Droit international privé
Introduction
I) Première approche de la matière
a) Le cas de la succession de Johnny Halyday : la Loi applicable
Belge, il a des biens immobiliers en France, aux USA et ailleurs mais aussi mobiliers (droits d’auteurs, etc) plus difficiles à localiser, avec un domicile incertain (France, Suisse, USA ?). Quelle loi s’applique à la succession ?
b) Le cas du Diesel Gate (2015) : la compétence juridictionnelle
Volkswagen avait trafiqué les tests pollution de ses voitures pour qu’elles puissent être vendues sur le marché européen. C’est une société de droit allemand dont les voitures sont commercialisés partout dans le monde. Devant quel tribunal réclamer des indemnités ?
c) Le cas de la Gestation Pour Autrui : l’effet des décisions étrangères
Pour un couple résidant en France, s’ils ont recourt à une GPA à l’étranger, peuvent-ils faire reconnaître en France le lien de filiation établi à l’extérieur ?
d) Le cas de l’aspect civil des enlèvement d’enfants : la coopération internationale
C’est le cas d’enfants dont les parents sont de nationalité différentes qui vivent ensemble, ils se séparent, l’un prend les enfants avec lui et retourne dans son pays sans le consentement de l’autre. Celui laissé seul peut demande le retour de ses enfants. La convention de la Haye de 1980 traite la question de la coopération entre les autorités pour le retour des enfants.
e) Une conception qui n'est pas universelle
i) La Suisse
Les points précédemment abordés donnent une certaine idée du droit international privé. Cependant, certains pays se donnent un place particulière dans cette matière. Ainsi le droit suisse dispose que sa loi “régit, en matière internationale,
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La compétence des autorités judiciaires ou administratives suisses
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le droit applicable
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les conditions de la reconnaissance de l’exécution des décisions
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la faillite et le concordat
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l’arbitrage
ii) La France
En France, l’on donne une place centrale à la doctrine et à la jurisprudence. Ceux-là errigèrent en question du droit international privé les questions de nationalité et de la condition des étrangers.
c) La finalité du droit international privé
Pour Phocion Franceskakis, c’est “la gestion du pluralisme juridique”.
Pour Jean-Paulin Niboyet, il s’agit de résoudre les difficultés qui résultent du “phénomène de la frontière”, en somme de l’existence de plusieures souverainetés.
Pour Henri Battifol, le droit international privé a but de réussir la “coordination des systèmes”.
II) L’objet du droit international privé
A) Un droit international
Pendant longtemps, il n’y a pas eu de différence entre droit international privé et public, on parlait simplement de droit des nations. Il signifiait autant les relations des états entre eux, que les relations des citoyens de différents états entre eux, ou avec des états. Une séparation est intervenue lorsque l’on a observé que les questions traitées étaient différentes. Aujourd’hui, les methodes ont des points communs mais elles ne sont pas identiques.
Conséquence du renforcement des états à la suite du Traité de Westphalie lequel a créé ces états souverains européens et, avec l’avènement des états nations, ces derniers se reconnaissent des droits entre eux. Le droit international public est né.
C’est sous l’effet d’une privatisation des relations juridique que cette séparation s’opéra. Le renforcement des droits des individus rendant nécessaire la création d’un droit privé parallèle.
Toutefois, depuis que le schisme existe, il existe plusieurs courants de pensée. D’un coté les universalités (Mancini), pensent que le droit international privé est profondément international, ses solutions sont universelles et, de ce fait, il n’existe qu’un seul droit international privé pour tous les états. De l’autre, les particularistes (Bartin, Niboyet) considèrent que le droit international privé est composé de règles propres à chaque états, ceux-là créant leurs propres normes en fonction de leur culture juridique, voir politiques publiques. Pour ces auteurs il ne peut exister un seul droit international privé, chaque état a développé le sien.
En réalité, bien qu’il existe de nombreuses règles nationales, l’on observe qu’ils adoptent souvent chacun les mêmes règles, ceci grâce à des conventions internationales visant à harmoniser le droit international privé.
De fait, aujourd’hui, il y a une certaine convergence des deux matières, nombreux sont les auteurs tendant à les concilier, dire qu’il y a plus de choses en commun que ce que l’on a prétendu au XXe siècle. Au sein même des relations privées, il y a de plus en plus de dimensions concernant les intérêts publics. Ainsi, une société voulant racheter une société concurrente, c’est une relation privée mais, parce que cela pourrait mettre à mal la concurrence, le droit de la concurrence va agir, cela pour protéger les intérêts des consommateurs. Si les entreprises sont d’un état différent, l’on se pose la question du droit à appliquer.
De plus, les conventions se multiplient tout comme les jurisprudences pour les interpréter. Dans l’affaire Boll de 1958, la Suède et les Pays-Bas se portèrent devant la Cour internationale de justice pour une question sur la tutelle des mineurs. En 2012, l’Allemagne s’opposa à l’ITalie au sujet de l’immunité juridictionnelle des états. Elle concernait la dette de réparation de l’Allemagne pour les victimes de réparation de la Seconde guerre mondiale, ou un jugement grec l’avait condamné à indemniser des personnes sur le territoire italien. L’Allemagne refusait, invoquant son immunité juridictionnelle. Ce litige alla devant la Cour internationale de justice qui du trancher. L’UE et la CEDH disposent également de juridictions compétentes en la matière.
Enfin, certains raisonnement utilisés en droit international privé peuvent faire penser à ceux qu’on utilise dans le public. Par exemple, en cas de conflit de conventions internationales (elles se contredisent), l’idée pour résoudre le conflit est celle du “moindre sacrifice des obligations internationales des états”. L’on peut retrouver cette même idée chez certains auteurs de droit international privé qui, pour résoudre un conflit de lois, une proposition d’un auteur français était de copier le schéma précédent.
B) Un droit privé
Ici, ce sont des relations entre acteurs privés qui seront étudiées. L’expression “droit international privé” se remonte à une créée par Joseph Stury, juge à la Cour suprême, “private international law”. Arrivée en France vers 1843 par Foelix. A côté, fut proposé le “droit civil international” mais celui-ci ne prit pas.
Finalement, la question est de savoir si l’on doit suivre les mêmes notions de droit interne privé, en droit international privé ? Les notions sont-elles les mêmes ? Cette question fait l’objet de débats.
Pour Bartin, particulariste, “les règles de conflit sont des règles nationales, dans chaque paysa, au même titre que les institutions de droit interne dont elles circonscrivent le domaine. Elles leur restent liées comme l’ombre au corps, parce qu’elles ne sont autre chose que la projection de ces institions elles-mêmes sur le plan du droit international”.
Pour Rabel, universaliste, “les catégories du droit international privé sont exclusivement formées sur l’observation du droit comparé et constituent une synthèse des différentes législations ayant une valeur universelle”.
C) Conclusion
Au total, le droit international privé est, l’on pourrait dire, un “métadroit”. C’est un droit qui permet l’application du droit. Le droit international privé va dire, dans telle situation, quel juge saisir, quel droit appliquer. C’est un droit de l’application du droit.
III) L’évolution des enjeux du droit internationale privé.
Droit international, il dépend particulièrement du positionnement international des états. Le Japon, jusqu’à la fin du XIXe siècle, vivait en autarcie, avant de s’ouvrir à la suite de la décision de l’Empereur Meiji, préférant une occidentalisation de la société japonaise. C’est à ce moment ou le Japon se dota d’un Code civil inspiré de celui allemand en 1898. L’on a alors réalisé qu’il fallait des règles pour gérer cette extériorité. L’ouverture d’un pays sur l’extérieur va de paire avec le besoin de régir les situations internationales.
§1. Les enjeux passés: l’affoirmation par les états de leurs souverainetés.
A l’époque médiévale, on commence à parler du droit international privé avec la “doctrine statutaire”. Elle consiste à essayer de délimiter le chamops d’application des status et des lois qui s’appliquent localement. L’enjeux était alors de comprendre jusqu’ou s’étend le pouvoir du souverain dans le traitement des situations liées à différents empires. Certaines règles sont alors apparues. Pour les auteurs de cette époque, ils comprennent le droit de légiférer comme le pouvoir d’une personne sur ses sujets. S’est alors créée la règle que les statuts d’une cité, relatifs aux contrats, ne pouvaient s’appliquer qu’aux contrats conclus dans celle-ci, “locus regit actum”.
Avec le Traité de Westphalie de 1648, la capacité de l’état à faire appliquer sa loi était considérée comme une manifestation de sa puissance. Des auteurs insistèrent qu’ils s’agissait d’une démonstration de souveraineté dans les relations juridiques. Cependant, l’on voit rapidement les limites de cette idée, cela pouvant revenir à refuser d’appliquer tout droit étranger sur son territoire. Or, déjà à l’époque, il existe certains territoires, là ou se concluent de nombreux actes commerciaux (la zone de la Hanse), l’on se rend compte qu’on ne peut toujours imposer l’application du droit local. Huber, affirme qu’il faut tout de même admettre qu’un droit étranger doit pouvoir être appliqué par les juges, sur la base de la courtoisie internationale, la comitas, faisant qu’il faut reconnaître la souveraineté des souverains étrangers en leur permettant d’appliquer leurs droits pour que, de manière symétrique, son propre droit puisse l’être aussi dans des situations plus intéressantes.
Au XIXe siècle, l’on observe une grande vague de codification du droit, l’on considère alors que les enjeux du droit international privé ne résultant pas des confrontations de souverainté mais plutôt de comment admettre les relations privée et choisir quelle loi appliquer. Savigny y a contribué.
Au XIVe siècle, on parle de doctrine statutaire. L’enjeu pour les États est de savoir jusqu’où s’étend le pouvoir normatif du souverain dans le traitement de situations liées à différents empires. En 1648, est adopté le traité de Westphalie qui a servi à délimiter géographiquement les différents empires européens. C’est à partir de cette date que l’on parle de nations permettant ainsi de désigner le système du droit international conçu comme un affrontement entre souverainetés.
Pour résoudre les conflits de souveraineté, deux solutions se sont dégagées. D’une part, le territorialisme selon lequel est souverain l’État sur le territoire duquel la situation s’est produite. D’autre part, le personnalisme selon lequel est compétent le souverain auquel la personne a la qualité de sujet. Le droit applicable est celui de la personne.
Selon l’idée de courtoisie internationale (comitas) défendue par Huber, un juge français devrait accepter d’appliquer à une situation un droit étranger. L’idée étant que la réciproque serait appliquée.
Avec la privatisation des enjeux, Savigny révolutionne la façon de voir les choses en affirmant qu’il ne s’agit plus de régler un conflit de souverainetés mais de trouver quelle loi doit s’appliquer à une situation en fonction de la localisation du rapport de droit. On supprime l’aspect souverainiste du droit international qui a quasiment disparu aujourd’hui.
§2. Les enjeux actuels : les enjeux politiques
A. Le facteur migratoire et son influence sur le critère d’application des lois
La population qui se déplace d’un État à l’autre représente 3% de la population mondiale, chiffre stable depuis 1975. Ce facteur migratoire a été pris en compte depuis l’adoption du Code civil en France. L’art.3 du code dispose que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ».
Pour les pays d’immigration, il est fréquent que s’applique uniquement la loi locale. Pour les pays d’émigration, le droit se rattache généralement aux personnes. Les règles du droit international privé évoluent au gré du changement des facteurs migratoires.
CJCE, 14 oct. 2008, Grunkin-Paul, aff. no C-353/06 sur la détermination du nom patronymique d’un enfant dont les parents portent des noms différents : un enfant né au Danemark de parents allemands, demande la retranscription de son acte de naissance en Allemagne. Or, le droit matériel interne en matière de noms (l’article 10 du BGB) interdit l’usage des deux noms des parents sur l’acte d’état civil de l’enfant. Ce conflit de lois a conduit la juridiction allemande (Amtsgericht Flensburg) à saisir la CJCE d’une question préjudicielle. La CJCE considère, qu’au nom de la liberté de circulation, il est interdit de refuser la retranscription de l’acte de naissance valablement enregistré dans un État étranger concernant un enfant qui y est né et qui y réside. En effet, le fait d'être obligé de porter, dans l'État membre dont l'intéressé possède la nationalité, un nom différent de celui déjà attribué et enregistré dans l'État membre de naissance et de résidence est susceptible d'entraver l'exercice du droit, consacré à l'article 18 CE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
B. Le respect des droits humains et libertés fondamentaux
La CEDH à Strasbourg est chargée de faire respecter ces droits et libertés. On voit souvent devant la Cour un particulier opposé à un État pour un manquement commis par lui.
CEDH, 28 juin 2007, Wagner c/ Luxembourg : une femme luxembourgeoise célibataire adopte une petite fille péruvienne. Elle obtient une décision d’adoption au Pérou afin de faire reconnaître le lien de filiation. À l’époque, pour reconnaitre un jugement étranger, il doit être rendu en application de la loi qu’aurait appliqué le juge luxembourgeois s’il avait été saisi de la question. Or, pour le droit luxembourgeois, le droit applicable à l’adoption est la loi de l’adoptante, en l’espèce la loi luxembourgeoise qui interdit l’adoption pour les célibataires. Saisie d’un recours, la CEDH estime que la norme luxembourgeoise viole l’art.8 CESDH sur la vie privée et familiale. Cela a conduit à la modification de l’état du droit luxembourgeois en matière d’adoption.
CEDH, 6 juin 2014, Mennesson et Labassee c. France : les autorités françaises refusent de reconnaître une gestation pour autrui réalisée aux États-Unis. La Cour considère qu’il y a une atteinte disproportionnée à la vie privée de l’enfant. Par un arrêt d’assemblée plénière, la Cour de cassation s’aligne sur cette jurisprudence (Ass. Plén., 4 octobre 2019 n°10-19.053).
C. Le déclin du rôle de l’État
1) Dans son pouvoir normatif
On peut observer un certain déclin de l’État dans le domaine de la régulation. L’État peut déléguer des matières à d’autres autorités. En outre, des organisations privées proposent aussi des règles. C’est le cas notamment d’Unidroit (basé à Rome et qui a le rôle d’unifier le droit sur les contrats du commerce international) ou la chambre de commerce internationale. Ces organisations proposent des règles non contraignantes qui s’appliquent. Les incoterms sont des clauses proposées par la CCI et qui sont adoptées par les parties alors même qu’ils ne sont pas contraignants.
2) Dans son pouvoir juridictionnel
Les juridictions étatiques, s’agissant des contrats d’affaires internationales, sont concurrencées par les formes de justice privée, notamment l’arbitrage interne ou international.
D. Le renforcement de la prise en considération de l’autonomie de la volonté des parties
De nouvelles règles de droit international privé permettent de respecter l’autonomie de la volonté des parties. On considère que les parties ont intérêt à choisir elles-mêmes la loi applicable à leur situation. Depuis le règlement Rome III, qui énonce les règles déterminant la loi applicable à un divorce, les époux peuvent choisir la loi applicable à leur divorce.
§3. Les enjeux actuels : les enjeux technologiques
A. Internet
1) Les contrats électroniques
Cela a démultiplié les hypothèses où un consommateur du pays A achète les produits d’un professionnel issu d’un pays B. Cela a donc modifié les règles qui déterminent la loi applicable et la compétence des juges sur ce type de contrat. Au sein de l’UE, le consommateur a la liberté de saisir le juge de son domicile.
2) Les cyberdélits
On pense surtout à la diffamation, atteinte à la vie privée, dont les conséquences peuvent se faire ressentir partout dans le monde.
B. La blockchain
La blockchain est une technologie qui permet de garder la trace d'un ensemble de transactions, de manière décentralisée, sécurisée et transparente, sous forme d'une chaîne de blocs. La possibilité de soumettre la validité des relations juridiques à un algorithme pose de nouveaux défis de droit international privé notamment quant à la localisation de ces actes.
SECTION IV : Les sources du droit international privé
§1. Typologie des sources
Le droit international privé mobilise des sources de différents ordres.
A. Les droits nationaux
1) Des codes de droit international privé
En droit interne, et c’est singulier, il n’existe pas de code de droit international privé français contrairement à de nombreux États. Plus souvent, ils ont des codes de droit international privé ou consacrent des chapitres à la matière notamment l’Allemagne (introduction au code civil), l’Argentine et en Suisse (chapitre dédié au droit international privé, la LDIP). Jusqu’à présent en France plusieurs projets ont été proposés depuis la fin de la 2e GM mais n’ont pas abouti.
Mais actuellement, un projet a été promu par la Chancellerie et est en cours de discussions dans les cénacles académiques. La codification présente des avantages et des inconvénients. L’avantage de la codification est de permettre d’avoir une prévisibilité des solutions (on sait quelle règle va appliquer le juge) et facilite l’accès aux sources (tri et classement des normes). L’inconvénient est qu’une fois les règles posées voire figées dans des dispositions d’un code, elles se cristallisent et il est beaucoup plus difficile de les modifier et de revenir dessus. La codification donne une rigidité aux solutions. L’absence de code ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles en droit international privé dans l’ordre juridique interne. Les règles législatives relatives au droit international privé sont éparpillées dans différents codes et cela rend difficile l’apprentissage de la matière.
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Dispositions en matière civile et commerciale :
Article 3 c.civ : « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »
Article 1343-3 c.civ : « Le paiement, en France, d'une obligation de somme d'argent s'effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l'obligation ainsi libellée procède d'une opération à caractère international ou d'un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s'il intervient entre professionnels, lorsque l'usage d'une monnaie étrangère est communément admis pour l'opération concernée ».
Article 2221 c.civ : « La renonciation à la prescription est expresse ou tacite ; la renonciation tacite résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis. »
Article L 225-102-4 c.com : « Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. »
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En matière familiale :
Article 311-14 c.civ : « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par loi personnelle de l’enfant ».
Article 913 c.civ (L.2021-1109 du 24 août 2021) : « Lorsque le défunt ou au moins l'un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » La disposition est introduite pour protéger les enfants dès lorsqu’il y a des biens situés en France. Le droit français crée une réserve héréditaire qui veut dire qu’une personne ne peut pas jouir comme elle le veut de son propre patrimoine à son décès. Elle ne peut pas exhéréder ses enfants, sauf conditions particulières.
Article 311-17 c.civ : « La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant. »
Article 515-7-1 : « Les conditions de formation et les effets d'un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l'État de l'autorité qui a procédé à son enregistrement. »
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Dispositions en matière de compétence et procédure :
Article 14 c.civ : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. »
Article 15 c.civ : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. »
2) Le rôle de la jurisprudence en France
Pendant très longtemps, la jurisprudence a joué un rôle fondamental eu égard à l’absence de codification. La première chambre civile a dû dégager de nouvelles règles de droit international privé notamment deux règles de conflit de lois.
1re Civ., 5 décembre 1910, American Trading (matière contractuelle): la loi applicable à un contrat est la loi choisie par les parties. La règle a perduré car on la retrouve dans l’art.3 du règlement Rome I.
1re Civ., 25 mai 1948, Lautour (matière délictuelle) : la loi applicable à la responsabilité civile est la loi du lieu de réalisation du dommage (lex loci damni). La règle a été transformée et figure à l’art.4 du Règlement Rome II. Dans Les grands arrêts de jurisprudence française de droit international privé, figurent des arrêts importants.
B. Les sources internationales traditionnelles
Il existe différents types de sources. D’abord, on a des traités internationaux i.e. des accords conclus entre États, ensuite la coutume internationale et enfin la jurisprudence internationale.
1) Les traités internationaux
a) Les traités bilatéraux
Il s’agit de traités conclus uniquement entre deux États, traités les plus faciles à adopter car ils requièrent le consentement de deux États seulement. On trouve différents traités bilatéraux avec des anciennes colonies portant notamment sur le statut des personnes et de la famille. Par exemple, la jurisprudence française applique régulièrement la Convention entre la France et le Maroc relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire de 1981. Il existe également des traités bilatéraux visant à protéger les investissements dans les deux pays signataires.
b) Les traités multilatéraux
Ce sont des traités conclus avec plusieurs États. Les uns visent à uniformiser des règles de conflit de lois entre les États (uniformisation conflictuelle) et les autres à uniformiser la procédure. La Conférence de La Haye est l’organisation mondiale pour la coopération transfrontalière en matière civile et commerciale, le lieu où se négocient les traités multilatéraux cherchant à uniformiser les règles de conflit de lois ou de procédure entre les États. On peut citer par exemple la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants du 25 octobre 1980. En outre, la Commission internationale de l’État civil (CIEC) qui siège à Strasbourg, vise à améliorer la coordination entre les services d’état civil des différents États membres. D’autres types de traités visent à uniformiser le droit substantiel et non plus les règles de procédure ou de conflit de lois. Enfin, la Commission des nations unies pour l’unification du droit du commerce international (CNUCCI) est un organe de l’ONU qui a mené de nombreux travaux et a permis la conclusion de la Convention de Vienne de 1980 (presque 90 États parties) sur la vente internationale de marchandises. Cela signifie que le droit des contrats de vente internationale de marchandises est le même dans tous les États ayant ratifié la Convention. Unidroit dont le siège est à Rome vise aussi à uniformiser des règles substantielles et propose des principes d’Unidroit sur les contrats du commerce international qui peuvent servir d’exemple aux législateurs pour leur législation en matière de droit des contrats. Enfin, les traités sur les droits et libertés fondamentaux. Par exemple, on trouve la CESDH de 1950 dont l’art.6 qui garantit un accès effectif à la justice a conduit à adopter ou à modifier des règles de droit international privé en France et dans d’autres États. Le juge français applique aussi la Convention internationale sur les droits des enfants de 1989.
2) La coutume internationale
La coutume est un droit non codifié en droit international ni ne fait l’objet d’un traité et qui néanmoins incorpore des règles obligatoires pour les États. Certaines règles de coutume internationale sont appliquées en droit international privé. Par exemple, sur les immunités de juridiction et d’exécution des États, le juge français applique la coutume internationale. La coutume internationale s’applique également en matière de légalisation des actes publics. Pour pouvoir présenter devant l’autorité d’un État A un acte public délivré par une autorité d’un État B, pour qu’il puisse produire ses effets, il doit être légalisé i.e. avoir subi une procédure permettant d’attester l’authenticité de cet acte public. N.B : le droit pénal n’entre pas dans le champ du droit international privé.
3) La jurisprudence internationale
Les décisions rendues par les juridictions internationales sont également des sources de droit international (la CIJ, organe de l’ONU ou la CEDH, organe du Conseil de l’Europe). Le droit international privé est exclusivement civil.
C. Le droit de l’Union européenne
On parle aussi de droit supranational dans la mesure où il s’impose aux droits nationaux.
1) Le traité de Rome (1957-1997)
Au temps du droit des Communautés européennes, le droit international privé ne faisait pas partie du projet initial de construction du droit de l’UE. Pour comprendre le rôle de cet ordre juridique, il faut revenir à son traité fondateur. Le but n’était pas de créer des règles communes de droit international privé. Progressivement, on s’est rendu compte que la disparité des droits des États membres et les règles relatives à la compétence judiciaire pouvait être un frein au développement des échanges commerciaux que l’on essaie de promouvoir entre États membres dans le cadre de ce traité. Parallèlement aux Communautés européennes, les États membres ont décidé d’unifier leurs règles relatives à la compétence judiciaire en matière civile et commerciale. Cela a donné lieu à la Convention de Bruxelles de 1968.
a) La convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 27 sept. 1968 et la Convention de Lugano de 1988
Certains États non-membres de la CEE désireux d’unifier les règles ont stipulé la convention de Lugano de 1988 (Suisse, Islande, Norvège et les États de la CEE)
b) La convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
La Convention de Rome de 1980 unifie les règles permettant de déterminer la loi applicable aux relations contractuelles.
D’autres États situés en Europe mais non membres de la CEE, dont la Suisse, la Norvège et l’Islande ont manifesté un certain intérêt pour adopter à peu près les mêmes règles que celles contenues dans la Convention de Bruxelles. Est adoptée la Convention de Lugano en 1988 qui lie les 3 États. Ce n’était pas du droit communautaire mais du droit international qui ne liait que les États membres des CEE qui y étaient parties. Cette appartenance à la CE a été renforcée en prévoyant des annexes à toutes ces conventions donnant pouvoir à la CJCE puis la CJUE d’interpréter ces conventions.
L’article 81 TFUE (ex-article 65 TCE) est la base de nombreux textes du droit de l’UE adoptés en droit international privé : « L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l'adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres. » Le but est d’uniformiser les règles permettant de développer la coopération judiciaire dans ces situations transfrontières.
Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des mesures visant à assurer :
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la reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions judiciaires et extrajudiciaires, et leur exécution (Règlement Bruxelles I Bis et II Ter)
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la signification et la notification transfrontières des actes judiciaires et extrajudiciaires
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la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence (Règlements de Rome)
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la coopération en matière d'obtention des preuves ;
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un accès effectif à la justice
2) Le traité d’Amsterdam (1997-…)
Par le traité d’Amsterdam, le droit international privé entre dans le champ de compétence de l’UE. 2 États ont un statut particulier au sein de l’UE : l’Irlande et le Danemark. Par référendum, les Danois avaient refusé l’adoption du Traité de Maastricht et ont négocié une position particulière au sein de l’UE par l’accord d’Édimbourg (pas l’obligation d’adopter l’euro comme monnaie ni d’appliquer les règlements UE). Le Danemark dispose d’un droit opt-out qui l’autorise à ne pas appliquer le traité. Dans chaque cas pratique, il faut s’interroger si le texte est applicable au Danemark.
a) La communautarisation (unionisation) des conventions internationales
On parle d’unionisation du droit international privé i.e. son insertion au sein du droit de l’UE. En effet, les textes qui relevaient avant du droit international ont été transformés en textes de droit communautaire. Par exemple, la Convention de Bruxelles de 1968 a été transformée en règlement Bruxelles I. De même, la Convention de Rome devient en 2008 le règlement Rome I. Les règlements Bruxelles intéressent la compétence judiciaire et l’effet des décisions étrangères. Les règlements Rome, quant à eux traitent les questions de loi applicable. La convention de Lugano de 1988 a été révisée en 2007 mais reste une convention et non un règlement UE. Après cette première étape de « communautarisation » des textes de droit international, l’UE a créé de nouveaux règlements (Règlement Insolvabilité) pour remplir à nouveau le programme de travail de l’article 81 : faciliter la circulation transfrontière des personnes et le développement des échanges.
b) Les nouveaux textes
Règlements sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions : Règlement Bruxelles I bis en matière civile et commerciale et Règlement Bruxelles II ter (1er juin 2021) sur la séparation et la responsabilité parentale.
Règlements sur la détermination de la loi applicable : ils sont scindés par matières. D’abord en matière d’obligations contractuelles (Rome I, 2008), ensuite en matière d’obligations non-contractuelles (Rome II, 2007) et enfin en matière de divorce (Rome III, 2010).
Règlements mixtes : ils traitent à la fois de la compétence judiciaire et de l’effet des décisions mais aussi de questions de droit applicable. On peut citer le règlement « Obligations alimentaires » de 2009 (Obligation alimentaire), le règlement Insolvabilité sur les procédures de faillite de 2015, le règlement « Successions » de 2012 et le règlement « Régimes matrimoniaux » de 2016. L’UE n’ayant pas de compétence en matière de filiation, les dispositions du Code civil s’appliquent subsidiairement.
Règlements de procédure pour faciliter l’accès à la justice : Règlement sur une procédure européenne de règlement des petits litiges, l’injonction de payer, sur les titres exécutoires sur les créances incontestées, ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, signification et notification des actes judiciaires ou extrajudiciaires, sur l’obtention des preuves.
Directives : la directive fixant les règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire, sur la médiation civile et commerciale, et la décision du Conseil européen établissant un réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale.
D. Le droit souple ou soft law
Le droit souple, caractérisé par l’absence de contrainte, exerce tout de même une influence sur les législateurs nationaux ou des parties qui choisiraient de l’adopter. On parle de lois types. Elles se présentent avec différents articles et sont adoptées par les membres de la CNUDCI mais ne sont que des modèles. Ainsi, les États pourraient s’y appuyer pour légiférer dans un domaine donné notamment l’arbitrage commercial international. Par ailleurs, on peut citer les principes édictés par Unidroit (principes Unidroit) que des parties peuvent choisir pour régir leur contrat. Autre type de texte, on peut citer les règles/rules. L’International Bar Association Rules on the Taking of evidence in arbitration (règles sur la preuve dans l’arbitrage).
En conclusion, pour les États membres sauf le Danemark, on a assisté à une uniformisation des règles de droit international privé. Cela dit, il existe un clivage au sein de chaque État membre de l’UE au moins pour les règles de compétence internationale entre les relations intra européennes soumises aux règles européennes. Aussi, des relations externes au droit de l’UE peuvent être soumises aux droits des États membres. On pourrait penser que les règles de compétence en matière civile et commerciale sont uniformisées par le Règlement Bruxelles I bis mais il n’en est rien. Il faut opérer une distinction entre les relations qui ressortissent au champ d’application du Règlement I bis et les relations qui s’en trouvent exclues car elles n’ont rien à voir avec le territoire l’UE. S’agissant des règlements relatifs à la loi applicable (Rome I, Rome II), on dit d’eux qu’ils sont des règlements d’application universelle car ils peuvent s’appliquer à des relations extérieures à l’UE. Le règlement Rome I peut bien aboutir à l’application du droit marocain ou du droit californien.
Cas pratique sur la compétence juridictionnelle et les dispositions applicables
Article 4 (Règlement Bruxelles I bis) : « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre ».
Article 6 (Règlement Bruxelles I bis) : « Si le défendeur n’est pas domicilié́ sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1(partie faible), de l’article 21, paragraphe 2 (litige entre travailleur et employeur), et des articles 24 (compétence exclusive) et 25 (accord exclusif d’élection de for) ».
Article 14 c.civ : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ».
§2. Application des différentes sources
A. La hiérarchie des sources
1) La place du droit international dans l’ordre juridique français
Voir les arrêts CE, 1989 Nicolo et Cass., 1975, Cafés Jacques Vabre.
