source parmi tant d’autres. Ainsi, la Compilation de Gratien, texte issu d’une codification privée composée vers le milieux du XIIIe siècle, admet de nombreuses sources (3800 textes), dont les décrétales. Mais, progressivement, la création de normes canoniques va relever presque exclusivement du Pape : là où le contenu de Gratien était varié, les suivants, souvent réalisés à l’initiative des Papes eux-mêmes (Grégoire IX : 1145-1241), se concentreront sur les décrétales.

Rédigée par Raymond de Penyafort et publiée en 1234, les Décrétales de Grégoire IX (ou Liber Extra) eurent le même rôle et portée que la codification de Justinien en son temps (peinture Raphaël). Ses cinq livres furent complété par le Sextes de 1298 (Bonniface VIII : 1235 : 1303) regroupant les décrétales parues entre 1234 et 1241. Par la suite, plusieurs compilations parurent comme les Clementines en 1318 pour les décrétales du Pape Clément V, les Extravagentes de Jean XXII de 1335 et les Extravagentes communes de 1500 (les deux dernières ayant été commandées par un privé).

A la fin du Moyen-Age, on va voir l’apparition d’ouvrages regroupant toutes les normes officielles de l’Eglise, l’ensemble étant appelé « Corpus iuris canonici » (corps du droit canon), ceux-ci feront l’objet de plusieurs travaux de correction, en particulier sous le pontificat Pie IV et surtout Pie V et furent publiées officiellement en 1580 par Grégoire XIII (1502-1585). A la fin du Moyen-Age, le Corpus iuris canonici forme, avec le Corpus iuri civilis (Compilation de Justinien) les deux piliers de la société : le droit commun.

Chapitre 3 : les moyens d’influence du droit commun européen.

                I) La réapparition d’un enseignement universitaire du droit.

Avec la chute de l’Empire romain d’Occident, les grandes universités disparaissent et avec elles, l’enseignement du droit en tant que matière à part entière. La renaissance du droit romain va changer cela, à Bologne, s’organise un enseignement du droit, d’abord privé (un juriste connaissant le droit romain fait des lectures commentées), puis institutionnalisé dans une Université qui fera le renom de la ville dans toute l’Europe. Celle-ci, parce qu’elle sert directement l’affirmation du pouvoir politique par l’enseignement du droit romain, va se voir reconnaitre officiellement, par la constitution Habita, publiée par l’Empereur Frédéric 1er lors de la Diète à Roncaglia vers 1158, sa place particulière. Concrètement, il reconnait aux universitaires, tant professeurs qu’étudiants un statut juridique différent des locaux, leur garantissant une certaine autonomie (privilège de juridictions). On y enseigne les droits savants en Latin, ce qui permet à tous, qu’importe le pays d’origine d’y venir étudier pour, une fois ayant obtenu le diplôme de fin d’études, pouvoir exercer des charges auprès des pouvoirs politiques ou, plus simplement, des fonctions quotidiennes (notaires, avocats, juristes, magistrat, etc.).

                II) Le développement de l’étude savante du droit romain et du droit canonique.

                                1) La Glose (à partir du XIIe siècle) : expliquer les textes romains.

La glose est au Moyen-Age, aussi bien dans le domaine juridique que religieux, une méthode d’étude de texte reposant sur une lecture linéaire accompagnée d’explications détaillées (les juristes ne pouvant pas comprendre sans aide les mots savants du droit romain, impratiqué depuis des siècles). Rapidement, les plus réputées vont être reprises par des copistes ce qui permis leur diffusion. La plus connue à l’époque est la Grande glose ou Glose ordinaire d’Accurse de 1227.

« Toutes choses appartiennent au Prince. Même en ce qui concerne la propriété : comme le dit Martinus au prince à Roncaglia, par crainte ou pas amour. Dans ce sens, ff. de offic prateo. I. Barbarius on fine [référence au Digeste]. 2. Mais Bulgarus affirme le contraire à ce propos et expose ceci en ce qui concerne la protection ou la juridiction. Ainsi les rivages de l’empire romain sont considérés comme la propriété du peuple romain : comme on le voit dans ff. ne quid on loco publico. I. littora publica. Plus justement, on dit que toutes choses lui appartiennent, pour ce qui est des biens appartenant au fisc ou à son patrimoine propre : comme il résulte de l’argument dans ff. ne quid on loco publico. I. ij. § iij. Il en résulte que mon livre n’appartient pas au prince, mais que je dispose bien moi-même d’une action en revendication directe pour celui-ci et non le prince. ».

La forme est la suivante : on a deux opinions contradictoires, celle de Martinus et celle de Bulgarus, et la réponse apportée par Accurse qui vient trancher le débat.

                                2) Les postglossateurs (à partir de la fin du XIIIe siècle) : actualiser le droit romain.

                                                A) Elément méthodologique

A la différence des glossateurs, les postglossateurs modifient la manière dont l’étude des textes est menée, ils ne se sentent pas liés par l’ordre du texte : leurs commentaires sont souvent thématiques (on rassemble tous les passages qui sont relatifs au thème : contrat, pouvoir du prince, etc.). On oppose alors les argument pro et contra puis on conclut avec la thèse du commentateur (soit l’un des deux, soit une sytnèse). Cette technique, également utilisée en philosophie et théologie, va permettre de structurer le raisonnement.

                                                B) Elément politique

L’argument pratique des glossateurs était de pouvoir appliquer les textes de droit romain à l’Empereur romain germanique. Avec les postglossateurs, leur usages sont plus variés.

Bartole (1314-1357) : « dans le cas des cités de l’Italie d’aujourd’hui, et notamment celles de la Toscane qui ne se reconnaissent pas de supérieur, j’estime qu’elles constituent par elles même un peuple libre, et possèdent par la en elles-mêmes le merum Imperium (se retrouve dans le Digeste, tiré du droit romain), ayant sur leur propre peuple autant de puissance qu’en possède généralement l’empereur ».

Ainsi, Bartole adapte, à un cas particulier, une grande idée du droit romain, alors même que celle-ci ne devait, à l’origine, que concerner le pouvoir de l’Empereur. Il fait une équivalence entre le pouvoir impérial et le pouvoir des cités sur leur population. La question de l’historicité est secondaire, Bartole et les autres (Balde 1327-1400 pour l’un des plus connus) vont, à partir du XIIIe et XIVe adapter le droit romain à leur réalité contemporaine. On reprend uniquement les grandes idées du fond lesquelles, on débarrasse des poids qui les attaches à la réalité impériale romaine antique.

                                2) La critique humaniste des textes (à partir du XVe siècle).

En réaction, à partir du XVe, les juristes humanistes vont réaffirmer l’idée que la prise en compte du contexte historique des textes est primordial. A leur époque, les bartolistes, adeptes du mos italicus n’innovent plus, ils ne font que reprendre les gloses de leurs maitres voire même, gloser leurs écrits. Les humanistes s’éloignent alors de l’idée que les compilations de Justinien sont la perfection d’un droit applicable partout tout le temps, et souhaitent redécouvrir, par l’étude historique, l’ensemble du droit romain comme une matière évoluant au fil des modifications.

Rabelais, Tiers Livre 44 (1546) : « Tribonien, homme mécréant, infidèle, barbare, tant malin, tant pervers, tant avare et inique qu’il vendait les lois, les édits, les rescrits, les constitutions et ordonnances, en purs deniers, à la partie plus offrante, et ainsi leurs a taillé leur morceaux par ces petits bouts et échantillons des lois qu’ils ont en usage, le reste supprimant et abolissant qui faisaient pour la loi totale et pour que, la loi entière restante et les livres des antiques jurisconsultes vu, sur l’exposition des douze tables et édits des préteurs fut du monde apertement sa méchanceté connue ».

Pour Rabelais, la codification est une sorte de voile qui dissimule la réalité du droit romain, dont une grande partie a été perdue à cause de la sélection. A partir du XVIe siècle on va s’intéresser à nouveau aux codes précédents (Théodosien, etc.). Lorsque Ulrich Zasius, dans Singulares intellectus paru en 1526 disait « la vérité du droit vient des textes, non de l’autorité des docteurs », il incitait à revenir au texte, à son histoire et au sens qu’il pouvait avoir à l’origine. Guillaume Budé (1467-1540), l’un des plus grands représentant du mos gallicus ou encore Jacques Cujas (1522-1590), partageaient cet avis.

Le développement de l’humanisme a été encouragé par deux facteurs. Le premier, religieux, vient de la Réforme. Les protestants vont soumettre les textes religieux à une analyse critique et, pour ce faire, cherchèrent à retrouver les textes d’origine (écrits en Hébreux et en Grec et non en Latin) et à les traduire en langue vernaculaire. La Bible est considérée comme un texte historique évoluant. Pour les humanistes, les textes anciens ne sont pas des vérités révélées mais des écrits interprétables. Le second, technique, vient de l’invention de l’imprimerie. En effet, celle-ci va favoriser la diffusion des textes, or, ceux-ci ayant été altérés par les erreurs accumulées au Cour des copies successives, on va chercher à remonter au texte le plus ancien pour imprimer la version la plus proche de l’originale. L’apparition de l’imprimerie a stimulée la recherche historique parce qu’elle a imposé un travail d’érudition et d’identification des sources.