2) La place du droit de l’UE dans l’ordre juridique français
Article 88-1 de la Constitution.
3) L’articulation des sources en droit international privé
Le règlement Bruxelles II ter (2019) contient les règles en matière de séparation. Son article 3 dispose que « sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :
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sur le territoire duquel se trouve:
i) la résidence habituelle des époux,
ii) la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore,
iii) la résidence habituelle du défendeur,
iv) en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux,
v) la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
vi) la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est ressortissant de l’État membre en question; ou de la nationalité des deux époux
L’art.6 du Règlement Bruxelles II ter sur la compétence résiduelle dispose que « sous réserve du paragraphe 2, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu de l’article 3, 4 ou 5, la compétence est, dans chaque État membre, régie par la loi de cet État.
2. Un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou est ressortissant d’un État membre, ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5.
3. Tout ressortissant d’un État membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un autre État membre peut, comme les ressortissants de cet État, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet État contre un défendeur qui n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre et qui n’a pas la nationalité d’un État membre. »
Cette articulation nécessaire à faire entre droit national et droit de l’UE n’est pas toujours très claire pour les juges. Il existe donc des règles unifiées pour tous les États membres. Cependant, lorsque ces règles sont inapplicables, le texte renvoie aux droits nationaux.
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1re civ., 25 mars 2015 : en l’espèce, il s’agit d’un couple où l’époux est de nationalité suisse et l’épouse de nationalités suisse et française. Ils se sont mariés en Suisse et y ont vécu jusqu’à leur séparation prononcée par une décision suisse. Mais l’époux suisse demande le divorce en France en invoquant l’article 15 c.civ. Dans quelles mesures le juge français peut fonder sa compétence sur cette disposition ? L’attendu de principe de la Cour de cassation commence par la phrase suivante : « en l’absence de Convention internationale applicable… » Avant trancher la question de divorce et de savoir s’il est compétent, la Cour de cassation précise que le juge français doit d’abord regarder s’il existe une convention internationale qui déterminerait la compétence. Ensuite, il doit vérifier si les critères posés par les règlements UE ne sont pas remplis : « En l’absence de réalisation des critères ordinaires de compétences résultant du règlement Bruxelles II. » À défaut et si aucun des critères de compétence du règlement Bruxelles II n’est réalisé, il faut regarder l’article 1070 CPC applicable au divorce. Si l’article ne donne pas compétence, on peut enfin se retourner vers l’article 15 c.civ.
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Civ.1re 14 octobre 2020 sur la liquidation du régime matrimonial d’un couple franco-irlandais. En l’absence de convention internationale ni de règlement UE régissant la compétence internationale en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, le juge français applique le droit national, en l’espèce l’art.42 CPC. Pour les cas pratiques, il faut d’abord identifier la source dans laquelle on va puiser les règles à appliquer. Dans l’ordre hiérarchique, on applique la convention internationale, le règlement UE et enfin le droit national. Ensuite, l’application d’un texte international ou de l’UE s’opère de façon différente qu’un texte français. Il existe des règles particulières pour l’interprétation des règles de droit français de même que les règles internationales.
B. L’interprétation des conventions internationales et du droit de l’UE
1) Le pouvoir et les règles d’interprétation des conventions internationales
Le juge administratif a le pouvoir d’interpréter lui-même les traités internationaux, sans être lié par l’interprétation gouvernementale (CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI). Auparavant, le juge renvoyait la question d’interprétation au ministère des Affaires étrangères. De même, il est de l’office du juge judiciaire d’interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis d’une autorité non juridictionnelle (1re Civ., 19 décembre 1995, Banque africaine de développement c/BCCI et autres). Aujourd’hui, le pouvoir d’interprétation appartient exclusivement au juge.
Le juge judiciaire doit suivre les règles d’interprétation des traités figurant dans la Convention de Vienne sur le droit des traités. Évidemment, il peut arriver que des juges nationaux interprètent différemment les traités. On parle de conflits d’interprétations, très occasionnels mais existants.
2) Les règles d’interprétation des textes du droit de l’UE
La règle d’interprétation autonome : lorsqu’un juge étatique doit appliquer un règlement de l’UE, il doit le faire non pas en s’appuyant sur les concepts juridiques de son propre droit mais sur les concepts juridiques dégagés par la jurisprudence de la CJUE. Par exemple, la matière contractuelle doit être délimitée au prisme du droit de l’UE. Ainsi, en France, on considère que l’action intentée par l’acheteur d’un bien, non pas contre le vendeur mais contre le fabricant avec qui il n’a pas de relation contractuelle directe, est de nature contractuelle. Cependant, la CJUE considère en 1992 qu’en l’absence d’engagement direct entre l’acheteur et le fabricant, il ne saurait s’agir d’une relation contractuelle (CJCE, 1992, Jakob Handte).
La règle de l’interprétation continue : tous les arrêts rendus par la CJUE se rapportant à la Convention de Bruxelles de 1968 s’appliquent aussi aux règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis. La cour renvoie à ses anciens arrêts.
La règle de l’interprétation téléologique : le texte doit être interprété en fonction du but affirmé par ce texte. Par exemple, des critères de compétence ont été faits pour protéger une certaine catégorie de personnes (consommateurs) et doivent être intrprétés en suivant ce but.
La règle de l’interprétation stricte des exceptions : tout ce qui déroge à la règle générale doit être interprétée de façon stricte (par exemple en matière réelle immobilière).
La règle de l’interprétation permettant d’assurer un haut degré de prévisibilité pour les parties : il ne faut pas surprendre les parties lorsque le juge affirme sa compétence. Considérant 15 du Règlement Bruxelles I bis.
La règle de l’interprétation garantissant le respect des droits fondamentaux : toute règle de compétence doit être interprétée en respectant les droits et libertés fondamentaux (Considérant 38 Bruxelles I bis). On fait référence à l’article 47 de la Chartes des droits fondamentaux relatif à l’accès effectif à la justice.
PARTIE I : LA COMPETENCE JUDICIAIRE INTERNATIONALE
CHAPITRE INTRODUCTIF: INTRODUCTION AU DROIT DE LA COMPETENCE JUDICIAIRE INTERNATIONALE
SECTION I : La notion de compétence internationale
La première question à poser est celle de la compétence car en fonction du juge choisi le droit à appliquer pourrait être différent. Exemple du chauffeur routier qui est de nationalité française, son employeur est luxembourgeois et il fait des livraisons au Danemark et en Allemagne. La compétence détermine les règles applicables au litige.
§1. Compétence internationale
Au sens du droit de la compétence, la situation internationale est tout simplement une situation dans laquelle il existe un élément d’extranéité. Cela peut être la nationalité étrangère, le domicile ou un fait juridique situé à l’étranger. En présence d’un seul élément d’extranéité, le juge français doit s’interroger sur sa compétence à statuer sur le litige.
§2. Compétence et pouvoir juridictionnel
Les deux notions sont proches mais doivent néanmoins être distinguées comme elles le sont en procédure interne. Le pouvoir juridictionnel, c’est le pouvoir de juger une personne physique ou morale, qu’elle ait la qualité de demandeur ou défendeur. La compétence d’un tribunal n’existe que s’il est investi du pouvoir juridictionnel. La compétence est la désignation, parmi toutes les juridictions, de celle à qui est donnée l’aptitude de connaître d’une demande.
La distinction de ces deux notions entraine en droit interne d’un point de vue procédural des réactions différentes. Lorsqu’un tribunal ne possède pas de pouvoir juridictionnel, il ne peut pas statuer et va délivrer au demandeur une fin de non-recevoir. À l’opposé, le tribunal qui n’a pas de compétence peut faire valoir une exception d’incompétence. En droit international privé, une absence de pouvoir juridictionnel peut dériver d’une immunité de juridiction lorsqu’il s’agit d’un État. Dans ce cas, le juge délivrera au demandeur une fin de non-recevoir. De même l’absence de compétence, lorsqu’un texte n’attribue aucune compétence à la juridiction saisie du litige, entraine une exception d’incompétence.
§3. Les différents types de compétence internationale
A. Compétence directe et indirecte
Cette distinction est due à Étienne Bartin, auteur du XIXe siècle. La compétence directe détermine si un tribunal est compétent. La compétence indirecte, en revanche, détermine si le tribunal étranger qui a rendu un jugement était bien compétent pour rendre ce jugement. Un des critères applicables pour admettre l’exécution d’un jugement étranger en France est de s’assurer que le juge étranger était bien compétent pour rendre ce jugement. La question de compétence est soulevée s’agissant de la reconnaissance des jugements rendus à l’étranger.
La question s’est posée de savoir s’il fallait utiliser le même critère pour la détermination de la compétence directe et indirecte. Les critères de la compétence directe sont fixés par l’art. 4 du règlement Bruxelles I bis (assignation du défendeur devant les juridictions de son domicile) ou l’art.14 c.civ (possibilité pour un Français de saisir un juge français et d’assigner un défendeur étranger devant un juge français).
Les critères de la compétence directe peuvent-ils être utilisés pour apprécier la compétence indirecte ? La Cour de cassation répond par la négative en considérant que les critères de compétence indirecte ne sont pas les mêmes que ceux de la compétence directe. Dans son arrêt Simitch de 1985, la Cour affirme que « toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi, ET si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux » (Civ, 1re, 6 février1985, Simitch). Si le juge français n’est pas exclusivement compétent pour connaître du litige et si le litige a un quelconque lien avec le tribunal saisi, s’il ne l’a pas été saisi par fraude, alors la compétence indirecte est remplie.
B. Compétence générale et compétence spéciale
1) La distinction
On détermine parfois simultanément la compétence générale et la compétence spéciale. Par exemple, dire que les juridictions compétentes sont celles du lieu du domicile du défendeur, on a ainsi l’État et la ville. Lorsqu’on évoque seulement l’État, on parle de compétence générale. À l’opposé, l’art.14 c.civ donne compétence générale aux juridictions françaises.
2) Les fondements de la compétence générale et de la compétence spéciale
Cette distinction est importante parce que les fondements des critères de compétence générale et spéciale sont différents. S’agissant de la compétence générale, on se fonde surtout sur la garantie du droit d’accès à la justice ou sur le principe d’égalité des armes. En revanche, les critères de compétence spéciale sont fondés sur des circonstances factuelles liées à la situation. Par exemple, dire que le tribunal du lieu de livraison de la chose est compétent est une considération purement factuelle. L’internationalité de la situation s’apprécie au moment de l’introduction de l’instance.
SECTION II : Les enjeux de la compétence internationale
Quels sont les enjeux traités par les règles de compétence internationale ? Il faut prendre en compte les enjeux pour les parties mais aussi pour les États à adopter des règles plus ou moins larges, qui acceptent plus ou moins que leurs juges tranchent un litige international.
§1. Pour les parties à un litige
A. Enjeux pratiques
L’enjeu pratique pour une partie de déterminer la compétence internationale d’un juge est premièrement l’enjeu du coût. Le fait de devoir assigner une personne devant une juridiction française proche ou devant une juridiction étrangère modifie les coûts (déplacement, des frais d’avocat, difficulté psychologique lorsqu’on ne connait pas le système du pays).
B. Enjeux juridiques
1) La détermination de la loi applicable au fond
La loi appliquée au fond est celle qui va être décidée par le juge. Selon que le juge est ressortissant d’un État A ou B, on peut avoir une loi applicable à la même situation qui sera possiblement différente. Cela entraine le phénomène du forum shopping i.e. le fait de choisir son juge en fonction du droit que l’on pense que le juge va appliquer. Ce forum shopping ne peut exister que parce que toutes les règles de conflit de lois ou de détermination de la loi applicable sont divergentes.
2) La détermination du cadre juridique du procès
Les règles de procédure dépendent aussi du juge compétent, un juge appliquant toujours ses propres règles de procédure. Par exemple, si le droit du juge saisi ne connait pas les actions collectives (class action), il n’est pas possible de faire une class action à l’américaine devant un juge français. En cas d’impossibilité de déterminer le contenu d’une loi étrangère qui serait applicable, le juge français appliquera la loi française notamment en matière probatoire (vocation subsidiaire du droit français).
Affaire Vivendi : il s’agit d’un groupe français prospère dans les années 2000, côté en France et aux États-Unis. Il a par la suite a connu des déconvenues et le cours de ses actions a baissé lorsqu’on a découvert que les perspectives ont largement été surévaluées par les dirigeants. Les actionnaires de la société (français, américains, anglais, néerlandais, etc) ont décidé d’intenter une action en justice contre les dirigeants devant une juridiction new yorkaise pour leur avoir fourni de mauvaises informations. Aux E-U, il existe l’action collective qui permet à tous de se réunir au sein d’une seule et même action, les réparations sont plus généreuses. On appelle cela foreign cube action (les actions étrangères au cube). Le juge américain n’a pas décliné sa compétence même si par la suite la Cour suprême en 2010 a réduit la possibilité de connaitre de ce type de litiges triplement étrangers. La société Vivendi saisit le juge français pour qu’il interdise aux actionnaires de continuer leur litige devant la juridiction américaine en alléguant un abus de procédure. Cette demande d’injonction a été refusée tant par le tribunal d’instance que par la cour d’appel en considérant que : « le droit d’ester en justice est un droit fondamental dont l’exercice ne peut dégénérer en abus que s’il est mis en œuvre avec une légèreté blâmable ou obéit à une intention malicieuse ou malveillante ».
§2. Pour les États
A. Enjeux de justice
Il existe des enjeux de justice pour que ses tribunaux tranchent un litige international précisément pour s’assurer que la justice puisse être rendue.
B. Enjeux stratégiques
Il existe un enjeu stratégique pour l’État à accepter que ses tribunaux puissent trancher un litige international. Dès lors que ses tribunaux sont compétents, on sait qu’ils appliqueront la loi du for (leur propre loi). On parle de lien de concordance entre le for et le ius. : le juge compétent appliquera sa propre loi. La compétence détermine l’application de la loi du for. L’art.14 de la Convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants en est une illustration : « Dans l'exercice de la compétence qui leur est attribuée par les dispositions du chapitre II, les autorités des États contractants appliquent leur loi ». En droit suisse, un article dispose que le juge suisse applique la loi suisse au divorce. Dès lorsqu’il est compétent, on sait qu’il appliquera la loi suisse.
C. Enjeux de territoire et de souveraineté
Pour certaines règles de compétence, l’État va être attentif à ce que ses tribunaux soient bien compétents pour trancher ces litiges notamment lorsqu’il y a un lien fort avec le territoire. Dès lors qu’il s’agit de trancher une question de droit réel sur un immeuble situé en France, le CPC dispose que les juridictions françaises sont compétentes. Même solution dans le Règlement Bruxelles I. Il s’agit de s’assurer de son territoire et de qui est propriétaire d’une parcelle de son territoire. Lorsqu’il y a un lien fort avec le territoire, notamment l’État préfère trancher lui-même les questions relatives aux biens réels par exemple.
D. Enjeux économiques
Même si cela augmente le nombre des procès et les postes de dépenses, certains États développent un critère permettant à leurs tribunaux de se reconnaitre compétents pour statuer sur des litiges, notamment aux États-Unis. Si une entreprise exerce une activité commerciale (does business) sur le territoire des États-Unis, alors les juridictions américaines sont compétentes en cas de litige, même si l’entreprise n’y a pas son siège. On parle du for du doing business.
Les États sont nombreux à admettre les clauses d’élection de for qui sont les clauses d’un contrat qui désignent à l’avance une juridiction compétente en cas de litige. Certains États (RU, France, etc.) l’admettent parce que l’activité contentieuse génère des intérêts économiques (cela fait travailler les avocats).
En conclusion, face à un litige international, il est donc possible que plusieurs juridictions soient compétentes, ce qui entraine le problème des procédures parallèles.
SECTION III : L’exercice de la compétence internationale
§1. La vérification de sa compétence par le juge français
Qui exerce la compétence internationale ? Comment est-elle exercée ? Est-elle impérative ? La compétence du juge s’apprécie au jour de l’introduction de l’instance. On l’appelle la permutatio fori. Des règles nationales ou européennes peuvent fonder la compétence du juge national.
A. Lorsque la compétence est fondée sur le droit national
Art. 81 CPC : « Lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir. Dans tous les autres cas, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu'il estime compétente. Cette désignation s'impose aux parties et au juge de renvoi. » S’agit-il tout simplement d’une obligation ou d’une faculté pour le juge de vérifier qu’il est bien compétent avant d’accepter de trancher un litige ? Les choses ne sont pas figées en droit français.
En toute hypothèse, il existe un accord général selon lequel lorsqu’un défendeur comparait sans contester la compétence et qu’il n’existe pas de compétence territoriale impérative d’une juridiction française, on peut admettre l’existence d’une prorogation tacite de compétence i.e. que le défendeur accepte par sa seule comparution la compétence du juge saisi.
Il n’appartient pas au juge français de désigner une juridiction étrangère comme étant compétente sauf application des règles de l’UE dans la mesure où chaque juridiction apprécie elle-même sa compétence.
B. Lorsque la compétence est fondée sur le droit international privé de l’UE
Le juge national doit vérifier sa compétence au regard des règles du droit international privé de l’UE. On s’intéressera aux règlements Bruxelles I bis (règles de compétences en matière civile et commerciale) et Bruxelles II ter (règles en matière familiale parentale). Par exemple, les art.27 et 28 Bruxelles I bis et art. 18 Bruxelles II ter obligent les juridictions des EM à vérifier leurs compétences. À moins que sa compétence découle des dispositions du présent règlement, une juridiction nationale saisie à tort a l’obligation de se déclarer d’office incompétente.
Com., 11 mars 2020 : selon l’art. 4 du règlement « Insolvabilité » (loi applicable et compétence judiciaire), la juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité entrant dans le champ d’application de ce règlement, doit examiner d’office sa compétence au regard des règles européennes ET indiquer dans sa décision d’ouverture les fondements de sa compétence et préciser notamment si sa compétence est fondée sur le § 1 ou §2 de l’article. La cour d’appel voit son arrêt cassé car elle n’a pas examiné d’office si elle était internationalement compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de cette société.
§ 2. L’exception d’incompétence soulevée par le défendeur
Le défendeur peut aussi soulever l’exception d’incompétence (terme de procédure) de la juridiction choisie par le demandeur. Il s’agit d’une absence de compétence internationale (et non de pouvoir juridictionnel) pour le juge français. Elle doit être soulevée dans un cadre précis prévu à l’art. 74 CPC et ce, quelle que soit la règle qui justifierait la compétence du juge français. Cet article dispose que « l’exception d’incompétence doit être soulevée in limine litis (au bord du litige) ». Cela veut dire que le défendeur doit, avant de se défendre au fond, contester la compétence du tribunal. Si le défendeur assigné devant un juge de première instance se défend au fond (conteste sa responsabilité) puis se rend compte que le juge français n’est pas compétent, il ne peut plus soulever l’exception d’incompétence. Par ailleurs, aux termes de l’art. 75 CPC, pour que l’exception d’incompétence soit recevable, le défendeur doit indiquer devant quelle juridiction le litige devrait être porté sinon il existerait le risque d’un déni de justice.
§ 3. L’exercice discrétionnaire de la compétence internationale (la théorie du forum non conveniens)
Les règles de compétence s’imposent-elles au juge ? Le juge peut-il nier sa compétence quand les règles de compétence lui donnent compétence ?
A. Les droits de Common Law
En Common Law (E-U, R-U, Australie), il existe une vision flexible de la compétence qui se manifeste au travers de la théorie du forum non conveniens. Selon cette théorie, le juge saisi peut déclarer qu’il n’est pas le « for convenient» (le plus approprié) pour connaitre du litige. Elle permet au juge, quand bien même les règles de compétence le désignent compétent, de se déclarer inapproprié donc incompétent. Pour empêcher un juge de se déclarer forum non coveniens, un avocat anglo-saxon devra lui démontrer non seulement qu’il existe des règles qui lui attribuent la compétence mais devra aussi convaincre le juge qu’il est le mieux à même de juger le litige.
Pour se prévaloir de la théorie, le juge doit constater l’existence d’un for alternatif approprié qui offre les garanties suffisantes d’une justice effective ou équitable. Ensuite, le juge doit se demander si cet autre for ne serait pas mieux placé (best placed) que lui pour juger de l’affaire. Lorsqu’il se déclare non convenient, le juge américain décline totalement sa compétence alors que le juge anglais sursoit à statuer en attendant que la juridiction alternative accepte sa compétence. Cette théorie n’existe pas dans les droits continentaux.
B. Les droits continentaux
La théorie n’existe pas dans les droits continentaux où on considère les règles de compétence comme impératives pour le juge, i.e. qu’il ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation discrétionnaire dans l’exercice de sa compétence. Néanmoins, en droit de
l’UE, on observe une petite influence de cette théorie dans certains règlements. Par exemple, le règlement Bruxelles II ter parle de transfert de compétence à une juridiction d’un autre EM : une juridiction saisie d’une question en matière familiale peut considérer qu’une autre juridiction serait plus appropriée, voire préférable conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le transfert peut être demandé par les parties, par le juge saisi ou par d’autres juges des États. Confer l’art. art. 12 Règlement Bruxelles II ter : « Dans des circonstances exceptionnelles, si elle considère qu’une juridiction d’un autre EM avec lequel l’enfant a un lien particulier serait mieux placée pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant dans une affaire donnée, une juridiction d’un EM qui est compétente pour connaître du fond de l’affaire peut, sur demande d’une partie ou de sa propre initiative, suspendre la procédure ou une partie spécifique de celle-ci et:
a) impartir un délai pour qu’une ou plusieurs des parties informent la juridiction de cet autre EM de la procédure en cours et de la possibilité d’un transfert de compétence et saisissent cette juridiction d’une demande ; ou
b) demander à une juridiction d’un autre EM d’exercer sa compétence conformément au § 2 »
La théorie a impacté d’autres droits. Le droit japonais a introduit une petite dose de forum non conveniens en permettant à un juge japonais, dans des conditions très précises, de ne pas se déclarer compétent si une autre juridiction étrangère lui semble plus appropriée. En droit français, cette théorie a fait évoluer les règles de la procédure française. Illustration par un arrêt de la Cour de cassation.
1re Civ., 7 décembre 2011 : un avion affrété par une société américaine et commercialisé par une société colombienne, partant du Panama à destination de Fort-de-France avec à bord essentiellement des Français, se crashe au Venezuela en 2005. Les ayants droit des victimes saisissent un tribunal de Floride pour obtenir réparation. Devant la juridiction de Floride, les défendeurs invoquent la théorie du forum non conveniens et souhaitent attribuer la compétence au juge français. Les demandeurs saisissent le juge du tribunal de Fort-de-France d’une action déclaratoire d’incompétence. Classiquement, le droit français admet difficilement ce type d’action. Or, le juge français s’estime compétent, compétence confirmée par la CA. Les ayants droit forment un pourvoi en cassation. La Cour de cassation casse l’arrêt de la CA et admet l’action déclaratoire d’incompétence dans la mesure où les règles de compétence sont prévues dans la Convention de Montréal selon lesquelles les demandeurs peuvent saisir notamment la juridiction du lieu du siège de la société propriétaire de l’avion.
TITRE I : LES RÈGLES FONDAMENTALES DU DROIT FRANÇAIS DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE
Introduction : Remarques préliminaires (et rappel) à l’étude des règles nationales de compétence
§1. L’ouverture des tribunaux français aux litiges entre étrangers
L’ouverture des tribunaux français aux litiges étrangers n’a pas toujours été évidente. Dans un arrêt de 1806, (Req. 22 janvier 1806, Mount Florence c. Skilpewith, la Cour de cassation considère que les juges français n’avaient pas de pouvoir juridictionnel pour trancher les litiges entre étrangers au motif que le droit d’ester en justice constituait un « droit civil » réservé à l’époque aux Français au sens de l’article 11 du Code civil. Au XXe siècle, la Cour de cassation change sa conception.
Civ., 21 juin 1948, Patiño : la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence pour admettre pour la première fois, sans se préoccuper de la qualité de français ou d’étranger des parties, que l’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises dès lors que le litige s’insère suffisamment dans l’ordre juridique français. Toutefois, un autre verrou entravait la participation des étrangers à la vie juridique française : la cautio judicatum solvi qui désigne l’obligation pour les étrangers demandeurs ou défendeurs de déposer une somme d’argent pour être sûr que les frais de justice soient réglés en cas d’issue négative du litige. Elle a été supprimée en 1975 lors de l’adoption du Nouveau code de procédure civile.
§2. Application résiduelle des règles nationales de compétence
Les règles nationales de compétence s’appliquent de façon résiduelle dans la mesure où les arts. 55 et 88-1 de la Constitution prévoient la primauté des traités internationaux et du droit de l’UE sur le droit français. Ceci est par ailleurs édicté par les règlements du droit de l’UE notamment à l’art. 6 §1 du règlement Bruxelles I bis et par l’art.6 du règlement Bruxelles II ter traitant de la compétence résiduelle. En effet, lorsqu’aucun chef de compétence posé par le règlement ne peut justifier la compétence d’une juridiction d’un EM, la juridiction à saisir pourra alors appliquer son droit national. En outre, d’autres règlements prévoient des règles subsidiaires lorsque le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un EM de l’UE et excluent l’application des règles nationales de compétence des EM. En matière d’obligation alimentaire ou successorale, on crée des critères de compétence subsidiaires i.e. sans opérer de renvoi au droit national des EM. Dans ces cas, le juge national saisi ne pourra pas appliquer ses propres règles de compétence.
Pour que les règlements Bruxelles I bis et Bruxelles II ter soient applicables, le défendeur doit être domicilié sur le territoire d’un EM. L’application résiduelle de son droit national de la compétence par la juridiction saisie ne s’opère que si aucun critère posé par le règlement ne donne compétence à la juridiction d’un État membre.
CHAPITRE I : LES RÈGLES SPÉCIFIQUEMENT INTERNATIONALES
SECTION I : Les règles fondées sur la nationalité
§1. Le « privilège de juridiction » (art. 14 et 15 C. Civ.)
A. L’étendue du privilège de juridiction
1) Applicable « à toute matière », sauf exceptions
Il s’agit de règles qui datent du Code de 1804 et qui se fondent sur la nationalité française. On parle de privilège de juridiction. Il est inscrit dans deux articles du Code civil :
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Art.14 : c.civ : « L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. »
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Art.15, c.civ : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. » C’est le pendant de l’art.14 c.civ car il permet à des étrangers d’attraire des Français devant les tribunaux de France.
Les articles visent les obligations mais ne se limitent pas à la matière contractuelle car la jurisprudence a vite étendu le privilège de juridiction à d’autres matières notamment en matière familiale. Ils peuvent être utilisés dans de nombreux litiges avec deux exceptions. Ils sont exclus, d’une part, lorsque le litige porte sur un immeuble situé à l’étranger et, d’autre part, lorsque le litige porte sur des voies d’exécution à réaliser à l’étranger.
2) Seule la nationalité suffit
Il suffit que le demandeur ou le défendeur soit Français pour bénéficier du privilège de juridiction sans être tenu de démontrer l’absence de fraude. Ces articles s’appliquent à raison de la seule nationalité française. Par conséquent, il est impossible de juger frauduleuse la saisine du tribunal français. 1re Civ., 4 juillet 2012 (n°11-11.107) : une femme française mariée avec un Américain vivait aux EU avec lui. Le couple a un enfant et attendait son 2e enfant. L’épouse française rentre en France. Quelques jours après son arrivée en France, elle demande le divorce devant un juge lyonnais sur la base de l’art.14 c.civ. Le mari invoque la fraude et le juge du fond s’estime incompétent. La Cour de cassation casse l’arrêt car en l’absence de la réalisation des critères de compétence prévus par les règlements UE, et eu égard à l’inapplicabilité de l’art.1070 CPC au cas d’espèce, il fallait appliquer l’art.14 c.civ dont l’application est résiduelle. Aucune autre considération que la nationalité française du demandeur ne peut être prise en compte.
1re Civ., 15 septembre 2021 (n°19-24.779) : l’art. 14 c.civ, qui donne compétence à la juridiction française à raison de la nationalité française du demandeur, s'applique lorsqu'aucun critère ordinaire de compétence n'est réalisé en France. Le privilège de juridiction est une compétence exorbitante.
B. Les difficultés suscitées par ce chef de compétence exorbitant
1) Difficulté suscitée par l’art. 14 C. Civ.
Demandeur français. L’application de ce critère de compétence pose des difficultés. Considéré comme exorbitant à l’étranger, il y a de fortes chances qu’un jugement français admettant sa compétence sur ce fondement ne soit pas reconnu à l’étranger.
2) Difficulté suscitée par l’art. 15 C. Civ.
Défendeur français. Pendant très longtemps, la difficulté venait du fait que l’art.15 c.civ était interprété par la jurisprudence française comme imposant la compétence des tribunaux français lorsqu’un Français était défendeur. De fait, si un jugement avait été rendu à l’étranger contre un Français défendeur, la jurisprudence française refusait de reconnaitre ce jugement au motif que l’art.15 est impératif. Mais ce for exorbitant perd, avec l’arrêt Prieur de 2006, le caractère d’exclusivité qui portait la compétence française issue de cette disposition à disqualifier telle ou telle compétence d’un juge étranger qu’un plaideur avait pu préférer dans un litige l’opposant à un défendeur français. Autrement dit, le revirement de jurisprudence n’abroge pas l’article 15 du code civil et lui conserve donc une fonction de compétence directe. Ces deux articles (14 et 15 c.civ) ne concernent que la compétence générale. On ne fait référence qu’aux tribunaux français mais on ne sait pas lequel. Pour savoir la compétence spéciale, on se servira en principe du domicile du Français ou de l’étranger. Rien n’étant imposé dans le CPC, il appartient au juge d’apprécier souverainement.
§2. Une mise en œuvre limitée des articles 14 et 15 C. Civ.