                III) La formation d’un droit commun européen (ius commune)

Le terme de ius commune regroupant le droit canonique (vivant) et le droit des compilations de Justinien (figé) est créé parce que, non seulement les Universités européennes les enseignent et que les meilleurs juristes, docteur on utroque iure, les connaissent tous deux mais aussi parce que leur mode d’analyse similaire, reposant sur l’étude de textes glosés puis commentés, va permettre de les opposer aux droits propres (iura propria) ou particulier, issus de la coutume. Pour un certain nombre de juriste (Bartole, Balde, etc.), particulièrement de la fin du Moyen-Age, vont considérer que les coutumes doivent se soumettre aux droits savants ce qui favoriserait l’émergence d’une forme d’homogénéité juridique européenne. Mais, à cause de la forte fragmentation politique de l’époque, ce projet ne restera qu’intellectuel. Néanmoins, l’influence des droits communs est certaine : les juristes, une fois formés aux droits savants, en pratiquant, réutilisent des termes, pratiques, tournure d’esprit du droit romain. La pratique, se diffusant, conduit, non pas à l’unification du droit, mais à l’unification des notions de droit romain. Par exemple, ce fut le cas avec la procédure inquisitoire qui, en France remplaça les ordalies, ou encore la diffusion de « quod omnes tangit ab obnibus tractari debet » (ce qui concerne tout le monde doit être discuté et approuvé par tout le monde) dont la promotion dans l'Église et dans la sphère politique laïque à partir du Moyen Âge central eut un rôle important dans le développement en Occident de la représentation politique.

Troisième partie : l’affirmation progressive des systèmes juridiques nationaux : l’exemple de la France (XIIe – XVIIIe).

Durant le Moyen-Age, le royaume de France est bordé par le Saint-Empire pour sa plus grande partie. A l’intérieur également, le domaine royal se partage le territoire avec les fiefs mouvants de la couronne où le Roi de France n’exerce que suzeraineté. A partir de fondation de la dynastie capétienne avec l’arrivée sur le trône d’Hugues Capet en 987, les rois de France vont s’exercer à renforcer l’autorité royale, fortement diminuée depuis la mort de Charlemagne, et faire coïncider les limites du royaume avec celle du domaine royal, coïncidence réalisée sous le règne d’Henri IV. Nous le voyons, le Roi cherche à défendre son indépendance et à affirmer sa supériorité sur tous les autres pouvoirs en tant que seule autorité suprême, notion de laquelle va se dégager le principe de souveraineté.

Chapitre 1 : L’appui sur les droits savants pour autonomiser l’état royal français (XIIe-XVIIIe siècles).

Cette autonomisation se place sur le plan extérieur et intérieur.

                I) Le Roi, imperator in regno suo, contre les prétentions de l’empire.

Imperator in regno suo : empereur dans son royaume.

L’empereur du saint empire, parce que titulaire du titre impérial, eut tendance à se considérer supérieur de tous les rois et reine de la chrétienté au nom de la différence de nature de son pouvoir, légitimant ses revendications à demander leur obéissance voire, à les commander. Du côté du Roi de France, la vision est bien différente, pour lui ils sont égaux l’un l’autre (enluminure : le couronnement de l’empereur et du roi de France), ce qui se traduit, à partir du XIIIe siècle, par la formule : « Le roi empereur en son royaume » tiré du droit romain, et adapté par les « légistes » français au cas de la France. C’est en effet cette égalité qui permet de légitimer l’indépendance du Roi de France, puisque, sinon quoi, il lui serait soumis de droit. Cette revendication française se fondera notamment sur la décrétale « Per venerabilem » (Innocent III, 1202), concernant à l’origine un cas de reconnaissance d’enfant, elle fut interprétée par le Roi de France comme reconnaissant l’égalité de nature des pouvoirs puisque dans celle-ci, le Pape, refuse d’appliquer une décision antérieure prise pour le Roi de France, au profit du seigneur de Montpellier, au motif que le Roi, lui, est indépendant.

« De plus, comme le roi lui-même ne se reconnait pas de supérieur dans les choses temporelles, il a pu et peut toujours se soumettre, sans dommage d’un autre droit, à notre juridiction ».

Sous Philippe IV le Bel (1268-1314), elle fut utilisée pour repousser la tentative de sujétion forcée lancée par Henri VII (1278-1313), empereur nouvellement couronné, qui, dans sa lettre d’intronisation datant de 1312, laissait entendre sa supériorité sur les rois et princes européens. La décrétale fut remaniée pour supprimer toute mention du Pape suggérant une quelconque supériorité papale.

Lettre d’Henri VII : « Dieu a voulu que tous les hommes bien que séparés et distingués en royaumes et provinces soient néanmoins soumis à un prince unique ».

Réponse du Roi de France : « Nous avons reçu les lettres de votre Sérénité nous annonçant votre couronnement. […] nous tenons à vous faire savoir qu’elles nous ont jeté, Nous-même et les grands de notre royaume auxquels vous les avez aussi envoyées, dans un étonnement extrême. D’après vous, de même que les hiérarchies célestes et toutes les armées du ciel militent sous un seul Dieu, de même sur la terre tous les hommes de tous les royaumes quels qu’ils soient devraient être soumis au seul empereur romain et militer sous son autorité temporelle. […] Pourtant, si vous aviez un peu mieux considéré l’état de notre royaume, vous auriez dû le reconnaître comme exempté de cette sujétion générale que vous évoquez. Car il est notoire et bien connu de tous et partout que, depuis l’époque du Christ, le royaume de France n’a jamais eu d’autre roi que le sien propre, placé directement au-dessous de Jésus-Christ, roi des rois et seigneur des seigneurs, et maître de toute créateur, et qu’il n’a jamais reconnu ou eu de supérieur au temporel, quel que soit l’empereur régnant. »

Semblablement, celle-ci fut réutilisée par Bartole au sujet des cités de Toscanes ( « les cités de toscanes ne se reconnaissent aucun supérieur »).

                II) Le Roi face à la papauté

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A la manière de l’empereur, le Pape, revendique progressivement sa supériorité sur les autres autorités : la réforme grégorienne le présente comme le chef de la chrétienté ayant autorité sur tous les dirigeants politiques, affirmation que vont contester les rois de France et qui va, à partir du XIIIe siècle, se transformer en conflit pour deux raisons :

  • La volonté du Roi de France de limiter les compétences des tribunaux ecclésiastiques au profit des juridictions du royaume.

  • La question du prélèvement des taxes sur les biens de l’Église.

Ainsi, dans les années 1290, le roi Philipe IV le Bel décide de taxer les biens et propriétés de l’Église qui se trouvent dans le royaume, considérant qu’ils peuvent parfaitement l’être comme n’importe quel autre bien. Mais le Pape Boniface VIII (1294-1303) exige que le Roi lui demande la permission, les considérant comme sa propriété, sans incidence sur le territoire. Le Roi, revendiquant sa pleine compétence à l’intérieur de son royaume ne se soumet pas et se fait excommunier (moyen de pression, le pape considère que les sujets du Roi n’ont plus à lui obéir) par la Bulle Unam sanctam du 18 novembre 1302.

Le Pape développe également la « théorie des deux glaives » selon laquelle, en tant que chef de la chrétienté, il dispose des deux pouvoirs temporel et spirituel, reste que le premier est simplement délégué aux princes qui l’exercent en son nom et le font en conformité avec ce que l’Église et le Pape décide. Il n’y a ici rien de particulièrement nouveau avec les idées de la Réforme grégorienne, ce ne sont que leurs continuation, mais pourtant, le Roi de France va répliquer à tous les arguments et convoquer en 1302-03 les Etats-généraux d’abord à Notre-Dame, puis au Louvre pour qu’ils lui manifestent leur soutien. La position exprimée par le Clergé n’est pas aussi clair que ce que le roi aurait souhaité mais les grandes lignes symboliques sont remplies.