A. L’exclusion dans des conventions internationales et règlements de l’UE
Puisqu’il s’agit de critères de compétence exorbitants, en principe les conventions internationales et les règlements UE écartent le jeu des articles 14 et 15 c. civ par les juridictions françaises. En droit de l’UE, on les prohibe absolument. Par exemple, l’art. 5 § 2 Bruxelles I bis dispose que ces règles ne peuvent être invoquées contre une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre. Toutes les personnes domiciliées sur le territoire d’État membre sont protégées contre l’application de l’art.14 c.civ. Il en est de même pour l’art.6 §2 Bruxelles II ter qui énonce qu’un époux ayant sa résidence habituelle ou étant ressortissant d’un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des chefs de compétence posés par le règlement. L’extension de l’application de ces règles aux citoyens non-européens se fonde sur le principe de non-discrimination garanti par les textes européens.
1re Civ., 15 novembre 2017 (cassation): la Cour de cassation applique l’art.6 § 2 du règlement Bruxelles II bis aux termes duquel « un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre ou est ressortissant d'un État membre ne peut être attrait devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des chefs de compétence posés par le règlement. ». En l’espèce, une Française et un Belge se sont mariés en France et résident en Belgique. Puis les époux se sont installés en Inde. À l’occasion d’un séjour en France, l’épouse saisit le JAF. Le juge s’estime compétent sur le fondement de l’art.14 c.civ. Or, le défendeur n’était pas un étranger quelconque mais un ressortissant d’un État membre (Belgique). Où qu’il se trouve, dès lors que l’époux est belge, les chefs de compétence posés par le règlement Bruxelles II bis étaient applicables.
Dans le cadre du règlement Bruxelles I bis, on permet à certains étrangers de se prévaloir de l’art.14 c.civ. L’application des règles de compétence exorbitantes est étendue à d’autres personnes domiciliées en France en vertu de l’article 6 § 2.
1re civ., 29 juin 2022 : un Congolais domicilié en France après avoir obtenu le statut de réfugié a pu attraire son employeur, société congolaise, devant les juridictions françaises, en vertu de l’art.6 § 2 du règlement Bruxelles I bis et de l’art.14 c.civ.
B. La possible renonciation
Les Français peuvent renoncer à ces chefs de compétence non impératifs par la stipulation d’une clause attributive de juridiction.
C. Le caractère subsidiaire
En droit interne, l’application des art. 14 et 15 a un caractère subsidiaire car il n’est possible de les invoquer que si aucun critère ne peut justifier la compétence des juridictions françaises.
1re civ., 19 novembre 1985, Orliac : la Cour de cassation considère pour la première fois que « l’art. 14 c.civ qui donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité française du demandeur n’a lieu de s’appliquer que lorsqu’aucun critère ordinaire de compétence territoriale n’est réalisé en France ». Concrètement, l’article ne peut intervenir qu’en second lieu. Cette solution a été confirmée à maintes reprises (notamment Cass.,13 mai 2020 dans le cadre d’une action en répétition de l’indu).
CEDH, 29 avril 2008, Mc Donald c. France : la subsidiarité de l’application des art.14 et 15 permet de les rendre conformes au droit d’accès à la justice garanti par l’article 6 de la CESDH. Un Américain marié à une Française contestait l’utilisation de cet article par sa femme en tant qu’il violait le droit d’accès à la justice. S’agissant de sa conformité à la Constitution, une QPC a été posée mais la Cour de cassation a refusé de renvoyer la question au CC.
SECTION II : Les règles de compétence internationale fondées sur l’urgence, la nécessité et le déni de justice
Il s’agit d’une hypothèse dans laquelle une juridiction accepte sa compétence parce qu’elle est nécessaire.
§1. La compétence fondée sur l’urgence et la nécessité (forum necessitatis)
La compétence civile universelle est le fait pour un État d’accepter que ses tribunaux puissent connaitre d’une affaire même lorsqu’elle présente très peu de liens s’il s’avère que le demandeur ne peut pas avoir recours à une autre juridiction. Il s’agit d’un for de nécessité.
§2. La compétence fondée sur le déni de justice
Le déni de justice est contraire au droit d’accès à la justice et il faut donc le conjurer.
A. En arbitrage international
1re civ., 1er février 2005, NIOC : première admission par la jurisprudence française de la compétence du juge français sur le fondement du déni de justice dans le cadre d’un arbitrage international notamment dans une affaire relative à un contrat pétrolier entre Israël et une société iranienne. La société iranienne refuse de nommer l’arbitre faisant échec à la procédure d’arbitrage. L’État israélien a saisi le juge français pour qu’il désigne un arbitre étant donné que l’Iran refusait d’en désigner sinon il y aurait eu déni de justice même arbitral. La Cour de cassation juge que « l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge, fût-il arbitral (...), et d'exercer ainsi un droit qui relève de l'ordre public international consacré par les principes de l'arbitrage international et l'article 6. 1 CEDH, constitue un déni de justice qui fonde la compétence internationale du président du TGI de Paris, (...) dès lors qu'il existe un rattachement avec la France ».
Le juge français est compétent en cas de déni de justice lorsque deux critères cumulatifs sont réunis : l’impossibilité d’accéder à un juge pour une partie et un quelconque rattachement avec la France. Le principe est transposé à l’art. 1505 CPC qui prévoit la compétence du président du tribunal judiciaire de Paris lorsque l'une des parties est exposée à un risque de déni de justice. Mais ces deux critères ne concernent que l’arbitrage international.
B. L’affaire Comilog
Soc.,14 septembre 2017, Comilog : Des salariés d’une société de droit gabonais ont été licenciés pour motif économique sur le territoire de la République du Congo. En 1992, ils saisissent une juridiction congolaise pour contester leur licenciement. En 2017, au moment où la Cour de cassation statue, aucune décision n’était rendue. Plusieurs (15) années après, ils saisissent un juge français pour les mêmes motifs et pour justifier la compétence française, ils font valoir que la société employeuse a des liens capitalistiques avec des sociétés françaises. La société gabonaise a soulevé une exception d’incompétence et la Cour de cassation a eu à connaître d’un pourvoi. Dans sa réponse, la Cour de cassation accueille l’exception d’incompétence au motif que « si l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constitue un déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu'il existe un rattachement avec la France, la seule détention par une société française d'une partie du capital d'une société étrangère ne constitue pas un lien de rattachement au titre du déni de justice. » La Cour est assez rétive à appliquer les critères de compétence fondés sur le déni de justice. Ainsi le lien de rattachement avec la France doit être relativement substantiel et l’impossibilité d’accéder à un juge doit être absolu. Il lui importe peu que l’accès au juge soit effectif.
CHAPITRE II : LA TRANSPOSITION DES RÈGLES INTERNES DE COMPÉTENCE TERRITORIALE AU LITIGE INTERNATIONAL
SECTION I : Le principe de la transposition
Sur quelles directives s’appuyer pour fonder la compétence internationale de nos tribunaux lorsqu’aucun Français n’est partie au litige ? La réponse de principe fut donnée par l’arrêt Scheffel de 1962.
§1. Les arrêts Pelassa et Scheffel
Le principe de la transposition a été affirmé par les arrêts Pelassa (Civ., 19 octobre 1959) et Scheffel, (Civ., 30 octobre 1962) par lesquels la Cour de cassation admettait que les règles de compétence territoriale du code de procédure civile pouvaient être transposées à l’ordre international pour un litige international. Elle énonce dans son attendu de principe que «la compétence internationale se détermine par l’extension des règles de compétence territoriale internse ». Il suffit donc que l’élément de rattachement utilisé par les règles de compétence, par exemple le domicile du défendeur, soit situé en France pour que le tribunal français ainsi désigné puisse être valablement saisi.
§2. Quelques applications du principe de transposition
A. La transposition de l’art. 42 al. 1 CPC : le for du défendeur
L’art.42 CPC dispose que « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
S’il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux.
Si le défendeur n'a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s'il demeure à l’étranger ».
Ce principe, quasiment universel, détermine le for du défendeur. Il appartient au demandeur de se déplacer et de se rendre devant les juridictions du domicile du défendeur (for du défendeur) pour l’assigner. L’art. 42 al. 2 CPC parle du for du codéfendeur et prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, ceux-ci peuvent être assignés devant le tribunal du domicile de l’un deux.
Art.43 CPC : « Le lieu où demeure le défendeur s'entend :
Alinéa 1 : s'il s'agit d'une personne physique, du lieu où celle-ci a son domicile ou, à défaut, sa résidence.
Alinéa 2 : s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie ». Cela vise généralement le siège social ou les établissements secondaires.
B. La transposition de l’art. 46 CPC
Il prévoit plusieurs critères de compétence dans des domaines variés.
1) En matière contractuelle
L’art.46 CPC, al.1er (for contractuel) dispose que « le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ». On parle de for alternatif au for du défendeur. Ce for est autonome car il est indépendant du domicile ou de la résidence du défendeur.
2) En matière délictuelle
Alinéa 2 (for délictuel) : « en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable (fait générateur) ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (préjudice) » est compétente. On parle de dissociation de délits complexes, i.e. une dissociation géographique entre le fait générateur et le préjudice subi.
Alinéa 3 : « en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble ».
Alinéa 4 : « en matière d'aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier. ». Aujourd’hui, le règlement « Obligations alimentaires » qui pose des critères subsidiaires en la matière rend cet article inapplicable dans l’ordre international.
C. La transposition de l’art. 1070 CPC
L’art.1070 CPC régit le divorce.
Art.1070 CPC : « Le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
- le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;
- si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;
- dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure.
En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l'une ou l'autre.
Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l'époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs.
La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande.
SECTION II : L’adaptation nécessaire de certaines règles internes de compétence : l’exemple de l’art. 48 CPC
§1. La notion de clause attributive de juridiction
Une clause attributive de juridiction, ou clause d’élection de for, ou encore, clause d’electio fori est un accord conclu entre deux parties désignant, à l’avance, la ou les juridictions qui pourra/pourront trancher leur éventuel futur litige. Ce type de clause a un double effet :
Positivement, la clause d’élection de for donne compétence au juge choisi par les parties qui n’aurait pas été compétent sans elle. Elle a un effet prorogatif de compétence. La simple volonté des parties au contrat est suffisamment forte pour désigner un juge pour connaitre du litige. Pendant très longtemps, on a considéré que les règles de compétence étaient d’ordre public, donc ne pouvaient faire l’objet d’un aménagement contractuel.
Négativement, la clause d’élection de for « retire » la compétence de tous les autres juges (si la clause est exclusive). Sous certaines conditions, elle est exclusive de toute autre compétence.
La question de la licéité des clauses attributives de juridiction s’est posée puis est admise par la jurisprudence dans la première moitié du XXe siècle (1930). Dans la Convention de Bruxelles de 1968 (ancêtre du Règlement Bruxelles I bis), on a admis les clauses attributives de compétence et la question ne s’est pas posée dans les autres États membres.
§2. L’art. 48 CPC adapté aux clauses attributives de juridiction dans les litiges internationaux (arrêt Sorelec)
Lors de la réforme du CPC en 1975, le législateur a introduit un art.48 aux termes duquel : « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ». Pour valablement stipuler une clause attributive de compétence, d’une part, les parties doivent avoir la qualité de commerçants et, d’autre part, la clause doit être très apparente pour la partie à laquelle elle est opposée.
Doit-on transposer telle quelle cette disposition ? Il semble que oui dans la mesure où la définition de la qualité de commerçant n’est pas la même dans les autres États.
1re Civ., 17 décembre 1985, CSEE c. SORELEC : la Cour de cassation admet le principe de la validité de la clause attributive de juridiction « lorsqu’il s’agit d’un litige international et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française ». Deux conditions sont exigées : d’une part, il doit s’agir d’un litige international et, d’autre part, il faut une absence de compétence territoriale impérative d’une juridiction française.
CONCLUSION : régime « tripartite » des CAJ
Trois régimes sont applicables à la CAJ. Le premier régime est celui des clauses régies par le Règlement Bruxelles I bis (art.25) applicable si la clause désigne une juridiction d’un EM. Le deuxième régime est celui des clauses régies par la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d’élection de for applicable si la clause désigne une juridiction d’un État partie à la Convention (UE, R-U, Mexique, Monténégro et Singapour) et si au moins l’une des parties réside sur le territoire d’un État partie à la convention et tiers à l’UE. Le dernier régime est celui du droit français (adaptant l’art.48 CPC) applicable à toutes les autres clauses.
TITRE II : LES RÈGLES FONDAMENTALES DU DROIT DE L’UE
Introduction : Remarques préliminaires sur les caractéristiques des règles de compétence internationale du droit de l’UE
Textes de l’UE contenant des règles sur la compétence
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Matière civile et commerciale : Règlement Bruxelles I bis (1215/2015)
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Matière matrimoniale et responsabilité parentale : Règlement Bruxelles II bis (2203/2001) remplacé par le Règlement Bruxelles II ter (2019/1111)
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Insolvabilité : Règlement « Insolvabilité » (848/2015)
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Matière d’obligations alimentaires : Règlement « Obligations alimentaires » (4/2009)
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Succession : Règlement « Successions » (650/2012)
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Régimes matrimoniaux (couples mariés et en partenariat) : Règlement 2016/1103 et Règlement 2016/1104 (coopération renforcée)
§1. Règles répartitrices de compétence
Contrairement aux règles françaises qui sont unilatérales, les règles du droit de l’UE sont répartitrices de compétence. Les règles françaises de compétence ne peuvent déterminer que la compétence du juge français tandis que les règles de l’UE déterminent la compétence d’une juridiction d’un EM. L’UE répartit au sein de son espace judiciaire commun la compétence entre les 27 États membres.
§2. Règles protectionnistes favorisant la compétence d’une juridiction d’un État membre
Considérant 14, Règlement Bruxelles I bis : « D’une manière générale, le défendeur non domicilié dans un État membre devrait être soumis aux règles de compétence nationales applicables sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie. » On cherche à multiplier les critères de compétence pour s’assurer qu’au moins une juridiction d’un État membre sera compétente.
§3. Règles prioritaires
Ces règles sont prioritaires dans la mesure où elles prévalent sur les règles de compétence nationales. Il en est de même des règles prévues dans les conventions internationales lorsque seuls des États membres sont parties à ces conventions.
§4. Règles impératives
Elles sont impératives en ce sens qu’elles s’imposent aux juges. Dès lors qu’une règle de compétence attribue compétence à un juge interne, ce juge ne peut pas se considérer incompétent ou forum non conveniens.
CJCE, 1er mars 2005, Owusu c. Jackson, aff. C-281/02 : la convention de Bruxelles [...] s'oppose-t-elle, lorsque le demandeur prétend que la compétence est basée sur l’art. 2, à ce que la juridiction d'un État contractant décline sa compétence, en vertu de son droit national, pour connaître d'une action intentée contre une personne dans cet État en faveur des juridictions d'un État tiers (forum non conveniens) ?
a) si la question de la compétence d'une juridiction d'un autre État contractant de la Convention de Bruxelles ne se pose pas ;
b) si le litige n'a aucun autre lien de rattachement avec un autre État contractant ?
Saisie d’une question préjudicielle, la CJCE répond que « l’article 2 de la convention de Bruxelles (art.4 Bruxelles I bis) a un caractère impératif et (...), ainsi qu'il ressort de ses termes mêmes, il ne peut être dérogé à la règle de principe qu'il énonce que dans des cas expressément prévus par ladite convention.
Le respect du principe de la sécurité juridique, (...), ne serait pas pleinement garanti s'il fallait permettre à une juridiction compétente au titre de ladite convention de faire application de l'exception du forum non conveniens.
De plus, l'admissibilité de l'exception du forum non conveniens risquerait d'affecter l'application uniforme des règles de compétence (de la convention), alors que le but de (celle-ci) est précisément de prévoir des règles communes à l'exclusion des règles nationales exorbitantes ».
Au nom du principe de la sécurité juridique et l’application uniforme des règles de compétence, le juge national ne saurait décliner sa compétence en invoquant la théorie du forum non conveniens.
CHAPITRE I : EN MATIÈRE MATRIMONIALE ET DE RESPONSABILITÉ PARENTALE (REG. B. II BIS ET REG. B. II TER)
SECTION I : Le champ d’application du règlement
Avant de le mettre en œuvre, il faut vérifier son applicabilité au moyen de 3 critères.
D’abord, l’applicabilité matérielle. Il suffit de savoir à quelle matière le règlement s’applique. Ici, il s’agit de la désunion (entendue au sens large) et de la responsabilité parentale. Art.1er Bruxelles II ter : Sont exclus par le règlement, l’établissement et la contestation de la filiation, les questions de l’adoption et les mesures qui la préparent, le nom et prénom d’un enfant, les obligations alimentaires, etc.
Ensuite, l’applicabilité temporelle. Pour les actions introduites avant le 1er août 2022, le règlement Bruxelles II bis est applicable. À compter du 1er aout, c’est le règlement Bruxelles II ter. Les règles de désunion sont restées inchangées mais certaines règles de responsabilité parentale ont évolué.
Enfin, l’applicabilité spatiale/territoriale. Il n’existe aucune restriction directe du champ d’application aux contentieux « intra-européens » (1re Civ., 24 juin 2020). Un renvoi est opéré aux règles nationales si aucun des chefs de compétence du règlement ne désigne la juridiction d’un État membre (et sauf application de l’art.6 §1).
1re Civ., 24 juin 2020: il ressort de l’art.3 du règlement Bruxelles II bis qu’une juridiction d’un État membre est compétente pour connaître d’une demande en divorce, dès lors que l’un des critères alternatifs de compétence qu’il énonce est localisé sur le territoire de cet État, peu important que les époux soient ressortissants d’États tiers ou que l’époux défendeur soit domicilié dans un État tiers. Cette règle de compétence est exclusive de toute règle de compétence de droit international privé commun. Dès lors qu’un des critères de compétence justifie la compétence d’un État membre, aucun autre critère ne doit être pris en compte.
SECTION II : La compétence en matière de désunion
§1. De multiples critères de compétence non hiérarchisés
Il faut regarder l’art.3 (compétence générale) : « Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, les juridictions de l'État membre :
a) sur le territoire duquel se trouve :
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la résidence habituelle des époux, ou
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la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l'un d'eux y réside encore, ou
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la résidence habituelle du défendeur, ou
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en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre époux, ou
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la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l'introduction de la demande, ou
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la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l'introduction de la demande et s'il est soit ressortissant de l'État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, s'il y a son "domicile";
b) de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, du "domicile" commun.
Ces critères ne sont pas hiérarchisés et celui qui saisit le juge peut utiliser n’importe lequel de ces derniers. La mise en œuvre de ces multiples critères peut entrainer des procédures parallèles et du forum shopping.
§2. L’articulation des critères de compétence du règlement avec les règles nationales de compétence
L’art.6 du Règlement Bruxelles II bis : « 1. Sous réserve du paragraphe 2, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu de l’article 3, 4 ou 5, la compétence est, dans chaque État membre, régie par la loi de cet État.
2. Un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou est ressortissant d’un État membre, ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5.
3. Tout ressortissant d’un État membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un autre État membre peut, comme les ressortissants de cet État, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet État contre un défendeur qui n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre et qui n’a pas la nationalité d’un État membre »
SECTION III : La compétence en matière de responsabilité parentale
§1. La notion de résidence habituelle de l’enfant
Art. 7 Règlement Bruxelles II bis : « 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.
2. Le paragraphe 1 du présent article s’applique sous réserve des articles 8 à 10. »
Comment déterminer la résidence habituelle d’un enfant notamment lorsqu’il s’agit d’un bébé ?
CJUE, 8 juin 2017, OL c. PQ : la CJUE établit 3 éléments permettent de déterminer la résidence habituelle de l’enfant :
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La notion de résidence habituelle de l’enfant est une notion autonome en ce sens qu’elle ne peut pas être interprété au prisme des droits nationaux mais uniquement au prisme du droit de l’UE et de la jurisprudence de la CJUE.
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La notin de résidence habituelle de l’enfant est une question de fait : il faut utiliser différents indices factuels pouvant révéler la résidence habituelle de l’enfant.
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La résidence habituelle de l’enfant est appréciée en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant
1re Civ., 12 juin 2020, n° 19-24.108 : il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative à la résidence habituelle de l'enfant, au sens du règlement Bruxelles II bis, que celle-ci correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie. Il en résulte également que, lorsque l'enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui. En conséquence, l'intention initialement exprimée par les parents quant au retour de l'enfant dans un autre État membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l'enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer sa résidence habituelle, cette intention ne constituant qu'un indice de nature à compléter un faisceau d'autres éléments concordants. Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d'une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d'un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents. De même, le consentement ou l'absence de consentement de l'un des parents, dans l'exercice de son droit de garde, à ce que l'enfant s'établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant. Dès lors, prive sa décision de base légale au regard des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, 2, 11), et 11, § 1, du règlement (CE) n° 2201/2003 précité la cour d'appel qui, s'agissant d'un nourrisson, retient que la résidence habituelle des parents et, subséquemment, celle de l'enfant, est établie en Grèce, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de celui-ci et de la circonstance qu'il était arrivé à l'âge d'un mois en France et y avait séjourné ensuite de manière ininterrompue avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s'y trouvait pas, nonobstant l'intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l'enfant, en Grèce après son séjour en France.
§2. Les exceptions à la compétence des juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant/ renvoi à une autre juridiction
Art. 9 Règlement Bruxelles II bis : compétence en cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant
Art.10 Règlement Bruxelles II bis : juridiction choisie par les parents, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, si au moins l’une des parties y a/ y a eu/ sa résidence habituelle. (Innovation Bruxelles II ter)
Art.11 Règlement Bruxelles II bis : compétence fondée sur la présence de l’enfant notamment lorsque la détermination de sa résidence habituelle est impossible
Art 12 Règlement Bruxelles II bis : transfert de compétences à un autre juge d’un EM à l’initiative du juge saisi ou à la demande des parties.
Art. 15 Règlement Bruxelles II bis : Mesure provisoires et conservatoires en cas d’urgence.
CHAPITRE II : EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE (RÈGLEMENT BRUXELLES I BIS ET CONVENTION DE LUGANO)
SECTION I : Le champ d’application du règlement Bruxelles I bis
Il faut vérifier d’abord si les trois critères sont réunis.
§1. Le critère matériel (ratione materiae)
D’un point de vue matériel, le règlement s’applique à la matière civile et commerciale.
A. La notion autonome de « matière civile et commerciale »
La notion « matière civile et commerciale » est autonome en ce sens qu’elle doit s’interpréter indépendamment des droits des États membres. Cette autonomie a été affirmée dès 1976. CJCE 14 novembre 1976, Eurocontrol : « pour l’interprétation de la notion de « matière civile et commerciale » aux fins d’application de la convention de Bruxelles (règlement Bruxelles I bis), il convient de se référer non au droit d’un quelconque des États concernés, mais, d’une part, aux objectifs et au système de la convention (règlement), et, d’autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des systèmes de droit nationaux ». Fondamentalement, l’idée est que la matière civile et commerciale se distingue du droit public. Par exemple, CJCE 15 février 2007, Lechouritou, C-292/05 : « est exclu de la matière civile et commerciale un litige opposant une autorité publique à une personne privée où l’autorité publique a agi dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique ». En effet, l'art.1 § 1 in fine du règlement Bruxelles I bis dispose que « le règlement ne s’applique pas à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).
CJUE 11 avril 2013, Land Berlin : la demande de remboursement formée par un Land devant une juridiction civile à propos du trop-perçu d’une indemnisation versée aux héritiers d’une personne expropriée sous la 2nde GM relève-t-elle de la matière civile et commerciale ? La Cour répond par l’affirmative et dit pour droit que « la notion de «matière civile et commerciale» englobe une action en répétition de l’indu dans le cas où un organisme public, s’étant vu enjoindre, par une autorité créée par une loi réparatrice des persécutions exercées par un régime totalitaire, de reverser à une personne lésée, à titre de réparation, une partie du produit provenant de la vente d’un immeuble, a versé à cette personne, à la suite d’une erreur non intentionnelle, la totalité du montant du prix de vente et demande ensuite en justice la répétition de l’indu ». La réponse est affirmative dans la mesure où le Land n’a pas fait usage d’une prérogative de puissance publique. Il s’agit simplement d’une demande en répétition de l’indu qui peut être introduite par toute personne, peu importe qu’elle dispose ou non d’une prérogative de puissance publique.
CJUE 9 mars 2017, Pula Parking: la créance de stationnement de parking demandée à un particulier par une entreprise détenue par une municipalité relève-t-elle de la matière civile et commerciale ? La Cour répond par l’affirmative : « une procédure d’exécution forcée diligentée par une société détenue par une collectivité territoriale contre une personne physique domiciliée dans un autre État membre, aux fins du recouvrement d’une créance impayée de stationnement dans un parking public, dont l’exploitation a été déléguée à cette société par ladite collectivité, ne présentant aucun caractère punitif mais constituant la simple contrepartie d’un service fourni, relève du champ d’application du règlement. »
Pour déterminer si le litige, impliquant une autorité publique, relève de la matière civile et commerciale, le juge doit identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige ; examiner le fondement de l’action pour savoir si elle repose sur des dispositions de droit privé ou de droit public ; et examiner les modalités d’exercice de l’action intentée pour savoir s’il y a l’exercice d’une prérogative de puissance publique.
B. Les exclusions
Sont exclus de la matière civile et commerciale :
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L’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux et les successions.
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Les obligations alimentaires
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Les faillites, concordats, autres procédures analogues
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Les questions relatives à la sécurité sociale
-
L’arbitrage
§2. Le critère temporel (ratione temporis)
D’un point de vue temporel, le règlement est entré en vigueur le 10 janvier 2015 et s’applique à toute action introduite à compter du 10 janvier 2015. Pour les actions antérieures, s’applique le règlement Bruxelles I. Pour déterminer la date d’introduction de l’action, il faut se référer au droit de l’État membre. Qu’en est-il des clauses attributives de juridiction ? Faut-il leur appliquer le règlement qui était applicable au moment de la conclusion du contrat ou au moment de l’action en justice ? Pour la CJUE, il faut seulement se référer à la date d’introduction de l’instance en justice.
§3. Le critère spatial (ratione loci)
A. Quel territoire européen ? Le cas particulier du Danemark
Le Danemark, après avoir exercé sa faculté d’opt-in, participe désormais au règlement Bruxelles I bis, qui par suite lui est applicable. Naturellement, ce règlement n’est pas applicable au R-U mais à toute l’Union européenne.
B. Existe-t-il un critère d’applicabilité spatiale ?
L’application de plusieurs règles est subordonnée au domicile du défendeur sur le territoire de l’UE. Cependant, toutes les règles ne contiennent pas cette condition. L’application est déterminée par la réalisation sur le territoire d’un État membre de l’UE d’un critère de compétence énoncé par le règlement. Autrement dit, il suffit qu’un critère donne compétence à un État membre pour qu’il soit applicable.
Le litige suffisamment « intégré » dans l’UE peut justifier la compétence d’un tribunal d’un État membre dans 4 hypothèses :
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Le défendeur est domicilié dans un État membre (art.4)
-
Lorsque l’objet du litige a un lien si étroit avec un État membre et que cette compétence s’impose (art.24), compétences exclusives.
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Lorsque la volonté des parties a attribué compétence aux tribunaux d’un État membre (art.25 et 26), même sans domicile des parties sur un État membre.
-
Lorsque l’on souhaite protéger la partie faible (consommateur et travailleur) : la partie faible domiciliée sur le territoire d’un État membre peut assigner son cocontractant non domicilié sur le territoire d’un État membre.
SECTION II : Les différents critères de compétence
§1. La compétence générale : le for du défendeur
A. Énoncé et justification de l’art. 4 du règlement Bruxelles I bis
La compétence générale est énoncée à l’art.4 §1 du règlement Bruxelles I bis : « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Il correspond à l’art.42 al.1 CPC qui pose le critère du for du défendeur. Ce critère se justifie notamment par le souci d’une bonne administration de la justice (le tribunal du lieu du défendeur est proche du litige) et la protection des droits du défendeur (assignation devant les juridictions de son État lui permet de mieux se défendre car il connait la langue, le système judiciaire, etc.).
B. La notion de domicile
Pour mettre en œuvre ce critère, encore faut-il savoir comment déterminer le domicile du défendeur. Pour ce faire, il faut regarder si le règlement prévoit des dispositions particulières.
1) pour les personnes physiques
L’art.62 du règlement Bruxelles I bis renvoie au droit national du juge saisi. La notion française de domicile figure à l’art. 102 c.civ aux termes duquel « le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ». Il peut arriver qu’un demandeur qui souhaite assigner ne parvienne pas à connaitre le domicile du défendeur. Il s’agit d’un problème majeur dans la mesure où en l’absence de détermination du domicile, il existerait un risque de déni de justice.
CJUE 17 novembre 2011, Hypotecni banka, C-327/10 : les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le dernier domicile connu du défendeur sont compétents pour connaître de l’action lorsqu’ils ne parviennent pas à déterminer le domicile actuel du défendeur ET qu’ils ne disposent pas non plus d’indices probants leur permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union européenne.
Mais il peut advenir que le domicile, même ancien, ne soit pas connu.
CJUE 15 mars 2012, Cornelius de Visser : une Allemande a assigné la personne administrant le site Internet devant un tribunal allemand d’une demande en réparation du préjudice subi du fait de la publication sur internet de photos d’elle partiellement nue sans son autorisation. Or, la société qui se présentait comme une société de droit hollandais n’a pas d’adresse connue ni n’est exactement localisable. Le droit allemand de la procédure permet l’assignation par voie d’affichage au sein du tribunal en cas de domicile inconnu. Doutant de l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis, le tribunal saisit la CJUE d’une question préjudicielle.