Le Roi avance alors que les deux pouvoirs sont nettement distingués : le temporel ne relève absolument pas des papes. D’autre part, il affirme également une sorte d’indépendance par rapport au Pape, consacré par la cérémonie du sacre, créant un lien directe avec Dieu, lui permettant de se passer d’intermédiaire, concrètement du Pape. Si les choses auraient pu aller plus loin, l’épisode tragique de la Gifle d’Anagni de septembre 1303 où Guillaume de Nogaret, provoqua la mort de Boniface VIII, apaisa les choses. Sur le court termes, la nomination de Papes plus conciliant avec le roi permis la relève de son excommunication. Au moyen termes, le roi, dans l’idée de contrôler plus facilement le Pape, fit en sorte qu’il s’installe proche du Royaume, à Avignon. Enfin, sur le long termes, cet épisode aura une forte importance dans le développement du Gallicanisme, théorie purement française voyant une forte indépendance de l’Église française par rapport au Pape, sans pour autant rompre totalement le lien comme les Réformés (dans l’Église universelle mais particularités : nomination des évêques par le Roi).

                III) Le développement de la souveraineté royale.

La souveraineté va être le termes utilisé par les juristes à partir du XVIe siècle pour caractériser le pouvoir qu’exerce le roi, sur le plan extérieur (indépendance) mais aussi sur le plan intérieur (supériorité dans l’administration et du gouvernement du royaume).

                                1) L’affirmation du pouvoir législatif, manifestation de la souveraineté royale.

Pouvoir législatif : créer des règles générales et permanentes sur un territoire donné.

Au temps des premiers capétiens, le pouvoir royal, très affaibli, ne dispose pas de pouvoir législatif général, tant politiquement que juridiquement : sa compétence ne s’étend que sur son domaine propre. Au XIIe elle commence à réapparaitre (Louis VII : ordonnance sur la paix du royaume, 1155 ; trois ans avant Roncaglia : tendance au renforcement du pouvoir) et se développe sous le règne de Saint-Louis (1226-1270). Le droit romain a ici une forte influence comme le montre la formule exécutoire apposée en fin des ordonnance à partir de 1397 « car ainsi nous plaist et volons que fait soit ». traduit de la phrase d’Ulpien « Quod principi placuit legis habet vigorem ».

Décret de Gratien : « La loi sera honnête, juste, possible, selon la nature, selon la coutume de la patrie, adaptée aux circonstance, nécessaire, utile, évidente, aussi, afin qu’elle ne contienne pas quelque chose d’inadaptée en raison de son obscurité, écrite, non pour le profit d’un individu, mais pour l’utilité commune des citoyens ».

L’idée que les rois peuvent créer des règles sur le fondement de leur seule volonté sera reprise par Jean Bodin au XVIe dans sa définition de souveraineté : Jean Bodin (1530-1596), Les Six Livres de la République (1576) : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République, […] la loi n’est autre chose que le commandement du souverain, usant de sa puissance ».

Il développe également la notion de « souveraineté de la Couronne » en disant que le caractère perpétuel de la souveraineté, force l’institutionnalisation du pouvoir et, qu’au total, c’est la couronne (Res publica) qui est souveraine, le Roi étant relégué au simple exerçant temporaire (jusqu’à sa mort). Pour Bodin, le pouvoir législatif est forcément rattaché à la manifestation la plus caractéristique de la souveraineté, sur les deux plans, tant intérieur qu’extérieur, sa volonté ne doit être conditionnée. Bodin, en homme du temps des humaniste qu’il est, utilise fréquemment des contextualisation historiques pour prouver ses dires.

                                2) La mise en place de règles de droit public spécifiques concernant l’état royal.

Le principe de souveraineté de la Couronne implique l’apparition de règle de droit public spécifique : les Lois fondamentales du Royaume (1575), parfois rapprochée à une Constitution matérielle. Derrière elles il y a l’idée que leur contenu s’appliquent même au roi et qu’il ne peut, à l’inverse des « lois du roi », en ajouter, modifier ou supprimer.

Le cas de l’intransmissibilité de la couronne par voie féminine. Depuis Hugues Capet, la succession se faire par ordre de primogéniture masculine, mais, lors de la crise de succession menant à l’intronisation de Philippe VI de Valois, une ancienne loi tirée de la loi Salique fut réutilisée pour empêcher la montée au pouvoir d’Edouard III, alors roi d’Angleterre et prétendant au trône de France par sa mère, Isabelle de France, fille Phillipe IV le Bel, plus proche d’un degré du précédent roi de France,

Charles IV le Bel.

Chapitre 2 : Une pratique quotidienne du droit largement coutumière ? (XIIe – XVIIIe siècles).

Pour l’essentiel et pour très longtemps, les règles droits qui organisent la vie quotidienne des individus ne proviennent pas de l’autorité royale mais se trouvent dans les différentes coutumes qui existent au sein du royaumes depuis le Xe siècle.

                I) La diversité des coutumes du royaume.

Le droit en France n’est pas unifié, ce qui règles les relations privées (propriété des biens, mariage, actes juridiques, etc.) ainsi que les droits seigneuriaux c’est avant tout les coutumes. D’un pays (province) à l’autre elle peuvent varier, même sensiblement, on en compte plusieurs milliers dans le royaume. Néanmoins, deux grandes zones existent : au nord les pays de droit coutumier et au sud les pays de droit écrit. Dans le nord, les coutumes apparaissent vers le Xe et sont à peu près restées stables durant le Moyen-âge. Dans le sud, au contraire, une rupture se produit à partir du XIIe : au moment de la renaissance du droit romain, les juristes locaux vont se mettre à intégrer des notions de droit romain dans leurs coutumes, soit qu’ils intègrent tel quel des dispositions des compilations de Justiniens, soit qu’ils en adapte quelques-unes. Les coutumes restent diverses, cette zone désigne simplement les pays où le droit romain influence directement le droit. Cela s’explique par la proximité avec l’Italie, centre névralgique de la renaissance du droit romain et le développement d’universités l’enseignant rapidement créées (Montpellier, Toulouse) : les praticiens formés au droit romain, vont le réutiliser dans leurs tâches quotidiennes (intégration rapide mais progressive). Si dans le nord il est enseigné (sauf à Paris : Honorius III 1219 ; Orléans), il ne se traduit néanmoins pas dans les règles et la pratique juridique. L’unification juridique ne se fera qu’avec la Révolution et surtout Napoléon.

Exemple de la coutume de Calais (1583) :

  • I )De la nature et condition des biens

  • II) Des fiefs et censives

  • III) De la communauté des biens et autres droits entre conjoints par mariage

  • V) Des donations

  • VI) Des testaments et exécutions d’iceux.

  • VII) Des succession en ligne directe et collatérales.

  • X) De servitudes & rapports d’égards & experts.

  • XI) De la prescription.

  • XII) Des actions personnelles et hypothécaires.

  • XV) Des criées.

                II) La rédaction des coutumes (XIIe – XVIe siècles)

L’oralité des coutumes posait le problème de leur connaissance : pour prouver l’existence d’une, il fallait passer par « l’enquête par turbe » (sondage local cherchant à démontrer l’utilisation immémoriale d’une coutume) ce qui laissait, tout de même, une certaine marge d’incertitude.

                                1) La rédaction privée des coutumes : les coutumiers

Les praticiens cherchèrent alors à partir du XIIe et surtout au XIIIe à regrouper par écrit, dans des « Coutumiers », l’ensemble des coutume de leur pays pour faciliter leur travail. Cette première codification « privée » sera la base d’un mouvement plus national. Ainsi, le « Grand coutumier de Normandie », rédigé dans la 2e moitié du XIIIe par un privé va rapidement être invoqué par les juridictions comme un texte officiel. « Les coutumes de Beauvaisis » rédigées par Philippe de Beaumanoir en 1283 en sont un autre exemple. Dans celles-ci l’auteur compare les coutume au droit romain considéré comme le modèle du « véritable droit ». Ainsi, la rédaction s’inscrit dans la volonté, pour les praticiens formés au droit romain, d’élever leur coutumes au même rang que le droit romain, ce qui passe nécessairement par leur mise à l’écrit. L’influence romaine est présente, mais uniquement sur la forme.

                                2) La rédaction officielle des coutumes (XVe – XVIe siècles).

Au moyen-âge, le roi de France était considéré souverain dans son domaine mais, le contrôle du droit lui échappait : c’était le « Gardien des coutumes », chargé de les préserver en leur état. Mais, à partir du XVe, le pouvoir royal va s’intéresser de plus en plus au contenu des coutumes. Les juristes vont alors considérer que le roi, en tant que gardien, peut mettre en œuvre toute les mesures pour faciliter leur connaissance (comme la mise à l’écrit) mais également, qu’en tant que « Gardien des bonnes coutumes », il a le droit et le devoir, de faire disparaitre les « mauvaises coutumes ». La décision de rédaction des coutumes se rattache à l’article 125 de l’ordonnance de Montils-lès-Tours de 1423 (rédigée en français), promulguée par Charles VII (1403-1461).