La CJUE répond que la juridiction saisie en application de la règle de compétence fondée sur le lieu de réalisation du fait dommageable est compétente pour connaitre d’une action en responsabilité du fait de la gestion d’un site Internet à l’encontre d’un défendeur qui est probablement citoyen de l’Union, mais qui se trouve en un lieu inconnu, si elle ne dispose pas d’indices probants lui permettant de conclure que ledit défendeur est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union européenne. Dans ce cas de figure, le demandeur peut donc avoir recours à la technique d’assignation offerte par son droit national de la procédure. Par conséquent, une société se présentant comme relevant d’un État membre est présumée y avoir son domicile même si son adresse précise n’est pas connue.
2) Pour les personnes morales
S’agissant des personnes morales, leur domicile est défini à l’art.63 du règlement Bruxelles I bis. Le domicile d’une personne morale peut être soit son siège statutaire (adresse qui figure dans ses statuts), soit son administration centrale (lieu de décision), soit son principal établissement (lieu de l’activité économique de la personne morale). Si le lieu d’administration centrale est différent du siège statutaire, le demandeur aura le choix de la juridiction à saisir.
§2. Les compétences choisies : la prorogation de for explicite et implicite
A. La compétence choisie explicitement : l’art. 25 Rég. B. I bis
L’art.25 du règlement Bruxelles I bis est relatif à la clause d’élection de for/clause attributive de juridiction. Il dispose que « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.»
1)La licéité des clauses attributives de juridiction
Les clauses attributives de juridiction sont donc licites en droit de l’UE. Cependant, la seule limite est que la clause ne doit pas heurter une règle de compétence impérative prévue par le règlement : d’une part, les règles protectrices (art.14, 19 et 23) ne permettent pas de dérogation et, d’autre part, les compétences exclusives (art.24), considérées comme devant relever d’un État membre en particulier en raison du lien qui existe entre cet État membre et la question juridique soulevée dans le litige. Ces clauses ont un effet prorogatif de compétence (donne compétence à une juridiction qui n’aurait peut-être pas été compétente sans cette clause) mais aussi un effet dérogatoire de compétence (elle évince la compétence des autres juridictions).
Le régime de l’art.25 du règlement Bruxelles I bis s’applique à des clauses qui remplissent certaines conditions. D’abord, la Cour de cassation rappelle que l’art. 25 du règlement Bruxelles I bis n’est applicable qu’aux clauses impliquées dans un litige à caractère international et que le caractère international du litige s’apprécie pour des motifs de sécurité juridique au moment de la conclusion de la clause attributive de juridiction (1re Civ., 4 octobre 2005, Keller). Ensuite, aucune condition de domicile sur le territoire d’un État membre (même celui du défendeur) n’est exigée. En outre, la clause doit concerner un rapport de droit déterminé i.e. doit préciser la relation juridique en cause à propos de laquelle un litige pourrait naitre et entrainerait la compétence du juge saisi. Enfin, l’article 25 du règlement Bruxelles I bis est applicable uniquement aux clauses désignant la juridiction d’un État membre.
2)La validité des clauses attributives de juridiction
La validité concerne le consentement des parties. La clause attributive de juridiction est autonome en ce sens que sa validité s’apprécie indépendamment de la validité du contrat qui la contient. Il en résulte que la nullité qui pourrait affecter un contrat contenant la clause attributive de juridiction n’est pas de nature à empêcher la mise en œuvre d’une telle clause stipulée pour remplir un objectif déterminé.
Pour apprécier la validité au fond de la clause attributive de juridiction, il faut se référer à la loi du juge choisi. S’agissant de la validité formelle, la clause doit revêtir l’une des 3 formes : par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. Pour cette dernière forme, la CJUE considère qu’une clause d’élection de for insérée dans un prospectus financier (obligatoirement rédigé par l’émetteur de titres de société) peut correspondre à la forme usitée dans une branche commerciale considérée.
B. La compétence choisie par le demandeur et acceptée par le défendeur ou prorogation tacite de for : l’art. 26 Règ. B. I bis
Cette compétence est régie par l’art.26 du règlement Bruxelles I bis : « Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24 ».
Dans les matières visées aux sections 3, 4 ou 5, lorsque le preneur d’assurance, l’assuré, un bénéficiaire du contrat d’assurance, la victime, le consommateur ou le travailleur est le défendeur, avant de se déclarer compétente en vertu du paragraphe 1, la juridiction s’assure que le défendeur est informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d’une comparution ou d’une absence de comparution. »
Il s’agit de la compétence choisie par le demandeur et tacitement acceptée par le défendeur. Il résulte de l’art.26 que la simple comparution d’un défendeur, domicilié sur le territoire d’un État membre, devant un tribunal d’un État membre sans contestation de la compétence de celui-ci vaut acceptation de la compétence du tribunal saisi.
Néanmoins, s’agissant des parties faibles (consommateur, preneur d’assurance, travailleur), le tribunal doit s’assurer que le défendeur qui comparait est bien informé de son droit de contester la compétence in limine litis. Ici, le juge joue un rôle actif en matière de protection des parties faibles.
CJUE 17 mars 2016, Taser International : si en dépit d’une clause d’élection de for désignant une juridiction d’un État tiers, le demandeur saisit une juridiction d’un État membre, la comparution du défendeur sans contester la compétence empêche la juridiction de se déclarer d’office incompétente. En revanche, s’il existe une compétence exclusive ou si le juge a été saisi d’une mesure provisoire, la comparution volontaire ne peut pas proroger la compétence du tribunal saisi. L’art.26 ne peut pas faire obstacle à l’application des règles de compétence exclusive. Pour les parties faibles, l’information est obligatoire.
§3. Les compétences optionnelles (ou spéciales)
Prévues à l’art. 7 du règlement Bruxelles I bis, elles sont optionnelles dans la mesure où elles ne se substituent pas à la compétence du domicile du défendeur.
A. En matière contractuelle
1) Notion autonome de la « matière contractuelle »
La notion de « matière contractuelle » est autonome dans la mesure où elle ne dépend pas de l’interprétation d’un droit quelconque des États membres.
CJCE 17 juin 1992, Jakob Handte : la matière contractuelle se définit « comme un engagement librement assumé d’une partie envers une autre ». En l’espèce, un sous-traitant attaque son fournisseur dans la mesure où il dispose d’une action de nature contractuelle en droit interne. Pour la CJCE, il ne s’agit pas d’une action contractuelle contrairement à la conception du droit français. Mais la Cour a fait évoluer sa jurisprudence.
CJUE 7 mars 2018, Flightright : est de nature contractuelle, l’action des passagers aériens en indemnisation pour le retard important d’un vol avec correspondance, dirigée contre un transporteur aérien effectif qui n’est pas le cocontractant du passager concerné. La matière contractuelle se définit comme une « obligation librement assumée d’une personne envers une autre ».
CJCE 15 janvier 1987, Shenavai : La notion d’obligation qui sert de base à la demande est l’obligation litigieuse, or il peut y avoir plusieurs obligations dans le contrat. En cas de pluralité des obligations litigieuses, c’est l’obligation principale litigieuse qui détermine la compétence.
2) Mise en œuvre de l’art. 7 (1) Rég. B. I bis
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
-
pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été OU auraient dû être livrées ( CJUE, 25 février 2010, Car Trim : les contrats dont l’objet est la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire, alors même que l’acheteur a formulé certaines exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison des marchandises, sans que les matériaux aient été fournis par celui-ci, et que le fournisseur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, doivent être qualifiés de «vente de marchandises».
-
pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis (le contrat de fourniture de services implique l’accomplissement d’une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (CJUE 23 avril 2009, Falco).
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas
CJCE, 6 octobre 1976, Industrie Tessili Italiana Como: hormis les contrats de vente de marchandises et de fourniture de services, le lieu où l’obligation a été ou doit être exécutée est déterminé conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie.
B. En matière extracontractuelle
Art.7§ 2 du règlement Bruxelles I bis dispose qu’«une personne domiciliée sur le territoire d’un EM peut être attraite, dans un autre EM en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
1) Notion autonome de la « matière extracontractuelle »
CJCE, 27 septembre 1988, Kalfelis: la notion de matière délictuelle ou quasi délictuelle doit être considérée comme une notion autonome comprenant toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et ne se rattache pas à la matière contractuelle. Autrement dit, on peut l’invoquer toutes les fois que l’on veut engager la responsabilité délictuelle ou précontractuelle, donc le domaine est très large.
2) Mise en œuvre de l’art. 7 (2) Règ. B. I bis en cas de délit complexe
Une difficulté réside dans le fait que l’art.7 § 2, tout comme l’art. 46, al.2 CPC, vise le lieu du fait dommageable ou le lieu où le préjudice a été subi. Or, le fait générateur et le préjudice peuvent se produire à des endroits différents. On parle alors de délit complexe i.e. une dissociation entre le lieu du fait générateur et le lieu du fait dommageable.
CJCE, 30 novembre 1976, Mines de potasse d’Alsace : s’agissant de dommage causé à l’environnement, le lieu de réalisation du fait dommageable peut correspondre tant au lieu de matérialisation du préjudice que du lieu du fait générateur. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant la juridiction de l’un ou de l’autre lieu.
La mise en œuvre difficile de cet article découle de l’interprétation jurisprudentielle différente en fonction du type de délit en question. On prendra pour exemple les délits d’atteinte au droit au respect de la vie privée et la diffamation internationale.
CJCE 7 mars 1995, Fiona Shevill : une femme assigne en diffamation un journal publié au R-U mais diffusé dans plusieurs pays. Il s’agissait de savoir si la victime pouvait choisir n’importe quel tribunal de ces États ou seulement du R-U. La CJCE considère qu’en cas de délit par voie de presse, la juridiction du lieu du fait dommageable au sens de l’art.7§2 est soit le lieu d’établissement de l’éditeur du contenu diffamatoire dont la juridiction est compétente pour connaitre de l’intégralité du dommage (lieu de la publication), soit la juridiction du lieu où la publication a été diffusée ET où la victime estime avoir subi une atteinte à sa réputation mais alors avec une compétence plus limitée dans la mesure où elle ne pourra connaitre que les seuls dommages causés dans l’État membre. La victime a le choix mais l’étendue de son droit à réparation est différente selon qu’elle choisisse la juridiction du lieu d’établissement de l’émetteur du contenu diffamatoire ou celle du lieu où la publication a été diffusée.
CJUE, 25 octobre 2011, eDate Advertising et O. Martinez : toutefois, en cas d’atteinte aux droits de la personnalité commise sur Internet, la CJUE procède à une adaptation de la règle en posant un troisième critère eu égard à la nature ubiquitaire d’un site Internet. Ainsi, la victime pourra saisir la juridiction du lieu d’établissement de l’émetteur des propos pour l’intégralité des dommages, le lieu où un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, pour le seul dommage causé sur ce territoire ou le lieu où se trouve le centre des intérêts de la victime (nouveau), pour l’intégralité du dommage. On facilite la saisine par la victime des juridictions de son domicile.
Par ailleurs, la CJUE a appliqué cette jurisprudence aux personnes morales. CJUE 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen : en l’espèce, une société (personne morale) reproche à une autre société d’avoir publié sur internet de fausses informations. La Cour considère que le centre des intérêts d’une personne morale correspond au lieu où sa réputation commerciale est la plus établie et doit donc être déterminé en fonction du lieu où elle exerce l’essentiel de son activité économique. S’agissant de l’action en rectification de données et commentaires, la CJUE précise que l’action ne peut s’intenter que devant la juridiction du lieu du centre de ses intérêts ou la juridiction du lieu du défendeur.
« Eu égard à la nature ubiquitaire des données et des contenus mis en ligne sur un site Internet et au fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle, une demande visant à la rectification des premières et à la suppression des seconds est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l’intégralité d’une demande de réparation du dommage et non devant une juridiction qui n’a pas une telle compétence »
CJUE, 21 décembre 2021 Gtflix TV : deux sociétés productrices de films pour adultes dont l’une accuse l’autre de tenir des propos dénigrants à son égard sur plusieurs sites et forums Internet. La société tchèque saisit une juridiction lyonnaise pour obtenir le paiement d’un euro symbolique en réparation du préjudice économique et d’un euro symbolique pour son préjudice moral, et une condamnation de la société à cesser tout acte de dénigrement, et à être même autorisée à publier un commentaire sur ces forums. Le tribunal lyonnais décline sa compétence en première instance et la Cour de cassation décide de poser une question préjudicielle à la CJUE. La Cour de justice rappelle que l’action en rectification ne peut être intentée que devant les juridictions du lieu du centre des intérêts de la victime ou des juridictions du domicile du défendeur mais que néanmoins en cas de demande conjointe en réparation et en rectification, les juridictions du lieu de diffusion demeurent compétentes pour la demande en réparation des seuls dommages causés dans leur ressort. Dès lors, le tribunal lyonnais, incompétent pour connaitre du volet de la rectification des données et de la suppression des contenus mis en ligne, pouvait néanmoins statuer sur le volet de la réparation, fût-elle minime.
L’art.79 RGPD permet à la victime d’une violation de ses données à caractère personnel de saisir non seulement les juridictions de l’EM du lieu d’établissement du responsable du traitement des données personnelles mais aussi les juridictions de l’EM où elle a sa résidence habituelle sauf si le responsable du traitement des données personnelles est une autorité publique.
Cette interprétation large de la notion de lieu du fait dommageable, favorable à la victime, ne vaut pas pour tous les types de délits dans la mesure où elle n’est pas transposée au cas d’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteurs (CJUE, Pinckney 2013) ou aux droits patrimoniaux des droits voisins d’auteurs (CJUE, Pez Hejduk, 2015). Concrètement, une personne qui s’estime victime de ses droits d’auteurs ne peut pas saisir la juridiction du lieu du centre de ses intérêts.
CJUE 15 juillet 2021, Volvo : s’agissant des délits en matière de concurrence, et notamment le cas d’une action en réparation consécutive à une condamnation pour entente (interdite par l’art. 101 TFUE), la CJUE juge que le lieu du fait dommageable s’entend de la juridiction du lieu où l’entente a été conclue (lieu du fait générateur) ou le lieu où un arrangement spécifique a été pris ou encore le lieu de son propre siège social.
Il peut exister des hésitations entre la qualification délictuelle ou contractuelle notamment en cas d’actions en concurrence déloyale ou en rupture brutale des relations commerciales établies. La CJUE considère que l’action indemnitaire en rupture brutale des relations commerciales établies de longue date est de nature contractuelle « s’il existait entre les parties une relation contractuelle tacite » (CJUE 14 juillet 2016, Granarolo SpA) alors qu’en droit interne elle est de nature délictuelle (délit civil). Sont également contractuelles une contestation relative à l’existence même du contrat (CJCE 4 mars 1982, Effer c. Kantner), une action tendant à l’annulation d’un contrat et en restitution des sommes versées en exécution de celui-ci (CJUE 20 avril 2016, Profit Investment) ou encore une action en paiement des charges de copropriété décidées par l’assemblée générale des copropriétaires (CJUE 8 mai 2019, Kerr).
§4. Les compétences protectrices des parties faibles
Il existe des règles de compétence dont le but est de protéger des parties faibles. Aux termes du considérant 18 « s’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales ». Concrètement, des règles spéciales sont établies pour protéger le preneur d’assurance (art.10 à 16), le consommateur (art.17 à 19) et le travailleur (art.20 à 23).
A. Les parties faibles
1) Le consommateur
L’art.17 Bruxelles I bis dispose qu’« en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5 :
a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;
b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; ou
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.
2. Lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre.
3. La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement.
L’article, qui ne définit pas la notion de consommateur, est donc sujet à interprétation. Il est donc revenu à la jurisprudence de la CJUE de considérer que la notion de consommateur est autonome en ce sens qu’elle est interprétée sans considération des droits nationaux.
a) la notion extensive de consommateur (à propos de Facebook...)
CJUE 25 janvier 2018, Maximilien Schrems contre Facebook Ireland Limited : se prévalant de sa qualité de consommateur, un étudiant autrichien intente une action contre Facebook Irlande à son domicile en Autriche en raison de l’absence de transparence dans l’utilisation des données avant l’adoption du RGPD. Facebook conteste la compétence des juridictions de l’UE. Or le demandeur fait des conférences et écrit des livres sur la protection des données et vit de cette activité.
La Cour dit pour droit qu’« un utilisateur d’un compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces droits en justice ». Toutefois, elle ajoute que ne relève pas du champ d’application de l’art.17 du Règlement Bruxelles I bis « l’action d’un consommateur visant à faire valoir, devant le tribunal du lieu où il est domicilié, non seulement ses propres droits, mais également des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers ». Concrètement, la juridiction du for du consommateur ne peut être compétente qu’à l’égard du contrat conclu par ce consommateur avec le professionnel. Elle ne peut l’être à l’égard de l’action du consommateur visant à faire valoir des droits cédés par d’autres consommateurs domiciliés dans le même État membre, dans d’autres États membres ou dans des États tiers. Il en résulte que le for du consommateur est personnel.
Que signifie l’expression « le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle » ? Pour la CJUE, la notion de « consommateur » se définit par opposition à celle d’« opérateur économique » : elle est indépendante des connaissances et des informations dont la personne concernée dispose réellement.
La CJUE retient une conception objective du consommateur, le seul critère à retenir est celui de l’objectif recherché dans la transaction : si l’opération est faite « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle dans le but d’assurer une protection maximale des consommateurs », alors elle relève du champ d’application de l’article 17 du règlement Bruxelles I bis.
b) la notion de « activité́ dirigée vers un État membre » à l’ère d’internet
L’expression d’« activité dirigée vers un État membre » a été insérée dans le règlement Bruxelles I bis pour viser les contrats du commerce électronique en raison du caractère ubiquitaire des sites Internet.
CJUE 7 décembre 2010, Pammer et Alpenhof : lorsque le contrat est conclu sur Internet, la Cour dit pour droit qu’ « afin de déterminer si un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site Internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme «dirigeant» son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d’un contrat avec le consommateur, il ressort de ces sites Internet et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec eux». La Cour propose de se focaliser sur des indices telle la langue du site, la monnaie, le nom du domaine (.fr ou .de) que le juge national doit vérifier.
En revanche, « la simple accessibilité du site Internet du commerçant ou de celui de l’intermédiaire dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante ».
CJUE, 6 septembre 2012, Daniel Mühllheiter : pour que l’article 17 §1 du règlement Bruxelles I bis trouve à s’appliquer, il n’est pas nécessaire que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance. Un professionnel est réputé avoir dirigé son activité vers un État membre dès lors qu’il avait un site Internet consultable en allemand et s’adressant à un public qui n’y réside pas nécessairement.
CJUE, 17 octobre 2013, Lokman Emrek : l’art.17 § 1 du règlement Bruxelles I bis « n’exige pas l’existence d’un lien de causalité entre le moyen employé pour diriger l’activité commerciale ou professionnelle vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir un site Internet, et la conclusion du contrat avec ce consommateur. Toutefois, l’existence d’un tel lien de causalité constitue un indice de rattachement du contrat à une telle activité ». Concrètement, le consommateur ne doit pas nécessairement avoir été contacté via le site Internet du professionnel dès lors qu’on peut supposer qu’il s’adresse à l’État du consommateur. La seule utilisation par un professionnel d’un site suffit à caractériser la notion d’«activité dirigée vers » quand bien même le consommateur aurait eu connaissance de son activité par un autre canal.
2) Le travailleur
Le règlement Bruxelles I bis ne définit pas le travailleur ni le contrat de travail. Il est donc revenu à la CJUE de s’y employer en considérant qu’il s’agit d’une notion autonome.
CJCE 15 janvier 1985, Shenavaï : la Cour dit pour droit que « les contrats de travail présentent certaines particularités en ce qu’ils créent un lien durable qui insère le travailleur dans le cadre d’une certaine organisation des affaires de l’entreprise ou de l’employeur et en ce qu’ils se localisent au lieu de l’exercice des activités, lequel détermine l’application de dispositions de droit impératif et de conventions collectives. »
B. Caractéristiques et mise en œuvre des règles de compétence protectrices
1) Asymétrie de fors en faveur de la partie faible
Lorsque le demandeur est une partie faible, il a un choix supplémentaire de juridiction à sa disposition que n’a pas la partie « forte ». La juridiction compétente peut être celle du lieu du domicile du défendeur ou la juridiction du domicile du demandeur. Lorsque la partie forte est demanderesse, elle n’a pas le choix de la juridiction. Pour le travailleur, il a le choix entre le lieu du domicile de l’employeur ou le lieu où il accomplit son travail.
2) Présomption de domicile dans un État membre du défendeur assigné par une partie faible
On présume que le défendeur assigné par une partie faible a son domicile dans un État membre de l’UE du moins si le professionnel y possède une succursale, agence ou tout autre établissement.
3) Applicabilité́ du Rég. B I bis en l’absence de domicile sur le territoire d’un État membre du cocontractant du consommateur et du travailleur
On admet l’applicabilité du règlement en l’absence de domicile sur le territoire d’un État membre du professionnel (seulement pour le consommateur et le travailleur). En conséquence, un consommateur domicilié en France qui achète sur un site exploité par une société américaine peut saisir la juridiction française alors même que la société serait domiciliée hors de l’UE, en l’occurrence aux États-Unis.
4) L’effet limité des clauses attributives de juridiction lorsqu’opposées aux parties faibles
Dans un contrat déséquilibré, les CAJ ne sont pas interdites mais seulement limitées. Ces clauses ne peuvent être stipulées que postérieurement au litige. Par exception, elles peuvent être stipulées antérieurement au litige si elles permettent à la partie faible de saisir d’autres juridictions que celles qui sont déjà à sa disposition.
§5. Les compétences exclusives : article 24 Règlement Bruxelles I bis
A. Énoncé et justification des compétences exclusives
Art.24 du règlement Bruxelles I bis : « Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :
2) en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales, ou de validité des décisions de leurs organes, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel celles-ci ont leur siège. Pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé ;
3) en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus ;
4) en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale.
Sans préjudice de la compétence reconnue à l’Office européen des brevets par la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État membre ;
5) en matière d’exécution des décisions, les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution.
La compétence est attribuée sans considération de domicile des parties. Ces critères peuvent valoir même si le défendeur n’a pas son domicile sur le territoire d’un État membre. Pour toute contestation sur la création d’une société ou par un actionnaire de la décision d’une société, seules les juridictions du siège de cette société sont compétentes.
Pour certaines matières, il ne peut y avoir qu’une seule juridiction compétente. On assure l’exclusivité de la compétence à une juridiction. On le fait pour les matières ayant un lien soit avec le territoire ou l’organisation via ses administrations de l’État. En somme, il y a un intérêt étatique fondamental pour l’État de réserver cette compétence à ses propres tribunaux. Ces règles de compétence exclusive produisent des effets négatifs et positifs. S’agissant de l’effet positif, elles allouent une compétence à une juridiction. L’effet négatif se décline selon qu’il s’agisse de la compétence directe ou de la compétence indirecte. S’agissant de la compétente directe, ces règles évincent la compétence des autres juges qui sont tenus de relever d’office leur incompétence. S’agissant de la compétence indirecte, ces règles emportent le refus de la reconnaissance et de l’exécution d’une décision rendue par un juge incompétent dans cette matière.
La CJUE affirme que ces critères de compétence exclusive sont d’interprétation stricte dans la mesure où ils dérogent à la règle de principe qui établit le for du défendeur comme généralement compétent.
B. Mise en œuvre de la compétence exclusive en matière réelle immobilière
L’art.24 du règlement Bruxelles I bis dispose que « Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.
Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétentes les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre ;
Sans surprise, la Cour considère que la notion de « droit réel immobiliers et de baux d’immeubles » est autonome et d’interprétation stricte.
CJUE, 17 décembre 2015, Komu : « la compétence exclusive des tribunaux de l’État contractant où l’immeuble est situé englobe non pas l’ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles d’entre elles qui, tout à la fois, entrent dans le champ d’application de ladite convention ou respectivement dudit règlement et sont au nombre de celles qui tendent, d’une part, à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre ».
L’action en annulation d’un acte de donation d’un immeuble pour incapacité du donateur relève-t-elle de la compétence exclusive de la juridiction de l’EM où l’immeuble est situé ? La réponse est négative car le motif de la demande de la nullité tient à la capacité. Or, le règlement Bruxelles I bis ne s’applique pas aux litiges se rapportant à l’état des personnes.
CJUE, 16 novembre 2016, Wolfgang Schmidt, Aff. C-417/15 : la Cour dit pour droit qu’une « action en annulation d’un acte de donation d’un immeuble pour incapacité de contracter du donateur relève non pas de la compétence exclusive de la juridiction de l’État membre où l’immeuble est situé, prévue à l’article 24, point 1, de ce règlement, mais de la compétence spéciale prévue à l’article 7, point 1, sous a), dudit règlement. » En revanche, « une action en radiation du registre foncier des mentions relatives au droit de propriété du donataire relève de la compétence exclusive prévue à l’art.24 du règlement Bruxelles I bis. » Concrètement, si la demande principale rentre dans le champ d’application du règlement (action en annulation d’un contrat), les juridictions que celui-ci désigne sont compétents pour trancher une question préalable exclue de ce domaine (par exemple la capacité de l’une des parties).
§6. Les compétences dérivées (art.8 Règlement Bruxelles I bis)
A. Art. 8 du règlement Bruxelles I bis (for du codéfendeur)
Pour éviter de disséminer des litiges connexes devant plusieurs juridictions, on permet au demandeur d’assigner les codéfendeurs au domicile de l’un deux à condition qu’ils soient domiciliés sur le territoire d’un État membre.
L’art.8 du règlement Bruxelles I bis dispose qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;
2) s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente ;
3) s’il s’agit d’une demande reconventionnelle qui dérive du contrat ou du fait sur lequel est fondée la demande originaire, devant la juridiction saisie de celle-ci ;
4) en matière contractuelle, si l’action peut être jointe à une action en matière de droits réels immobiliers dirigée contre le même défendeur, devant la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé.
B. Mise en œuvre de l’art. 8 (1) Règ. B. I bis (for du codéfendeur)
L’idée est de concentrer les demandes devant un juge et éviter une pluralité de saisines de juges différents qui pourraient aboutir des décisions inconciliables. La CJUE dit pour droit que la compétence édictée à l’art.8§1est d’interprétation stricte. Il faut que tous les défendeurs soient domiciliés sur le territoire d’un EM. Enfin, la compétence dérivée ne peut déroger ni à une règle de compétence exclusive (art.24), ni à une clause d’élection de for (art.26), ni aux règles protectrices (consommateur, travailleur, preneur d’assurance).
Selon la CJUE, pour être autorisé à attraire plusieurs défendeurs devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, il faut démonter un lien de connexité entre les demandes dirigées contre ces derniers. Saisie à titre préjudiciel, la CJUE dit pour droit que le lien de connexité s’entend d’« une même situation de fait et de droit ».
CJUE, 11 octobre 2007, Freeport : le lien de connexité est caractérisé même lorsque des demandes dirigées contre plusieurs défendeurs ont des fondements juridiques différents.
CJUE, 1er décembre 2011, Eva-Maria Painer : en l’espèce, une personne avait vu ses photos publiées sur un site Internet sans son consentement. Elle a assigné un défendeur allemand et un défendeur autrichien et cela déclenchait le jeu de règles différentes. La CJUE considère que le lien de connexité est caractérisé même si des demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs, en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques, reposent sur des bases juridiques nationales qui diffèrent selon les États membres. Concrètement, les actions peuvent être fondées sur des droits différents, même si l’intérêt du demandeur est différent à l’égard de chaque codéfendeur.
§7. La compétence dérogatoire en matière de mesures provisoires et conservatoires (Art.35 Règlement Bruxelles I bis)
A. Art. 35 du règlement Bruxelles I bis
L’art.35 du règlement Bruxelles I bis dispose que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond. » Concrètement, lorsqu’une demande formée en justice ne concerne que des mesures provisoires ou conservatoires, on pourra s’adresser au juge dont le droit autorise l’octroi de la mesure même si ses juridictions ne seraient pas compétentes pour connaitre du fond. Cette règle de compétence dérogatoire vise à éviter au demandeur de subir un préjudice qui résulterait de la longueur des délais inhérente à toute procédure au fond.
Les mesures provisoires ou conservatoires sont une notion autonome. La CJUE définit les mesures provisoires ou conservatoires comme des « mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement Bruxelles I bis, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée aux juges du fond ».
B. Mise en œuvre de la compétence prévue à l’art.35 du règlement Bruxelles I bis
La règle édictée à l’art.35 du Règlement Bruxelles I bis est d’interprétation stricte pour éviter de contourner les règles de compétence par ailleurs énoncées. Cette règle peut jouer même si une procédure a déjà été engagée ou va l’être.
CJCE, 17 novembre 1998, Van Uden : la CJUE précise que la juridiction d’un EM est compétente seulement si son droit lui permet de prononcer lesdites mesures ET s’il existe « un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de la juridiction saisie ». Elle ajoute comme condition à la mise en œuvre de cet article « un lien nécessaire entre le juge saisi de ces mesures et le territoire de ce juge. »
TITRE III : PROBLÈMES PARTICULIERS SOULEVÉS PAR LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE
CHAPITRE I : LES PROCÉDURES PARALLÈLES
Cela résulte notamment des règles de compétence du règlement. Par exemple, en matière de divorce, le règlement Bruxelles II bis prévoit beaucoup de critères de compétence. Lorsque plusieurs tribunaux sont possiblement compétents et qu’il y a une tension entre les époux, il y a donc deux juges saisis du même litige. Même constat avec Bruxelles I bis avec les compétences optionnelles qui s’ajoutent au for du défendeur. Mais ces règlements prévoient les solutions en cas de procédures parallèles. Ces situations peuvent exister quelles que soient les règles de compétence utilisées, même françaises.
SECTION I : La litispendance
C’est surtout lorsque le règlement Bruxelles II bis est inapplicable et qu’il existe une litispendance.
§1. La litispendance en droit international privé commun
A.La transposition de l’art.100 CPC
L’art.100 du CPC dispose que « si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d'office ». Concrètement, le juge second saisi est obligé de se dessaisir au profit du juge premier saisi si le défendeur le demande. Il peut se dessaisir d’office si aucune des parties ne le lui demande.