Article 125 de l’ordonnance de Montils-lès-Tours (Charles VII avril 1423) : « Et que les parties en jugement, tant en notre Court de Parlement que par devant les autres juges de notre royaume, tant nôtres qu'autres, proposent et allèguent plusieurs usages, procédures, styles et coutumes, qui sont divers selon la diversité des pays de notre royaume, et qu'il convient alors qu'ils les prouvent, en raison de quoi les procès sont souvent très longs et les parties constituées en grands frais et dépens ; et que si les coutumes, usages et styles des pays de notre dit royaume étaient rédigés par écrit, les procès en seraient bien plus brefs, et les parties soulagées des dépenses et mises, et aussi les juges en jugeraient mieux et plus certainement car souvent il advient que les parties prennent des coutumes contraires en un même pays, et souvent les coutumes muent et varient à leur appétit, d'où de grands dommages et inconvénients adviennent à nos sujet. Nous, voulant abréger les procès et litiges entre nos sujets, et les relever des mises et dépenses, et mettre de la certitude dans les jugements tant que faire se pourra, et ôter toute manière de variations et contrariétés, ordonnons, décernons, déclarons et statuons que les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume soient rédigés et mis par écrit, accordés par les coutumiers, praticiens et gens de chacun des dits pays de notre royaume, lesquels coutumes, usages et styles ainsi accordés seront mis et écrits en livres, lesquels seront apportés par devers Nous, pour les faire voir et visiter par les Gens de notre Grand Conseil ou de notre Court de Parlement, et pour Nous les décréter et confirmer ; et ces usages, coutumes et styles ainsi décrétés et confirmés seront observés et gardés dans les pays dont ils seront, sans en faire autre preuve que ce qui sera écrit audit livre ; et lesquels coutumes, styles et usages ainsi écrits, accordés et confirmés, comme il est dit, Nous voulons qu'ils soient gardés et observés en jugement et en-dehors. [...]
Et nous prohibons et défendons à tous les avocats de notre royaume qu’ils n’allèguent ni ne proposent d'autres coutumes, usages et styles que ceux qui seront écrits, accordés et décrétés comme il a été dit ; et nous enjoignons aux juges qu'ils punissent et corrigent ceux qui feront le contraire, et qu'ils n'entendent ni ne reçoivent aucune personne alléguant, proposant ou disant le contraire ».

Pour raccourcir les procès et en éviter les couts, Charles VII veut les rédiger pour faciliter leur connaissance tout en les maintenant en leur état. Cette rédaction passe par plusieurs phases : (1) Les juristes locaux se réunissent pour mettre à l’écrit leurs coutumes ; (2) le texte élaboré est envoyé au Roi qui les examine et les fait valider par ses juristes et parlements. Le texte final devient officiel et est le seul à pouvoir être invoqué lors des procès (valeur juridique). La procédure et les conséquences se rapprochent de la codification de Justinien.

L’ordonnance ne sera appliquée qu’à partir du XVIe et le royaume connaitra deux vague de rédaction. Dans la première, au début du siècle, les délégués royaux ne feront que regrouper les coutumes pour les envoyer au roi en l’état (coutume de Paris de 1510). Dans la seconde, à la fin du siècle, la rédaction conduit assez souvent à modifier, au moins partiellement, certaines coutumes : il s’agit de rapprocher le droit applicable dans les pays voisin, l’influence du pouvoir royal est alors active (coutume de Paris de 1580).

Le résultat est qu’à la fin du XVIe, les coutumes du royaume, mises à l’écrit, sont désormais les seuls textes invocables devant les tribunaux. Imprimables, leur diffusion à plus large échelle devient possible. Diffusion qui donne une place majeur à la coutume de Paris (car droit de la capitale, ville plus peuplée, importante dont le droit est très développé grâce aux nombreux juristes) qui va servir pour compléter des coutumes moins développées mais également au développement de l’idée de « droit français ». Celui-ci passe par les travaux doctrinaux d’étude du droit coutumier ou « conférence des coutumes » dans lesquels les juristes mettent en relations les coutumes de France pour pointer leur similitudes, les « principes communs », formant le « droit français ». Cette création est liée à l’humanisme juridique qui rejette la primauté du droit commun et promeut le droit positif (la coutume).  L’émergence de notion de droit français dépend de plusieurs ordonnances royales dont l’une des plus importante celle de Villers-Cotterêts qui généralise l’utilisation du français, au détriment du latin, en tant que langue officielle et administrative.

Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), François 1er (1494-1547) « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures […] soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ». A l’époque, les décision de justices pouvaient encore être rendues en latin, incompréhensible pour la majorité, le roi institue une seule langue juridique.