B. Illustrations
L’art.100 CPC est transposable à un litige international. 1re Civ., 26 novembre, 1974, Miniera di Fragne : la Cour de cassation considère que « l’exception de litispendance peut être reçue devant le juge français, en vertu du droit commun français (art.100 CPC), en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent, mais ne saurait être accueillie, lorsque la décision à intervenir à l'étranger n'est pas susceptible d'être reconnue en France ».
Concrètement, lorsqu’il s’agit d’un litige international et que le juge français est le second saisi, il peut accepter l’exception internationale de litispendance mais doit raisonner en deux étapes. D’une part, le juge français doit s’assurer de la recevabilité de l’exception de litispendance. En effet, le juge français ne peut déclarer l’exception de litispendance recevable que dans la mesure où un juge étranger est également compétent (règle de compétence indirecte). D’autre part, il doit faire un pronostic de recevabilité du jugement étranger qui sera rendu. Il ne peut admettre l’exception de litispendance que si la décision à rendre est susceptible d’être reconnue en France.
§2. La litispendance lorsqu’est applicable un instrument du droit de l’UE
A. Le principe
1) Les dispositions sur la litispendance des instruments de l’UE
La litispendance est une règle de priorité (prior tempore) prévue à l’art.29 du règlement Bruxelles I bis qui dispose que « sans préjudice de l’article 31, paragraphe 2, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
2. Dans les cas visés au paragraphe 1, à la demande d’une juridiction saisie du litige, toute autre juridiction saisie informe sans tarder la première juridiction de la date à laquelle elle a été saisie conformément à l’article 32.
3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.
2) Le critère de la triple identité d’objet, de cause et de parties
La CJUE retient une interprétation autonome de l’article 29 mais plutôt extensive pour être sûre de pouvoir retenir facilement une situation de litispendance.
CJCE, 6 décembre 1994, The Ship « Tatry » : la Cour dit pour droit qu’« une demande qui tend à faire juger que le défendeur est responsable d' un préjudice et à le faire condamner à verser des dommages-intérêts a la même cause et le même objet qu' une demande antérieure de ce défendeur tendant à faire juger qu'il n'est pas responsable dudit préjudice. » Concrètement, pour que le juge saisi en second lieu sursoit à statuer, il faut une triple identité entre les parties, l’objet et la cause du litige.
D’abord, l’identité de parties signifie que les parties devant la juridiction première saisie doivent être les mêmes devant la juridiction seconde saisie. S’il y a plusieurs parties devant une des deux juridictions, l’exception peut être invoquée à l’égard des parties qui se trouvent devant les deux juridictions.
Ensuite, l’identité d’objet signifie que l’objet de la demande doit tendre vers le même objectif. Si un juge A est saisi d’une demande d’exécution du contrat et un juge B est saisi d’une demande en résolution du même contrat, on considère qu’il y a identité d’objet parce que le but poursuivi est l’efficacité du contrat.
Enfin, l’identité de cause est exigée. La cause est définie par la CJUE comme « les faits et la règle juridique invoqués comme fondement de la demande ».
Si la triple identité est caractérisée, la juridiction première saisie devra surseoir à statuer.
3) Le mécanisme de la litispendance
La litispendance est l’hypothèse dans laquelle deux juridictions d’un État membre également compétentes sont saisies sur le fondement des critères de compétence prévus par le règlement Bruxelles I bis. Dans ce cas, la seconde juridiction saisie doit surseoir à statuer « jusqu’à ce que la compétence de la première juridiction soit établie ». Si la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction seconde saisie pourra alors se dessaisir.
B. Les exceptions au principe dans le règlement Bruxelles I bis
1) En cas de compétence exclusive
L’art.20 du règlement Bruxelles I bis dispose qu’« en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5), et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1).
2. Lorsqu’un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n’est pas domicilié dans un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l’employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre. »
2) En présence d’une clause attributive de juridiction
Auparavant, si les parties ont stipulé une clause attributive de juridiction et qu’une partie décide néanmoins de saisir un autre juge que celui élu, la règle de litispendance s’applique. Le juge second saisi, désigné par la clause, doit surseoir à statuer. Cela donnait lieu à des saisines dilatoires notamment en Italie où la justice a la mauvaise réputation d’être lente.
Désormais, en cas de clause attributive de juridiction, la priorité est donnée au tribunal élu même si c’est le second saisi.
C. Lorsque la juridiction première saisie est celle d’un État tiers à l’UE
S’agissant de la litispendance impliquant la juridiction d’un États tiers, l’article 33 du règlement Bruxelles I bis prévoit une simple faculté pour la juridiction de l’État membre saisie en second lieu d’un litige dans lequel existe une triple identité de parties, d’objet et de cause de surseoir à statuer au profit de la juridiction de l’État tiers lorsqu’existe dans le litige deux hypothèses. D’une part, la juridiction de l’État membre s’attend à ce que la juridiction de l’État tiers rende une décision susceptible d’être reconnue et, le cas échéant, d’être exécutée dans ledit État membre et, d’autre part, la juridiction de l’État membre est convaincue que le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice.
Néanmoins, si la procédure devant la juridiction de l’État tiers est conclue et a donné lieu à une décision qui est susceptible d’être reconnue et, le cas échéant, d’être exécutée dans ledit État membre, alors la juridiction de l’État membre n’a plus une simple faculté mais une obligation de mettre fin à l’instance. Il ne s’agit donc pas de dessaisissement à proprement parler dans la mesure où la juridiction étrangère poursuivait l’instruction de la demande et a réglé le litige.
SECTION II : La connexité
§1. La connexité en droit international privé commun
L’art.101 CPC dispose que « s'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction. »
Concrètement, lorsque deux juridictions sont saisies de demandes qui sont liées par un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, la juridiction seconde saisie peut admettre l’exception de connexité et refuser de trancher le litige.
§2. La connexité lorsqu’est applicable un instrument du droit de l’UE
L’art.30 Règlement Bruxelles I bis dispose que « lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.
2. Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.
3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Il s’agit d’une faculté de décliner sa compétence non pas d’une obligation comme c’est le cas avec la litispendance. Par ailleurs, la condition de triple identité n’est plus exigée. Il suffit de caractériser un lien de connexité entre les demandes pour permettre au juge second saisi de surseoir à statuer.
En droit anglais, on peut interdire à une partie d’exercer une action devant un autre juge. On parle d’injonctions anti-poursuites (anti-suits injunctions). Cette injonction ne peut pas être brandie dans l’UE.
CHAPITRE II : L’ÉTAT DÉFENDEUR : LA QUESTION DES IMMUNITÉS
L’État n’est pas un défendeur comme les autres, d’où la question des immunités de l’État. Lorsqu’une personne physique ou morale assigne un État devant les juridictions d’un autre État, cela peut poser une difficulté parce que l’État est souverain. En tant que tel, il est difficilement admissible qu’il puisse être jugé par les juges d’un autre État souverain.
S’agissant du justiciable, il a le droit d’accéder à la justice. L’État qui se soustrait à la justice heurterait le droit fondamental d’accès à la justice reconnu à tous.
1er Civ., 1er juillet 2020 ICE n°18-24.643 : « Le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation de ce droit d'accès, découlant de l'immunité des États étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en la matière. »
Dès lors qu’une immunité est reconnue par le droit international, il ne saurait en résulter un obstacle au droit d’accès à la justice. Le juge doit opérer un contrôle de proportionnalité entre le droit de l’État et le droit du justiciable.
1re Civ.,3 mars 2021, Sorbonne Abu Dhabi : « Le droit d'accès au juge, garanti par l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction dont bénéficie un État étranger dès lors que la partie demanderesse ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions de l'État défendeur et que le manque d'indépendance et d'impartialité de ces dernières ne peut être présumé a priori. » Le droit d’accès au juge n’était pas atteint par une immunité étatique dès lors que le demandeur ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions des États défendeurs. Le manque d’indépendance et d’impartialité doit être prouvé.
Les immunités sont issues de conventions internationales. Par exemple, la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens du 2 décembre 2004. Elle n’a pas de portée normative dans la mesure où elle ne recueille pas le nombre suffisant de signatures pour sa mise en vigueur. La France ne la ratifie qu’en 2011. Cette convention est considérée comme reflétant l’état de la coutume internationale. Or, la coutume internationale est une des sources du droit international public. Ainsi quand la Cour de cassation doit statuer sur des questions qui intéressent l’immunité, elle applique la coutume internationale telle que reflétée dans la Convention de 2004. Cela dit, d’autres États ont adopté des lois sur les immunités de l’État, essentiellement les États de Common Law. C’est le cas des États-Unis notamment avec le Foreign Sovereign Immunity Act (FSIA) ou encore le Royaume-Uni ou l’Australie. Mais en France, il existe seulement certaines dispositions éparses sur le droit des immunités mais pas de loi générale.
SECTION I : L’immunité de juridiction
§1. L’octroi de l’immunité de juridiction
Dans quelles circonstances un État étranger peut se prévaloir de l’immunité de juridiction ? Le juge saisi du litige est celui qui déterminera si l’État défendeur bénéfice ou non d’une immunité de juridiction en appliquant son propre droit ou la coutume internationale. Le droit de l’État défendeur n’est pas en question. À qui profite cette immunité et à qui peut-elle être octroyée ? Le critère personnel de l’immunité profite aux États. Mais dans l’hypothèse d’un État fédéral, un État fédéré peut-il également en bénéficier ?
La réponse est négative puisque seuls les États ayant la personnalité juridique internationale peuvent bénéficier de l’immunité de juridiction. Sont donc exclus les États fédérés d’un État fédéral et les régions d’un État unitaire. Les organisations internationales peuvent bénéficier de l’immunité de juridiction à condition que leur traité fondateur le prévoit.
S’agissant du critère fonctionnel, son application implique de distinguer les actes de jure imperii (actes accomplis dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique) et les actes de jure gestionis (actes de gestion de l’État).
Par exemple, application du critère fonctionnel en droit du travail : un économiste travaillant à Paris pour l’Institut italien réclame le paiement de diverses indemnités à l’État italien : « les fonctions du salarié ne lui conféraient pas une responsabilité particulière dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, de sorte que les actes litigieux relatifs aux conditions de travail et à l'exécution du contrat constituaient des actes de gestion excluant l'application du principe d'immunité de juridiction ».
1re Civ., 3 mars 2021, Sorbonne Abu Dhabi : « la mission d'intermédiation et d'influence confiée à M. S..., en ce qu'elle visait à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international, participait par sa finalité à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a exactement déduit que le ministère des affaires présidentielles, qui avait agi dans l'exercice de la souveraineté de l'[...], était fondé à opposer son immunité »
Ch. mixte 20 juin 2003, École saoudienne de Paris : une personne reproche à l’État saoudien de ne l’avoir pas affiliée à un régime de protection sociale. Au regard du poste non important du salarié, il a été considéré comme un acte de gestion lui permettant d’assigner l’État saoudien.
Pour se prévaloir de l’immunité de juridiction en France, l’État défendeur invoque une fin de non-recevoir. En procédure civile, il existe trois moyens de défense : la défense au fond (contestation du bien-fondé de la demande), la prescription, la fin de non-recevoir. La fin de non-recevoir paralyse le droit d’agir du demandeur. Elle peut être invoquée à tout moment et non seulement in limine litis. De plus, elle peut être soulevée d’office car elle est d’ordre public.
§2. La renonciation à l’immunité de juridiction
La renonciation à l’immunité est admise en droit international. Puisqu’elle sert à protéger l’État, il peut y renoncer. Mais cette renonciation, selon la jurisprudence française, conformément à l’art 7 de la Convention des N-U de 2004, doit être certaine, expresse et non équivoque. Lorsque l’État conclut un contrat avec une personne privée prévoyant une clause d’élection de for, il renonce à son immunité de juridiction. De même, l’État qui stipule une clause compromissoire (désignation d’un tribunal arbitral) renonce à son immunité de juridiction dont il ne pourra plus se prévaloir devant les juridictions.
SECTION II : L’immunité d’exécution
Peut-on saisir les biens d’un État en guise d’exécution d’une décision de justice ? L’immunité d’exécution sert à garantir qu’un État A ne puisse pas priver un État B des biens dont il a besoin pour l’exercice de sa mission de service public en tant que souverain.
Par principe, les biens de l’État ne peuvent pas être saisis car cela porterait une atteinte plus grave pour l’État. Mais il existe des exceptions puisque tous les biens ne servent pas à l’exercice de la mission publique de l’État. Selon l’art. 9 de la Convention des N-U de 2004, l’État peut renoncer à l’immunité sur ses biens mais en droit français, cette renonciation doit être expresse et spéciale. La loi Sapin II contient des dispositions sur l’immunité d’exécution.
En droit français, on trouve des dispositions éparses notamment l’art.153-1 du code monétaire et financier aux termes duquel « ne peuvent être saisis les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'État ou des États étrangers dont elles relèvent.
Par exception aux dispositions du premier alinéa, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut solliciter du juge de l'exécution l'autorisation de poursuivre l'exécution forcée dans les conditions prévues par la partie législative du code des procédures civiles d'exécution s'il établit que les biens détenus ou gérés pour son propre compte par la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère font partie d'un patrimoine qu'elle affecte à une activité principale relevant du droit privé. »
Les comptes détenus par les banques centrales bénéficient de l’immunité d’exécution.
La loi Sapin II introduit de nouvelles dispositions dans le Code des procédures civiles d’exécution. Art. L. 111-1 CPCE : « Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard.
Tout créancier peut pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits.
L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution (innovation de la loi SAPIN II du 9 décembre 2016). »
Art. L. 111-1- CPCE : « Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un État étranger que sur autorisation préalable du juge par ordonnance rendue sur requête ». Lorsque l’État est débiteur, le créancier saisit le juge pour obtenir l’autorisation de procéder aux mesures d’exécution forcée.
La saisie de biens appartenant à État étranger est possible s’il existe une autorisation préalable du juge par ordonnance rendu sur requête sans contradictoire.
L’autorisation des juges est soumise à l’une des conditions suivantes :
-
L’État concerné a expressément consenti à l’application d’une telle mesure
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L’État a affecté le bien à la satisfaction de la demande
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Le bien dont la saisie est demandée est utilisé autrement qu’à des fins de service public non commerciales
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Le bien doit avoir un lien avec la procédure intentée.
PARTIE II : LE DROIT APPLICABLE
INTRODUCTION AU DROIT APPLICABLE
§1. Les enjeux de la détermination du droit applicable
Affaire Winkworth v Christie : qui a le droit de propriété sur Netsuke ? En l’espèce, une statuette est volée à Londres et a été acquise de bonne foi en Italie. L’acheteur souhaite la revendre aux enchères à Londres. Or, le propriétaire involontairement dépossédé reconnait son objet dans le catalogue et saisit le juge anglais pour qu’il s’oppose à la vente. Se pose la question de savoir qui est le propriétaire légitime de la statuette. Le juge devait déterminer le droit applicable et en l’occurrence le droit applicable à la propriété.
Si la loi anglaise est applicable en tant que loi d’origine du bien, l’acquéreur de bonne foi n’a aucun droit sur l’objet en vertu du principe nemo dat quod non habet (nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en possède). En revanche, si le juge anglais applique la loi italienne, en tant que loi de situation du bien (lex rei sitae) au moment de l’acquisition, l’acquéreur de bonne foi est alors le propriétaire dès lors que la possession entraine la propriété d’un meuble corporel comme c’est le cas en droit français. En l’espèce, le juge a choisi d’appliquer la loi italienne.
Autre exemple, un chauffeur routier de nationalité française est domicilié en France. Il est embauché par une société située au Luxembourg et fait des livraisons au Danemark, en Allemagne et en Espagne. Licencié par son employeur, il saisit le conseil de prud’hommes en France pour contester son licenciement. S’il est compétent, quelle loi le juge français doit-il appliquer ? Le droit à indemnité est plus important en droit français qu’en droit luxembourgeois. Selon le droit applicable, les conséquences juridiques seront différentes pour le requérant.
§2. Les termes du problème
La question de la détermination de la loi applicable ne se pose que dans une situation internationale mettant des lois en concurrence qui ne peuvent s’appliquer cumulativement.
A. Une situation internationale
Dans quel cadre cette problématique se pose ? Il faut caractériser une situation internationale pour déclencher le jeu des règles du droit international. Or, il existe plusieurs définitions de l’internationalité. Classiquement, on définit l’internationalité comme une situation dans laquelle existe un élément d’extranéité dans le rapport juridique.
Mais certains auteurs considèrent qu’il faut distinguer deux situations. D’une part, une situation objectivement internationale dans laquelle l’internationalité est constatée quel que soit le point de vue duquel on se place. D’autre part, une situation subjectivement internationale appréciable selon un seul point de vue. Elle peut être interne pour un juge et internationale pour un autre.
En principe, on considère que la question du droit applicable ne se pose que lorsque la situation est objectivement internationale.
Par ailleurs, il existe des conflits de lois même sans internationalité notamment les conflits interpersonnels et interterritoriaux. Par exemple, au Liban, le droit applicable à une personne peut différer selon l’appartenance religieuse. On parle de conflits interpersonnels. Il en est de même pour les États fédéraux. Au EU, il n’y a pas un droit commun des contrats car chaque État fédéré a sa législation en matière contractuelle. On parle de conflits interterritoriaux. Le juge américain se pose les mêmes questions que le juge français confronté à un élément d’extranéité.
B. Mettant des lois en concurrence
Il faut être en présence d’une concurrence de lois. C’est la situation où plusieurs droits ont vocation à s’appliquer et qui sont en concurrence sans que l’on constate une volonté du législateur à voir appliquer sa loi (loi de police). Il faut distinguer le vrai du faux conflit. Pour certains auteurs surtout Nord-Américains, il n’existe de conflit de lois que lorsque les règles matérielles de ces lois se contredisent ou s’opposent. En cas de faux conflit, les droits en concurrence conduisent tous à la même solution, d’où l’absence de s’intéresser à cette situation.
Cette théorie a eu beaucoup d’adeptes aux États-Unis mais elle a tout de même un inconvénient important qui est que pour conclure à l’absence d’un vrai conflit de loi, le juge doit regarder le contenu de chaque loi en concurrence avant de décider s’il convient de trancher ou non ce conflit de lois. Cette théorie n’est pas appliquée par les juges de l’UE y compris les juges français.
C. Qui ne peuvent s’appliquer cumulativement
Ces lois qui sont mises en concurrence ne peuvent pas être appliquées cumulativement de sorte que le juge saisi d’un litige international doit toujours choisir la loi applicable. La méthode du choix se résume en 3 options principales.
§3. Les trois options fondamentales
A. Ignorer l’internationalité de la situation (lex forisme)
Le lex forisme se définit comme la tendance du juge saisi à vouloir appliquer son propre droit.
B. Soumettre la situation internationale à une loi nationale
Dans ce cas, il faut faire un choix entre les différents droits en concurrence en recourant à la méthode « indirecte » par une règle de conflit de lois en ce sens qu’il faut déterminer la loi applicable avant de donner une solution concrète au litige. Ainsi, le juge français pourra être amené à appliquer une loi étrangère.
C. Proposer des règles matérielles propres aux relations internationales
On parle de méthode « directe » car on ne passe plus par l’intermédiation du droit applicable mais on se contente d’appliquer une règle matérielle de droit international privé permettant de donner directement une solution au litige.
Par exemple, l’art.L.1231-5 c.travail dispose que « lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
On trouve les règles relatives au droit applicable dans 3 types de sources :
D’abord, dans les conventions internationales qui harmonisent les règles matérielles (Convention de Vienne de 1980 relative à la vente internationale de marchandises) ou qui harmonisent les règles de conflit de lois (Conventions de La Haye).
Ensuite, dans le droit de l’UE avec notamment les différents règlements qui portent sur la question du droit applicable (la Convention de Rome puis le Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles, le règlement Rome III sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps).
Enfin dans le droit national aux articles 3 et 202-1 c.civ. Selon l’art.3 du code civil, qui est l’article le plus important en matière de détermination du droit applicable, « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »
De plus, l’art.202-1 du code civil dispose que « les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180. Deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
TITRE I : LA DESIGNATION DU DROIT APPLICABLE
CHAPITRE I : LA MÉTHODE TRADITIONNELLE DE DÉSIGNATION DU DROIT APPLICABLE : LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS (RCL) BILATÉRALE
SECTION I : La structure de la règle de conflit de lois bilatérale
La règle de conflit de lois a une structure particulière. On y trouve une catégorie à laquelle on rattache un facteur de rattachement (élément localisateur).
L’art.202-1 c.civ dispose que « les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180. » Ici la catégorie, ce sont les qualités et conditions requises pour pouvoir valablement contracter mariage (conditions de fond) et le facteur de rattachement est la loi personnelle (loi de la nationalité de l’époux ou de l’épouse).
Deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
Se pose devant le juge français la question de la validité du mariage entre un époux allemand et son épouse indienne résidants en France. L’épouse était-elle majeure au moment de la célébration ?
Pour apprécier la validité au fond du mariage, on applique distributivement les lois nationales (personnelles) de chacun des époux. L’article met œuvre une méthode indirecte. En l’espèce, il faut appliquer la loi indienne s’agissant de la détermination de la majorité de l’épouse indienne et la loi allemande pour savoir si l’époux allemand pouvait valablement contracter mariage.
En cas de bigamie, on applique cumulativement les lois des deux époux pour apprécier les conditions de validité au fond du mariage. Les qualités et conditions requises concernent essentiellement l’âge et la capacité. Pour que le mariage soit valable au fond, le consentement exprimé par les époux doit être libre et non erroné. L’article pose une règle matérielle et met en œuvre une méthode directe.
L’art.202-2 du code civil (conditions de forme) dispose que « le mariage est valablement célébré s'il l'a été conformément aux formalités prévues par la loi de l'État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ». On applique la loi du lieu de célébration du mariage. Pour un mariage célébré au Nevada, on applique la loi de l’État du Nevada.
Le facteur de rattachement peut évoluer entre le moment où la situation est créée et le moment où elle devient litigieuse. S’agissant de la condition relative au sexe des époux permettant d’apprécier la validité au fond du mariage, on applique la loi nationale d’un des époux ou la loi de l’État du domicile ou de résidence d’un des époux. L’application de la règle de conflit de lois est alternative.
Un homme de nationalité française peut-il se marier avec un homme de nationalité marocaine, le couple résidant en France ? La réponse est positive.
1re Civ., 28 janvier 2015 n°13-50.059 : un Français et un Marocain se marient en France mais un recours en nullité du mariage a été introduit sur le fondement de la Convention franco-marocaine. La Cour de cassation retient que « selon l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage telles que les empêchements, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux États dont il a la nationalité, son article 4 précise que la loi de l'un des deux États désignés par la Convention peut être écartée par les juridictions de l'autre État si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public ; que tel est le cas de la loi marocaine compétente qui s'oppose au mariage de personnes de même sexe dès lors que, pour au moins l'une d'elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet »
§1. Une catégorie
Il existe plusieurs grandes catégories de règles de conflit de lois. Elles peuvent concerner le statut personnel (capacité, filiation, mariage) ; le statut contractuel (contrat), le statut réel, le statut délictuel (obligations civiles et délictuelles), les rapports patrimoniaux familiaux (régimes patrimoniaux et successions) ou encore la procédure. Toutes ces catégories peuvent être reliées à des facteurs de rattachement.
§2. Un facteur de rattachement
A. Les principaux facteurs de rattachement
Le facteur de rattachement permet de situer le siège du rapport de droit. Ce facteur peut être un facteur physique (domicile) mais pas nécessairement. Il peut concerner une localisation intellectuelle ou juridique i.e. un élément détaché de toute matérialité (nationalité). Parmi ces facteurs, on peut citer la nationalité, le domicile (notion juridique), la résidence habituelle (notion factuelle), le lieu du dommage, le lieu de situation du meuble ou de l’immeuble (statut réel), ou la volonté des parties (facteur éminemment immatériel).
Les facteurs de rattachement peuvent varier en fonction du statut applicable. Pour le statut personnel et souvent pour les rapports patrimoniaux et familiaux, le facteur de rattachement le plus utilisé est la nationalité mais aussi le domicile, la résidence habituelle, la volonté des parties. Pour le statut contractuel, on utilise aussi la résidence habituelle mais également la volonté des parties. De plus, pour le statut délictuel, les facteurs reconnus sont généralement le lieu du dommage mais aussi la volonté des parties… Pour le lieu de situation du meuble ou de l’immeuble, la loi du for sera applicable.
Il arrive que les règles de conflit de lois mettent en œuvre des facteurs de rattachement qui ne s’appliquent pas d’où la mise en place de facteurs subsidiaires. En effet, certains ordres juridiques prévoient une multiplicité de facteurs de rattachement pour s’assurer de la possibilité de désigner une loi applicable à la situation. C’est le cas de la législation chinoise.
L’art 21 de la loi chinoise sur l’application des lois aux relations civiles comportant des éléments d’extranéité dispose que « les conditions relatives à la célébration du mariage sont régies par la loi du lieu de la résidence habituelle commune des parties (époux) ; elles sont régies par la loi de l’État de la nationalité commune en l’absence de résidence habituelle commune ; elles sont régies par la lex loci celebrationis en l’absence de nationalité commune et si le mariage est célébré au lieu de la résidence habituelle d’une des parties ou dans l’État de sa nationalité. »
B. Les raisons motivant le choix du facteur de rattachement
Plusieurs raisons peuvent sous-tendre le choix du facteur de rattachement. La première motivation du choix par le législateur tient à l’affirmation de la souveraineté de l’État à travers le critère de la nationalité. Mais il arrive que ce critère se révèle peu pertinent.
L’autre motivation tient au souci de prévisibilité pour éviter que les parties soient surprises par les règles qui s’appliqueront à leurs relations juridiques. Dans ce cas, le législateur prend en considération la volonté des parties.
En outre, le législateur peut privilégier la proximité au détriment de la prévisibilité pour rendre les parties plus proches du litige. Selon ce critère, la loi qui doit régir le rapport juridique est la loi qui lui est la plus proche en application du facteur de rattachement de la résidence habituelle.
Enfin, la commodité peut motiver la création d’une règle de conflit de lois. L’idée est que la loi doit être commode pour les parties ou pour le juge. Il en est ainsi de l’application de la loi du for ou de la loi de la localisation sur un territoire d’un fait juridique tel le lieu de situation du rapport juridique.
Toutes ces règles de conflit de lois se trouvent principalement dans le règlement Rome I mais également dans certaines conventions de La Haye qui peuvent aussi avoir vocation à s’appliquer.
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Statut contractuel
Art.3 du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles : la règle principale est de permettre aux parties de choisir la loi applicable à leur contrat. À défaut de la volonté des parties, la loi applicable est celle du lieu de résidence du débiteur de la prestation caractéristique.
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Statut délictuel
Art.4 du règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations extracontractuelles : la loi applicable à une obligation extracontractuelle est la loi du lieu du dommage (lex loci damni). On trouve également cette règle dans la Convention de la Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation.
Mais des règles spéciales existent pour certains délits tels les délits environnementaux ou des délits en matière de concurrence. Les parties peuvent également, dans une certaine mesure, choisir la loi applicable en matière délictuelle.
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Statut personnel
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Art.3 c.civ (loi nationale) : capacité des personnes
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Art. 202-1 et 202-2 c.civ : mariage (conditions de fond et de forme)
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Art.311-14 c.civ : filiation
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Règlement Rome III : divorce
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Statut réel
Ce statut porte sur les droits réels sur une chose et intéresse le lieu de situation du meuble ou de l’immeuble.
SECTION II : Les caractères de la RCL bilatérale
C’est Friedrich Carl von Savigny (1779-1865) qui est à l’origine de la règle de conflit de lois. On parle de méthode savignienne considérée comme un « tournant copernicien » dans l’approche du problème du conflit de lois. Il propose de dépasser la vision souverainiste du conflit de lois par une nouvelle méthode de résolution du conflit des lois que l’on appelle aujourd’hui la règle de conflit savignienne.
Au lieu d’appliquer la doctrine statutaire en vigueur depuis le XIVe siècle qui commande de partir de la loi et voir si la situation entre dans son champ d’application, Savigny propose de cheminer inversement en partant de la situation juridique en cause pour découvrir quelle loi il faudrait lui appliquer. On passe de la doctrine statutaire à la méthode de localisation du rapport de droit. À partir de Savigny, on essaie privatiser les enjeux et de localiser une situation juridique dans l’espace.
Savigny présuppose que les États partageant la même civilisation forment une communauté de droit. Rétrospectivement, on s’aperçoit que Savigny se fondait essentiellement sur les États européens qui partageaient un droit commun( ius commune) issu du droit romain et une même religion (christianisme). Le but de Savigny est d’apporter aux conflits de lois une solution prévisible (on classait les règles de conflit de lois par catégorie), équitable (mêmes règles à une situation identique) et surtout indépendante du for saisi (si tous les États retiennent les mêmes règles de conflits).
La méthode de Savigny a connu un succès parce que la règle de conflit de lois présentait de nombreux avantages. D’abord, la règle est abstraite puisque le juge désigne la loi applicable à une situation sans regarder le contenu de cette loi. Elle a pu être critiquée comme désignant aveuglément la règle. Ensuite, la règle est neutre dans la mesure où par rapport au résultat, la réponse à la question qui est posée, ne vise pas un résultat particulier. Ces deux caractères abstrait et neutre ont conduit à distinguer la justice conflictuelle qui cherche à localiser le rapport de droit et la justice matérielle qui vise un résultat substantiel. De plus, la règle est multilatérale (allseitig) dans la mesure où elle peut désigner n’importe quelle loi sans favoriser la loi du for. Enfin, la règle peut offrir une solution prévisible. Cependant, ces caractères de la règle de conflit de lois bilatérale doivent être relativisés.
§1. La proximité
Certaines règles favorisent la proximité au détriment de la prévisibilité des solutions. Par exemple, l’art.5 du règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles dispose que : « Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quel que soit le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder notamment sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.