Ordonnance de Saint-Germain, 1679, Louis XIV (1638-1715) « À présent qu’il plaît à Dieu de nous faire jouir d’une paix glorieuse, nous trouvant plus en état que jamais de donner nos soins pour faire régner la justice dans nos états, nous avons cru ne pouvoir rien faire de plus avantageux pour le bonheur de nos peuples, que de donner à ceux qui se destinent à ce ministère les moyens d’acquérir la doctrine et la capacité nécessaires, en leur imposant la nécessité de s’instruire des principes de la jurisprudence, tant des canons de l’église et des lois romaines que du droit français. Ayant d’ailleurs reconnu que l’incertitude des jugements qui est si préjudiciable à la fortune de nos sujets provient principalement de ce que l’étude du droit civil a été presqu’entièrement négligée depuis plus d’un siècle, dans toute la France, et que la profession publique en a été discontinuée dans l’université de Paris, savoir faisons que nous, pour ces causes, etc., disons, statuons et ordonnons par ces présentes signées de notre main :
Art. 1. Que dorénavant les leçons publiques du droit romain seront rétablies dans l’université de Paris, conjointement avec celles du droit canonique […].
Art. 2. Qu’à commencer à l’ouverture prochaine que se fera des écoles, suivant des lieux, le droit canonique et civil sera enseigné dans toutes les universités de notre royaume et pays de notre obéissance où il y a faculté de droit, et que dans celles où l’exercice en aurait été discontinu, il y sera rétabli.
Art. 5. Défendons à toutes personnes autres que lesdits professeurs d’enseigner et faire leçon publiquement dudit droit canonique et civil, à peine de trois mille livres d’amende applicables, moitié aux professeurs, et l’autre moitié à notre profit, d’être déchus de tous les degrés qu’ils pourraient avoir obtenus, et d’être déclarés incapables d’en obtenir aucuns à l’avenir ; ce que nous voulons avoir aussi lieu contre ceux qui prendraient les leçons desdits particuliers.
Art. 13. Pour exciter d’autant plus lesdits professeurs à faire leur devoir, voulons et ordonnons que ceux desdits professeurs qui auront enseigné pendant vingt années soient reçus dans toutes les charges de judicatures sans examen, et que l’ancien de chacune des dites facultés, après avoir enseigné vingt ans entiers ait entrée et voix délibérative dans l’un des sièges, baillages ou présidiaux, en vertu des lettres que nous lui ferons expédier.
Art. 14. Et afin de ne rien omettre de ce qui peut servir à la parfaite instruction de ceux qui entreront dans les charges de judicature, nous voulons que le droit français contenu dans nos ordonnances et dans les coutumes soit publiquement enseigné ; et à cet effet, nous nommerons des professeurs qui expliqueront les principes de la jurisprudence française, et qui en feront des leçons publiques. »

                III) L’intervention tardive des rois pour limiter la diversité des coutumes (XVIIe – XVIIIe siècles).

Pour les juristes, il ne faut modifier le droit que pour le « commun profit du royaume », « l’utilité du royaume », en somme, si ce n’est qu’absolument nécessaire. C’est cette attitude conservatrice du droit privé (civil), qui explique l’absence de réel pouvoir législatif royal pendant des siècles. A la fin de l’Ancien régime on va voir une évolution. (1) Sous Louis XIV, les trois « ordonnances de Colbert » (procédure civile 1667, procédure criminelle 1670, commerce 1673) unifie les aspects extérieur du droit. (2) Sous Louis XV (1610-1774), les « ordonnances de d’Aguesseau » (à partir de 1731) interviennent directement dans le droit privé des donations et des testaments. L’ordonnance cherche à créer un régime uniforme dans tout le royaume, mais, se heurtant à la résistance des juristes, le roi est forcé de

reconnaitre la particularité des pays de droit écrit où l’on maintien les règles préexistantes, alors qu’au nord, on adopte d’autres règles plutôt adaptées depuis la coutume de Paris. L’unité progresse, mais a ses limites.

La codification du système juridique français et, par extension, son unification intérieure, ne se réalisera qu’avec la Révolution de 1789 et surtout le code civil du 21 mars 1804. Le processus révolutionnaire va mettre l’accent sur le principe d’égalité juridique selon lequel tous les individus d’un même pays devant être traités de la même façon, doivent se voir appliquer le même droit, projet qui n’aboutit qu’avec les codes napoléoniens.

Le 21 mars 1804 le code civil qui prend le nom de Code Napoléon en 1807, fait véritablement correspondre le droit avec les frontières politiques françaises.

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