Il faut observer que la Convention de La Haye sur la loi applicable aux accidents de la circulation retient la loi du lieu d’immatriculation du véhicule mais semble en appliquer une autre lorsqu’elle est plus proche.
§2. La coloration matérielle des règles de conflit de lois
À l’intérieur d’une même règle de conflit, le législateur peut avoir l’intention de poursuivre un autre but voire une autre solution. De ce fait, une telle règle ne serait pas neutre. Lorsque le législateur veut favoriser un résultat, il peut utiliser une règle de conflit de lois alternative.
A. Les règles de conflit de lois alternatives
Ce sont des règles de conflit de lois qui prévoient des alternatives non hiérarchisées s’agissant des facteurs de rattachement. Le contrat sera valable s’il respecte l’une des formes prévues d’où l’application de la loi la moins exigeante quant à la forme. On vise à favoriser la validité quant à la forme du contrat.
Comme règle à coloration matérielle (règle de conflit de lois alternative), on peut citer l’art.11 du règlement Rome I.
Art.11 du règlement Rome I : 1. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans le même pays au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi du pays dans lequel il a été conclu.
2. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans des pays différents au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement OU de la loi d'un des pays dans lequel se trouve l'une ou l'autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion OU de la loi du pays dans lequel l'une ou l'autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là.
3. Un acte juridique unilatéral relatif à un contrat conclu ou à conclure est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi qui régit ou régirait au fond le contrat en vertu du présent règlement ou de la loi du pays dans lequel cet acte est intervenu ou de la loi du pays dans lequel la personne qui l'a accompli avait sa résidence habituelle à ce moment.
4. Les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 du présent article ne s'appliquent pas aux contrats qui entrent dans le champ d'application de l'article 6. La forme de ces contrats est régie par la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle.
5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 à 4, tout contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble est soumis aux règles de forme de la loi du pays où l'immeuble est situé, pour autant que, selon cette loi:
a) ces règles s'appliquent quels que soient le lieu de conclusion du contrat et la loi le régissant au fond, et
b) ne peut être dérogé à ces règles par accord
B. Les règles de conflit de lois hiérarchisées
Il existe également des règles de conflit de lois à coloration matérielle hiérarchisées. Il en est ainsi des art. 3 et 4 du Protocole 2007 à la Convention de La Haye sur loi applicable aux obligations alimentaires.
Art.3 du Protocole de la CLH : 1. Sauf disposition contraire du Protocole, la loi de l'État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires.
2. En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi de l'État de la nouvelle résidence habituelle s'applique à partir du moment où le changement est survenu. »
Article 4 du Protocole : « 2. La loi du for s'applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d'aliments du débiteur en vertu de la loi mentionnée à l'article 3.
3. Nonobstant l'article 3, la loi du for s'applique lorsque le créancier a saisi l'autorité compétente de l'État où le débiteur a sa résidence habituelle. Toutefois, la loi de l'État de la résidence habituelle du créancier s'applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d'aliments du débiteur en vertu de la loi du for.
4. La loi de l'État dont le créancier et le débiteur ont la nationalité commune, s'ils en ont une, s'applique lorsque le créancier ne peut pas obtenir d'aliments du débiteur en vertu des lois mentionnées à l'article 3 et aux paragraphes 2 et 3 du présent article. »
Par le biais de ces deux articles, le législateur recherche un résultat particulier qui est celui de favoriser l’obtention d’aliments par la personne qui se prétend créancière d’une obligation alimentaire surtout les mineurs. En effet, si l’application d’une loi désignée ne permet pas cette obtention, une autre loi sera applicable. Dès lors, on ne peut pas soutenir que la règle de conflit de lois est neutre et abstraite puisque précisément elle vise un résultat déterminé par le recours à des facteurs de rattachement hiérarchisés.
C. Les règles de conflit de lois cumulatives
Pour éviter un résultat, on applique des règles de conflit de lois cumulatives notamment dans le domaine de la fusion transfrontalière. Concrètement, pour que l’opération de fusion de deux sociétés situées dans deux États différents soit valable, elle doit respecter cumulativement les conditions de validité prévues par chacun des États.
Comme exemple de règles de conflit de lois cumulatives, on peut citer l’art.19, al.2 de la loi polonaise de droit international privé qui dispose que « la fusion de personnes morales dont les sièges se trouvent dans des États différents exige la réalisation des conditions que les droits de ces États prévoient pour celle-ci ».
Ces caractères considérés comme des avantages à l’époque de la présentation de cette méthode, sont réellement à relativiser aujourd’hui.
SECTION III : Le correctif à la règle de conflit de lois bilatérale : la clause échappatoire ou clause d’exception
La clause échappatoire est une possibilité pour le juge saisi de ne pas appliquer la loi désignée par le facteur de rattachement si la loi d’un autre État membre présente des liens plus étroits avec la situation juridique. La clause d’exception ou clause échappatoire permet au juge saisi d’appliquer la loi des liens les plus étroits.
Cette clause échappatoire montre qu’il est nécessaire de pouvoir corriger les règles de conflit de lois lorsqu’on considère que leur mise en œuvre aboutit à un mauvais résultat. La clause permet au juge d’appliquer la loi des liens les plus étroits lorsqu’il considère que la loi qu’il devrait appliquer, selon la règle de conflit de lois, n’est pas la loi la plus proche. Elle peut être posée comme correctif à une règle de conflit de lois spéciale (art. 4§3 du règlement Rome II) mais également comme une règle de conflit de lois générale (art.15 LDIP suisse ; art.3082 c.civ. québécois).
Comme exemple de clause échappatoire, on peut citer l’art. 4§ 3 du règlement Rome II.
Art.4§3 du règlement Rome II (règle spéciale de correction) : « s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».
Art.15 LDIP (correctif général) : « 1. le droit désigné par la loi présente n’est exceptionnellement pas applicable, si au regard de l’ensemble des circonstances, il est manifeste que la cause n’a qu’un lien très lâche avec ce droit et qu’elle se trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit
2. Cette disposition n’est pas applicable en cas d’élection de droit. »
La loi des liens les plus étroits est mise en œuvre par le juge seul mais à l’issue d’une comparaison entre la loi compétente en vertu de la règle de conflit de lois et la loi qui est possiblement proche de la situation juridique (Com., 18 septembre 2012 n°11-20.789).
1re Civ., 16 septembre 2015 n°14-10.373 : en l’espèce, il s’agissait d’une caution où la règle de conflit désignait le droit italien mais le juge français a considéré que la loi française était plus proche de la situation et a appliqué la règle française sur la validité d’une caution donnée par une personne physique.
Toutefois, cette clause échappatoire ne peut être mise en œuvre qu’en l’absence de clause de choix de loi.
En conclusion, la limite de la méthode savignienne est qu’elle est conçue pour résoudre des conflits de lois entre ordres juridiques partageant une « communauté de valeurs ». Or, l’absence de valeurs communes peut compliquer l’application de sa méthode.
La méthode savignienne a fait l’objet de critiques à tel point que l’on parle de « crise de la règle de conflit de lois » dans la mesure où elle peut conduire à désigner une loi « qui ne veut pas s’appliquer ». Considérée comme trop abstraite ou « aveugle » en ce qu’elle ne tient pas compte du résultat, la méthode savignienne a conduit à l’application de méthodes alternatives qui coexistent avec elle.
CHAPITRE II : LES MÉTHODES ALTERNATIVES À LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS BILATERALE
SECTION I : La règle de conflit de lois unilatérale
§1. Exposé de la méthode et de ses fondements
La règle de conflit de lois unilatérale ou méthode unilatéraliste n’est pas fondée sur la localisation du rapport de droit mais sur la délimitation de l’étendue spatiale du champ d’application d’une loi. Par conséquent, elle s’applique sans égard à la catégorie ni au facteur de rattachement. Cette règle ne cherche pas à résoudre un conflit mais à déterminer l’étendue spatiale d’application d’une loi donnée. Cette méthode consiste à dire si telle ou telle situation internationale est comprise dans le champ d’application territorial d’une loi et permet d’éviter la situation dans laquelle un juge appliquerait à une situation un droit autre que celui envisagé dans le champ d’application de la règle de conflit de lois unilatérale.
On peut retenir l’exemple suivant comme un argument contre la règle de conflit de lois bilatérale et pour la règle de conflit de lois unilatérale : une question de capacité juridique à contracter se pose, au sujet d’un national suisse domicilié en France. Selon la règle de conflit de lois française posée à l’art.3 c.civ, la capacité est appréciée au regard de la loi nationale. Or, la règle de conflit de lois suisse édictée à l’art.36 LDIP (Suisse) soumet la capacité à la loi du domicile. Le juge français saisi de la question appliquera la loi suisse (loi nationale) alors que la loi suisse « ne commande pas » son application.
Pour Niboyet et Pillet, partisans de cette méthode, cela permet de respecter la volonté du législateur puisque cela évite d’appliquer une loi à une situation qu’elle n’envisageait pas.
§2. Faiblesse de la théorie
Aujourd’hui, le fondement de l’unilatéralisme a changé. L’italien Quadri a proposé ce changement de fondement, en disant que chaque État fixe au moins implicitement un champ d’application international aux lois qu’il édicte en fonction de leur teneur. Pour lui, il appartient à cet État seul de déterminer à quelles situations sa loi doit s’appliquer.
Mais si la loi du for ne s’applique pas à la question dont le juge est saisi, l’unilatéralisme conduit à une impasse. Comme exemple de règle de conflit de lois unilatérale, on peut citer l’art.3 c.civ.
Art.3 c.civ : « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire (domicile). Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française (lieu de situation de l’immeuble). Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même en pays étranger (nationalité). »
Cet unilatéralisme conduisait à des apories en cas d’inapplicabilité de la loi française d’où la bilatéralisation de l’art. 3 par la Cour de cassation en changeant la lecture de l’article sans le réécrire. Il existe très peu d’unilatéralisme en droit français et en droit de UE.
Mais en droit suisse, on trouve l’art.61 al.1er LDIP (Suisse) qui dispose que « le divorce et la séparation de corps sont régis par le droit suisse » (règle de conflit de lois unilatérale).
2. Toutefois, lorsque les époux ont une nationalité étrangère commune et qu’un seul est domicilié en Suisse, leur droit national commun est applicable (règle de conflit de lois bilatérale).
3. Lorsque le droit national étranger commun ne permet pas la dissolution du mariage ou la soumet à des conditions extraordinairement sévères, le droit suisse est applicable si l’un des époux est également suisse ou si l’un d’eux réside depuis deux ans en Suisse (règle unilatérale à coloration matérielle).
SECTION II : La méthode des intérêts étatiques ou gouvernementaux
La méthode des intérêts étatiques est fondée sur la critique de la méthode conflictualiste classique appelée « révolution américaine ». Elle repose sur l’idée que les conflits de lois impliquent les intérêts des États davantage que des intérêts privés. Brainerd Currie, constitutionnaliste, propose la governmental interest analysis. Il voyait le droit international privé comme une branche du droit constitutionnel. Pour lui, l’État a intérêt à ce que sa loi s’applique et le juge doit en tenir compte dans la détermination du droit à appliquer à une situation. Le juge doit d’abord écarter les faux conflits. En présence de deux politiques législatives différentes, le juge procède à une analyse des intérêts étatiques en présence.
Court of Appeals New York, 1963, Babcock c. Jackson : deux résidants de l’État de New York se rendent dans l’Ontario au Canada. Dans ce dernier État, se produit un accident de voiture et le passager assigne en indemnisation le conducteur. Le juge doit regarder la règle de conflit de lois bilatérale. Si on retient la loi du lieu du délit, on appliquerait la loi de l’Ontario. Le juge regarde la politique législative poursuivie par le législateur de l’État. La loi de l’Ontario interdit le recours du passager contre le conducteur pour éviter toute fraude à l’assurance tandis que la loi de l’État de New York ne l’interdit pas et vise à favoriser l’indemnisation des victimes. En l’espèce, le juge a appliqué la loi de l’État de New York après avoir comparé les objectifs des législateurs et relevé que de nombreux points de contact conduisaient vers l’État de New York (immatriculation du véhicule, siège de la compagnie d’assurances, nationalité des occupants du véhicule).
La méthode des intérêts étatiques comporte des limites. Elle suppose que le juge compare en permanence les lois, ait accès aux textes de loi et aux travaux parlementaires. Cela suppose des politiques législatives claires et accessibles pour le juge. En outre, la démarche étant casuistique, elle accorde peu de prévisibilité à la solution pour les parties puisqu’il appartient au juge seul de se prononcer sur le droit applicable. Les règles de conflit de lois aux Etats-Unis sont élaborées pour les conflits entre les États fédérés mais les choses diffèrent quand il s’agit d’États internationaux.
Néanmoins, cette méthode des intérêts étatiques est influente dans certains États. On trouve le Restatement Second on conflict of laws (compilation des solutions jurisprudentielles) qui retient la loi du lien le plus significatif.
Autre exemple de l’art.3515 c.civ de la Louisiane : « sauf disposition contraire énoncée au présent article, toute question soulevée par une situation présentant un lien avec plusieurs États est régie par la loi de l'État dont les objectifs de politique législative se trouveraient le plus gravement entravés si cette loi n'était pas appliquée à ladite question. »
SECTION III : La méthode des règles matérielles
Les règles matérielles sont des règles spécialement édictées pour les relations internationales. La méthode est directe car on apporte directement la réponse à la question de droit posée. La mise en œuvre de cette méthode est justifiée par les besoins de l’internationalité (du contrat).
1re Civ, 1966, Galakis : la Cour de cassation refuse d’appliquer à une situation internationale une règle de droit interne qui édicte l’interdiction de compromettre pour l’État au motif que « la règle prohibitive interne édictée pour les contrats internes [l’interdiction pour un État de compromettre] n’est pas applicable à un contrat passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce international ».
SECTION IV : La reconnaissance au-delà de la désignation du droit applicable
La méthode de la reconnaissance trouve sa source dans la théorie des droits acquis (vested rights) qui veut qu’une situation valablement constituée dans un État soit considérée par les autres États comme ayant conféré un droit acquis en faveur de ses intéressés. Elle se fonde sur la continuité transfrontière des situations individuelles. Son rôle est de garantir le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de circulation et d’établissement au sein de l’UE en dépit des franchissements des frontières.
Illustrations avec CEDH Wagner 2007 ou CJUE Grunkin Paul (2008)
Certains États ont intégré la méthode de la reconnaissance dans leur droit. C’est notamment le cas de la Suisse et des Pays-Bas.
Art.45 LDIP (Suisse) : 1. Un mariage valablement célébré à l’étranger est reconnu en Suisse.
2 Si un des fiancés est suisse ou si tous deux ont leur domicile en Suisse, le mariage célébré à l’étranger est reconnu, à moins qu’ils ne l’aient célébré à l’étranger dans l’intention manifeste d’éluder les dispositions sur l’annulation du mariage prévues par le droit suisse.
3. Un mariage valablement célébré à l’étranger entre personnes du même sexe est reconnu en Suisse en tant que partenariat enregistré
Art. 9 loi néerlandaise de droit international privé : lorsque des effets juridiques sont attachés à un fait par un État étranger concerné en application de la loi désignée par son droit international privé, ces mêmes effets peuvent être reconnus à ce fait aux Pays-Bas, même par dérogation à la loi applicable en vertu du droit international privé néerlandais, dans la mesure où le refus de reconnaitre de tels effets constituerait une violation inacceptable de la confiance justifiée des parties ou de la sécurité juridique. » Cet article s’applique subsidiairement aux instruments de droit de l’UE.
En conclusion, il existe une multiplicité de méthodes de désignation des lois applicables avec des combinaisons possibles pour une même question juridique d’où la richesse de la recherche en droit international privé. Par exemple, l’article 202-1 c.civ français qui porte sur les contrats internationaux (mariage) pose à la fois une règle de conflit de lois et une règle matérielle.
TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DE LA RCL
CHAPITRE I : LE CHOIX DE LA RÈGLE DE CONFLIT DE LOIS : L’OPÉRATION DE QUALIFICATION
Le choix de la bonne règle de conflit de loi s’opère par la qualification, opération intellectuelle qui consiste à ranger une situation juridique dans une catégorie de rattachement. Elle revêt une importance particulière dans la mesure où de la qualification choisie dépendra la règle de conflit de lois à appliquer. Lorsque l’internationalité de la situation est caractérisée, il faut s’interroger sur la meilleure perspective pour choisir la règle de conflit.
Cette qualification doit se faire dans des conditions de vérité. Il ne doit y avoir aucune manipulation des faits qui permettent de rattacher la situation à une qualification sinon il y aurait fraude à la loi.
SECTION I : Le choix d’une catégorie de rattachement (qualification)
Le choix d’une catégorie de rattachement peut poser des difficultés de différents ordres car il peut y avoir des hésitations. Par exemple, la rupture abusive de relations commerciales est-elle de nature délictuelle ou contractuelle ? De plus, des ordres juridiques différents qualifient différemment les mêmes institutions.
§1. La catégorisation : le classement de la prétention dans une catégorie
La première difficulté réside dans la pluralité des catégories possibles. La seconde difficulté tient au fait que le juge peut se retrouver face à une institution inconnue de son for. En effet, certains ordres juridiques déploient des concepts qui leur sont propres i.e. qui n’ont pas d’équivalents dans les autres ordres.
A. L’hésitation entre plusieurs catégories du for : le conflit de catégories
Que faut-il qualifier ? Quel est l’objet de la qualification ? Pour pouvoir bien choisir la règle de conflit de lois, il faut identifier ce que l’on doit qualifier. Il faut qualifier juridiquement la situation factuelle et les règles de droit dont l’application est sollicitée par le demandeur. Il faut qualifier la prétention du demandeur (le droit subjectif recherché) en se fondant sur les faits qu’il allègue. Pour pouvoir qualifier, il est nécessaire de retenir des catégories suffisamment larges, pour être certain que n’importe quelle situation juridique puisse entrer dans une catégorie. Le droit international privé permet d’avoir une vision de son propre droit interne avec une autre perspective.
1) Le problème
Lorsque la victime demande la nullité d’un contrat pour vice de consentement, on peut hésiter entre plusieurs catégories. On peut songer au statut personnel car le vice du consentement cherche à protéger un des contractants. Mais on peut également songer au statut contractuel car on est face à une demande de nullité du contrat. Plus l’objet à qualifier s’éloigne du cœur de la catégorie, plus il est difficile de le qualifier car on hésite davantage.
La difficulté de qualification se rencontre dans la notion de vice du consentement. C’est l’hypothèse dans laquelle une personne qui conclut un contrat veut en obtenir l’annulation au motif que son consentement a été provoqué par le dol. Le juge doit s’interroger sur la loi applicable pour cette action. Quelle règle de conflit de lois va-t-on appliquer ?
2) La solution
Pour trouver la solution, il faut s’interroger sur la fonction même de la loi applicable (approche fonctionnelle). Jusqu’à la Convention de Rome, il n’existait pas de catégorie propre aux vices de consentement. Pour trancher la question, il faut analyser la fonction de la notion de vice de consentement. Il s’agit d’une sanction de la validité du contrat qui est propre au cocontractant. Il s’agit d’une nullité relative car le but est de protéger le cocontractant.
Aujourd’hui, la règle de conflit de loi propre à cette question est prévue à l’art. 10 §1 du règlement Rome I aux termes duquel « l'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du présent règlement si le contrat ou la disposition étaient valables ». La disposition renvoie à la loi du contrat (lex contractus) qui est en principe la loi choisie par les parties.
Alinéa 2 : « Toutefois, pour établir qu’elle n’a pas consenti, une partie peut se référer à la loi du pays dans lequel elle a sa résidence habituelle s’il résulte des circonstances qu’il ne serait pas raisonnable de déterminer l’effet du comportement de cette partie d’après la loi prévue au §1 ». Concrètement, la partie peut se référer à la loi qui est censée la protéger (loi de la résidence habituelle) car c’est elle qu’elle connait.
En outre, la capacité à contracter qui est une des conditions de validité du contrat pourrait déprendre du statut contractuel. Il s’agit d’une notion juridique de capacité destinée à protéger les personnes que l’on estime en situation d’infériorité.
Cass., 1861, Lizardi : la Cour de cassation juge que la capacité à contracter relève du statut personnel. Cette jurisprudence reflète l’état du droit positif. Elle a été réaffirmée par Cass., 1957, Époux Sylvia : statut personnel (loi personnelle).
L’art. 414-1 c.civ prévoit que l’état de démence ou de trouble mental passager peut permettre à une personne capable au moment de contracter, de demander la nullité du contrat. Le règlement Rome I n’envisage pas cette situation de sorte que la solution française est toujours applicable.
Il convient d’analyser la fonction juridique de la loi qui est au cœur du litige pour déterminer quelle est la catégorie de rattachement de l’institution juridique.
B. L’institution inconnue du for
1) Position du problème
Que faire lorsqu’un demandeur intente une action en justice en invoquant une prétention sur une institution juridique que ne connait pas le juge saisi ?
CA Alger, 1889, Bartholo. Une veuve de nationalité maltaise a réclamé devant le juge d’Alger une carte du conjoint pauvre (institution maltaise) permettant à une épouse d’avoir un ¼ des biens du mari en usufruit. Cette veuve la réclame car la fille du mari en question s’opposait à ce que la seconde épouse de son père reçoive quoique ce soit. La fille estime que loi française est applicable à la situation car le défunt est domicilié en France. Or l’épouse, à l’époque, n’avait aucun droit sur les immeubles de son défunt mari en l’absence de testament (ab intestat). En principe, le droit français de la succession devait s’appliquer.
Le juge devait qualifier la prétention de la veuve. Si la prétention relevait de la succession, la loi française trouve à s’appliquer. S’il s’agissait d’une disposition relevant plutôt du régime matrimonial, il devrait alors appliquer la loi maltaise, en l’occurrence la loi du 1er domicile matrimonial qui était la règle de l’époque. Pour trancher, le juge doit s’efforcer de cerner cette institution en prenant de la hauteur et en essayant de comprendre la fonction l’institution « carte de conjoint pauvre ». En l’espèce, il estime que le litige a trait à la répartition des biens au sein du couple et non à une succession et privilégie l’application du régime matrimonial. Il tranche en faveur du droit maltais.
Même si la notion juridique est inconnue du juge français, il peut résoudre la question déterminée par le droit applicable.
2) La solution : l’extension des catégories du droit interne
On peut en déduire qu’une institution inconnue du for peut être classée en termes de l’analyse de la fonction de l’institution dans une catégorie de l’ordre juridique du for en étendant les catégories du for.
Les catégories de rattachement en droit international privé n’épousent pas exactement les catégories du droit interne. Melchior « placer l’étoffe étrangère dans les tiroirs du système national » ; Raape considère que « l’État étranger caractérise ses règles, l’État du for les classe ».
Aujourd’hui, très peu d’institutions ne sont pas partagées. Par exemple, en matière d’adoption, chaque pays reconnait des types d’adoption particuliers. La France ne connaît pas le type d’adoption par lequel un membre de la famille recueille l’enfant. Le juge doit déterminer si l’adoption est simple ou plénière.
§2. Les conflits de qualifications
A. La divergence de qualifications entre ordres juridiques : le conflit de qualifications
La divergence de qualifications entre ordres juridiques recouvre les hypothèses dans lesquelles des ordres juridiques qualifient différemment la même institution ou dans lesquelles le système du for et un autre système ayant un lien avec la situation ne classe pas la même question à résoudre dans une même catégorie. Cela révèle l’absence de communauté juridique universelle pourtant défendue par Savigny.
Par exemple, la prescription se rattache plus au fond d’un droit ou quelque chose que l’on rattache à une question de procédure par la fin de non-recevoir ? Il existe une divergence entre le droit français et le droit anglais au sujet de la prescription. Le droit français rattache la prescription au fond du droit. Selon l’art. 2221 c civ, la prescription est régie par la lex causae, la loi applicable à la cause. En matière contractuelle, c’est la loi de contrat (lex contractus). En droit anglais, la prescription relève de la procédure et est régie par la lex fori i.e. la loi du for.
À titre illustratif, un contrat de vente de marchandises est conclu entre une société française et une société australienne. Le contrat contient une clause de choix de loi désignant la loi anglaise et une clause d’élection de for désignant le Tribunal de commerce de Paris. Le juge parisien est saisi d’une demande en nullité du contrat par la société française 6 ans après la conclusion du contrat. La loi française prévoit un délai de prescription de 5 ans. Imaginons que la loi anglaise prévoit un délai de prescription de 7 ans pour l’action en nullité. À quel titre la société française peut-elle invoquer l’application de la loi anglaise ? À quel titre la société australienne peut-elle invoquer l’application de la loi française ?
Quelle qualification le juge doit-il retenir ? Doit-il se servir de sa propre loi ou de la loi applicable au contrat ?
B. Les différentes solutions possibles
1) Qualification lege fori
La qualification lege fori est la qualification en suivant le droit du for. C’est la solution qui s’impose. Au départ, lorsque l’on considérait que l’application d’une loi étrangère était une concession faite par le for, on limitait cette concession et on imposait que la loi étrangère soit appliquée en fonction des limites posées par la loi du for.
Il s’agit d’un argument plus moderne qui repose sur le fait qu’il ne serait pas cohérent de renoncer à la conception que l’on peut avoir des différentes catégories au bénéficie de la loi qu’on doit appliquer car il s’agit pour le juge d’interpréter la règle de conflit du for. Ejus est interpretati cujus est condere i.e. c’est à l’auteur de la règle qu’il appartient d’interpréter cette règle. C’est bien à celui qui a fait sa règle de conflit de lois d’interpréter selon ses règles.
1re Civ., 1955, Caraslanis : au sujet de la validité du mariage célébré en France entre une Française et un Grec en la forme civile. Une Française assigne son époux en divorce en France. Son époux grec en défense soutient que le mariage est nul car il a été célébré uniquement en la forme civile alors que selon le droit grec, le mariage doit être également religieux pour être valable. Il affirme que la condition de fond du mariage dépend de la loi grecque. Or la question de forme relative à la validité du mariage célébré en France conduirait à la désignation du droit français (lex loci celebrationis).
La question relative à la façon dont le mariage a été célébré est-elle une condition de forme ou condition de fond ?
La Cour de cassation a énoncé que « la question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à celle des règles de fond doit être tranchée par les juges français suivant les conceptions du droit français selon lesquelles le caractère religieux ou laïc du mariage est une question de forme ». On privilégie la qualification lege fori.
2) Qualification lege causae
La qualification lege causae consiste à qualifier selon le droit qui est applicable au fond. Appliquer une loi étrangère en ayant au préalable qualifié les institutions de cette loi selon une autre loi reviendrait à amputer cette loi étrangère. Pour respecter la loi étrangère désignée par la règle de conflit, il faudrait qualifier l’institution de droit ou le rapport juridique en utilisant les conceptions de cette loi. Utiliser cet argument, c’est se mordre la queue car on cherche le droit pour savoir s’il s’applique bien.
Mais cette qualification peut être utilisée à titre secondaire. On parle alors de qualification secondaire ou de qualification « en sous-ordre ». Par exemple, l’art. 2558 de la loi roumaine de droit international privé de 2009 dispose que « lorsque la détermination de la loi applicable dépend de la qualification qui sera donnée à une institution de droit ou à un rapport juridique, c’est la qualification juridique établie par la loi roumaine qui sera prise en considération ».
(3) La nature mobilière ou immobilière des biens se détermine conformément à la loi du lieu où ceux-ci se trouvent, ou selon les cas, du lieu où ils sont localisés ». Ce principe s’applique aussi en droit français. On fait référence à la lege causae puisqu’on utilise la loi locale, la loi de situation du bien.
(4) Si la loi roumaine ne connait pas une institution juridique étrangère ou la connait sous un nom différent ou avec un autre contenu, la qualification juridique faite par la loi étrangère peut être prise en considération.
(5) Cependant, lorsque les parties elles-mêmes ont déterminé le sens des notions dans un acte juridique, la qualification de ces notions sera faite selon la volonté des parties.
3) Qualification internationale
Selon Rabel, les juges nationaux devraient se départir de leur propre catégorie nationale et devraient fournir un effort pour avoir une qualification internationale. Cette idée est fondée sur une approche comparative mais elle est utopique.
4) Qualification autonome
La qualification autonome est une qualification opérée par la CJUE lorsqu’elle interprète les instruments du droit de l’Union. En proposant elle-même son interprétation, cette qualification s’impose ensuite aux juges nationaux. On utilise la qualification lege fori seulement lorsque le juge français n’applique pas une règle de conflit de lois de l’UE. Le juge français doit tenir compte de la qualification autonome du droit de l’UE. C’est la méthode la plus appliquée car la plupart des règles de conflit de lois sont celles des règlements de Rome.
La qualification retenue pour l’application du règlement Bruxelles I bis vaut-elle aussi pour application du règlement Rome I ou Rome II ?
La Convention de Rome est entrée en vigueur 20 ans après la Convention de Bruxelles. La CJUE a rendu plus d’arrêts en matière de compétence qu’elle n’en a rendu sur l’interprétation pour les règles de conflit de lois.
Est-ce que ce que l’on entend par la notion de matière contractuelle pour mettre en œuvre le règlement Bruxelles I bis est la même notion qui est mise en œuvre avec Rome I ou II ?
Selon le considérant 7 des règlements Rome, le champ d’application matériel devrait être cohérent par rapport au règlement Bruxelles I bis.
CJUE 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic : pour la définition d’une obligation contractuelle ou non contractuelle, le juge national doit se servir des arrêts rendus en application du règlement Bruxelles I bis. La solution ne va pas forcément de soi car, parfois, les objectifs de la qualification ne sont pas les mêmes. Pour le conflit de lois, la qualification sert à décrire la catégorie alors que pour la compétence, la qualification sert davantage à organiser la bonne administration de la justice qui, en principe, guide le juge dans son opération de qualification.
Lorsque le juge français applique la règle de conflit de lois ayant sa source dans la loi française ou une convention internationale, il qualifie lege fori (qualification selon les conceptions du droit français). Lorsque le juge français applique une règle de conflit de lois ayant sa source dans un instrument du droit de l’UE, il utilise une qualification autonome (notions autonomes telles que dégagées par la CJUE).
§3. La modification du facteur de rattachement : l’hypothèse du conflit mobile
A. Position du problème
Le conflit est mobile lorsqu’un facteur de rattachement se déplace entre le moment de la constitution de la situation et le moment où la question de la loi applicable se pose. On ne peut l’envisager qu’à l’égard des facteurs de rattachement qui peuvent se déplacer. Le risque réside dans la multiplication des lois applicables dans le temps i.e. d’appliquer à une même situation des lois différentes.
Certaines règles de conflit de lois permettent d’éviter le problème en indiquant un facteur temporel pour savoir à quel moment apprécier le facteur de rattachement. L’art. 311-14 c.civ en matière de filiation précise que l’établissement de la filiation est régi par la loi de la nationalité de la mère (qui peut avoir changé de nationalité entre-temps) au moment de la naissance de l’enfant.
Exemple 1 : une voiture en Allemagne grevée d’une sûreté se retrouve en France. La question est de savoir si la sûreté constituée en Allemagne peut être reconnue en France et opposée aux créanciers chirographaires. Quel effet fait-on produire à cette sureté ? Sont-ce les effets du droit allemand ou du droit français ?
La règle de conflit de lois qu’on applique pour la validité de la constitution d’une sûreté dépend du lieu de la situation du bien. Mais à quel moment ? Au moment de la constitution de la sûreté ou de l’appréciation de sa validité ?
Exemple 2 : Affaire Chemouni : un Tunisien marié épouse une 2e femme de même nationalité. Le mari acquiert la nationalité française. La question porte sur les droits que l’on peut accorder à la 2nde épouse. Selon la règle française de conflit de lois, pour savoir si un mariage est valable, on applique la loi personnelle des époux. Quels effets peut avoir l’acquisition de la nationalité française sur la validité du mariage ? Est-ce que pour déterminer la validité du mariage, il faut regarder la nationalité au moment du mariage ou au moment où la question de validité du mariage se pose ?
B. Les solutions
Il n’existe pas de solution générale à cette question, même si certains droits étrangers posent une solution générale. Par exemple, l’art. 7 sur le conflit mobile de la loi autrichienne droit international privé de 1978 dispose que « le changement ultérieur des conditions commandant le rattachement à un ordre juridique donné est sans influence sur les faits déjà accomplis ».
La prise en compte du déplacement, dans le cadre d’un conflit mobile, est déterminée par le facteur de rattachement en référence à la règle de conflit de lois. Le juge français interprète la règle de conflit de lois en tenant compte du déplacement du facteur de rattachement en fonction des objectifs des facteurs de rattachement. On doit rechercher la raison du choix de tel ou tel facteur de rattachement pour savoir si son déplacement emporte des conséquences.
En matière de statut personnel, le facteur de rattachement privilégié est la nationalité parce qu’il permet de bénéficier toujours du même statut quels que soient les déplacements. L’application de la loi personnelle permet d’assurer la permanence de la situation. L’objectif de permanence de la situation commande l’application de la loi de l’ancienne nationalité en cas de changement de nationalité.
En matière de statut réel, le facteur de rattachement choisi est le lieu de situation du bien. Ce choix est opéré pour des raisons de sécurité juridique dans la mesure où des personnes peuvent avoir constitué dans ce pays des droits sur ce bien. Ce choix tient compte du lieu actuel. 1re Civ., 1969, Soc. DIAC c. Oswald (sûreté sur le bien) : la Cour de cassation considère que « la loi applicable aux droits portant sur une chose est la loi du lieu de situation, la loi française ». La Cour donne raison aux juges du fond qui ont refusé d’accorder effet au gage du créancier allemand, ce qui s’analyse en un pacte commissoire prohibé (à l’époque) par la loi française applicable.
Cela explique l’idée de créer des registres internationaux de sûretés qui sont constitués sur des biens qui bougent. Par exemple, la Convention du Cap crée un registre international qui enregistre toutes sûretés constituées sur des avions.
SECTION II : La neutralisation du choix de catégorie : la fraude à la loi en droit international privé
Les opérations de qualification doivent se faire dans des conditions de vérité.
§1. La notion de fraude à la loi
La notion de fraude en droit interne recouvre l’hypothèse dans laquelle on essaye de contourner la loi. Par exemple, une interdiction est faite au médecin de recevoir une libéralité d’un de ses patients mais il se marie avec une de ses patientes pour pouvoir recevoir une libéralité d’où une fraude à la loi. La fraude en droit international privé consiste à contourner l’application d’une loi dont on ne veut pas. On va procéder à une modification du facteur de rattachement et jouer sur la qualification. C’est l’intention qui démontre la fraude.
A. Les techniques utilisées pour la fraude à la loi
1) Jouer sur le facteur de rattachement
Civ., 18 mars 1878, Princesse de Bauffremont: La princesse de Bauffremont, belge d’origine, est devenue française par mariage en épousant le prince de Bauffremont. Mais cette princesse avait pour amant un autre prince roumain (Bibesco). Ils veulent se marier mais le divorce n’existe pas en France. Pour obtenir le divorce, la princesse va déménager et installer son domicile dans le duché de Saxe-Altenbourg et y acquiert la nationalité. Et dans cet État, la séparation de corps est reconnue comme un divorce et permet à la princesse et au prince roumain de conclure un mariage.
Le prince Bauffremont s’oppose à la reconnaissance du divorce. Il cherche à faire déclarer en France ce 2e mariage comme étant inopposable. Il introduit une action en inopposabilité du mariage conclu en Allemagne. Pour savoir si ce mariage doit être inopposable, le juge français applique les règles de conflit de lois en matière de mariage, à savoir la loi personnelle. Mme Bauffremont a acquis nationalité saxe donc le mariage devrait être valable. Mais la Cour considère que le changement de nationalité a été fait dans le seul but d’écarter l’application du droit français et d’obtenir l’application de la loi de la nouvelle nationalité. Ici, la fraude consiste en ce changement de domicile qui a permis le changement de nationalité et par suite la séparation de corps qui produit les effets d’un divorce. La Cour sanctionne cette intention frauduleuse en déclarant ce 2e mariage inopposable en France.
2) Jouer sur la catégorie de rattachement
1re Civ., 20 mars 1985, Caron : M. Caron d’origine française naturalisé américain réside aux États-Unis. Il ne veut pas que la loi française s’applique à sa future succession concernant ses immeubles en France puisqu’il veut la soustraire à l’application de la réserve héréditaire en faveur de ses enfants. Il joue sur la qualification du bien immeuble pour le transformer en meuble en créant une société qui achète ses immeubles. M. Caron ne détient que les actions de la société qui détient les immeubles. Or, les actions étant des biens meubles, le régime de la succession immobilière ne leur est pas applicable.
Les enfants soutiennent que les immeubles sont situés en France et que la loi française, en ce compris la réserve héréditaire, trouve à s’appliquer. Le père ne possédait plus d’immeubles mais des parts de la société qui détient les immeubles. En modifiant la catégorie de rattachement permettant de déterminer la règle de conflit de lois en matière immobilière ou mobilière (dernier domicile de défunt), le père avait procédé à une fraude sanctionnée par l’inefficacité de manipulation. Le juge a appliqué la règle de conflit de lois relative à la succession immobilière, en l’occurrence la loi française.
Pour caractériser la fraude à la loi en droit international privé, il faut un élément matériel (ce qui a pu être modifié) et un élément intentionnel (modification faite dans l’intention d’échapper à la loi en principe applicable).
B. La sanction de la fraude à la loi
La sanction de la fraude à la loi réside dans l’inopposabilité de la manipulation devant conduire à l’application d’une autre loi que celle en principe applicable. On applique la loi qui aurait dû être appliquée en l’absence de fraude.
§2. La distinction de la fraude à la loi, de la fraude de la compétence et de la fraude au jugement
A. La fraude à la compétence en droit international privé
La fraude aux règles de compétence est caractérisée par la manipulation d’une règle de compétence ou la modification d’un critère de compétence ou en encore un changement de son domicile, uniquement pour obtenir la compétence d’un juge qui, sans cette fraude, n’aurait pas été compétent.
Com., 15 février 2011 : une femme domiciliée en Allemagne qui avait beaucoup de dettes s’est installée en Alsace pour demander devant le juge français l’application de la loi sur le surendettement des particuliers. Le changement de domicile qui permettait de saisir le juge français de cette demande a été considéré non seulement comme une fraude à la compétence mais aussi une fraude à la loi puisque la loi française était plus généreuse que la loi allemande. Par conséquent, le juge refuse de connaître de l’action.
B. La fraude au jugement
La fraude au jugement consiste à essayer d’obtenir un jugement à l’étranger pour en obtenir la reconnaissance et l’exécution en France en vue de s’opposer à une procédure intentée en France. Par exemple, dans le cadre d’une procédure de divorce, une femme initie une procédure en divorce contre son mari. Face à une procédure initiée en France, son mari de nationalité étrangère va obtenir un jugement dans son pays d’origine et ensuite invoquer ce jugement constatant déjà le divorce des époux devant le juge français pour s’opposer à la procédure en France.
Quel est l’effet de cette procédure de divorce sûrement invoquée frauduleusement vu la chronologie ? Si le jugement est obtenu par fraude, sera-t-il opposable en France ?
SECTION III : La portée de la désignation du droit applicable : la question du renvoi
La question de renvoi désigne le problème et la solution. Selon un auteur, il s’agit d’« un monstre du droit privé ».
A. La position du problème
Le problème dérive du fait que les règles de conflit de lois sont d’origine nationale. En effet, chaque État peut développer ses propres règles de droit international privé. Par conséquent, ces règles choisies par chaque État peuvent être différentes selon les buts poursuivis. Il peut également y avoir des convergences mais elles sont rares. Par exemple, en matière de filiation, il s’agit de règles nationales. En France, on applique l’art.311-14 c.civ aux termes duquel « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant. »
Cette solution est originale et est reprise dans d’autres ordres juridiques. En présence de plusieurs lois, on peut rencontrer des « conflits de systèmes ». Par exemple, dans le domaine des successions, le renvoi pose un problème.
1) La règle de conflit européenne
Lorsque le défunt est décédé après le 17 janvier 2015, le juge applique le règlement « Successions ».
L’art.21 du règlement « Successions » dispose en effet que : « 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l'ensemble d'une succession est celle de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.
2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. »
2) La règle de conflit de lois québécoise
L’art.3098 Code civil québécois dispose que « les successions portant sur des meubles sont régies par la loi du dernier domicile du défunt ; celles portant sur des immeubles sont régies par la loi du lieu de leur situation.
Cependant, une personne peut désigner, par testament, la loi applicable à sa succession à la condition que cette loi soit celle de l’État de sa nationalité ou de son domicile au moment de la désignation ou de son décès ou, encore, celle de la situation d’un immeuble qu’elle possède, mais en ce qui concerne cet immeuble seulement. »
Art.3099, alinéa 1er code civil québécois prévoit que « la désignation d’une loi applicable à la succession est sans effet dans la mesure où la loi désignée prive, dans une proportion importante, l’époux ou le conjoint uni civilement ou un enfant du défunt d’un droit de nature successorale auquel il aurait eu droit en l’absence d’une telle désignation ».
Exemple A : Arthur a sa résidence habituelle en France. Il possède un immeuble au Québec. Il n’a pas fait de testament ni choisi la loi applicable. Une contestation nait et se pose la question de la loi applicable. Dans le règlement « Successions », il est prévu que le juge français applique la loi de la dernière résidence habituelle. La loi française devrait s’appliquer. En droit québécois, la loi applicable à une succession immobilière est la loi du lieu de situation de l’immeuble. L’immeuble étant situé au Québec, la loi québécoise trouve à s’appliquer. On parle de conflit positif lorsque chaque loi prévoit sa propre compétence.
Exemple B : Boris a sa résidence habituelle au Québec. Il possède un immeuble en France mais n’a pas choisi une loi applicable à sa succession. Dans le cadre du règlement de la succession, quelle loi est applicable à un immeuble situé en France ? On applique la loi française à la succession immobilière.
Lorsque chaque loi renvoie à l’autre, on parle de conflit négatif car cela pose la question du renvoi au 1er degré (Zurückverweisung). Est-ce que le juge qui appliquera la règle de conflit de lois du droit de l’Union doit ensuite suivre la loi québécoise qui dit que la loi française est applicable ?
Dans le cas d’un conflit négatif de compétence, le juge français doit-il tenir compte du fait que le droit international privé québécois désigne la loi française i.e. renvoie à la loi française ?
En d’autres termes, la règle de conflit de lois qu’applique le juge français, désigne-t-elle uniquement des règles substantielles du droit étranger, ou bien désigne-t-elle toutes les règles du droit étranger désigné, y compris ses règles de conflit de lois ? C’est la question du renvoi.
Exemple C : Clovis est de nationalité française. Il réside habituellement au Québec. Il est propriétaire d’un appartement à Kyoto (Japon). En application du droit de l’UE, la loi applicable à la succession est la loi québécoise, loi de la résidence habituelle du défunt. Or, s’agissant d’un immeuble, la loi québécoise renvoie à la loi du lieu de situation de l’immeuble donc à la loi japonaise. Mais la loi nationale japonaise désigne la loi nationale du défunt i.e. la loi française. On parle de renvoi au 2nd degré (en allemand Weiterverweisung).
Le problème du renvoi peut être formulé différemment :
Faut-il prendre en compte les renvois des autres juridiques désignés ?
Lorsque la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois appliquée par le juge « décline » sa compétence (désigne une autre loi), faut- il tenir compte de ce refus et suivre le renvoi qu’elle opère à une autre loi ou s’en tenir au règlement initial opéré par la règle de conflit de lois appliquée par le juge français ?
C’est finalement se poser la question de savoir si la loi désignée par notre règle de conflit est la loi dans son ensemble et donc y compris ses règles de droit international privé ou uniquement ses règles de droit matériel ?
B. La solution du problème
1) Les arguments pour et contre l’admission du renvoi
Les arguments défavorables à l’admission du renvoi sont de deux ordres. D’une part, l’argument de souveraineté et, d’autre part, l’argument de logique. L’argument de souveraineté est défendu par Bartin qui considère que seul le for décide. Pour lui, appliquer la loi désignée par un autre ordre serait abdiquer la souveraineté. Mais cet argument est aujourd’hui historique. Selon l’argument de logique, si la désignation d’une loi étrangère doit être considérée comme portant sur l’ensemble de son droit, pour être cohérent, il faudrait suivre également la désignation opérée par le droit étranger qui refuse sa compétence. On parle de « jeu de tennis » ou « cabinet de miroirs ». Il faudra donc casser ce cercle en refusant le renvoi.
À côté de cela, il existe des arguments favorables au renvoi. Von Bar et Westlake utilisent l’argument de souveraineté de Bartin mais de façon inversée puisqu’ils considèrent que cela porte atteinte à la souveraineté de refuser d’appliquer une loi désignée par un droit étranger. L’argument en faveur du renvoi de 1er degré est qu’il permet d’appliquer la loi du for. L’argument en faveur du renvoi au 2nd degré, selon Batiffol, permet une meilleure coordination des systèmes au sens où on appliquera la même solution quel que soit le juge saisi. Cela a le mérite d’harmoniser les solutions.
2) Les solutions historiques du problème
Cass., 24 juin 1878, Forgo : la Cour admet le renvoi au 1er degré. Il s’agissait de déterminer la loi applicable à la succession d’une personne arrivée en France de Bavière à l’âge de 5 ans sans avoir été admis au domicile. Elle décède et laisse pour lui succéder des collatéraux maternels qui n’ont pas vocation à venir à la succession. Quelle loi s’applique ? Les collatéraux peuvent-ils succéder ? En l’espèce, puisqu’il s’agit d’une succession mobilière, la loi applicable est la loi du dernier domicile (notion juridique) du défunt. Or, le défunt n’avait pas de domicile en France, donc la loi bavaroise trouvait à s’appliquer. Mais la loi bavaroise soumet la compétence à la loi de dernière résidence habituelle (loi française). Les juges admettent le renvoi et jugent que les collatéraux maternels n’avaient pas vocation à succéder et par suite la succession revenait à l’État. S’agit-il d’une position d’opportunité ou solution de principe ?
Cass., Req. 9 mars 1910, Soulié : la Cour réaffirme que « la loi française de droit international privé ne souffre d’aucune manière du renvoi qui est fait à la loi interne française par la loi de droit international privé étranger ; qu’il n’y a qu’avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi française régisse, d’après ses propres vues, des intérêts qui naissent sur son territoire ».
Dans un arrêt précédent, la Cour laissait penser que le renvoi de 2nd degré était admis mais elle le dit de façon plus explicite par des arrêts ultérieurs.
Cass., 15 mai 1963, Patino : la Cour de cassation réaffirme l’admission du renvoi du 2nd degré. En l’espèce, un couple de bolivien et d’une espagnole se marie en 1931 à Madrid. L’épouse acquiert la nationalité bolivienne de son mari. Or, le mari demande le divorce en France et le juge français s’interroge sur la loi applicable. Il refuse de prononcer le divorce en évoquant le droit étranger. À l’époque, la règle de conflit de lois française désignait la loi de la nationalité des époux (bolivienne). Or, la loi bolivienne désigne la loi de célébration du mariage. Mais la loi espagnole désigne la loi nationale des époux (loi bolivienne). Le juge a ainsi prononcé une séparation de corps et non un divorce car la loi espagnole n’admettait pas le divorce. On parle de renvoi-toupie.
La Cour a tenu compte du droit espagnol et du droit bolivien désigné par le droit espagnol. En l’espèce, la loi bolivienne ne désignait pas exactement la loi espagnole mais disposait que le divorce peut être prononcé si la loi du lieu de célébration l’autorise. Or, la loi espagnole ne l’autorisait pas.
Cass., 15 juin 1982, Moatti (renvoi in favorem) : le renvoi au second degré a été admis par la Cour au sujet de deux époux syriens qui s’étaient mariés religieusement en 1924 en Italie. En Italie, à l’époque, le mariage devait être célébré par la forme civile également. Or la loi syrienne autorise le mariage religieux. Le mariage religieux était-il valable 60 ans après ? En droit français, la loi française désigne la loi italienne (lex loci celebrationis) mais la loi italienne, par renvoi, désigne la loi syrienne. Il en résulte que le mariage est valable puisque la loi syrienne autorise le mariage religieux uniquement. On parle de renvoi in favorem car il permet de valider une situation juridique.
3) Les solutions du droit positif
Lorsque la règle de conflit de lois appliquée par le juge français prend sa source dans un instrument du droit de l’UE (règlements), par principe le renvoi est exclu. En droit des obligations, l’art.20 du règlement Rome I et l’art. 24 du règlement Rome II excluent le renvoi dans le souci de ne pas compromettre l’unité recherchée par la législation européenne. L’admission du renvoi aurait pour effet de créer une hétérogénéité dans le droit. Il en est de même pour les règlements sur les régimes matrimoniaux et assimilés (art.32 des règlements). De même, l’art.11 du règlement Rome III sur le divorce et séparation exclut le renvoi. Enfin, le règlement « Obligations alimentaires » renvoie à l’art.12 du protocole La Haye de 2007 qui lui aussi exclut le renvoi.
Néanmoins, même lorsque la règle de conflit de lois est issue du l’UE, le renvoi est exceptionnellement admis en matière successorale dans le règlement « Successions ». En effet, l’art.34 du règlement « Successions » admet le renvoi dans deux hypothèses.
D’abord, le renvoi est admis lorsque que la loi désignée par le règlement est la loi d’un État tiers et que le droit international privé de cet État renvoie à la loi d’un État membre. On favorise l’application de la loi d’un État membre. Ensuite, le renvoi est admis lorsque la loi désignée par le règlement est la loi d’un État tiers et que le droit international privé de celui-ci renvoie à la loi d’un État tiers qui appliquerait sa propre loi à la succession. Il s’agit d’un renvoi au second degré lorsque la loi à laquelle il est fait renvoi l’accepte. Enfin, en tout état de cause, le renvoi n’est pas admis lorsque le défunt avait exercé un choix de loi.
Considérant 57 du Préambule du règlement « Successions » : « Les règles de conflit de lois énoncées dans le présent règlement peuvent conduire à l'application de la loi d'un État tiers. Dans un tel cas, il convient de tenir compte des règles de droit international privé dudit État. Si ces règles prévoient le renvoi à la loi d'un État membre ou à la loi d'un État tiers qui appliquerait sa propre loi à la succession, il y a lieu d'accepter ce renvoi afin de garantir une cohérence au niveau international. Il convient toutefois d'exclure le renvoi lorsque le défunt avait fait un choix de loi en faveur de la loi d'un État tiers. »
Lorsque les règles de conflit de lois sont conventionnelles, c’est très souvent la convention elle-même qui s’exprime en principe pour le renvoi. En principe, le renvoi est exclu (la référence à la loi « interne » désigne les lois internes et non les règles de droit international privé).
En présence de règles de conflit de lois nationales, la jurisprudence française adopte une approche fonctionnelle. Les juges prennent en compte la fonction donnée à la règle de conflit de lois.
Pendant très longtemps, la jurisprudence française a refusé de faire jouer le renvoi au motif qu’il s’agissait d’une règle de conflit de lois originale particulière, rare en droit comparé, et que son admission conduirait à ce qu’elle ne soit plus respectée. Par exemple, en matière de filiation sur l’art.311-14 c.civ : « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant. »
1re Civ., 4 mars 2020 (illustration du renvoi en matière de filiation): la Cour de cassation admet pour la première fois le renvoi en matière de filiation. Un homme de nationalités italienne et australienne s’est mariée à femme de nationalité allemande et le couple réside en France. De leur union nait un enfant en Allemagne. La paternité de l’enfant est contestée par un tiers devant le TGI de Paris, lieu de résidence de la famille. Pour savoir si le tiers pouvait contester la filiation, le juge devait déterminer la loi applicable. La CA de Paris par arrêt du 18 décembre applique la loi française à l’action, qui autorise la contestation en l’espèce. Les parents se pourvoient en cassation contre l’arrêt d’appel. Ils contestent l’application de la loi française et prétendent que c’est la loi allemande qui devrait s’appliquer.
Art.20 EGBGB (Einführungsgeseztes zum Bürgerlischen Gesetzbuche, Loi introductive du Code civil allemand) relatif à l’établissement du lien de filiation : « la filiation peut être annulée selon chaque droit dont les conditions sont remplies. L’enfant peut annuler la filiation dans chaque cas selon le droit de l’État dans lequel il a sa résidence habituelle. »
Art. 19 EGBGB : « (1) la filiation est régie par le droit de l'État de la RH de l'enfant. Elle peut aussi, dans les rapports avec chacun de ses parents, être établie conformément au droit national de ce parent.
Si la mère est mariée, la filiation peut encore être établie conformément au droit régissant au moment de la naissance de l'enfant les effets généraux du mariage en application de l'article 14 § 1. »
Art 14, § 1 EGBGB : « Les effets généraux du mariage sont soumis
1. au droit de l’État dont les deux époux sont ressortissants ou étaient ressortissants pendant le mariage, si l’un d’entre eux est encore ressortissant de cet État, ou bien
2. le droit de l’État dans lequel les deux époux ont leur résidence habituelle ou l’avait lors du mariage si l’un d’entre y a encore sa résidence habituelle, et si besoin,
3. le droit de l’État avec lequel les époux ont le lien le plus étroit ».
Par une combinaison des articles 20, 19 et 14 de la Loi introductive au code civil allemand, la Cour de cassation, approuvant les juges du fond, conclut à l’application de la loi française par renvoi. En effet, ces articles renvoient au droit français, d’où l’application de la loi française par la cour d’appel de Paris et le rejet du pourvoi par la Cour de cassation. En effet, la loi allemande désigne la loi de la résidence habituelle de l’enfant ou la loi du domicile commun des parents.
La Cour déclare que « la résolution du conflit de lois par l’application des solutions issues du droit allemand, lesquelles désignent la loi française, permet d’assurer la cohérence entre les décisions quelles que soient les juridictions saisies par la mise en œuvre de la théorie du renvoi ».
1re Civ., 21 septembre 2005 (admission du renvoi en matière de capacité) : renvoi de proximité.
Certains droits ont fait le choix d’une admission généralisée du renvoi. Il en est ainsi de la loi italienne et de la loi autrichienne.
Par exemple, l’art.5 de la loi autrichienne de droit international privé (1978) opère un renvoi au premier et au second degré : « (1) Le rattachement à un ordre juridique étranger comprend aussi les règles de rattachement de celui-ci.
(2) Si l’ordre juridique étranger renvoie au droit autrichien, les règles matérielles autrichiennes doivent être appliquées, dans le cas d’un renvoi au second degré, sont applicables, sauf renvois ultérieurs, les règles matérielles de l’ordre juridique qui ne renvoie plus ou qui reçoit le premier un renvoi».
Mais il peut y avoir aussi des refus généralisés absolus ou refus généralisés avec exception. C’est le cas de l’art.3517 du code civil de Louisiane (renvoi) : « Sauf indication contraire, la désignation de la loi d’un autre État en vertu du présent Livre ne vise pas les règles de conflit de lois en vigueur dans cet État. Néanmoins, afin de déterminer l’État dont la loi régira une question litigieuse en vertu des articles 3515, 3519, 3537 et 3542, les règles de conflit de lois des États étrangers impliqués pourront (simple faculté mais pas d’obligation) être prises en considération ».
Le renvoi peut être admis dans des hypothèses prédéterminées et fonctionnelles. C’est le cas de l’article 14 de la LDIP suisse et de l’art.22 Loi de République de Corée.
Article 22 (Application de la loi de la République de Corée suivant une loi étrangère)
(1) « Dans le cas où une loi étrangère a été désignée comme loi applicable suivant la présente loi, lorsque la loi de la République de Corée doit être appliquée suivant la loi de cet État, la loi de la République de Corée s’applique (les règles concernant la désignation de la loi applicable sont exclues). Il s’agit d’une admission du renvoi au 1er degré.
(2) L’alinéa 1er ne s’applique pas dans les cas correspondant à l’un de chacun des sous-alinéas suivants.
-
Dans le cas où les parties choisissent la loi applicable par accord
-
Dans le cas où la loi applicable au contrat est désignée suivant la présente loi
-
Dans le cas où la loi applicable aux aliments est désignée suivant l’article 73
-
Dans le cas où la loi applicable aux modalités de testament est désignée suivant l’article 78 alinéa 3
-
Dans le cas où la loi de l’État du registre maritime du navire est désignée suivant l’article 94
-
Dans les autres cas où l’application de l’alinéa 1er est contraire à l’objectif de désignation de la loi applicable de la présente loi
CHAPITRE II : L’IMPERATIVITÉ DE LA RCL
La question se pose parce que la règle de conflit de lois n’est pas une règle comme les autres puisqu’elle désigne non pas la compétence juridictionnelle mais le droit applicable au problème posé. On distingue les règles impératives et les règles supplétives de volonté. La RCL est-elle impérative ou supplétive ?
L’impérativité de la RCL pourrait conduire le juge à la relever d’office et cela pourrait entrainer des manœuvres dilatoires. La question de l’impérativité ne se pose que si les parties s’abstiennent d’invoquer l’application d’une règle de conflit de lois et que si l’élément d’extranéité est connu du juge. Ces éléments d’extranéité doivent figurer dans la requête et à défaut le juge ne peut pas les relever d’office.
Dans ces conditions, le juge français doit-il ex officio appliquer la règle de conflit de lois ?
SECTION I : Lorsque la règle de conflit de lois est issue d’une convention internationale ou d’une source nationale
§1. La RCL s’impose-t-elle au juge ou (l’officier d’état civil) ?
Le juge n’est pas le seul à mettre en œuvre une règle de conflit de lois. Il en est de même pour l’officier d’état civil à l’occasion de la célébration d’un mariage.
A. Position et solution du problème : l’impérativité de la RCL pour les droits indisponibles
L’impérativité de la règle de conflit des lois ne concerne que les droits indisponibles pour les parties.
Selon l’art. 4 CPC, l’objet du litige est circonscrit par les prétentions respectives des parties. Il fait interdiction au juge de se substituer aux parties dans l’énoncé de leurs prétentions et des fondements juridiques qu’elles invoquent. Pourquoi le juge devrait dire quelle loi serait applicable ? Or, l’art.12 CPC énonce le juge doit appliquer les règles de droit applicables au litige dont il est saisi. Il s’agit d’un argument en faveur de l’impérativité de la règle de conflit de lois. De plus, il est difficile pour le juge d’appliquer la loi étrangère. En effet, même si la cour connait le droit (jura novit curia), elle ne connait en principe que le droit de son for. Enfin, il existe aussi un risque de manœuvres dilatoires. Ces manœuvres sont mises en œuvre par les parties pour retarder le plus possible le prononcé de la décision.
Ces différents arguments ont conduit la jurisprudence à hésiter sur l’impérativité de la RCL jusqu’en 1999.
1re Civ., 26 mai 1999, Mutuelles du Mans et 1re Civ., 26 mai 1999 Belaïd : la Cour considère que si la règle de conflit de lois met en œuvre des droits disponibles, elle n’est pas impérative et n’a pas à être relevée d’office par le juge. Si la règle met en œuvre des droits indisponibles, le juge doit la relever d’office. Cette règle peut être soulevée pour la 1re fois devant la Cour de cassation.
B. La difficile mise en œuvre du critère de la libre disponibilité des droits
La mise en œuvre de cette règle est difficile puisqu’il faut déterminer si le droit est disponible ou indisponible. Les droits indisponibles sont des droits qui échappent à la logique patrimoniale et ne peuvent faire l’objet d’un aménagement conventionnel. Les droits disponibles sont les droits dont les parties peuvent aménager par leur volonté. Les droits patrimoniaux sont disponibles tandis que les droits extrapatrimoniaux sont indisponibles.
1re Civ., 26 mai 1999, Mutuelles du Mans (droits disponibles) : une action en garantie est introduite par une compagnie d’assurances. Le juge français rejette ce recours en garantie, aucune loi étrangère n’étant invoquée par les parties. En cassation, l’assureur plaide pour l’application du droit néerlandais qui admet le recours en garantie par application de la Convention de La Haye sur la vente internationale d’objets mobiliers corporels. La Cour rejette le pourvoi au motif qu’il s’agit de droits disponibles et que la cour d’appel a légalement justifié sa décision sur le fondement de la loi française dès lorsqu’aucune partie n’avait invoqué la Convention de La Haye.
1re Civ ;, 26 mai 1999, Belaïd (droits indisponibles): il s’agissait d’une action en recherche de paternité. La Cour de cassation a censuré les juges du fond pour n’avoir pas relevé d’office la loi applicable puisqu’il s’agissait de droits indisponibles. Dès lors, la règle de conflit est impérative.
En droit comparé, notamment en droit autrichien, le juge doit appliquer la règle de conflit de lois en toutes hypothèses.
C. La mise en œuvre de l’office du juge
1) Le principe du contradictoire
Même s’il statue ex officio, le juge doit respecter le principe du contradictoire i.e. inviter les parties à s’expliquer contradictoirement sur l’application de la règle de conflit de loi.
2) L’exception d’équivalence (la dispense de l’application de la RCL)
La jurisprudence a essayé d’atténuer l’obligation faite au juge d’appliquer la règle de conflit de lois en les limitant aux seules règles de conflit de lois.
1re Civ., 13 avril 1999, Compagnie Royale Belge : un accident survient en Belgique entre une voiture immatriculée en France et un cheval. La cour d’appel de Reims est saisie de l’action en responsabilité du fait des choses. Mais la cour se fonde sur « les codes civils français et belges pour déclarer responsables le propriétaire de l’animal ». La Cour rejette le pourvoi en affirmant qu’il y avait « équivalence entre les deux droits », i.e. que les mêmes conséquences juridiques étaient tirées par le droit des mêmes faits. Les dispositions étaient identiques entre les deux ordres juridiques de sorte que le juge n’était pas tenu d’appliquer la Convention de La Haye sur les accidents de la circulation.
1re Civ., 11 janvier 2005 (droits indisponibles) : la Cour considère que « l’équivalence entre la loi appliquée et celle désignée par la règle de conflit-en ce sens que la situation de fait constaté par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux loi- justifie la décision qui fait application d’une loi autre que la loi compétente ».
§2. La RCL s’impose-t- elle aux parties ?
C’est la question de l’accord procédural, un accord conclu uniquement en vertu du procès en cours qui vise à imposer au juge l’application d’une loi autre que celle normalement applicable pour résoudre le litige. Elle est défendue par Motulsky.
A. La validité de l’accord procédural
L’art.12, alinéa 3 CPC prévoit que « toutefois, il (le juge) ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. »
1re Civ., 1988, Roho : la Cour considère que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent demander l’application d’une loi différente de celle désignée par une convention internationale ». En l’espèce, un accident se produit à Djibouti et commande l’application de loi du lieu de l’accident (lex loci damni). Or, les parties avaient choisi l’application de la loi française en lieu et place de la loi désignée par la règle de conflit. La Cour rejette le pourvoi. Il découle de cet arrêt que le critère de validité de l’accord procédural est la disponibilité des droits mais la formulation large de la Cour interroge de savoir si les parties pouvaient choisir la loi du for ou une autre loi étrangère.
1re Civ., 1997, Société Hannover International : « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une convention internationale ou d’une clause contractuelle désignant la loi compétente ; qu’un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par un contrat ». L’accord procédural évince la loi désignée par la règle de conflit de lois.
B. Le régime de l’accord procédural
1re Civ., 10 février 2021 : simple renonciation à la RCL (donc application de la loi du for) ou choix possible d’une autre loi ? : la Cour considère que « pour les droits dont elles ont libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable ».
Pour caractériser le consentement à l’accord procédural, il suffit que les conclusions visent le droit français. 1re Civ., 22 février 2005 : toutes les parties au litige doivent exprimer leur consentement à l’accord procédural notamment par le truchement de leurs conclusions orientées en ce sens.
SECTION II : Lorsque la RCL est issue d’un règlement de l’UE
Il existe un principe de liberté procédurale des EM. Cependant, les règles du droit de l’UE s’imposent au juge national en vertu du principe de supériorité du droit de l’UE. Les règlements sont édictés en vue de permettre une harmonisation du régime des règles de conflit de lois dans tous les États membres.
La CJUE a eu l’occasion d’indiquer sa vision de l’office du juge lorsqu’était en cause notamment la protection du consommateur.
CJCE, 27 juin 2000, Océano : le juge national doit d’office relever le caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu avec un consommateur. La clause en question était une clause d’élection de for. Il doit regarder si la clause d’élection de for ne porte pas atteinte à l’objectif de protection du consommateur (interprétation téléologique).
CJCE, 29 octobre 2006, Mostaza Claro : la CJCE considère que le juge national doit compenser l’omission procédurale d’un consommateur et considérer une CAJ comme abusive même si le demandeur ne l’invoque. En l’espèce, le droit espagnol applicable à la clause établissait la forclusion de la demande de nullité. Par conséquent, le consommateur ne pouvait plus agir. Concrètement, le juge ne doit pas tenir compte de l’obstacle procédural et doit relever d’office si la CAJ est abusive ou non.
Il se déduit de ces arrêts une réelle obligation pour le juge de relever d’office des dispositions du droit de l’UE lorsqu’il s’agit de la protection du consommateur. Dans d’autres droits, il est établi une obligation pour le juge de relever d’office les RCL.
La doctrine se demande si l’obligation d’appliquer une RCL de l’UE emporte-t-elle également l’obligation de la relever d’office ? La réponse est donnée par la Cour de cassation.
1re Civ., 26 mai 2021 : les juges du fond avaient retenu l’application du droit français dans un litige qui opposait des sociétés françaises à des sociétés égyptiennes. Les juges du fond considéraient que des sociétés françaises avaient commis des actes de parasitisme et de concurrence déloyale en application de la loi française. Le pourvoi prétend que les juges auraient dû regarder quel est le droit applicable à l’action en concurrence déloyale et mettre en l’œuvre l’article 6 du règlement Rome II qui propose des règles pour les actions relevant d’une violation des droits de la concurrence. Les juges du fond auraient-ils du relever d’office la RCL issue d’un règlement européen ?
Dans cet arrêt, la Cour vise l’article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), l'article 12 du Code de procédure civile et les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne :
9. Le premier (art.6 règlement Rome II) de ces textes dispose :
«1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être.
2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, l'article 4 est applicable.
4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l'article 14. »
10. Il résulte du second de ces textes et des principes susvisés que si le juge n'a pas, sauf règles particulières, l'obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu'il est interdit d'y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.
En statuant ainsi, sans mettre en œuvre d'office, comme il le lui incombait, les dispositions impératives de l'article 6 du règlement « Rome II » pour déterminer la loi applicable au litige, la cour d'appel a violé les textes et les principes susvisés. »
Le critère à mettre en œuvre par le juge national n’est pas la disponibilité des droits mais l’origine de la règle de conflit de lois. Si la RCL qui aurait dû être appliquée est issue d’un règlement UE, le juge doit s’interroger si la règle à mettre en œuvre est d’ordre public. Si tel est le cas, il a l’obligation de la relever d’office.
Est-ce un arrêt d’opportunité ou de principe ? La jurisprudence pose une question qui demeure aujourd’hui non résolue. En effet, s’il est vrai que le juge doit relever les RCL d’ordre public, l’appréciation du caractère d’ordre public de la RCL est laissée à son appréciation.
TITRE III : L’APPLICATION DU DROIT ETRANGER
CHAPITRE I : LES OBSTACLES À L’APPLICATION DU DROIT ÉTRANGER
SECTION I : La désignation empêchée : les lois de police
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§1. La notion de lois de police
L’expression « lois de police » ne renvoie pas à la police judiciaire. Elle est énoncée à l’art.3 c.civ qui traite de sa méthode d’application dans la mesure où ces lois obligent tous ceux qui habitent le territoire sans considération de la situation juridique donnée. Par métonymie, on se réfère à la fonction donnée à cette loi de police. La loi de police désigne toute loi dont l’application s’impose sur le territoire. Dans d’autres droits étrangers, on utilise l’expression de normes impératives (normas imperativas). Certains auteurs parlent de lois impératives
A. Une définition doctrinale
Pendant longtemps, la loi de police n’a pas été définie par le législateur. Francescakis définit les lois de police comme « les lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale, ou économique » d’un pays donné. C’est une loi qui veut s’appliquer à une situation sans intermédiation de la RCL. C’est la loi elle-même qui commande son application car elle sert une certaine politique législative jugée comme importante pour l’organisation politique, sociale et économique. Il ne faut pas confondre les lois de police avec les règles matérielles de droit international privé. La loi de police est faite pour une situation interne et pas nécessairement internationale et les objectifs qu’elle poursuit sont si importants qu’elle s’applique aux situations internationales.
B. Une définition jurisprudentielle puis légale
Il existe désormais une définition légale inspirée par la jurisprudence (CJCE, 1999, Arblade)
L’art.9-1 règlement Rome I dispose que « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. »
Parfois, dans certains systèmes juridiques, on applique les lois de police.
Art.19 LDIP suisse : 1.« le droit désigné par la présente loi n’est exceptionnellement pas applicable si, au regard de l’ensemble des circonstances, il est manifeste que la cause n’a qu’un lien très lâche avec ce droit et qu’elle se trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit.
2. Pour juger si une telle disposition doit être prise en considération, on tiendra compte du but qu’elle vise et des conséquences qu’aurait son application pour arriver à une décision adéquate au regard de la conception suisse du droit.
Art.20 (application impérative de la loi de la République de Corée) : « Les dispositions impératives de la République de Corée qui doivent, au regard des objectifs législatifs, être appliquées aux rapports de droit en question indépendamment de la loi applicable, s'appliquent même dans le cas où une loi étrangère est désignée comme loi applicable suivant la présente loi. »
C. Une méthode incidente
La méthode de lois de police peut être décrite comme incidente dans le cadre général d’une RCL bilatérale dans la mesure où elle n’est suivie que pour certaines lois. Il s’agit d’un raisonnement par exception qui ne vaut que dans certaines situations. Elle a pour effet de paralyser le jeu de la RCL bilatérale.
S’agissant de la RCL unilatérale, la démarche de principe est de regarder la situation et de déterminer le facteur de rattachement. Avec la loi de police, on part de la loi donnée. La loi sur le SMIC qui est applicable à tous les contrats de travail réalisés en France est un exemple de loi de police.
Comment déterminer les lois de police ? Il arrive que le législateur donne des indications permettant d’identifier une loi de police.
Art. L.613-5-4 CMF : « Les dispositions du présent article sont des lois de police au sens de l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008»
Article. L.225-102-4.-I C. Com : « Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. »
Il appartient au juge de déterminer la loi ou seulement la disposition législative qui doit être regardée comme une loi de police.
CE, Ass., 29 juin 1973, Wagons-lits : application de la loi française (au lieu de la loi belge, loi de la société) à la question de savoir si le comité d’entreprise pouvait être créé. En l’espèce, l’entreprise a son siège social en Belgique mais possède des établissements en France sans comité d’entreprise. Or, la loi française prévoit la constitution de tels comités. Le syndicat général a fait une demande au ministre tendant à forcer l’entreprise à constituer des comités d’entreprise mais le ministre refuse. Le CE annule le refus du ministre. Il ne s’interroge pas sur la loi applicable au fonctionnement de la société mais de savoir s’il convenait d’imposer l’observation de la loi française i.e. la constitution de comité d’entreprise pour ces sociétés.
Le CE analyse les objectifs de la loi. Il considère qu’en instaurant les comités d’entreprise, la loi vise à associer les salariés aux décisions de l’entreprise et à éviter la lutte des classes. Par conséquent, le refus du ministre d’appliquer la loi française qui poursuit par ailleurs un objectif à valeur constitutionnelle (préambule de 1946) contrecarre l’objectif du législateur. La méthode du juge est d’évaluer les intérêts légitimes et manifestement prépondérants d’un législateur à appréhender la situation juridique dont il est saisi.
§1. L’application des lois de police
A. Application des lois de police du for
1) La défense d’un intérêt
Dès lors qu’il s’agit de s’interroger si la loi du for s’applique, le juge doit se fonder sur l’art.9-2 Rome I.
Com., 8 juillet 2020, Expedia, n°17-31.536: une disposition particulière du droit français s’applique-t-elle à une situation internationale ? Était en cause l’art.442-6 C.com qui permet au ministre de l’Économie de demander le prononcé de sanctions civiles lorsqu’il constate la présence d’une disposition dans un contrat contraire au droit de la concurrence. Or le contrat était régi par le droit étranger. La Cour considère que l’art.442-6 est une loi de police.
« Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable ».
Pour les objectifs considérés comme cruciaux par le législateur, la mise en œuvre de la RCL est évincée.
1re Civ., 19 septembre 2018 : en l’espèce, il y a une opposition au sein de la famille d’un défunt de nationalité marocaine. Les enfants considèrent que le défunt voulait la crémation alors que les autres membres de la famille soutenaient qu’il voulait l’inhumation. La Cour considère que « la liberté d'organiser ses funérailles ne relève pas de l'état des personnes mais des libertés individuelles ». Pour justifier l’application de la loi française, la Cour retient que, s’agissant d’une liberté individuelle, « la loi du 15 novembre 1887, qui en garantit l'exercice, est une loi de police applicable aux funérailles de toute personne qui décède sur le territoire français ».
2) Un lien avec le territoire
La JP française exige un lien avec le territoire pour appliquer la loi de police française.
Ch. mixte, 30 novembre 2007, Agintis : la Cour considère que l’art.12 de la loi du 31 décembre 1975 qui offre au sous-traitant une action directe contre le maitre d’ouvrage n’est une loi de police que si l’opération de sous-traitance était rattachée au territoire français. En l’espèce, une personne licenciée au Québec exige l’application de la loi française. Or, le contrat était soumis à la loi québécoise. En l’espèce, le salarié était détaché temporairement en France. La Cour considère que les règles de rupture d’un CDI avait une valeur impérative mais que le lien au territoire français n’était pas suffisamment caractérisé pour justifier l’application d’une telle loi de police.
Or, le droit de l’UE n’exige pas un tel lien de rattachement avec le territoire. CJUE, 31 janvier 2019, Agostino Da Silva Martins : les art.9 §1 Rome I et 16 Rome II n’expriment pas une telle exigence. En effet, la CJUE ne fait pas du lien entre le for saisi et le territoire une exigence pour appliquer une loi de police. Néanmoins, la Cour de justice invite aujourd’hui les juges étatiques à n’appliquer une disposition nationale au titre de loi de police que « sur la base d’une analyse circonstanciée des termes, de l’économie générale, des objectifs ainsi que du contexte de l’adoption de cette disposition, lorsqu’elle revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable » selon la règle de conflit pertinente.
3) La loi d’un État membre transposant une directive : une loi de police invocable devant la juridiction d’un autre État membre ?
CJUE, 17 octobre 2013, Unamar : la CJUE est saisie d’une question préjudicielle sur le statut des agents commerciaux. Or, cette matière a fait l’objet d’une directive européenne et on devrait s’attendre à ce que les droits nationaux soient harmonisés. En l’espèce, une société de droit belge est agent d’une société de droit bulgare. La société bulgare résilie le contrat qui contenait une clause de choix de loi désignant le droit bulgare. La société belge saisit le juge belge pour demander des indemnités à son cocontractant bulgare. Le tribunal belge fait droit à cette demande au motif que la loi belge sur les indemnités en cas de rupture du contrat d’agent commercial est une loi de police.
La CJUE considère qu’il appartient au juge national d’apprécier s’il s’agit d’une loi de police et doit tenir compte du fait que la loi du for offre une protection plus grande à ses agents commerciaux. Dans ce cas et eu égard à la finalité de protection, le juge belge peut appliquer le droit belge comme étant une loi de police. La loi de police évince la clause de choix de loi.
En présence d’une harmonisation minimale des droits nationaux par voie de directive, la CJUE estime que les lois nationales de transposition pouvaient valablement s’opposer les unes aux autres, motif pris de leur nature de lois de police nationales.
4) Peut-on éviter l’application d’une loi de police en introduisant une clause d’élection de for ?
Si un contrat contient une clause d’élection de for au profit des juridictions nord-américaines, cette clause prive les juridictions françaises de la compétence de sorte qu’elle échapperait à la mise en œuvre d’une loi de police.
Com., 22 octobre 2008, Monstercable : la Cour admet la validité et l’efficacité d’une clause d’élection de for au profit des juridictions californiennes alors que les lois de police françaises auraient dû trouver à s’appliquer. Pour contourner les lois de police, il suffit d’écarter la compétence du juge français. La clause d’élection de for peut faire échec à l’application des lois de police du for.
B. Application des lois de police étrangères
Le juge saisi peut analyser les objectifs du législateur étranger. Mais la question se pose dans des termes différents lorsque la loi de police n’est pas une loi édictée par le for. On considère qu’appliquer une loi de police étrangère reviendrait à prêter main forte à un État dans la poursuite de certains de ses objectifs de nature politique, économique et sociale. Or, il n’est pas évident qu’une telle attitude existe dans l’ordre international. Lorsqu’existe une telle obligation, elle est en général prévue par une convention internationale.
Par exemple, les statuts du FMI (art.8) stipulent qu’aucun État n’ordonne l’exécution d’un contrat passé en violation de la réglementation des changes régulièrement prise par un autre. Par ailleurs, une convention de l’UNESCO du 14 novembre 1970, ratifiée par plus d’une centaine d’États dont la France, prévoit le respect mutuel par les États signataires (ce qui implique des mesures d’application internes) des interdictions d’exportation d’objets culturels qu’ils peuvent édicter. Il s’agit d’une obligation de coopération posée par la convention. À défaut de convention, il est difficile d’imposer le respect d’une obligation.
Que se passe-t-il si le juge français veut appliquer une loi de police étrangère appartenant à un État dont la loi n’est pas applicable à la situation juridique ?
1) Une application conditionnée dans le règlement Rome I
Le règlement Rome I accepte qu’un juge puisse appliquer une loi de police étrangère à certaines conditions mais le régime juridique a évolué par rapport à la Convention de Rome.
Art. 7§1 de la Convention de Rome : « Lors de l'application, en vertu de la présente Convention, de la loi d'un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application ». Concrètement, le juge peut donner effet à une loi de police d’un autre pays. De façon générale, le juge peut appliquer une loi de police étrangère.
Art. 9§3 du règlement Rome I : « Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application. » L’article restreint l’application des lois de police étrangères.
La Convention de Rome permettait aux États d’émettre des réserves sur l’article 7 §1 et des pays comme l’Allemagne ou le Luxembourg ont exercé ce droit. Avec le règlement, il n’est plus possible d’émettre des réserves d’où un compromis aboutissant à la restriction de l’admission de l’application des lois de police d’un État membre.
Com., 16 mars 2010, Maersk : un contrat de vente est conclu entre un exportateur français et un vendeur de viande au Ghana. La viande devait être acheminée au Ghana. Or, le Ghana avait imposé un embargo sur la viande bovine française et la viande n’a pas pu être débarquée. Le vendeur assigne en responsabilité l’exportateur pour n’avoir pas déchargé la marchandise. L’exportateur invoque l’embargo et le vendeur vise la loi du contrat. Est-ce que la loi du Ghana pouvait être considérée comme une loi de police ?
Les juges du fond refusent d’appliquer la loi de l’embargo. La Cour de cassation les censure pour violation de l’article 7§1 de la Convention de Rome par refus d’application. Les juges du fond auraient dû appliquer la loi de l’embargo et exonérer l’exportateur de sa responsabilité.
2) Une application non prévue dans d’autres textes
CJUE 18 octobre 2016, Nikiforidis : un professeur grec travaille dans une école grecque située en Allemagne. Pendant la crise grecque, l’État grec adopte une politique d’austérité conduisant à la réduction des salaires de 12%. Le professeur demande au juge allemand la non-application de la loi d’austérité. Le contrat litigieux est conclu sous l’empire de la Convention de Rome sur laquelle l’Allemagne avait émis une réserve sur l’art.7§1. Or, la CJUE lui applique pourtant l’art.9§3 du règlement Rome I. La question portait sur l’application des lois d’austérité grecques au contrat du professeur soumis au droit allemand.
Le juge allemand peut-il appliquer les lois de police grecques dont le but est de sauver les finances publiques grecques ?
La CJUE admet l’application de l’art.9§3 du règlement Rome I alors même que le contrat s’exécutait en Allemagne. Elle considère que la loi de police étrangère autre que celle du lieu d’exécution peuvent être prises en considération comme « élément de fait ». Le juge est invité à tenir compte de la loi de police grecque qui diminuait la rémunération du professeur dont le contrat de travail s’exécutait en Allemagne et était également soumis au droit allemand.
SECTION II : La désignation frustrée : l’exception d’ordre public
Il s’agit d’une loi désignée mais non appliquée parce qu’elle heurte l’ordre public.
§1. La notion d’ordre public international et des principes essentiels du droit français
A. La notion d’ordre public international
La notion d’ordre public international doit être différenciée de la notion d’ordre public interne. On parle de la conception française de l’ordre public international. Relève de l’ordre public international les principes de notre droit auxquels il nous semble impossible de renoncer. Par exemple, la conception monogamique du mariage.
Cass., 25 mai 1948, Lautour : la Cour de cassation définit l’ordre public international comme les « principes de justice universels considérés dans l’opinion comme doués de valeur absolue ». Réaffirmation par 1re Civ, 1re septembre 2017 : « une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
B. La mise en œuvre de l’exception d’ordre public
L’ordre public international s’apprécie au moment où le juge statue (principe d’actualité de l’ordre public). Il peut changer en fonction des lois adoptées par le législateur. La mise en œuvre de l’exception d’ordre permet de ne pas appliquer le droit étranger désigné.
La seule constatation d’une contrariété à la conception française de l’ordre public international est-elle suffisante ou faut-il exiger que la situation ait un lien avec le territoire français (Inlandsbeziehung) pour que l’exception d’ordre public joue ?
1re Civ. 8 juillet 2015 : la Cour considère que le contrôle opéré par le juge français doit être concret et consiste à comparer deux situations concrètes.
Depuis les années 1980, on appliquait l’ordre public de proximité mais la notion a décliné progressivement. En effet, les règlements UE n’exigent pas un lien entre la situation et le for.
Art.21 du règlement Rome I (ordre public du for) : « L'application d'une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ».
Article 26 du règlement Rome II : « L'application d'une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ».
C. L’effet de l’exception d’ordre public
Lorsque l’application de loi étrangère est manifestement contraire à l’ordre public du for, on applique la loi du for. On parle de la vocation subsidiaire de la loi du for.
D. L’effet atténué de l’exception d’ordre public
Lorsqu’il s’agit de reconnaitre une situation juridique déjà créée à l’étranger, le juge se montre moins rigoureux dans l’appréciation de l’ordre public voire ne l’apprécie pas du tout.
Civ, 17 avril 1953, Rivière au sujet de la validité d’un divorce valablement effectué à l’étranger : « la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger».
Chemouni, 1958 : « Attendu que la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis sans fraude à l’étranger et en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ; qu’une telle règle doit recevoir application s’agissant d’un Israélite de nationalité tunisienne invoquant en France métropolitaine un droit acquis, dans de telles conditions, en Tunisie ».
CHAPITRE II : L’APPLICATION CONCRÈTE DU DROIT ÉTRANGER
SECTION I : La connaissance du droit étranger
L’adage jura novit curia ne s’applique que pour le droit français. On peut s’interroger sur la manière dont le juge pourra appliquer une loi étrangère comme étant compétente. Procéduralement, la loi étrangère doit-elle avoir le statut d’un fait juridique ou d’une règle de droit ?
Pour Henri Motulsky, l’application du droit étranger est un droit et non un fait puisque l’impossibilité du demandeur d’établir le contenu du droit étranger ne conduit pas au rejet de sa demande mais tout simplement à l’application du droit du for.
§1. La charge de la teneur de la loi étrangère
1re Civ.,28 juin 2005, Aubin et Com.,28 juin 2005, Itraco : après des tergiversations sur le rôle du juge dans l’établissement de la teneur du droit étranger, la jurisprudence a fini par considérer qu’« il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ». Concrètement, il appartient au juge d’apporter la teneur du droit étranger avec, au besoin, le concours des parties. Cette solution est conforme à la considération qu’une loi étrangère est une règle de droit et non un fait (1re Civ., 13 janvier 1993, Coucke)
S’il n’est pas possible d’établir la teneur du droit étranger, le juge ne saurait rejeter la demande. Il procède à l’application de la loi du for. On parle alors de la vocation subsidiaire de loi du for. Néanmoins, la Cour de cassation contrôle le fait que les juges du fond participent activement aux recherches sur le droit étranger i.e. qu’ils ont bien fait l’effort de trouver la teneur du droit étranger.
§2. Les modes d’établissement de la loi étrangère
A. Les modes disponibles pour les parties
Selon l’art.11 CPC, le juge peut demander aux parties de l’assister dans la recherche de la teneur du droit étranger. Les parties peuvent solliciter un certificat de coutume, acte de droit qui établit la teneur du droit étranger. Ce certificat de coutume peut être sollicité par l’une des parties auprès d’un avocat étranger spécialisé en la matière ou auprès d’une institution qui délivre ce genre de certificat, notamment l’Institut suisse de droit comparé, l’Institut Max-Planck en Allemagne ou les ambassades. Il arrive que le juge n’accorde pas grand crédit à ce type de certificat qui peut être considéré comme biaisé. En droit de procédure civile, il n’y a pas de contradictoire dans la mesure où le rédacteur du certificat de coutume n’est pas interrogé devant le juge sur le contenu de l’acte qu’il a produit .
B. Les modes disponibles pour le juge
S’agissant du juge, il peut d’abord se servir de ses connaissances personnelles. L’art. 10 CPP lui permet d’ordonner d’office toute mesure d’instruction. Mais il existe aussi des instruments de coopération judiciaire internationale parmi lesquels la Convention de Londres (instrument de droit du Conseil de l’Europe) du 7 juin 1968 entrée en vigueur en France depuis 1992 et qui visent à fournir des informations sur le droit étranger. Une autorité judiciaire peut actionner cette convention pour solliciter d’une autre autorité la teneur du droit étranger. Le juge peut également saisir le service des affaires européennes et internationales du ministère de la Justice. Enfin, il existe un réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale qui est mis en œuvre par le mécanisme d’une collaboration informelle entre juges de l’UE. On parle alors de magistrat de liaison.
Aux États-Unis et dans d’autres droits, il existe des amicus curiae. L’amicus curiae est un document écrit par lequel un État intervient devant le juge en tant qu’« ami de la Cour » pour expliquer son droit. Mais l’amicus curiae ne lie pas le juge américain. Par ailleurs, l’institution de l’amicus curiae n’existe pas en droit français.
SECTION II : Le contrôle de l’application du droit étranger
§1. L’application selon le droit étranger
Le juge français doit appliquer le droit étranger comme le juge étranger l’appliquerait dans son État. Il doit donc tenir compte de la jurisprudence étrangère rendue sur ce droit.
§2. Le contrôle très limité de la Cour de cassation de l’application du droit étranger
A. Un principe
Initialement, la Cour de cassation refuse de contrôler l’application du droit étranger par les juges du fond en raison de plusieurs obstacles. D’abord, un obstacle théorique. La Cour de cassation a des fonctions limitées (disciplinaire et unificatrice). Elle ne censure que les juges du fonds qui auraient incorrectement appliqué la loi étrangère. De plus, il existe un obstacle pratique puisque la Cour n’a pas le temps ni les moyens de se consacrer à la recherche de la teneur du droit étranger. En effet, si elle l’admettait, le nombre de pourvois pour mauvaise application du droit étranger serait considérable.
B. Une exception
Il existe une absence de contrôle de la Cour de cassation sur l’application du droit étranger par les juges du fond, sous réserve de dénaturation. 1re Civ., 21 novembre 1961, Montefiore : cette absence de contrôle est d’abord fondée sur l’art.1134 ancien c.civ. La Cour considère que l’erreur manifeste des juges du fond qui méconnaitrait le sens précis et clair d’une disposition étrangère pourrait être censurée. Dorénavant, elle se fonde sur l’art.3 c.civ.
1re Civ. 7 octobre 2020, Knoll : une société de vente de meubles revendique la protection du droit d’auteur qu’elle détenait du droit américain. Pouvait-elle bénéficier de cette protection en France ? Le juge français a donc appliqué le droit fédéral américain sur le droit de la propriété intellectuelle.
§9 : « Enfin, constatant qu’aucun élément artistique ne peut être séparé de cette forme fonctionnelle, l’arrêt, par une appréciation souveraine du sens et de la portée du droit américain applicable, retient, par des motifs exempts de contradiction ou de dénaturation, que les sociétés Knoll ne peuvent solliciter en France la protection du droit d’auteur ».
C. Un problème
Quid du contrôle de l’appréciation de l’exception de l’ordre public international en l’absence de contrôle de l’application du droit étranger ? Lorsqu’une partie invoque la violation de l’ordre public international français du fait de l’application du droit étranger, la Cour exerce un contrôle a minima. Elle réduit la capacité de considérer la violation.
1re Civ., 16 décembre 2020 (sujet de l’examen 2020-2021) : en l’espèce, les juges du fond écartent l’application du droit marocain en considérant qu’il violait l’ordre public international français puisqu’il ne permet pas d’établir la filiation paternelle naturelle. La Cour de cassation approuve la position des juges du fond en considérant qu’ils ont interprété souverainement la loi étrangère sans dénaturation.
Selon l’attendu de principe, « il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.
Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française. »